HISTOIRE DES VAUDOIS.
CHAPITRE
XXII.
LES VAUDOIS, CALOMNIÉS
À LA COUR, SONT MAL VUS ET MAL
MENÉS.
Griefs injustes élevés
contre eux. - Lettres patentes refusées. - Expulsion
complète et définitive des Vaudois de la
vallée du Pô. - Disputes avec les
prêtres. - Conseil pour la propagation de la foi et
l'extirpation des hérétiques. - Coups
montés découverts à
temps.
Le premier soin des Églises
vaudoises, en 1631, à leur retour sous la domination
de Savoie, fut d'envoyer une députation à son
altesse Victor-Amédée 1er. avec mission de
demander, après les hommages et les
félicitations, la confirmation générale
de leurs privilèges, et en particulier des
grâces et concessions, accordées par son
auguste père, l'an 1603, et entérinées
l'an 1620. Cette démarche n'était pas
seulement commandée par la convenance; elle
était devenue indispensable, à cause de
l'acharnement avec lequel des prêtres et d'autres
papistes les desservaient et les accusaient auprès de
son altesse. Le succès se fit attendre. Les
députés furent, il est vrai, reçus avec
bienveillance par leur souverain, mais la confirmation de
leurs privilèges fut renvoyée après
l'examen de quelques points qu'on les accusait d'avoir
transgressés ou mal observés. Mais quoiqu'il
fût facile d'éclaircir les faits en question,
les mois, les années se succédèrent
sans qu'on pût obtenir la confirmation
désirée. Les commissaires
délégués par la cour étaient
évidemment d'accord, pour étouffer ou voiler
la vérité, avec les intrigants papistes qui
attisaient le feu, à la tête desquels figurait
l'ardent prieur de Luserne, Rorenco ou Rorengo. Ces hommes,
aveuglés par la passion, soulevaient des
difficultés toujours nouvelles.
Ils soutenaient que
l'habitation des Vaudois dans Luserne était de
fraîche date, tandis que les plus vieux papistes de,
l'endroit étaient prêts à
témoigner que, dès leur première
enfance, ils y avaient vu établies les mêmes
familles, auxquelles on contestait aujourd'hui le domicile.
Il est vrai de dire, et nous l'avons remarqué au
chapitre précédent, qu'on avait, pendant
quelques années, contraint les Vaudois à
sortir de ce bourg, où ils étaient revenus
ensuite s'établir. On contestait également le
droit d'habitation aux Vaudois de Campillon, de Fenil et de
Bubbiana. Toutefois la démonstration de leurs droits
était facile. Ils avaient pour eux le fait du
domicile non interrompu et la lettre du traité de
1561, qui, sans les nommer, les désignait
suffisamment, comme d'ailleurs les rôles remis alors
au, comte de Raconis en faisaient foi.
Les mêmes adversaires
faisaient un crime aux Vaudois d'avoir acheté des
biens de catholiques romains, tandis qu'on pouvait prouver
leur droit par un grand nombre d'instruments anciens aussi
bien que nouveaux, actes bien en règle,
rédigés par main de notaires et
sanctionnés par des juges, les uns et les autres de
la religion romaine.
Enfin, ils paraissaient
même trouver mauvais l'emploi des maîtres
d'école évangéliques, comme si
c'eût été une nouveauté aux
Vallées, tandis qu'on pouvait prouver que, de toute
ancienneté, les Églises vaudoises en avaient
eu sans interruption. Le but particulier que ces intrigants
papistes avaient en vue, sur ce dernier point, était
de substituer leurs moines aux maîtres d'école
évangéliques. Aussi, dans une des grandes
conférences des députés des
Vallées, présidées par le commissaire
ducal, pour l'arrangement de cette affaire, un vieillard de
Bobbi, Pierre Pavarin, à l'ouïe de l'offre que
leur faisait faire son altesse, d'envoyer, à ses
dépens, pour tenir leurs écoles, des
révérends pères, aussi instruits que
modestes et bien supérieurs à leurs
régents, ne put contenir son émotion et
s'écria: L'on voudrait nous faire envoyer nos enfants
à l'école des moines? Pour moi, j'aimerais
mieux voir consumer les miens sur un bûcher que de les
voir instruire par de telles gens. Il n'y eut pas
jusqu'à la modeste et unique cloche de Saint-Jean qui
ne devint le point de mire des tentatives papistes. Ils ne
voulaient pas moins que la réduire au silence, ou la
confisquer à leur profit, pour la faire sonner
ensuite dans leurs fêtes au grand déplaisir des
Vaudois. Mais ceux de Saint-Jean, qui d'ancienneté
s'en étaient servis pour leurs assemblées et
pour d'autres usages encore, défendirent si bien leur
droit qu'on ne put la leur enlever.
On eût
désiré obtenir un aussi plein succès
sur les autres points; mais Fauzon, le commissaire ducal,
écoutait plus volontiers les insidieux discours des
papistes que le droit. On faisait même
difficulté de laisser exercer le notariat à M.
Étienne Mondon, le seul Vaudois de son état
qui eût échappé à la peste, et on
refusait d'en admettre, aucun autre à cet office,
qu'ils avaient cependant exercé de tout temps, Les
frères Goz (Gos), l'un docteur en droit, l'autre en
médecine, l'un et l'autre réfugiés du
marquisat de Saluces, venaient d'être invités
par le duc à transporter leur domicile hors de la
Tour et de la vallée de Luserne. Quelle
espérance fondée d'obtenir la sanction ducale
pour les anciennes concessions pouvait-on conserver, quand
on voyait l'intolérance menacer tout et donner
déjà des preuves palpables de son retour ? Ce
fat donc inutilement que l'on attendit les lettres patentes
qu'on avait sollicitées. Elles ne furent plus
expédiées.
