Je ne nie certes pas ce
que la
civilisation grecque a présenté de
délicat et de supérieur. En fait de rites
obscènes toutefois, la Grèce ne le
cédait nullement à la Phénicie. Paphos,
Corinthe, les mystères, les cérémonies
publiques, tout se réunissait pour souiller
l'âme, pour démoraliser l'individu, pour
réduire par conséquent la famille au
néant.
Chaque vice avait
son
représentant dans l'Olympe, chaque
monstruosité y trouvait sa justification. Comment
voulez-vous dès lors qu'une notion de pureté,
je dis des plus élémentaires, restât
debout au fond du coeur?
L'important,
lorsqu'on juge une
civilisation, ce ne sont pas les faits énormes, les
crimes exceptionnels, ce sont les faits journaliers ,
acceptés et vulgaires : ce n'est pas ce qui
scandalise, c'est ce qui ne scandalise pas. Or les
législations s'accordaient exactement avec les
turpitudes sacrées : voyez Lycurgue.
Or les moeurs, les
moeurs
avouées, universelles, conduisaient les plus
honnêtes Athéniens chez les femmes les plus
perdues : consultez Aspasie.
Or l'antiquité
grecque et
romaine tout entière a célébré
les hétaïres : et ici, ne craignez rien, je ne
vous dirai ni tout ce qu'elle a honoré, ni tout ce
qu'elle a fait, durant des siècles, sans remords et
sans pudeur.
Après cela, cherchez
en
Grèce quelque chose qui ressemble à la
famille, cherchez quelque chose qui ressemble à
l'amour, cherchez quelque chose qui ressemble à
l'individu!
La famille! je vous
mets au
défi d'en trouver un vestige.
L'amour ! vous
rencontrez bien un
dieu qui porte ce nom; mais ce nom-là, donné
à ce dieu-là, c'est une profanation, c'est un
blasphème. Où la femme n'existe point, l'amour
n'est point. Il lui faut l'estime, le respect, la
pureté. Quel Athénien a jamais dit : «
Toi qu'aime mon âme! (1)
»
L'individu! ne le
demandez pas
davantage aux sociétés antiques du
Péloponèse. Le grossier principe païen,
cette négation de Pâme et de la famille, en a
vite raison : l'État s'est mis à la place de
la conscience, par où s'affirme l'individu.
Il n'y a plus de foi
personnelle;
il y a la religion de l'Etat.
Il n'y a plus de vie
intérieure; il y a la place publique, centre et
palpitation de la vie de l'Etat.
Il n'y a plus de
table de famille;
il y a les repas de l'État.
Il n'y a plus de
foyer autour
duquel se pressent les enfants, plus d'éducation
domestique, plus de tendresses filiales; il y a les
nourrissoirs, il y a les élevoirs de
l'État.
L'Etat a dévoré le
croyant, le père, l'époux. L'Etat a
dévoré l'homme.
Ce que la Grèce a
fait,
Rome le continuera.
Encore une grande
civilisation
devant laquelle il faut s'incliner, encore une
éclatante manifestation du principe païen contre
lequel il faut protester.
J'ai dû protester,
je
pourrais dire lutter; car Rome, Rome la païenne n'est
pas morte, et son Vatican qui a hérité de son
Capitole nous le fait bien voir.
Pour le droit
romain, la famille
n'existe pas, L'agnation - parenté masculine -
envahit tout. La cognation - parenté féminine
- est comme si elle n'était point.
Dans cette
agglomération
toute civile, toute juridique, entassée sous un
même toit, écrasée sous un même
joug, l'émancipation détruit la
parenté. Le jour où le fils passe a
l'état d'homme, la famille disparaît pour lui.
L'autorité du père cessant, la relation
filiale a cessé.
La femme n'est ni
épouse ni
mère; le droit romain en fait un des enfants du
mari.
La femme
célibataire,
gouvernée par ses tuteurs, reste soumise à une
éternelle minorité.
Ceux des enfants que
leur
âge ou que leur sexe retient sous la domination du
père, ne disposent contre l'excès de ce
pouvoir ni d'un recours ni d'un secours.
Aussi longtemps que
les fils et
les filles font partie de la maison, le père qui leur
a donné la vie peut la leur ôter : il a sur eux
droit de mort.
La famille romaine,
c'est le
père; le père, c'est le maître; le
maître, c'est le tyran.
Jamais la voix du
sang ne fut
méconnue à un tel degré. Jamais on ne
vit quelque chose de plus dur, de plus artificiel que ce
mécanisme sans entrailles, que ce despotisme absolu,
que cette suppression brutale de tout ce qui n'est pas le
chef, que cette insolente négation des sentiments du
coeur, que cet arrachement des éternelles et
naturelles attaches de la parenté.
Pour conséquence,
vous avez
l'exposition des enfants.
Comment en serait-il
autrement?
Rome a supprimé les mères.
Et ne me parlez ni
des matrones du
premier temps de la République, ni des honneurs qui
leur étaient rendus. La matrone, au travers
d'apparents hommages, n'en demeurait pas moins fille de son
mari, soeur de son fils, assujettie, dépendante,
à tous égards.
En somme, la femme,
que respecte
à un certain degré le siècle
d'Homère, celui d'Eschyle, ira s'effaçant dans
la mesure où grandiront les civilisations antiques.
La plus haute fortune de Rome marquera le plus complet
abaissement des femmes. C'est un des scandales de
l'histoire. On fera bien d'y renvoyer ceux qui, niant le
progrès par l'Évangile, affirment la
perfection de l'humanité.
