Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

V

Le Devoir.

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Dieu nous donne le devoir, et le devoir nous donne Dieu. En d'autres ternies, tout devoir vient de Dieu et conduit à lui.
La notion du devoir implique en elle-même qu'il ne peut y avoir rien de petit ou de grand dans nos obligations. Les actes en apparence les plus ordinaires et les plus petits, sont ennoblis dès qu'ils sont des devoirs. Les actions les plus grandes et les plus graves, à certains points de vue, sont ordinaires dès qu'elles apparaissent sous le jour du simple devoir.

L'homme de Dieu n'étant ni plus ni moins qu'une créature qui s'est soumise d'une manière absolue à la loi dit devoir, pour être ce qu'il doit être, pour faire ce qu'il doit faire, pour accepter tout ce qui lui arrive dans les dispositions que Dieu lui indique, - toute sa vie est ennoblie, jusque dans ses moindres détails; il n'est plus rien de grand ou de petit; chaque moment, chaque circonstance a une égale valeur. Tout est également ordre et volonté de Dieu, puisque tout est également devoir.




Comment reconnaître le devoir ? Cette question étant d'une importance capitale pour tous les êtres humains, à quelque classe qu'ils appartiennent, elle doit nécessairement pouvoir être résolue par les moyens les plus simples. Elle est également vitale pour tous, et quelles que soient les perplexités au milieu desquelles nous nous trouvions, il est nécessaire que nous puissions reconnaître sûrement notre devoir.
Plus une chose est indispensable dans la nature, et plus elle est simple. Quoi de plus simple par exemple que l'air, l'eau et la lumière? Tous les êtres humains en ont besoin, les pauvres comme les riches. Aussi ces éléments pénètrent partout où on les laisse entrer; ils sont purs et clairs. Il doit en être ainsi de la volonté de Dieu, autrement dit du devoir. Il doit en être ainsi de toute religion; pour être vraie, elle doit être simple. C'est à ce dernier caractère qu'on doit pouvoir la reconnaître. Dès qu'il s'agit de choses vitales, la complexité doit être un indice qu'on est dans le faux. Le vrai est simple, le faux est complexe. La ligne droite est toujours la plus courte. Et plus les circonstances qui nous entourent sont complexes, plus est grand le besoin d'une entière simplicité intérieure.

Quand l'oeil spirituel est en bon état, tout le corps est plein de lumière. Le devoir donc, pour être devoir, doit pouvoir se reconnaître par des moyens d'une simplicité absolue.
En poursuivant cette enquête, nous sentons donc instinctivement que nous approchons du domaine de l'absolu - domaine solennel, grave, impérieux au dernier degré.

Le mot devoir implique l'absolu. Une chose ne peut pas être plus ou moins devoir. Sa simplicité, en tant qu'obligation, doit nécessairement résider dans son caractère impératif. C'est cela même qui doit constituer la force des hommes du devoir : « Je fais ce que je dois ! Qui donc, dans l'univers, oserait m'accuser? De qui ou de quoi aurais-je peur? L'univers, visible ou invisible, ne doit-il pas se rallier à mon côté? Toutes choses ne doivent-elles pas concourir à mon bien dès que je suis dans la ligne du devoir?
« Dès lors l'invisible et l'inconnu sont désarmés pour moi. Ces mondes mystérieux et redoutables pour l'homme impie ne recèlent rien que je doive craindre. La consécration entière à la loi du divin devoir bannit l'inquiétude. »




Nous commençons donc à pressentir que le moyen même de reconnaître le devoir doit contenir en lui quelque chose d'absolu. Si nous approchons d'un domaine où règne l'absolu dans sa sévère majesté, c'est précisément parce que c'est le domaine de la vie. Les portes du glorieux palais du bon, du vrai, du beau, doivent être gardées par des sentinelles d'une fidélité parfaite. Leur sainte austérité, leur noble intransigeance doivent être comme le reflet, comme le garant, comme l'avant-goût de ce que renferme ce palais.