Loin de là, la
persécution ouverte qui éclata contre les
Vaudois de Saluces (1),
soumis alors au même prince, vint éclairer ceux
des trois vallées sur la nature des desseins qu'on
méditait contre eux. Il restait dans les montagnes de
Saluces, vers les sources du Pô, au pied du Viso,
quelques débris des anciennes Églises
vaudoises. Leur isolement dans des vallons
élevés, leur possession du sol de temps
immémorial, leurs moeurs paisibles et leur
résistance calme, mais soutenue, aux
séductions comme aux tentatives d'oppression papiste,
les avaient préservés de la ruine qui avait
atteint toutes les autres Églises du marquisat.
Pravilhelm, Biolets, Bietoné et quelques autres
lieux, dans le voisinage de Païsana, jouissaient encore
de la pure clarté de l'Évangile de
Jésus-Christ. Mais la peste avait réduit leur
nombre de moitié. On n'avait plus à craindre
leur résistance. Un édit, du 23 septembre
1633, ne leur laissa le choix qu'entre le papisme et l'exil.
Deux mois leur étaient accordés pour vendre
leurs biens et s'éloigner, s'ils ne voulaient
abjurer.
Eux et leurs amis du val
Luserne sollicitèrent, mais inutilement, le retrait
de l'édit ou son adoucissement. L'évêque
de Saluces, grand harangueur, s'étant
transporté à Païsana s'efforçait
d'émouvoir, par de douces paroles, les principaux
qu'il mandait auprès de lui. Mais la
fidélité à Dieu l'emporta dans ces
coeurs sincères sur les calculs de
l'intérêt et sur l'amour de la patrie. Quoique
le terme fatal approchât, sans qu'on eût
effectué la vente des maisons et des fonds de terre;
quoiqu'on touchât à l'hiver, presque tous se
décidèrent au départ. Leurs
frères du val Luserne leur tendaient les bras. Ils se
mirent en route eux et leur bétail, traînant et
emportant tout ce qui était transportable.
Répartis dans les villages et hameaux de leurs amis
et frères, ils y apprirent l'embrasement de leurs
anciennes demeures par les moines de Païsana. Tout
espoir de retour leur était ainsi ôté.
Cet acte odieux était superflu. Les Vaudois de
Saluces se sentaient plus forts et, partant, plus heureux de
leur réunion à ceux du Luserne. Entendant
gronder le tonnerre de la persécution, voyant
éclater sur eux les foudres romaines, ils
pressentaient, comme leurs frères, une faveur de Dieu
pour leur salut commun, dans leur
rapprochement.
Deux d'entre eux, étant
retournés peu après pour leurs affaires dans
le marquisat, y furent reconnus et emprisonnés. L'un,
Julian, se racheta par une rançon
considérable; l'autre, Peillon, mourut sur les
galères en persévérant dans la
foi.
De tous les ennemis« des
Vaudois, il n'y en avait point de plus actifs ni de plus
redoutables que les prêtres et les moines, comme on a
déjà pu le voir. Ils l'étaient surtout
à l'époque où nous sommes parvenus.
C'étaient eux qui s'opposaient le plus au
renouvellement et à l'observation des concessions et
privilèges accordés jadis aux Vaudois. Entre
tous ces hommes d'église se faisaient remarquer le
prieur de Luserne, Marc Aurèle Rorenco, et le
préfet des moines, Théodore
Belvédère. Pour atteindre plus sûrement
leur but, en se saisissant de l'opinion publique, ils eurent
recours à l'imprimerie. Rorenco, le premier, publia
en 1632, sous le titre de Breve narrazione
(2),
un livre qui calomniait la religion et la vie des
chrétiens réformés, et
spécialement des Vaudois. Il y avait recueilli les
édits contre les Vaudois arrachés à la
bonne foi du souverain par les manoeuvres de leurs ennemis,
et révoqués, pour la plupart, peu
après, par la justice et la bienveillance
éclairée de leurs altesses de Savoie. Et,
quoique l'auteur eût parlé des concessions
accordées, il ne l'avait fait que d'une
manière décousue, incomplète et
partiale. Le pasteur Valère Gros avait
préparé une réponse qui ne fut
cependant point imprimée, grâce aux perfides
conseils de quelques faux amis papistes, et surtout des
commissaires délégués aux
Vallées qui assuraient qu'elle n'était point
nécessaire, vu le peu de cas que l'on faisait en haut
lieu du livre de leur adversaire; ce qui était
faux.
Rorenco encouragé par
ce succès publia, en 1634, de concert avec le
préfet des moines, Belvédère, des
Lettres apologétiques, de peu de science, ou de peu
de conscience, dans lesquelles abondaient les railleries
contre les Vaudois, de ce qu'ils n'avaient pu
répondre quoi que ce fût au premier livre.
Cette fois, ce fut l'historien P. Gilles, pasteur de la
Tour, qui entra en lice; il réfuta les deux livres
précédents, dans des Considérations sur
les Lettres apologétiques. Les deux auteurs papistes
répliquèrent, en 1636, par un ouvrage latin
dont le titre surtout s'annonçait assez pompeusement.
