HISTOIRE DES VAUDOIS.
CHAPITRE
X.
ÉCRITS DES VAUDOIS.
Écrits originaux des Vaudois. -
Recueillis par Léger. - Ceux remis à Perrin, -
Leurs caractères généraux. -
Écrits dogmatiques, pratiques, polémiques ;
poésies sacrées. - Leur authenticité.
Ils sont vaudois. - Écrits dans un dialecte de
l'ancienne langue romane. Ancienneté de leur date
attestée. - Anonyme. -
Pierre-le-Vénérable. Témoignage de
Raynouard. - Noble Leçon. - L'Antéchrist porte
sa preuve intrinsèquement. - Objections et
réfutations. - Conséquences.
Un éclatant, témoignage
de l'ancienneté de, l'Église vaudoise se
trouve dans les écrits originaux ( manuscrits ) que
possède cette Église, dès l'an 1100,
1120, 119-6 et 1230, dates antérieures (pour les
principaux) de 50 ans au moins, à la manifestation
religieuse dirigée par Pierre Valdo. Ces ouvrages en
vers et en prose, en langage roman ou vaudois, forment la
souche d'un grand nombre de productions semblables, dues au
même esprit, écrites dans le même
dialecte on en latin, à des époques
différentes, mais presque toutes antérieures
à la réformation du XVIe
siècle.
C'est à l'historien et
pasteur vaudois, Léger, que l'on doit la conservation
de ces précieux documents de la piété
et de l'antique origine de l'Église vaudoise.
Prévoyant peut-être forage qui se formait
contre elle, et qui, après avoir grondé avec
fracas de son vivant, se termina par le désastre
lamentable de 1686, Léger recueillit les
écrits des Vaudois et les remit, en 1658, à
lord Morland, ambassadeur anglais à la cour de Turin.
Ce dernier les emporta en Angleterre, où ils furent
déposés dans la bibliothèque de
Cambridge. Léger en fit une seconde collection, mais
moins considérable, qu'il déposa
lui-même à la bibliothèque de
Genève. Nous donnons le catalogue de l'une et de
l'autre dans un appendice à la fin de cet
ouvrage.
Une quarantaine
d'années auparavant, vers l'an 1602, de nombreux
écrits vaudois avaient déjà
été remis à P. Perrin de la part d'un
synode tenu aux Vallées; ils avaient
été recueillis surtout dans la vallée
de Pragela. Cet auteur nous a conservé la liste de
ceux qu'il a eus en main. Nous la donnerons aussi dans
l'appendice. (LEGER..., Ire part., p. 74,
(1).)
Le caractère
général de ces écrits est dogmatique et
pratique; quelques-uns sont de controverse. Le dogme y est
exposé d'une manière simple. On n'y trouve, ni
formules théologiques, ni exposition
systématique, si ce n'est dans le Catéchisme
et la Confession de Foi. C'est pour l'ordinaire, dans leur
forme scripturaire, que les vérités
révélées sont énoncées.
Point de commentaire sur la grâce, sur
l'élection, sur la prédestination; ces
mystères profonds sont enseignés dans les
termes dont le Saint-Esprit a fait choix. Dans un emploi si
fréquent et si fidèle des passages de la
sainte Écriture, les barbes
(2)
vaudois firent preuve d'une grande sagesse. Quoique
écrits à une époque de
ténèbres générales, on ne
remarque, dans ces documents de la vie religieuse des
Vaudois, ni exagération, ni superstition. La
modération et la convenance de langage, même
lorsqu'ils abordent la controverse, ce qui est
fréquent, ne les abandonnent pas, et frappent
d'autant plus que ces qualités sont très-rares
chez leurs adversaires. Leur esprit est le véritable
esprit chrétien.