Pour reconnaître la volonté de Dieu, l'attitude de la soumission la plus parfaite s'impose, soit, en d'autres termes : l'entier abandon. Quiconque apporte la moindre préférence ou la moindre répugnance naturelles en se plaçant devant cette question, y apporte dans la même mesure l'aveuglement.
La seule position qui convient à l'âme devant son Dieu, à l'homme devant son devoir, c'est celle de l'abandon absolu. Lorsqu'il présente une question quelconque à Dieu, il doit faire taire toute préférence, tout désir, tout goût, toute appréhension, toute espérance venant de lui-même. Il doit déposer la question entre les mains de Dieu et s'en remettre à lui pour la solution. Quiconque n'agit pas ainsi se moque de Dieu, en venant lui dire : « Montre-moi ta volonté ! »

Oserait-on se présenter devant le suprême arbitre avec une décision prise à l'avance, en tout, ou en partie? Le créé dictera-t-il ses arrêts au Créateur?
« Me voici, ô Dieu, pour faire ta volonté » - telle est l'attitude qui, seule, convient à tout fils d'homme comme au divin Fils de l'homme qui a prononcé ces paroles.

Mais cette attitude est aussi pour nous comme pour lui, la garantie qu'il sera possible de connaître et d'accomplir toute cette divine . « Mon jugement, disait-il, est juste, parce que je ne cherche pas ma volonté. » Notre jugement aussi deviendra juste et notre vue, claire, lorsque, dans l'abandon parfait, nous cesserons de chercher notre volonté en quoi que ce soit.




L'abandon : voilà le secret. L'abandon : quel mot expressif pour caractériser la parfaite soumission et la foi pure! Rien ne peut mieux exprimer l'acte ou l'attitude de livrer son sort à quelqu'un d'autre.

L'abandon absolu est donc la condition nécessaire pour pouvoir reconnaître le devoir. Et pour être capable d'accomplir le devoir, que faut-il ?

L'abandon, dans le sens chrétien, suppose qu'on s'abandonne à quelqu'un. Ce n'est pas l'abandon à la « fatalité aveugle », au « néant », au « hasard. » Et si l'abandon semble n'être autre chose que de se laisser choir dans un abîme, l'abîme cesse d'être abîme dès que Dieu s'y trouve. Il nous y reçoit pour accomplir sa volonté, dès que nous nous y jetons par un acte d'abandon absolu.
Âme tremblante, coeur qui doutes, rassure-toi! Cette chute dans l'abîme, c'est le salut. Pour toi, le danger n'est pas là. Le danger, c'est d'être ailleurs, c'est de faire autre chose. Seulement dans la perte en Dieu est ta sécurité.




S'abandonner n'est donc pas se livrer au néant, ni s'en remettre au hasard, mais c'est se donner à une personne, et cette Personne s'appelle le Dieu-amour.
Dès lors l'abandon, qui a été la condition nécessaire pour pouvoir reconnaître la volonté de Dieu, devient aussi la garantie absolue que nous pourrons accomplir cette volonté.

L'abandon a donc deux faces : la consécration et la foi, consécration au devoir, autrement dit à la volonté divine - foi pour pouvoir l'accomplir. C'est le don de nous-mêmes à Dieu et le don de Dieu lui-même à nous.

L'abandon absolu est donc la foi absolue. Car de même que nous ne saurions faire à Dieu un don moins qu'entier, nous ne devons pas attendre de lui un don partiel de lui-même. La foi dit : « Je suis à lui - et dès lors il est à moi. La force nécessaire pour accomplir chaque devoir, je l'ai. En avant, donc! »