Qui pourrait résister à cette Tour contre
Damas, à cette forteresse de l'Église romaine
contre les incursions des calvinistes ? Une telle audace
était réservée au même soldat de
Christ contre qui la flèche romaine était
surtout lancée. Gilles publia en opposition à
la Tour contre Damas, la Tour évangélique,
solide et bien bâtie sur le vrai fondement, sur la
pierre de l'angle qui est Christ. Le préfet des
moines publia enfin un livre italien, dédié
à la congrégation pour la propagation de la
foi, séant à Rome, sur l'état de
l'Église vaudoise, sur leur ordre (discipline), leur
doctrine et leurs cérémonies, livre farci de
mensonges et de calomnies, dans lequel il insinuait
obliquement la nécessité, de leur
extermination. Gilles le réfuta aussi, avec soin,
dans un ouvrage spécial approfondi et
détaillé, chapitre par chapitre. Mais les
accusations étaient mieux accueillies de la
généralité des lecteurs italiens que
les réfutations, et, chose déplorable, elles
excitèrent sourdement à la haine et à
la persécution. Qui dira jusqu'à quel point
ces productions monacales ont préparé la
grande et épouvantable persécution qui
éclata quelques années
après?
Un édit semblable
à celui qui avait expulsé de leurs villages
les Vaudois de Pravilhelm, de Biolets et de Bietoné,
vint jeter l'effroi dans la vallée de Luserne. Le
petit nombre de familles vaudoises, demeurées de
reste à Campillon, bourg de la plaine, compris encore
dans la vallée de Luserne, reçurent l'ordre
d'évacuer pour toujours leurs maisons, dans les
vingt-quatre heures, et de se retirer ailleurs, sous peine
de la vie et de la confiscation de leurs biens. Toutes
obéirent, et Campillon ne compta plus de Vaudois dans
son sein. Plusieurs familles quittèrent aussi
Bubbiana à la même époque. (V.
LÉGER,... II éme part., p. 63.)
Dans les endroits où
ils avaient pu s'établir, au Périer et
à la Tour, les moines ne se tenaient point
tranquilles. Ils se conduisaient souvent en agents
provocateurs. Par exemple, au mois de mai 1636, le moine
Simond assaillit par de grosses injures quelques Vaudois
paisibles qu'il trouva sur la place de la Tour; puis, tenant
un crucifix doré entre les mains, il se mit à
genoux en proférant des paroles exécrables
contre les rois et les princes réformés.
Évidemment il espérait irriter les assistants,
et par son crucifix, devant lequel il se mettait à
genoux, et par ses discours inconvenants. Mais eux,
connaissant trop bien l'astuce de ces gens-là, se
continrent, et pour leur décharge s'allèrent
plaindre de ses procédés au magistrat. C'est
ce même moine Simond qui souleva une émeute,
à Luserne, contre le pasteur de Saint-Jean, Antoine
Léger, parce que celui-ci s'était rendu dans
ce bourg papiste pour y visiter un paroissien gravement
malade, ce qui était licite d'après la
capitulation de 1561. L'alarme s'étant donnée,
les Vaudois accoururent de toute part au secours du pasteur,
qui, par leur sollicitude et leur empressement,
échappa au danger.
De vives disputes verbales, ou
par écrit, éclataient de temps en temps. Des
discussions publiques eurent aussi lieu, provoquées
par le fougueux Rorenco et par un moine envoyé de
Rome. Elles annonçaient aux pasteurs ainsi qu'aux
fidèles vaudois, que leurs ennemis pleins d'ardeur se
préparaient à de plus rudes luttes, comme les
pluies subites avertissent qu'on est dans la saison des
orages.
Le ciel s'assombrit
bientôt tout-à-fait. Aux difficultés que
la haine tracassière du clergé papiste
soulevait dans les affaires de tous les instants, aux
débats sur la religion, aux obstacles mis à la
prospérité individuelle, à la libre
jouissance du domicile consacré par un long usage et
par des concessions souveraines, aux empêchements mis
surtout à l'instruction de l'enfance et à
l'exercice de la liberté religieuse dans certaines
communes, à toutes ces entraves, objets de la
sollicitude inquiète des conducteurs des
Églises, vinrent s'ajouter des difficultés
politiques et matérielles d'une immense
gravité. Le duc Victor-Amédée le"
venait de mourir en octobre 1637. La régence de son
fils, âgé de cinq ans, remise à sa veuve
Christine de France, était réclamée par
le cardinal Maurice de Savoie, aidé de son
frère Thomas, tous deux frères du
défaut, et par conséquent oncles du jeune duc.
Ces princes, soutenus par l'Espagne, s'emparèrent du
Piémont. Turin même leur ouvrit ses portes.