On peut aussi remarquer dans
ces anciens écrits des Vaudois, que le dogme, loin
d'être séparé de la morale, lui sert
d'appui continuel. La foi et la piété, la
contemplation des vérités divines et la vie
d'obéissance ainsi que de dévouement au
Seigneur, s'unissent constamment dans leurs productions
littéraires. Ils abordent tous les sujets
chrétiens, avec gravité et dans une intention
pratique : la corruption naturelle et la misère de
l'homme, la rémission des péchés par
l'oeuvre de Jésus-Christ, la crainte et l'amour de
Dieu - la charité et l'amour fraternel, le pardon des
injures et le support, la vigilance et la prière,
l'humilité, le mépris du monde, le
détachement des affections terrestres, la patience,
la résignation dans les maux de la vie, les devoirs
des pasteurs et conducteurs (3)
spirituels, les devoirs des maris et des femmes, des
pères et des enfants. Il fallait assurément
une connaissance approfondie de l'Évangile, une
piété vivante et un sens chrétien
développé pour se placer à cette
hauteur de vérité et de moralité,
dès la fin du Xle siècle.
Quelques écrits des
Vaudois sont tout polémiques; la position
exceptionnelle de ces chrétiens
évangéliques, en butte aux attaques de
l'Église romaine, nécessita la controverse.
Ils durent défendre leur foi et s'expliquer sur leurs
doctrines. Outre leur Confession de Foi et leur
Catéchisme, les barbes vaudois ont composé les
ouvrages polémiques de l'Antéchrist, du
Purgatoire imaginaire (songé), du véritable
Purgatoire, de l'Invocation des Saints, etc.
Au nombre des ouvrages
originaux des anciens Vaudois, nous devons compter une
traduction de la Bible en langue romane. Les citations
nombreuses qui en sont faites, dans la Noble Leçon,
dans l'Antéchrist et dans les autres traités
de cette époque, le démontrent
déjà. Mais il y a plus, la preuve
matérielle du fait existe; Léger
déclare ravoir possédée. À la
bibliothèque de Cambridge sont déposés
des manuscrits de livres de la Bible ou de chapitres
détachés, et celle de Grenoble se glorifie
d'avoir le manuscrit complet du Nouveau Testament dans le
même dialecte. il en existe également un
exemplaire à Zurich. Mapée nous apprend aussi
que, dans le concile romain, tenu en 1179, sous le pape
Alexandre 111, des Vaudois présentèrent
à ce pontife un livre écrit en langue gauloise
(c'était alors la romane), qui contenait le texte et
une glose des psaumes et de plusieurs livres de l'Ancien et
du Nouveau Testament. ( USSRIUS..., Gravissimae
Quaestionis..., p. 286. )
La question importante de
l'authenticité de ces écrits nous occupera
aussi quelques instants. Elle se divise en deux points
principaux : l'origine et la date.
L'origine de ces écrits
est vaudoise, tout le prouve. C'est parmi les Vaudois, et
non ailleurs, qu'ils ont été conservés
et ensuite recueillis. De qui les auraient-ils reçus,
et quel motif aurait pu leur faire adopter des livres
étrangers ? Ces montagnards n'étaient point
des bibliophiles. Les écrits qu'ils ont
possédés et conservés n'ont pu
être que les leurs. Ces livres n'expriment rien de
plus ni rien de moins que la croyance et les desseins pieux
des fidèles vaudois dans tous leurs
âges.
La majeure partie de ces
écrits est en langue vaudoise dialecte particulier de
la langue romane, comme l'observe Raynouard, qui a
étudié avec soin et à fond celle-ci.
Or, cette langue romane, dans le dialecte vaudois, est
demeurée jusqu'à la réformation la
langue constante des habitants des Vallées, la seule
usitée dans leur service religieux, et elle est
employée encore aujourd'hui, comme patois, par la
multitude (4).
Nous ne sachions pas que ce dialecte vaudois roman ait
été parlé par d'autres que par eux. Les
écrits que l'on a recueillis parmi les Vaudois, et
dans leur dialecte, ne peuvent donc être que
vaudois.
Enfin, c'est un fait
attesté par l'histoire, que les anciens Vaudois ont
écrit des livres. Un auteur anonyme du XIIIe
siècle dit positivement, en parlant des Vaudois :
« Ils ont imaginé, certains, vers (rithmes)
qu'ils appellent les trente degrés de saint Augustin,
dans lesquels ils enseignent, en quelque sorte, à
pratiquer les vertus et à fuir les vices, et ils y
ont introduit finement leurs rits et leurs
hérésies, afin de fournir plus «attrait
à les apprendre, et afin de les inculquer plus
fortement dans la mémoire, comme nous proposons aux
laïques le symbole, l'oraison dominicale; ils ont aussi
imaginé d'autres beaux ( écrits) dans le
même but. » (D. MARTÈNE, Thesaurus Novus
Anecdotorum, t. V, autore anonymo. Tractatus de haeresi
pauperum de Lugduno. Fin de l'article intitulé : De
Studio pervertendi.)