Et nous nous mettons joyeusement à accomplir l'un après l'autre chaque devoir, « petit » ou « grand », nous attendant à rencontrer Dieu dans chacun d'eux. Voilà comment la Bible entend le devoir : « Il prépare les oeuvres devant nous. » Il nous y a donné rendez-vous de toute éternité. Il nous y attend. Il s'y donne à nous. Nous avançons avec hardiesse, avec une joyeuse confiance, saluant chaque devoir - actif ou passif - par le cri : « Voici Dieu! » Les détails les plus insignifiants se revêtent tous de quelque chose de sacré, de solennel, de divin. Tout devient ordre, volonté ou providence de Dieu.
Plus rien n'est méprisable dans nos devoirs, plus rien n'est spécialement élevé, tout est d'égale importance. Nous passons de l'un à l'autre sans exaltation comme sans découragement, sans espérance comme sans craintes charnelles.
Nous comprenons le mystérieux secret de la vie de Jésus-Christ, vie si unie, si féconde, si simple, si puissante, vie si ordinaire, de cet ordinaire céleste que nous trouverons un jour dans le monde nouveau, parmi ses habitants glorifiés.




C'est ainsi que des rives verdoyantes du Jourdain, du sein de cette gloire resplendissante qui l'entourait lorsque le ciel 's'ouvrit au-dessus de sa tête, et que Dieu lui-même prononça ces mots : « Voici mon Fils bien-aimé » - Jésus passa, dans une paix inaltérable, jusque dans les profondeurs du désert stérile et sauvage, où, après quarante jours de jeûne, il devait subir l'assaut du démon.

C'est avec la même divinisation de chaque moment que, du milieu de la merveilleuse scène de la multiplication des pains et de la joyeuse reconnaissance de la multitude, il se rendit, tout seul, sur la montagne pour passer la nuit en prière - et que, de là, à travers la tourmente, il marcha sur les vagues en furie pour aller secourir par sa seule présence ses disciples terrifiés.

C'est avec le même abandon, avec cette égale fidélité au devoir du moment présent, qu'il passa des splendeurs du Thabor aux douloureuses et repoussantes scènes de la vallée, où l'attendaient le démoniaque, le lépreux couvert de plaies hideuses, et toute la foule des misérables et des malades.

C'est ainsi aussi qu'après avoir soulagé les malheureux, il repartit pour marcher d'un pas ferme vers Jérusalem, où la mort l'attendait - «fixant son regard » dans la direction du devoir avec une fidélité et un courage inébranlables.

C'est la même paisible et forte attitude qui fit tomber à terre, à l'ouïe du seul mot « c'est moi », les soldats romains venus pour le saisir. C'est avec le même oubli constant de soi qu'il guérit l'un d'eux, dont l'oreille avait été enlevée par le coup d'épée de Pierre. C'est avec la même démarche d'allure égale, unie, qu'entouré de la foule enthousiasmée des enfants, de ses pêcheurs-théologiens, des gens du peuple, des boiteux et des aveugles guéris par lui, il entra en triomphe à Jérusalem, - et en sortit plus tard, par la même porte, dans l'humiliation, au milieu des grands de ce monde, des prêtres, des principaux de la nation, des soldats des armées sanguinaires de cette terre, des gens superbement corrects de la « loi » et de « l'ordre » ; portant son trône royal - une croix - comme il avait été porté par l'humble âne, il s'en allait à la mort.

C'est avec la même simplicité, la même sûreté de paroles, qu'au moment d'expirer il déclara au brigand à ses côtés, à celui dont les moqueries s'étaient changées en supplications en présence de la simple majesté du Crucifié : « Aujourd'hui, tu seras avec moi dans le paradis. »

C'est avec cette même claire perception du devoir de chaque moment, qu'en mourant, le Seigneur fit en faveur de sa mère ses dernières dispositions testamentaires, sans un mot d'adieu ni de regret : les adieux n'ont pas leur raison d'être pour ceux dont l'habitation est l'abîme de la volonté de Dieu. Ils se retrouveront tous en lui. Sans lenteurs, sans hâte, jamais trop tard, jamais trop tôt, toujours dans la note juste, sans dire un mot de trop, ni de trop peu, sans avoir de sympathie stérile et pourtant rempli d'amour divin, sans manquer à un seul des devoirs de son humanité, tout en accomplissant tout son ministère de Fils de Dieu - ainsi allait de lieu en lieu, faisant du bien, le fils de l'homme, le modèle parfait de la fidélité au devoir.