Madame royale et ses enfants passèrent les Alpes et
se réfugièrent en Savoie. La cause de la
régente semblait perdue en Piémont. C'est dans
ce moment critique, où tous l'abandonnaient de ce
côté des Alpes, que les Vallées, suivant
jusque dans le malheur de leurs souverains les traditions de
leur antique fidélité,
déclarèrent leur ferme résolution de
soutenir le droit de leur duc et de sa mère. Elles
furent pour cela cruellement maltraitées, surtout
celle de Luserne par son seigneur, marquis de Luserne et
d'Angrogne, qui avait pris parti pour les princes Maurice et
Thomas. S'attendant à être assaillies par
l'armée des princes et de l'Espagne, elles crurent
devoir prendre des précautions de défense,
pour se conserver à leur souverain; elles
créèrent en particulier des officiers
militaires. Grâce à cette énergique
attitude, elles ne furent point forcées, et rendirent
même un service éminent; car elles tinrent
libres les passages des Alpes, par lesquels l'armée
française, sous les ordres du comte de Harcourt et du
maréchal de Turenne, pénétra en
Piémont, et après en avoir chassé
l'armée espagnole, procura la paix et remit le jeune
due, sous la régence de sa mère, en pleine
possession de ses états. (V. LÉGER,... II
éme part., p. 69 et 70. - GILLES, que nous avons
suivi jusqu'ici de préférence, clôt son
histoire à l'an 1643. C'est donc LÉGER que
nous suivrons désormais.)
Il ne paraît pas que la
régente ait su beaucoup de gré aux
Vallées Vaudoises pour leur fidélité,
ou qu'elle y ait seulement pris garde. Car, à peine
fut-elle de nouveau en possession du pouvoir que son
gouvernement recommença à les traiter avec
rigueur. Peut-être trouva-t-on plus facile de
reprendre les vieilles traditions de persécutions que
d'entrer dans une nouvelle voie de justice et de
vérité. Il est d'ailleurs des personnes
auxquelles on tient à ne pas de voir de la
reconnaissance et qu'on traite durement.
précisément parce qu'on ne veut pas avouer
qu'on leur est redevable.
Le temple de Saint-jean, qui
avait été rouvert, fut fermé de
nouveau. Un commissaire fut envoyé, pour chasser sur
la rive gauche du Pélice, tous les Vaudois
domiciliés sur la rive droite, au
débouché (le la vallée, à
Luserne, à Bubbiana, à Fenil, et pour faire
rentrer dans les limites ceux qui étaient
établis à Briquéras
(3).
L'un des pasteurs qui avait le plus concouru aux mesures de
défense, prises en faveur de la régence de
Madame royale, contre les princes de Savoie, Antoine
Léger, oncle de l'historien, fut même
cité à comparaître à Turin.
Averti à temps que c'était pour le perdre, il
ne s'y rendit point, et quelques démarches que
fissent les Églises, ainsi que plusieurs personnages
de distinction qui l'estimaient, il fut condamné
à mort par contumace et ses biens confisqués.
Victime de sa fidélité 5 il s'éloigna
pour toujours de sa patrie, et se rendit à
Genève, la ville des réfugiés
protestants, où il obtint une place de pasteur et de
professeur de théologie et de langues orientales
(4)
Pour le dire en passant, les adversaires des Vaudois ont eu
constamment pour système de se défaire, d'une
manière plus ou moins plausible, (le tout homme
éminent qui surgissait aux Vallées. Par cette
sentence de mort, prononcée contre le personnage le
plus distingué que les Églises vaudoises
possédassent, elles furent privées d'un
conseiller aussi habile que prudent et pieux, à
l'heure même où elles en avaient le plus
besoin. Les temps, en effet, étaient sérieux
plus que jamais, car un conseil spécialement
chargé de surveiller l'hérésie venait
d'être formé à Turin par la
régente. Le cardinal Maurice de Savoie en
était le président
(5),
et l'archevêque de Turin vice-président. Ce
fut, sans doute, à la demande de ce conseil,
appelé ordinairement de la simple désignation,
il congresso, que la duchesse publia, en 1644, des
règlements sur les honneurs dûs au crucifix,
sur le chômage des fêtes, sur la
sépulture des Vaudois, etc., et qu'elle
délégua, en 1646, le prieur Rorenco dans la
vallée de Luserne pour y rétablir les
églises ruinées (églises papistes qui
n'avaient existé que dans l'imagination des amis de
Rome ).Le conseil, il congresso, subit une transformation
quelque temps après le jubilé de 1650, lorsque
le Conseil pour la propagation de la foi et l'extirpation
des hérétiques, séant à Rome,
eut décidé la création de conseils
auxiliaires de même nom dans les villes
métropolitaines qui étaient aussi en quelques
lieux des sièges de parlements.
Ces conseils de second ordre,
sous la direction immédiate de celui de Rome,
dirigeaient à leur tour des comités
inférieurs, et tous les nombreux agents
répartis dans les divers lieux de leur
arrondissement. Cette organisation ne laissait rien à
désirer sous le rapport de l'ensemble, de
l'unité d'esprit qui y présidait, de la
promptitude et du secret de 'l'exécution, comme aussi
sous celui de l'activité et du zèle fanatique
de ses membres. Le pape était bien servi, et la
machine à destruction aussi bien organisée que
bien aiguisée et montée. Pour réunir le
plus de moyens d'action et les plus efficaces, les conseils
de provinces avaient été invités
à organiser des comités de femmes,
spécialement chargées de collecter les fonds
considérables dont on avait besoin pour acheter la
conversion de certains hérétiques et pour
couvrir les dépenses des agents. Elles devaient
aussi, par le moyen de leurs espions, qui étaient le
plus souvent des servantes, des garde-malades et des
personnes officieuses, pénétrer dans les
ménages des hérétiques, afin d'y
profiter du moindre motif de désunion qui pourrait se
présenter, pour entraîner le mécontent
à l'abjuration.