L'on voit aussi dans
Pierre-le-Vénérable, abbé de Clugny,
qu'Henri, le faux ermite, qui, selon nous, pouvait bien
être Vaudois, aurait écrit un livre contenant
ses opinions. Mais, comme il ne le caractérise pas
davantage, nous n'avons aucun indice en cela, que cet
ouvrage soit un de ceux dont nous donnons le catalogue dans
l'appendice. Il ressort du moins de ce que dit
Pierre-le-Vénérable qu'il existait de son
temps des écrits qualifiés
d'hérétiques, savoir, au commencement du XlIe
siècle. (Petri VENER., Epist. citée plus
haut.)
La seconde question à
traiter, pour démontrer l'authenticité des
écrits des Vaudois, a pour objet les dates qu'ils
portent ; elle peut se poser ainsi: Les écrits des
Vaudois sont-ils bien de la date qu'ils portent;, leur
millésime est-il celui de leur composition
?
D'entre les anciens
écrits des Vaudois, cinq seulement portent des dates.
La Noble Leçon et le Catéchisme, celle de l'an
1100 (5);
le Traité de l'Antéchrist et la Confession de
Foi, celle de l'an 1120; et le Purgatoire, celle de Fan
1126. Plusieurs poèmes moraux, que Raynouard juge
appartenir à l'époque de la Noble
Leçon, sont sans date, ainsi. que les autres
manuscrits, excepté un seul qui porte la date de
1230.
La date de la traduction
romane de la Bible doit être nécessairement
antérieure à celle de tous les autres
écrits vaudois, puisqu'il n'en est presque aucun qui
n'en renferme des passages.
Cette circonstance, que cinq
ou six manuscrits vaudois seulement ont des dates, est
particulièrement favorable à leur
authenticité. Si elles avaient été
indiquées postérieurement à
l'apparition des écrits, et sans fondement, on ne
voit pas pourquoi l'auteur de cette fraude n'en aurait pas
usé, de même à l'égard d'un plus
grand nombre, même à l'égard de
tous.
Nous invoquons d'ailleurs, en
faveur de l'exactitude de ces dates, le témoignage de
Raynouard. On sait que cet écrivain moderne s'est
occupé spécialement de la langue romane, dont
le langage vaudois est un dialecte particulier, ne
différait des autres, comme par exemple du
provençal, que par certaines désinences et par
quelques autres légères particularités.
Raynouard a prouvé l'ancienneté de cette
langue romane. Il en a démontré l'existence
dès le temps de Charlemagne, dans la plupart des
contrées soumises à ce prince, du Rhin
à Rome. Il en a expliqué la formation et en a
donné, une grammaire avec de nombreux exemples. Or,
parmi ceux-ci, nous en avons remarqué un grand nombre
qui sont tirés des écrits des Vaudois, soit de
leurs poésies, soit de leur traduction du Nouveau
Testament (6).
Donc, l'ancienneté des écrits, dont on a
extrait ces exemples, est elle-même
démontrée. L'auteur, il est vrai, ne
s'explique catégoriquement que sur la date de la
Noble Leçon ; mais nous pouvons en outre juger, par
la place qu'il assigne dans son ouvrage. aux principaux
documents vaudois, qu'il reconnaît l'exactitude des
dates qu'ils portent, et qu'il considère aussi comme
très-anciens plusieurs de leurs autres ouvrages. Car,
dans son introduction sur les troubadours, après les
pièces réunies sous ce titre : Actes et
Titres, depuis l'an 960 et suivants, et qui vont
jusqu'à l'an 1080, il indique comme leur faisant
suite, en ordre de date, les poésies vaudoises.
D'où nous sommes autorisés à croire,
qu'il a jugé postérieurs de très-peu
à la date de 1080, non-seulement ceux des
écrits en vers des Vaudois qui portent la date du
XIIe siècle, mais encore les autres écrits en
vers.