Quant à nous, ne
cherchons
pas ailleurs que là, dans ce berceau latin de nos
races latines, et les stupides gausseries dont notre
littérature a porté l'empreinte, et les
grossiers abus de pouvoir dont nos législations ont
hérité.
La monogamie régnait
à Rome. On s'en dédommageait par un divorce
effréné.
Ce n'est pas tout,
Rome avait deux
sortes de mariages: les justes noces et le
concubinat.
Pour conséquence,
vous avez
l'exposition des enfants.
Comment en serait-il
autrement?
Rome a supprimé les mères.
Et ne me parlez ni
des matrones du
premier temps de la République, ni des honneurs qui
leur étaient rendus. La matrone, au. travers
d'apparents hommages, n'en demeurait pas moins fille de son
mari, soeur de son fils, assujettie, dépendante,
à tous égards.
En somme, la femme,
que respecte
à un certain degré le siècle
d'Homère, celui d'Eschyle, ira s'effaçant dans
la mesure où grandiront les civilisations antiques.
La plus haute fortune de Rome marquera le plus complet
abaissement des femmes. C'est un des scandales de
l'histoire. On fera bien d'y renvoyer ceux qui, niant le
progrès par l'Évangile, affirment la
perfection de l'humanité.
Quant à nous, ne
cherchons
pas ailleurs que là, dans ce berceau latin de nos
races latines, et les stupides gausseries dont notre
littérature a porté l'empreinte, et les
grossiers abus de pouvoir dont nos législations ont
hérité.
La monogamie régnait
à Rome. On s'en dédommageait par un divorce
effréné.
Ce n'est pas tout,
Rome avait deux
sortes de mariages: les justes noces et le
concubinat.
Que devient l'idée
de
famille, je le demande, au sein d'une société
qui, à tête reposée et de sang-froid,
organise la dissolution de la famille, fait passer la
corruption à l'état normal, inscrit la
débauche, dans sa législation?
N'oublions pas cet
autre
détail : pour toute une catégorie
d'êtres humains, les esclaves, fraction immense de la
population romaine, le mariage n'existait pas. L'esclave
n'avait légalement ni femme, ni filles, ni fils.
Représentez-vous ces malheureux livrés aux
caprices du peuple-roi, et concluez.
Il se passa dans
Rome ce qui
arrive partout où le vice n'a plus de frein. Les
liens qui subsistaient encore parurent gênants. Ce qui
restait, fut de trop. On ne put supporter ces semblants
d'entraves. Aux divorces incessants vint s'ajouter le
célibat, un célibat systématique et
général.
En face de ce fait,
qui
menaçait son avenir, Rome prit peur. Si les questions
de moralité ne l'émouvaient guère, la
question de prospérité, question de vie ou de
mort, l'ébranla. Elle fit la loi Julia; elle
promulgua la célèbre loi Poppia Poppoea; elle
promit des récompenses aux hommes de bonne
volonté qui prendraient femme; elle
décréta des châtiments contre les
célibataires obstinés. Peine perdue; rien ne
servit.
Ce n'est pas avec
des codes qu'on
réforme le coeur.
Si vous voulez
savoir, non pas ce
qu'était le bourbier romain, la plume se refuse
à l'indiquer; mais s'il vous plaît de mesurer,
ne fût-ce que par l'indifférence même
où de pareilles turpitudes laissaient les
honnêtes gens, la profondeur du mal et son action sur
l'âme, lisez Caton, Cicéron, Auguste, ce qu'ils
disent des courtisanes, quelles moeurs les trouvent sans
indignation; vous aurez rencontré de nouveau la
Grèce, Socrate, Platon, et toute cette classique
atmosphère saturée de miasmes
empoisonnés.
Le théâtre avec ses
obscénités, les cirques et Murs lâches
égorgements, les bacchanales, les lupercales, les
fêtes ignobles des dieux impurs achevaient de ruiner
ce qui. pouvait rester de sens moral.
Aussi la nation tout
entière glisse-t-elle sans étonnement vers les
gigantesques débauches, vers les débordements
inouïs des familles impériales. Nous-mêmes
nous en sommes à peine surpris. Le souper que
Tigellinus donne à Néron n'ajoute rien aux
abîmes creusés par la dégradation
universelle dans les habitudes et dans les
coeurs.
Et ce monde fangeux
est un monde
profondément triste. Après avoir
cherché un refuge dans le célibat, il en
cherche un dans la mort; le nombre des suicides
s'accroît avec une effrayante
rapidité.
Une fois les liens
de la famille
rompus, une fois la conscience et le devoir arrachés
à la vie humaine, que reste-t-il?
L'homme ne se passe
ni d'aimer, ni
d'être aimé, ni de bien faire.
Ce qu'on appelle
plaisir ne le
séduit pas toujours.
Alors viennent les
réactions philosophiques elles ne manquèrent
pas à Rome, - alors paraissent les sages, qui
répètent les maximes du vieil
égoïsme païen sur l'inconvénient de
trop aimer, de trop regretter, d'être trop en
vie!
On cherche la paix
par
l'abstention, le bonheur par la mutilation; on coupe, on
déracine, on détruit jusqu'aux derniers
vestiges de la tendresse; le sol était
souillé, on le fait aride; où il y avait un
marais on met un désert.
Et l'âme ne s'en
porte pas
mieux, et tout sonne sec et faux dans cette
société finie.
Elle ne renaîtra que
lorsque
l'Évangile viendra.
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