Le conseil pour la propagation
de la foi et l'extirpation des hérétiques
siégeait à Turin, sous la présidence de
l'archevêque et dans son palais. Mais le membre le
plus actif et le plus influent de cette assemblée
était un laïque, un seigneur de la cour, le
marquis de Pianezza, homme rusé et cruel s'il en fut
jamais. Sa femme présidait le comité
féminin et lui imprimait une activité qui ne
le cédait qu'à celle de son
mari.
À peine
constitué, le nouveau conseil se mit à
l'oeuvre avec vigueur. Des ordres sévères,
disons vrai, des ordres injustes et cruels furent
rédigés et soumis à la signature de
Charles-Emmanuel Il. Ce prince, âgé de seize
ans, déclaré majeur depuis deux ans, l'an
1648, était dans son inexpérience, sous
l'influence directe de sa mère, qui approuvait ces
mesures oppressives. Un magistrat complaisant, l'auditeur
André Gastaldo, fut choisi et
délégué, aux Vallées pour les
mettre à exécution. D'après ses
instructions, qui nous ont été
conservées, il devait refouler dans les montagnes
toute la population vaudoise, non-seulement de la rive
droite du Pélice où elle était en
minorité, mais encore de la grande commune de
Saint-Jean où elle formait la presque
totalité, et, du bourg de la Tour où elle
était en majorité. Il devait confisquer toutes
les terres et maisons de ces mêmes lieux, que leurs
possesseurs vaudois n'auraient pas vendues à des
papistes dans le terme de quinze jours, à moins
qu'ils ne se lissent eux-mêmes papistes. Dans ce cas
leurs biens leur seraient rendus pour eu jouir. Il devait
poursuivre au criminel tout Vaudois porteur d'armes à
feu. Il devait contraindre les communes d'Angrogne, du
Villar, de Bobbi, de Rora, etc., de fournir dans le terme de
trois jours une maison où les pères
missionnaires pussent se loger et célébrer la
messe. Enfin, il devait défendre aux. communes
d'accorder l'habitation à aucun
hérétique étranger, sous peine de deux
mille écus d'or d'amende pour la commune et de mort
ainsi que de confiscation de biens pour l'étranger.
Par cette dernière mesure, on espérait priver
les Vallées de pasteurs, pour l'avenir du moins. Ces
ordres portent la date du 15 mai 1650, et la signature du
duc Charles-Emmanuel. (Voyez Storia di Pinerolo, etc., t.
III, p. 212 à 216.)
L'auditeur Gastaldo
procéda d'entrée avec brutalité
à l'accomplissement de son mandat, n'accordant dans
son manifeste que trois jours aux Vaudois (les
localités mises au ban, pour choisir entre la mort et
la dépossession ou l'abjuration
(6).
Cette partie du décret ne fut cependant pas, pour le
moment, suivie de l'exécution, sans que nous
puissions supposer d'autre motif de ce retard que la
difficulté d'accomplir cette oeuvre barbare, les
moyens de coercition n'étant pas encore suffisamment
préparés, et la préférence que
l'on donna à l'établissement des moines et du
culte papiste dans toutes les communes. Cette autre partie
des ordres du conseil reçut une pleine et prompte
exécution à la grande douleur de tous les
fidèles. Rora, Angrogne, Villar et Bobbi virent les
zélés satellites du pape s'établir au
sein de leurs populations et l'office de la messe odieux aux
Vaudois y prendre racine. Désormais, sur cette terre
sanctifiée de temps immémorial par la Parole
de vérité, par la pure prédication de
l'Évangile de Jésus-Christ, l'erreur aura
aussi son culte, l'idolâtrie ses autels. Le peuple des
vrais adorateurs de Dieu verra circuler au milieu de lui les
prêtres des images et des saints, les invocateurs de
Marie. Il devra s'entendre répéter que
l'encens est agréable à Dieu, que les litanies
latines et chantées sont les prières et les
cantiques qu'il aime. Ceux que l'éclat d'un culte
pompeux et tout extérieur n'aura pas séduits
seront amorcés par la promesse du pardon des
péchés après la confession, oui
gagnés à prix d'argent par des flatteries et
des honneurs mondains. Et ceux que l'exemple de leurs
frères n'aura pas entraînés, les
menaces, les amendes, les prisons, l'enfer et le fer les
réduiront au silence. En peu de mois, en peu
d'années du moins, la victoire du pape sera
complète (7).
Telles étaient les
espérances du conseil pour la propagation de la foi
et l'extirpation de l'hérésie. Mais il vit
bientôt que tous les moyens de persuasion, de
séduction et d'intimidation restaient sans effet sur
des hommes aussi éclairés et aussi
consciencieux que l'étaient les chefs des
Églises et sur la foule des Vaudois, que leurs
traditions de fidélité à
l'Évangile et une forte instruction religieuse
prémunissaient généralement contre
l'apostasie. Le conseil ne réussissant pas dans la
propagation de la foi, premier moyen et premier but de ses
travaux, se décida pour le second, pour l'extirpation
de l'hérésie. Il ne manquait plus que de
saisir une occasion favorable, ou de la faire naître,
si elle ne se présentait pas. Dans l'espace de
quelques années, il en suscita plusieurs que nous
allons rapporter, mais qui n'eurent pas tous les
résultats désirés, jusqu'au jour
où ces hommes altérés de sang
trouvèrent, enfin, le moyen d'étancher leur
soif ardente dans les flots qu'ils en firent
verser.