Raynouard est si
persuadé de l'ancienneté des écrits
vaudois, qu'il s'en sert pour prouver l'inverse de notre
proposition, c'est-à-dire, pour appuyer ses
démonstrations sur le langage qu'il a
étudié. « Si l'on rejetait, dit-il,
l'opinion de l'existence d'une langue romane primitive,
c'est-à-dire, d'un idiome intermédiaire qui,
par la décomposition de la langue des Romains et
l'établissement d'un nouveau système
grammatical, a fourni le type commun d'après lequel
se sont successivement modifiés les divers idiomes de
l'Europe latine, il serait difficile d'expliquer comment,
dans les vallées du Piémont, un peuple
séparé des autres par ses opinions
religieuses, par ses moeurs et surtout par sa
pauvreté, a parlé la langue romane à
une époque très-ancienne, et s'en est servi
pour conserver et transmettre la tradition de ses dogmes
religieux, circonstance qui atteste la haute
antiquité de cet idiome, dans le pays que ce peuple
habitait. » RAYNOUARD..., t. II, Introduction, P.
CXXXVII.)
L'auteur continue : « Le
poème de la Nobla Leyezon porte la date de l'an 1100.
La secte des Vaudois est donc beaucoup plus ancienne qu'on
ne l'a cru généralement. » Et un peu
après : « La date de l'an 1100 qu'on lit dans ce
poème mérite toute confiance. Les personnes
qui le liront avec attention jugeront que le manuscrit n'a
pas été interpolé, etc. Enfin le style
même de l'ouvrage, la forme des vers, la concordance
même des deux manuscrits (celui de Cambridge et celui
de Genève), le genre des variantes qu'ils
présentent, tout se réunit en faveur de
l'authenticité de ces poésies. »
(RAYNOUAD, ibid.)
Si Raynouard, en raison du but
qu'il poursuivait, s'est exprimé plus explicitement
sur la date des poèmes vaudois, il n'en a pas moins
reconnu l'ancienneté de leurs écrits en prose.
« Le traité de l'Antéchrist, dit-il,
porte la date de l'an 1120. »
Voilà donc un
écrivain distingué qui, sans
prévention, sans motif intéressé, et
seulement en vue de la langue romane, après avoir
fait une étude longue et approfondie des anciens
documents religieux des Vaudois, les déclare
authentiques et confirme l'exactitude de leurs dates. Un tel
jugement nous parait «un très-grand
poids.
Nous ne devons pas omettre de
faire remarquer, d'ailleurs, que la Noble Leçon
renferme des preuves de l'exactitude de la date qu'elle
porte., Citons un exemple : nous le trouvons dans ce qu'elle
dit, depuis le vers 384 et suivants, en particulier dans le
396 : « Il (le pécheur) fait accord » avec
le prêtre, afin qu'il puisse être absous. »
Ces absolutions à prix «argent avaient surtout
lieu de la manière la plus scandaleuse, dans le Xle
siècle, d'après les bénédictins,
auteurs de l'Histoire littéraire de France, qui
disent en propres termes, en parlant de ce siècle :
« Au moyen de quelque somme d'argent, les plus grands
pécheurs trouvaient des prêtres qui leur
donnaient aisément l'absolution. » Or, c'est
à la fin de ce siècle qu'écrivait
l'auteur de la Noble Leçon. (Histoire
littéraire de France, t. VII, P. 5,
6.)
Si l'autorité de
Raynouard met hors de doute l'exactitude de la date des
poèmes vaudois, nous pouvons à notre tour
avancer, comme pour la Noble Leçon, une preuve
intrinsèque de la date authentique de l'un des
écrits en prose, savoir l'Antéchrist ; la
voici.