Ainsi Dieu nous donne le devoir, et le devoir nous donne Dieu. Accomplir son devoir est le résultat nécessaire du simple fait d'être à Dieu. Être hors de Dieu c'est manquer au devoir, c'est ne faire que du mal, quelque parfaites que soient la « religion » qu'on possède, la théologie qu'on professe, ou la moralité humaine qu'on préconise et qu'on pratique.

On ne peut voir son devoir tel qu'il est sans lumière. Et la lumière du monde, c'est Dieu. S'il ne règne pas dans le coeur, comment saurait-on reconnaître le vrai but de la vie et combien moins les devoirs qui y sont subordonnés.




Êtes-vous tenté de dire: « La porte que vous venez de nous faire voir est trop étroite, le chemin est trop escarpé? » - Je ne puis que répondre avec la Parole de Dieu : « Ils mènent à la vie. »
Il est temps qu'on tienne comme vérité la déclaration que Dieu est le créateur de l'univers et Jésus-Christ le Roi de la terre, dont le règne ne peut être moins qu'absolu. Le Créateur et Roi doit pouvoir disposer de nous comme il l'entend. Il est temps qu'on renonce à la doctrine païenne qui s'est incarnée dans les idées et les habitudes religieuses de nos jours et qui a engendré une manière si commode, si facile, d'envisager toute la question de ses devoirs envers Dieu.
Il n'y a donc rien qui puisse obscurcir notre vue, ou nous empêcher de reconnaître notre devoir, sinon les brouillards et les nuages qui s'élèvent des marais de nos propres désirs, de nos préférences et de nos répugnances personnelles.

Mais quand - par l'abandon - tout nous devient égal, immédiatement nous voyons clair, et nous sommes rendus capables d'accomplir tous nos devoirs avec une égale fidélité, sans nous demander s'ils sont agréables ou désagréables à cet être délabré et exigeant qu'est notre nature humaine.
Nous n'attendons même pas d'écouter ce que disent nos sentiments, nos émotions - nous marchons, et nous marchons au besoin sans aucun sentiment ou même, s'il le faut, avec le frémissement de la chair, quand la souffrance est là. Mais l'important, c'est que nous marchions, et d'un pas ferme.

Souvent, pour éprouver notre foi, Dieu semble se cacher; nous ne sentons pas qu'il nous soutient; mais, dans ce désert aride, nous allons de l'avant, sachant que Dieu nous attend dans le devoir et que nous l'y trouverons.
C'est précisément ce qui fait que la vie de l'homme de Dieu ne doit pas être l'immobilité, mais le mouvement. Il ne reste pas plus stationnaire que le temps qui passe sans attendre personne. Il ne peut non plus se cloîtrer en lui-même, et attendre Dieu dans la cellule de ses méditations; cela ne ferait que le faire enfoncer plus profondément dans les ténèbres. Au contraire, il s'abandonne à Dieu et se met en marche avec l'assurance qu'il trouvera Dieu dans chaque devoir. Sa foi est active.

Et lorsque quelque chose de pénible lui arrive, sa foi prend la forme passive: il s'attend à trouver Dieu dans cette nouvelle circonstance. Il ne sait donc se plaindre de rien. Cette sainte indépendance rend son jugement d'autant plus juste sur tout ce qui lui arrive, et lui donne le pouvoir d'agir en Dieu pour changer en bien le mal qu'on lui fait.
Il occupe ainsi une forteresse inexpugnable : l'amour du bien. Tout ce qu'on fait contre cette forteresse la fortifie. L'homme qui demeure lui-même dans le bien, en demeurant dans l'abandon, est infiniment plus puissant que tout le mal qui est dans le monde autour de lui et qui, par moments, s'attaque à lui. Quand on lui fait un tort, loin de s'en irriter, il y voit une occasion de faire les affaires de son Père, et dans le marché de cette terre, il rend le bien en échange du mal. Plus donc on lui fait de mal, et plus il fait d'affaires, car ce sont pour lui autant d'occasions d'opérer ce saint échange qui constitue le commerce du ciel avec la terre. Celui qui se plaindrait lorsqu'on lui fait tort, serait comme un commerçant qui se plaindrait de ce qu'on lui offrit l'occasion de faire une bonne affaire » (1).

