Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

II

L'ORIENT ANTIQUE

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 (1) L'Orient nous fournit plus de sentiments élevés, doux et tendres, émanations, on le dirait, de la famille primitive, que nous en trouverons dans la civilisation grecque ou dans le monde romain.
Toutefois, ici comme là, malgré d'incontestables différences, l'individu sans lequel jamais vous n'obtiendrez la famille a été mortellement atteint.

Interrogez la Chine, la vieille Chine; demandez-lui ce qu'elle a fait de l'individu; cherchez ce qu'il en reste après que Confucius et Bouddha l'ont soumis à l'alambic de leurs philosophies!
S'affranchir de l'accidentel : de tout ce qui est mouvement, existence; cesser d'être personnel, d'être soi, et point un autre; éteindre toutes les affections, tuer l'homme; voilà l'incessant travail que proposent ces sages à l'esprit humain. L'extinction finale en marque le but; on y marche par une méditation qui s'immobilise de plus en plus dans le vide, jusqu'à ce qu'elle arrive à la perfection, c'est-à-dire au néant.
Ce qui n'empêche pas le pieux Rohisattva d'épouser quatre-vingt-quatre mille femmes et d'avoir mille fils. - Nous sommes un peu loin, convenez-en, de la famille telle que nous la montrait Éden.
En revanche, le pays se couvre de monastères; on vend les enfants, on expose les nouveau-nés, on noie les filles. Les simples croyants se contentent d'une femme, cependant la polygamie est autorisée, pratiquée; et si la Piété filiale reste debout an milieu des ruines, la froideur glaciale du juste milieu - cette idole de l'esprit chinois - en règle si bien les élans, organise si correctement les relations du fils avec le père, apporte tant de rigoureuse exactitude aux manifestations du respect et de l'amour, tout l'homme, en un mot, est si parfaitement machinisé, que parmi ces rouages qui vont, qui tournent, qui ont les apparences de la vie, on se demande où bat le coeur? Le coeur! il ne bat plus. C'est le dernier mot de l'idéal chinois.

L'idéal indou vaudra-t-il mieux?
Dans cet immense, pays aux vagues effluves, aux molles rêveries, l'effacement béat, l'abstention absolue dans l'éternelle contemplation forment toujours l'essence même de la sainteté. Le point culminant, radieux, le dernier terme du céleste bonheur, c'est toujours l'anéantissement de l'individu.
Ici même, l'individu rencontre deux ennemis nouveaux : la caste et la métempsycose.
La caste lui fait perdre sa liberté, elle lui enlève la détermination de sa carrière, elle s'oppose au choix de ses relations, elle lui soustrait la destinée de ses enfants, elle ferme, car elle fixe irrévocablement son avenir; l'individu ficelé, muré dans sa caste, ne se meut plus, ne veut plus, ne décide plus; il roule sur un plan fatalement incliné vers la métempsycose, qui le prend à son tour, et qui achève d'étouffer son dernier souffle en lui arrachant l'identité. Ainsi cet objet, naguère un homme, passant à travers la foule des transformations successives, inconscientes, interminables, qui le débarrassent radicalement de ce qui fuit lui, arrive au bonheur souverain, à la perte finale dans le grand tout.
Étonnez-vous après cela que la famille soit mortellement blessée, ou ne soit plus!
Étonnez-vous de trouver, dans les lois de Manou, et l'autorisation de la polygamie - Manou permet quatre épouses - et le mépris des femmes : « Il est dans le caractère du sexe féminin de chercher a corrompre l'homme ici-bas. »
Étonnez-vous si les vices de l'homme, par compensation, rencontrent cette lâche indulgence que leur ont toujours réservée les civilisations étrangères au respect du sanctuaire intérieur.
Des marchés hideux sont conclus sous le toit conjugal; les femmes, réduites presque à l'état d'esclaves, dont plus ni intelligence, ni coeur, ni responsabilité; on marie les filles à huit ans; le droit d'aînesse opprime les frères cadets,. écrase les soeurs; et Manou porte le coup suprême à la famille en abattant l'autorité du père, en faisant du Gourou, du directeur, la première des affections, le vrai chef de l'âme, celui qui, gouvernant la conscience et réglant les devoirs, mène tout.
Voici l'ordre établi par le législateur
Le Gourou;
Le père et la mère
Le frère aîné.
Quant à l'épouse, il n'en est pas même question.

La légende de Krichna, dans des temps beaucoup plus modernes, met sous nos regards une série d'aventures amoureuses qui nous édifient très-peu. Nous ne sommes guère plus émus, je l'avoue, par l'hécatombe des seize mille huit cents femmes, ses épouses, qui se brûlèrent sur son bûcher.

Zoroastre, le philosophe persan, laisse la polygamie dans l'ombre. Mais le dualisme, essence même de sa religion, suffit pour attaquer le mariage et pour le ruiner.
Le dualisme, cette assimilation de la matière au mal, considère le mariage comme un état inférieur. Les Gnostiques, venus d'Orient, ont tous hardiment posé le principe et tiré la conclusion.

N'y a-t-il point de Gnostiques chez-nous? La confusion des idées de matière et de mal, confusion qui nous débarrasse de la responsabilité du péché et nous délivre du devoir de le combattre, ne règne-t-elle pas dans plus d'un esprit? L'Eglise romaine tout entière avec ses grands saints n'a-t-elle. pas fléchi de ce côté-là? C'est, il me semble, ce que démontre jusqu'à l'évidence le plus simple regard jeté sur l'histoire, sur le catholicisme et sur nous.

Le reste de l'Asie, dans sa partie occidentale, Carthage, la splendide africaine, pratiquaient à l'envi des cultes infâmes dont je ne veux pas même indiquer les traits essentiels.
Nommer Moloc et Astarté, c'est assez dire sous quelle pourriture s'émiettait l'individu, dans quelle boue sombrait la famille, toujours étouffée par la corruption, car toujours et partout, ce qui dégrade l'homme le fait périr...

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1. On le comprend, il s'agit ici d'un rapide coup d'oeil historique, au point de vue de la famille exclusivement. L'examen approfondi de certains problèmes, tels que l'introduction du mal dans le monde, les questions de race, etc, a été nécessairement écarté. 
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