Après avoir
défini l'Antéchrist, l'auteur continue :
« Tel est l'homme accompli de péché, il
s'élève au-dessus de tout ce qui s'appelle
Dieu, et ce qui est servi; il s'oppose à toute
vérité, et est assis dans le temple de Dieu,
c'est-à-dire dans l'église, se donnant comme
Dieu; il vient avec toutes sortes de séductions pour
ceux qui périssent. Et puisque ce rebelle est
déjà parvenu à sa perfection, il ne
faut plus l'attendre (ou chercher quel il est); car, par la
permission de Dieu, il est arrivé à la
vieillesse, puisqu'il décline déjà. En
effet, sa puissance et son autorité sont
diminuées, et le Seigneur Jésus tue ce rebelle
par le souffle de sa bouche, au moyen de beaucoup d'hommes
de bonne volonté et fait intervenir une puissance qui
lui est contraire, aussi bien qu'à ses amis; il
bouleverse les lieux qu'il habite et ses possessions, et met
la division dans cette cité de Babylone, où
chaque génération puise une nouvelle vigueur
de malice. »
L'Antéchrist du
traité vaudois, c'est le système religieux
romain, son personnel et son culte, le pape et
l'idolâtrie dont il est le centre. Qu'à la date
de l'an 1120, à l'époque où le livre de
l'Antéchrist aurait été composé,
le système romain eût atteint son
apogée, et que déjà il
déclinât (7),
c'est ce que démontre l'histoire. C'est en la
personne de Grégoire VII, de l'ancien moine
Hildebrand, que la papauté avait atteint sa plus
grande puissance et déployé les
prétentions les plus audacieuses. C'est vers la fin
du Xle siècle, c'est le 25 janvier 1077, que la
puissance temporelle s'était humiliée devant
l'autorité usurpée du prétendu
successeur de saint Pierre, quand l'infortuné Henri
IV, empereur, et jadis le plus puissant prince de l'Europe,
avait attendu trois jours, jeûnant et marchant
nu-pieds dans la neige, que l'orgueilleux rival de sa
puissance daignât lui pardonner, le relever de son
excommunication et lui restituer le droit de gouverner ses
états...
La victoire de Rome avait
été complète sous Hildebrand, mais
cette maturité de force avait touché trop
tôt pour elle à la caducité, comme
l'exprime le traité de l'Antéchrist, dans le
passage cité plus haut : Le rebelle est arrivé
à la vieillesse et déjà il
décline. En effet, que nous raconte l'histoire ?
Henri IV, trompé dans son attente de
réconciliation généreuse, ressaisit la
couronne qu'Hildebrand croyait lui avoir arrachée,
rassemble une armée, vient à Rome dont il se
rend maître en 1084, y établit le pape
Clément III qui le couronne de nouveau, et en chasse
Grégoire VII qui va mourir à Salerne. À
la lettre, Jésus, comme le dit la citation, tue ce
rebelle, l'Antéchrist, par le souffle de sa bouche au
moyen de beaucoup d'hommes de bonne volonté> et en
faisant intervenir une puissance qui lui est contraire. Rome
est alors serrée de près par un long
siège, et après avoir été prise
d'assaut, les lieux que l'Antéchrist habite sont
bouleversés.
Henri V défend comme
son père la couronne impériale contre les
prétentions renouvelées des papes successeurs
d'Hildebrand. Il vient à Rome, l'an 1111, à la
tête d'une nombreuse armée, met en confusion la
ville et jette en prison Pascal II. Le traité de paix
fait avec celui-ci ayant été annulé,
après le départ de l'empereur, par le pape
rendu à la liberté, Henri marche une seconde
fois sur Rome, y entre triomphant, chasse son adversaire et
nomme un autre pape, Grégoire VIII, qui le couronne
une seconde fois. Rome lutte encore, et après la mort
de Pascal, tente de lui donner un successeur sans la
participation de l'empereur, en la personne de Gelase II.
Mais ce nouveau pape est chassé de Rome, et le
protégé d'Henri, Grégoire, est maintenu
sur le trône papal, au gré de l'empereur. Ceci
se passait en 1118.
Nul doute que le traité
vaudois de l'Antéchrist ne fasse allusion à
ces événements; les termes mêmes de la
citation que nous avons rapportée le
démontrent avec évidence. La date de 1120 que
porte le traité ne saurait donc être
contestée de bonne foi, ayant pour elle une
concordance historique aussi frappante.
On a soulevé, quelques
objections contre l'authenticité des dates des
écrits des Vaudois ; quoiqu'elles n'aient pas une
grande force après ce qui vient d'être dit,
nous devons les examiner.