Le devoir d'accueillir tout affront avec amour et patience, le devoir de bénir toujours, devient divin pour lui. Dieu lui donne ce devoir et ce devoir lui rend Dieu. Ainsi il s'enrichit lui-même, tout en enrichissant son ennemi. Il a trouvé le secret de la pierre philosophale. Il sait comment changer en or la pierre qu'on lui jette, et la rendre, pour l'enrichir, à celui qui la lui a lancée - « bénissant » ainsi son ennemi. L'homme du devoir a trouvé un trésor infiniment plus grand que celui qu'il a perdu pour le gagner (2).

Le devoir a sa récompense en lui-même. L'abandon (qui y mène) donne une paix qui surpasse toute intelligence; c'est la paix de Celui qui habite l'éternité dans le bien inaltérable. C'est là l'héritage suprême qu'on peut laisser lorsqu'on monte à un calvaire quelconque. Ce n'est pas sans raison que Jésus dit à ses disciples, le soir où il allait être arrêté comme un malfaiteur : « Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix. » Il savait qu'ils allaient voir cette paix mise à la plus épouvantable épreuve qu'il soit possible d'imaginer, et qu'elle demeurerait cependant inaltérable, dans cette sereine dignité dans laquelle le bien surmonte le mal et règne en maître éternel. Celui donc qui cesse à tout jamais de se considérer comme s'appartenant à lui-même, ou comme autre chose qu'un instrument que le Maître peut employer comme il le veut, celui-là se trouve, par son acte d'abandon, pénétré de part en part de la paix divine. Autant l'égoïsme et l'agitation sont inséparables, autant l'amour désintéressé et la paix le sont aussi.

La « nature même des choses » exige qu'il en soit ainsi, car la nature même des choses est DIEU, ni plus ni moins.

Celui qui sort de Dieu, sort de la nature. Celui qui rentre en Dieu s'unit de nouveau à la nature, c'est-à-dire à cette harmonie universelle dont les enchaînements s'en vont à travers le temps et l'espace, à travers les choses visibles et les choses invisibles, entrelaçant à l'infini leurs anneaux d'or, et reliant toutes choses de manière à ce que, en fin de compte, tout conduise à Dieu. Aussi, dès que l'homme sort de Dieu, tout l'univers est contre lui, - même sa propre nature; il s'efforce en vain d'être heureux sans être bon, d'obtenir la paix sans posséder la pureté, ou d'avoir le repos sans être en Dieu. Il cherche dans la créature ce qui ne peut être trouvé que dans le Créateur. Il fait du plaisir son Dieu, au lieu de faire de Dieu son plaisir. Et toute la création semble conspirer pour le renvoyer à son Créateur. Même les carouges qui se donnent aux pourceaux semblent, à la fin, se refuser à l'enfant prodigue pour l'obliger à dire: « Je me lèverai et je m'en irai vers mon PÈRE. »
Toutes les opérations de Dieu à l'égard de l'homme ont pour but d'acculer l'homme à l'abandon. Heureuse banqueroute terrestre qui nous ouvre les trésors des cieux. Heureux celui que la fortune ou le monde semblent abandonner, si cela le pousse à s'abandonner à Dieu!

L'abandon est donc la fin aussi bien que le commencement de toute vie spirituelle. L'abandon est le trait d'union entre les deux mondes, visible et invisible - la clef du devoir.