La première occasion
favorable que le conseil crut trouver pour l'extirpation des
Vaudois avait été ménagée au
Villar par une créature du marquis de Pianezza, le
nommé Michel Bertram Villeneuve. Cet homme avait
été sauvé par ce seigneur de la prison,
à laquelle son père accusé comme lui
pour fabrication de fausse monnaie n'avait
échappé qu'en s'empoisonnant. Établi au
Villar, simulant une vive indignation de l'introduction des
moines et de leurs offices dans ce bourg, cet homme excitait
sous main à la violence, ne cessant de dire qu'il ne
fallait pas laisser prendre racine à ces pères
ou vipères, dans un lieu où nul ne se
souvenait «avoir vu habiter aucun papiste, bien moins
encore des missionnaires. Il fit si bien que la femme, du
pasteur et deux personnages considérés de
l'endroit, Joseph et Daniel Pelenc, jeunes hommes pleins de
feu, adoptèrent cette manière de voir et
finirent par la faire partager au pasteur lui-même,
nommé Manget, qui cependant ne fut «avis d'agir
qu'autant que les Églises de la vallée y
donneraient leur consentement. Dans ce but, il demanda au
modérateur, ou président ecclésiastique
du comité directeur des Églises vaudoises,
d'assembler les députés des communes et les
pasteurs pour un objet important. L'assemblée eut
lieu aux Bouisses, dans la communauté de la Tour, le
28 mars 1653. Elle entendit avec surprise la proposition de
Manget, de chasser les moines du Villar, ces
étrangers insolents, dont le couvent, foyer
d'intrigues, injustement établi, pourrait devenir, si
l'on n'y mettait opposition, un feu aussi dangereux pour
l'Église vaudoise qu'il lui était hostile.
Mais, quoique éprouvant une vive peine de la
présence et des tentatives des moines,
l'assemblée ne goûta point sa proposition ni
l'expédient par lequel il voulait rendre cet attentat
moins coupable, et qui consistait à en charger des
femmes. Jean Léger, pasteur de Saint-Jean, qui s'est
fait connaître plus tard par son histoire
générale des Églises vaudoises, se
montra digne de la confiance que son peuple lui avait
témoignée en l'appelant si jeune encore (il
n'avait que trente-huit ans) à la place difficile et
importante de modérateur; Léger, en sujet
fidèle, démontra l'injustice du
procédé proposé, en citant l'article
XIX de la capitulation de 1561, qui réservait au
prince la liberté de faire célébrer la
messe dans les lieux où il y aurait des
prédications, sans obliger cependant en aucune
manière les Vaudois à assister à
celle-là. ( V. LÉGER,... II ème part.,
p. 40.)
Néanmoins, l'imprudent
Manget, emporté par un zèle amer et
aveuglé sur les conséquences d'une entreprise
criminelle, consentit à l'expulsion des moines, que
ses amis, égarés comme lui, effrayèrent
le soir même. Sa femme s'oublia au point de porter aux
exaspérés les allumettes nécessaires
pour mettre le feu à des chenevottes,
entassées à dessein, qui eurent bientôt
propagé l'incendie et consumé le
couvent.
Le malheureux pasteur du
Villar avait poussé l'imprudence et la mauvaise foi
jusqu'à laisser croire à ses fougueux amis,
que l'assemblée des Bouisses avait approuvé et
ordonné l'expulsion des moines et l'incendie de leur
repaire. Ce bruit se répandit de lieu en lieu avec la
nouvelle de l'événement dont il était
le commentaire. C'est ainsi qu'il arriva aux oreilles du
redoutable marquis de Pianezza et de ses adjoints du conseil
pour la propagation de la foi et l'extirpation des
hérétiques. Ils parurent aussi irrités
qu'ils durent se réjouir intérieurement. Ils
avaient enfin une occasion; non pas seulement un
prétexte, mais une raison, un motif aussi plausible
que juste de punir. La punition devait être
proportionnée à l'offense. Une ruine
entière n'était pas un châtiment trop
grand contre des hommes incorrigibles qui, après
avoir résisté aux appels de l'Église
romaine, en avaient outragé les ministres,
profané les mystères et incendié les
lieux saints. Et de fait, Madame royale donna des ordres
pressants de réunir toutes les troupes de
l'état, et expédia sur-le-champ le colonel
Tedesco, militaire entreprenant et courageux, à la
tête de cinq à six mille cavaliers et
fantassins pour surprendre le bourg populeux du Villar et
pour le réduire en cendres.
De son côté, le
jeune et prudent modérateur n'avait pas plutôt
appris les bruits qui attribuaient au colloque des Bouisses
l'ordre d'incendier le couvent et l'expulsion des moines,
qu'il s'était rendu en compagnie des principaux de
son Église et des voisines chez le magistrat de la
vallée, résidant à Luserne, et y avait
protesté de son innocence, de celle de ses
collègues, du colloque entier, et même de la
majeure partie des habitants du Villar; l'acte
déplorable de l'expulsion et de l'incendie n'ayant
été commis l'intention et de fait que par un
petit nombre de coupables. Léger et les
députés ses collègues s'offraient, au
nom de leurs Églises, de prêter main forte
à la justice pour punir les auteurs du délit.
Ils suppliaient en retour de faire grâce aux
innocents. Ces déclarations, rédigées
dans un acte authentique, furent portées à
l'heure même à Turin par un des seigneurs de
Luserne.