On a remarqué que, dans
quelques traités vaudois, en particulier dans celui
de l'Antéchrist, les citations qui sont faites de
passages de la Parole de Dieu portent l'indication des
chapitres et des versets, outre celle du livre, et l'on en a
conclu que l'origine de l'écrit était plus
récente que celle qu'indique sa date, puisqu'il est
prouvé que la division de la Bible en chapitres et en
versets n'a eu lieu qu'au XIIIe siècle, vers l'an
1250. Mais, pour que cette objection eût de la force,
il faudrait prouver que les manuscrits incriminés
sont les originaux mêmes, tandis que, s'ils ne sont
que des copies d'une date plus récente, on comprend
que, pour l'instruction des lecteurs, les copistes
(8),
qui sans doute étaient des barbes (ou pasteurs
vaudois), profitant de la connaissance qu'ils avaient de
cette division si utile, s'en soient servis, aient
ajouté l'indication des chapitres et des versets,
sans qu'il y ait eu pour cela aucune falsification ou
détérioration du texte. On est d'autant plus
fondé à admettre cette explication, que toutes
les citations ne sont point accompagnées de
l'indication des chapitres et des versets, ce qui cependant
aurait probablement eu lieu, si ce supplément de
clarté eût été le fait de
l'auteur lui-même.
Que les écrits des
Vaudois aient en effet été souvent
copiés, c'est ce que ferait déjà
supposer l'usage habituel et presque journalier qu'en
devaient faire les élèves des barbes pour leur
instruction, les barbes eux-mêmes dans leurs travaux,
et les fidèles qui puisaient des armes contre leurs
adversaires, dans le trésor de leur
littérature nationale et religieuse, aussi bien que
dans la Bible. La question est d'ailleurs résolue
pour ce qui concerne du moins la Noble Leçon.
Raynouard a constaté, que les deux manuscrits qui
existent de ce poème ont été
copiés à des époques
éloignées l'une de l'autre, ou sur des
exemplaires différents, parce que, dans l'un, la
préposition avec est exprimée par au, et dans
l'autre par cum, et il conclut que l'exemplaire de
Cambridge, qui a toujours au, est plus ancien que celui de
Genève qui a cum (9).
On a aussi contesté
l'authenticité de quelques livres, parce que l'on y
voit des citations des Pères de l'Église. Ceci
regarde surtout le traité du Purgatoire, de l'an
1126. Les anciens Vaudois, dit-on, ne reconnaissaient en
matière de foi que l'autorité de la Bible; ils
n'auraient jamais cité, les Pères : le
traité du Purgatoire n'est donc pas authentique. Mais
il est facile de répondre que, tout en maintenant
intact leur principe, que la Bible seule fait
autorité en matière de foi, les Vaudois ont pu
démontrer l'erreur de leurs adversaires sur le
purgatoire, ou sur «autres points, en en appelant au
témoignage de ces Pères de l'Église,
sur lesquels les catholiques romains appuyaient
principalement leur doctrine.
Un auteur anonyme
très-moderne a fait une autre objection plus
sérieuse contre le traité du Purgatoire, bien
que, par une étrange méprise, il s'imagine la
faire contre celui de l'Antéchrist. Il observe avec
raison que l'écrit vaudois du commencement du XIIe
siècle cite un ouvrage plus récent, savoir, le
Milleloquium de saint Augustin, qui est une compilation des
écrits de ce père, faite par un Augustinus
Triumphus, qui parut avec éclat à la Sorbonne
et an concile de Lyon, en 1274. Certes, l'objection est de
toute force et péremptoire; comment y répondre
et la réfuter ? Par la mention d'un fait bien simple,
déjà énoncé, savoir: que les
écrits des Vaudois étaient souvent
copiés et parfois, ajoutons-nous, avec des variantes
notables. Il se trouve, en effet, que les extraits que
Léger a publiés du Purgatoire, et qui ont
donné lieu à l'objection, sont tirés
d'une copie abrégée, et non du traité
primitif, infiniment plus étendu sur cette
matière, traité qui existe dans le manuscrit
de la bibliothèque de Genève, portant le No
208. L'auteur de l'abrégé a cité, le
Milleloquium qu'il avait sans doute à sa
portée, tandis que l'écrit primitif cite
fréquemment saint Augustin lui-même, une fois
d'après son livre des sacrements, mie autre fois
d'après le livre de la doctrine de la foi, une autre
fois d'après un discours sur cette parole : Ni les
ivrognes n'hériteront point le royaume de Dieu. C'est
ici que se trouve ce passage : « 0 frères, que
personne ne se trompe : car il n'y a que deux lieux
(10), et le troisième n'existe pas du tout,
etc. » Chacun peut se convaincre de la certitude du
fait,
Ces citations nombreuses de
saint Augustin, dans cet écrit, De nous
autoriseraient-elles pas à penser, que c'est de cet
écrit qu'a voulu parler l'auteur anonyme du XIIe
siècle, cité plus haut, et imprimé dans
Martène, quand il mentionne un écrit des
Vaudois appelé: Les Trente Degrés de saint
Augustin? Et alors que signifierait l'objection faite contre
cet écrit?