Notre propre esprit ne peut, sans Dieu, - nous diriger. Il ne saurait comprendre une seule des choses divines. Aussi la dernière étape dans la vie du « suffisant », qu'il soit « matérialiste » ou « théologien », aboutit à la noire incrédulité, au désespoir, ou au suicide.
On oublie que l'homme, tel que Dieu l'a créé, était un homme possédant l'Esprit de vie. Le jour où il désobéit à Dieu, et pécha, il mourut. Son corps demeura vivant, mais l'homme spirituel était mort.
C'est pourquoi j'ose affirmer de la manière la plus catégorique que le seul homme complet est l'homme qui possède en lui le Saint-Esprit. Tous les autres hommes sont des êtres incomplets. Comment alors sauraient-ils comprendre les choses divines, le divin devoir? Ils ne le peuvent pas plus qu'un cheval ne peut comprendre l'arithmétique, car il ne possède pas un esprit humain. L'homme qui n'appartient pas au monde spirituel, qui n'est pas né d'en-haut, qui n'a pas le Saint-Esprit, ne peut non plus comprendre les choses de ce monde-là. « L'homme-animal », disait l'Apôtre, ne reçoit pas les choses de l'Esprit de Dieu, car elles sont Une folie pour lui, et il ne peut les connaître, parce que c'est spirituellement qu'on en juge. Et pourquoi l'appelle-t-il «I'homme-animal? » Parce que la partie spirituelle est comme morte en lui. C'est un être humain incomplet - dont le nom exact est plutôt « animal » que « homme. » Il lui faut donc, avant tout, recevoir une nature spirituelle par l'abandon entier de lui-même à Dieu.




Nous avons indiqué dans la première partie, au chapitre IV, que l'homme ne saura voir clair dans la question du devoir, jusqu'à ce qu'il mette le monde spirituel - le royaume de Dieu, autant au-dessus des choses matérielles que le ciel est au-dessus de la terre. L'homme qui se tient debout et regarde devant lui, voit le ciel en haut et la terre en bas. Voilà pour leur position respective. Et pour le caractère infini du ciel, et le caractère infini de la sagesse spirituelle en comparaison de la sagesse naturelle, Dieu s'est prononcé de la manière suivante : « Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant mes pensées sont élevées au-dessus de vos pensées. » La pensée, la manière de juger, le point de vue de l'homme spirituel sont également aussi supérieurs à ceux de l'homme naturel que le ciel est supérieur à la terre.

Comment, comment donc un homme saurait-il comprendre son devoir sans devenir d'abord, par la nouvelle naissance, un homme spirituel? Tout autre homme est - selon la définition de Jésus-Christ: aveugle. Il n'est pas même myope.




Nous avons cherché dans ce qui précède à montrer quelle est la condition pour voir clair dans toute la question du devoir et pour être capable de l'accomplir. Nous sommes tout naturellement conduit à préciser en quelques mots le côté positif de la question: quel est, dans l'état actuel du monde, le devoir suprême de chaque fils de Dieu - devoir qui, par sa position transcendante, éclairera nécessairement tout les devoirs qui en dérivent.
Dès qu'un monde est en pleine révolte contre son Créateur, toutes choses changent d'aspect : le devoir revêt de nouvelles formes, ayant rapport à l'état anormal de ce monde.

Que fit le Fils du ciel? que fit la Sagesse éternelle lorsqu'elle est descendue sur cette terre? Quelle a été son occupation ? Ceci est pour nous d'une suprême importance parce que nous devons y trouver l'expression parfaitement exacte du devoir. Le but de la venue de Jésus-Christ, sa suprême préoccupation, n'ont-ils pas été : « les affaires de son Père, le rétablissement de son règne dans ce monde? »
Les frères cadets et les soeurs cadettes de Jésus-Christ sauraient-ils donc avoir un autre but que lui? Et comment pourraient-ils voir clair dans les questions du devoir jusqu'à ce que cette question centrale soit réglée? N'est-ce pas alors seulement que la lumière rayonnera du centre à la circonférence? En cherchant premièrement le royaume des cieux, « toutes ces choses », - entre autres la lumière sur les devoirs matériels, le pouvoir de les accomplir, - leur seront données par-dessus.
Une fois qu'ils se sont décidés à ne vivre que pour le salut du monde et à faire converger tout le reste de leur vie matérielle vers ce but, alors seulement ils pourront voir clair.