Néanmoins, le 26 avril,
pendant que les hommes de la vallée étaient,
selon la coutume, au marché de Luserne, le comte
Tedesco se hâtait d'atteindre le Villar, à la
tête de douze cents cavaliers bien montés,
suivis de bien près par le reste de ses troupes. Sa
diligence fut telle, qu'il traversa Fenil, Bubbiana,
Saint-Jean et la Tour, et se trouva aux portes du Villar
avant de rencontrer la moindre
résistance.
Le bourg menacé eut
été perdu sans retour, si Dieu dans sa
miséricorde n'eût fait tomber des torrents de
pluie qui percèrent si fort l'équipement des
cavaliers, que presqu'aucune arme à feu ne se trouva
en état de répondre au feu bien nourri de la
petite troupe de vingt-cinq hommes environ qui,
réunie à temps à l'entrée du
bourg, osa résister (8).
La pluie ne cessant point, le jour tirant à sa fin et
l'alarme étant donnée dans toute la
vallée, le comte se vit contraint de sonner la
retraite, et se retira le soir même à Luserne,
sans avoir été assailli, ni coupé sur
la route.
Le lendemain, tous les Vaudois
de la vallée étaient sous les armes. Les
bruits les plus sinistres montaient du Piémont. L'on
disait que divers corps de troupes étaient en marche,
qu'on voulait faire un exemple effrayant. Les chefs des
communes et les pasteurs s'assemblèrent en
hâte. Les députés des lieux bas, en
particulier ceux de Saint-Jean, opinaient pour la
soumission, parce que leurs biens et leurs familles
étaient déjà en la puissance de
l'armée. Mais la prière ayant rendu du calme
à l'assemblée, et les nouvelles, reçues
de divers lieux et amis, ainsi que les exhortations de
Léger et de plusieurs autres ayant
démontré la certitude d'un massacre, on se
réunit dans une même volonté de se
défendre jusqu'à la mort.
Cette résolution
étonna le comte Tedesco. Il vit bien que ses pas dans
la vallée seraient marqués par des flots
de> sang. La route qu'il devait suivre était
constamment dominée par des hauteurs. Il s'exposait
à de grandes pertes s'il s'avançait
imprudemment. Manoeuvrer lentement n'était pas son
dessein. Il n'avait pas fait les préparatifs
nécessaires pour une expédition lente ou
compliquée. Il consentit donc à des
pourparlers. On y convint que les communes signeraient une
déclaration semblable à celle que quelques-uns
de leurs chefs avaient fait parvenir à son altesse;
qu'elles protesteraient de leur innocence quant à
l'expulsion des moines et à l'incendie de. leur
couvent; qu'elles supplieraient leur souverain de se borner
à châtier les auteurs du délit;
qu'enfin, elles demanderaient pardon de ce qu'elles avaient
pris les armes pour se défendre, n'ayant pu croire
que ce fût la volonté de leur souverain
qu'elles fussent exterminées.
Le comte Christophe de
Luserne, qui avait consenti à porter à Turin
l'acte de soumission des communes vaudoises, en rapporta la
promesse d'une amnistie générale et de la
confirmation de leurs concessions, moyennant le renvoi
définitif du ministre Manget et de sa femme, ainsi
que la réintégration des pères
missionnaires dans une maison fournie par la commune du
Villar. Une députation devait aussi se rendre en
personne à la cour pour demander pardon de leur prise
d'armes.
Ces conditions ayant
été remplies (9),
le comte Tedesco se retira avec son armée. Avec elle
aussi s'éloigna, pour un petit nombre de mois, la
crainte de scènes déchirantes. La
vallée de Luserne ne jouit pas longtemps d'une pleine
tranquillité. Elle se vit, tout-à-coup
menacée, au commencement de 1654, de toutes les
horreurs de la guerre, par les combinaisons artificieuses,
on n'en saurait douter, de la princesse même qui
tenait les rênes de l'état, quoique son fils
eût déjà été
déclaré majeur. Madame royale avait consenti,
pour de bonnes sommes d'argent, à recevoir en
quartier d'hiver dans ses états l'armée de
France en Italie, commandée par le maréchal de
Grancé. Elle lui avait assigné les
Vallées Vaudoises et un petit nombre de communes du
voisinage. Deux régiments furent d'abord
répartis dans la vallée de Luserne
déjà bien chargée par la
présence habituelle de l'escadron de Savoie,
logé chez les particuliers et entretenu en partie par
eux, hommes et chevaux. La prestation matérielle,
quoique grande, eût été supportée
avec patience, par soumission à la volonté du
prince; mais de tous côtés on s'entendait dire,
à l'oreille, que c'était contre les intentions
de Madame royale que les troupes françaises de
Grancé s'établissaient dans le pays; que
Madame royale estimait trop les Vallées pour croire
que celles-ci admettraient au milieu «elles des troupes
étrangères sans ses ordres précis,
signés de sa main ; que les recevoir serait s'exposer
à être traités comme traîtres et
rebelles après le départ des troupes. Ces
bruits inquiétants étaient répandus par
les moines et les seigneurs papistes, qui se disaient bien
instruits de l'état des choses. Leur but fût
atteint, le peuple de la vallée prit les armes pour
repousser les Français. Pour l'apaiser, le
préfet Ressan écrivit aux
préposés que le maréchal avait
l'approbation de son altesse mais son secrétaire vint
aussitôt les, avertir que cette lettre lui avait
été arrachée, qu'elle n'exprimait donc
pas la vérité. Les communes de la Tour, de
Bobbi et du Villar, non encore occupées,
persistèrent dans leur refus. Le préfet,
feignant d'être irrité du mépris fait
à sa lettre, animait le maréchal, homme
bouillant 1. à rassembler son armée pour
mettre à la raison les barbets
(10). Ainsi dit, ainsi fait. Le 2 de
février, Grancé était avec toutes ses
troupes devant la Tour. Les hommes de la vallée
s'apprêtaient à lui barrer le passage, effort
dangereux. dans la plaine, lorsqu'on manque d'artillerie et,
de cavalerie et que l'ennemi en est pourvu. Le feu allait
commencer lorsqu'un capitaine français
réformé, nomme de Corcelles, ayant
aperçu le modérateur Jean Léger, courut
à lui; Léger, saisissant la queue de son
cheval, traversa avec lui l'armée rangée en
bataille et vint se jeter aux genoux du maréchal,
comme celui-ci achevait de donner ses derniers ordres, et
lui exposa rapidement les scrupules de ses concitoyens :
« Ayez, dit-il, le moindre billet de son altesse royale
qui témoigne qu'elle consent à ces logements,
et faites alors des Vallées à votre
discrétion; elles auront patience, si même on
leur marche sur le ventre, pourvu qu'elles n'encourent pas
l'indignation de leur prince. »
Paroles qui peignent
parfaitement la soumission complète des Vaudois
à leur souverain, dans tout ce qui ne touche pas
à la foi religieuse.