Enfin, on a remarqué
que ces écrits parlent de persécutions
essuyées par les Vaudois, et on en a conclu qu'ils ne
pouvaient être du XlIe siècle, puisque ce n'a
été que beaucoup plus tard qu'on les a
persécutés dans leurs Vallées. Mais
cette objection tombe si, d'un côté, Von
réfléchit qu'il peut y avoir eu des
persécutions dont l'histoire ne nous a pas
conservé le souvenir et de l'autre, si l'on admet
avec nous que les hérétiques détruits
par le fer et par le feu, à Asti, à
Orléans, à Toulouse, à Arras, etc., au
XIe siècle, étaient regardés comme
frères par les Vaudois.
L'authenticité des
écrits vaudois de l'an 1100, 1120, 1126 et 1230, une
fois reconnue, nous croyons pouvoir en déduire
l'ancienneté de l'Église qui les a produits.
Ce n'est pas, en effet, dans ses premiers commencements
qu'une société religieuse résume sa
doctrine et sa vie dans de nombreux écrits; car,
avant de formuler des opinions, il faut qu'elles soient
formées et arrêtées, comme aussi avant
de produire les traits d'ensemble et de détail dont
se compose la vie de cette société, il faut
que les faits auxquels ils sont empruntés aient eu le
temps de se passer. En un mot, ce n'est pas à
l'époque de sa formation, c'est à celle de son
plein accroissement et de sa maturité qu'une
société religieuse abonde en livres
d'édification, d'instruction et de controverse, et en
poésies chrétiennes. Il nous semble donc
démontré que, l'an 1100, date du poème
de la Noble Leçon et du Catéchisme vaudois,
des Vallées, loin d'en être premières
lueurs de la foi et aux premiers pas de son
développement, avait déjà atteint
l'âge de la force et de la réflexion. Et, comme
l'histoire ne mentionne aucun fait qui fasse connaître
de quelle manière la doctrine vaudoise aurait
pénétré dans les Vallées, durant
les deux ou trois siècles précédents,
taudis qu'elle en signale plusieurs qui rendent probable son
existence dès Claude de Turin et déjà
auparavant, il s'ensuit que l'Église vaudoise, qui a
produit des écrits si remarquables, au commencement
du XIIe siècle, est la continuation de celle
qu'édifia ce fidèle évêque. Elle
avait vécu à l'écart, s'instruisant, se
fortifiant, se préparant au combat, depuis les jours
de ce pieux successeur des apôtres, jusqu'à
ceux dans lesquels on vit un Pierre de Bruis, un Henri et
tant d'autres courageux disciples de Christ, descendre des
monts, apportant avec eux la bonne odeur du pur
Évangile, et jusqu'à l'apparition de ces
écrits religieux en langue romane, destines à
proclamer les vérités
révélées et à recommander la vie
sainte des enfants de Dieu. De faible et de timide,
l'Église vaudoise est devenue forte et courageuse. Le
repos ne peut plus convenir à sa
fidélité. Elle y a renoncé en publiant
sa pensée; elle fera plus, elle marchera
bientôt de sacrifices en sacrifices pour amener le
triomphe de la vérité.
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