Un de ces fils de Dieu sort dans la rue; il y rencontre un mondain, un pécheur: qu'il soit riche ou pauvre, savant ou ignorant, cela revient au même - c'est une âme égarée, un homme sans Dieu. Et pour l'homme de Dieu, cette simple rencontre, d'apparence si ordinaire, est un événement d'une portée si immense - par l'occasion qu'elle lui offre de faire le bien, qu'il aurait valu la peine de vivre toute une vie pour l'avoir eue. Oh! moment solennel : la vie rencontre la mort, la lumière entre en contact avec les ténèbres, l'espérance vient au-devant du désespoir. Car, tôt ou tard, le désespoir éternel sera le sort de cet homme si personne ne le sauve.
Si je prends cet exemple, c'est que le caractère d'une pareille rencontre résume toute la vie de l'homme de Dieu ici-bas. Il est censé être racheté du monde pour y revenir, comme y est venu son « Frère aîné », Jésus-Christ, dans le seul but de le sauver. « Tel il est, tels nous sommes dans le monde », a dit Saint-Jean. Toute la vie du chrétien ne doit être envisagée que comme une rencontre avec un monde perdu, ou plutôt comme un stage que son Roi lui fait faire dans un pays rebelle, pour qu'il aide à le reconquérir.

C'est le devoir central qui doit éclairer et régler tous les autres. L'homme de Dieu se trouve placé dans la même position que son Seigneur. Il en est du disciple comme de son maître. Il sent instinctivement que l'occasion de faire le bien est déjà un appel suffisant pour le faire; et s'il a réellement abandonné sa vie comme Dieu le lui a commandé, il sera comme Jésus-Christ, libre de lui-même pour s'occuper des perdus.
Il sent également que devoir est pouvoir, et que, s'il a le devoir de gagner des âmes, le pouvoir de le faire lui est assuré. Il va de l'avant, s'attendant à recevoir la force divine pour chaque travail que Dieu met devant lui, et au fur et à mesure qu'il marche par la foi, dans l'accomplissement du devoir suprême de bénir et de sauver, comme son frère aîné lui en a donné l'exemple et par la puissance de sa vie en lui.

La Volonté de Dieu.

Au centre de ta volonté
Se trouve l'unique retraite
Pour l'enfant de l'Éternité,
Et pour qui veut la paix parfaite.
Mon âme à ta volonté plie,
Et pour tout, en toi se confie.

Dès qu'à toi mon sort je remets,
Que peut sur moi l'homme ou le monde?
Seulement ce que tu permets,
Il n'est plus de cause seconde.
Sagesse éternelle et parfaite.
En toi mon âme est satisfaite

J'adore en tout ta volonté,
Qu'elle ensoleille ou crucifie,
Elle est toujours fidélité,
De mon âme elle est la patrie
Qui veut la délivrance entière
N'en saurait franchir la frontière.

Oh ! que mon âme ainsi qu'une eau
Que de vase en vase on déverse,
Accepte en paix tout sort nouveau
Qui ses plus chers desseins renverse
Qu'ainsi mon âme, à toi donnée,
En toi demeure abandonnée

À l'enfant de l'Éternité,
Ta force, ô Maître, est toute acquise
Instrument de ta volonté,

Tu peux t'en servir à ta guise.
À toi je suis et je veux être,
De moi dispose, ô divin Maître!


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(1) Voir le chapitre : « Les affaires de mon Père. » 

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(2) Plus encore; celui qui demeure dans l'abandon et y trouve cette sainte impartialité, cette indépendance et cette immutabilité qui sont les attributs de Dieu lui-même - celui-là est libre pour agir avec force, s'il y a lieu de rectifier ou de redresser un jugement concernant sa propre personne. il peut parler de lui comme s'il parlait d'un autre. Il Peut prendre sa propre défense ou demeurer dans le silence avec une égale facilité, avec une égale absence de préoccupation personnelle. Cette liberté est encore une des récompenses intérieures de son état. 
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