Le maréchal
maugréant, dit Léger, ces pestes qui
fomentaient tant de troubles, consentit à suspendre
ses opérations jusqu'au. retour du courrier qu'il
expédia sur-le-champ à Turin et qui rapporta
le lendemain matin une lettre de Madame royale aux
Vallées les autorisant au cantonnement des troupes
françaises. La vallée de Luserne seule n'eut
pas moins de quatre régiments à loger, dont
l'un, à lui seul, comptait environ trois mille
hommes.
L'intention de perdre les
Vaudois avait donc été déjouée
une seconde fois (11). Elle ne pouvait l'être toujours, comme
nous allons nous en assurer nous-mêmes de nos yeux
étonnés et au grand déchirement de
notre coeur.
Rappelons auparavant un fait
qui ressort de toute l'histoire des Vaudois; c'est leur
fidélité à leur souverain, et leur
entière et prompte obéissance à ses
ordres, comme à ses lois, dans tout ce qui ne portait
pas atteinte à leurs devoirs envers Dieu, selon le
saint évangile de Jésus-Christ. Ils en avaient
fourni la preuve en bien des occasions, récemment
encore en défendant la régence contre les
princes coalisés avec les Espagnols, et en dernier
lieu, en risquant de se faire massacrer par l'armée
de Grancé, plutôt que de se soumettre à
l'étranger contre le gré de leur
souverain.
Aussi voyons-nous le jeune duc
confirmer, en 1653, par trois décrets, leurs
privilèges antérieurs, et par un
quatrième du mois de mai 1654, dans le même
sens. Il est vrai, que les agents subalternes
soulevèrent obstacles sur obstacles à ce que
ces décrets fussent entérinés, opposant
de nouvelles difficultés de forme à mesure
qu'on levait les précédentes, tellement qu'on
ne put pas parvenir à les faire
enregistrer.
Néanmoins, l'histoire a
constaté qu'à l'époque où nous
sommes parvenus, hormis la faute commise au Villar par
quelques imprudents, faute qui d'ailleurs ne pourrait
être attribué à la
généralité qu'avec injustice, la
conduite des Vaudois envers l'autorité et leur prince
était à l'abri de tout reproche et même
exemplaire. Ce n'a donc pas été, comme les
ministres de son altesse l'ont prétendu plus tard,
pour des motifs politiques que l'on a fait tomber le
tranchant du glaive sur tant de victimes. Le fait d'ailleurs
de l'existence, à Turin, dès 1650, d'un
conseil pour la propagation de la foi et l'extirpation des
hérétiques, est démontré par le
texte même d'une proclamation de Gastaldo,
datée de Luserne 31 mai 1650, et portant que
ceux-là seulement seront exempts de peine qui
prouveront s'être faits catholiques au conseil
susnommé, érigé à Turin par son
altesse royale (12). Ce l'ait déjà suffisant pour
tout expliquer, quand même on réussirait
à entasser des accusations plus ou moins plausibles
contre les Vaudois, démontre avec d'autant plus de
force, en l'absence de prétextes politiques, que les
épouvantables persécutions qui vont suivre
sont le fruit des manoeuvres de Home. Qui s'en
étonnera ? Ceux qui connaissent son histoire, ou qui
ont vu à l'oeuvre cette Église corrompue,
savent qu'une des preuves de la malédiction qu'elle a
reçue du Seigneur, est de se voir contrainte par ses
propres principes, et forcée par l'esprit qui anime
ses plus fidèles agents, à poursuivre à
outrance, comme des ennemis irréconciliables, dignes
de tous les supplices, les plus fidèles confesseurs
du nom de Jésus-Christ, les amis les plus
zélés de sa parole, les âmes les plus
sanctifiées, les Eglises les plus
pures.
Nous nous arrêtons;
laissons le jugeaient de cette Eglise au Seigneur ; c'est
à lui qu'il appartient ainsi que la vengeance.
FIN DU TOME
PREMIER.
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