Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Lettre à quatre Proposants élèves de César Malan.

La véritable charité. - La douleur et l'indignation sont légitimes en face du mal et de l'erreur. - Il ne faut pas plus tolérer l'ennemi domestique que l'étranger.

Genève, 25 avril 1828.

(1) « MESSIEURS,

« En relisant la copie de ma dernière lettre - remise par vos soins à quelques-uns de mes amis - j'ai été surpris de constater combien, en employant un style trop satirique, j'étais demeuré au-dessous de l'importance du sujet et de la force des choses que j'avais à vous dire. Je crois donc devoir aujourd'hui, vous les répéter avec plus de gravité et dans un moment où on ne pourra pas supposer que je manque de calme et de réflexion. Je dis répéter, car il n'y a malheureusement rien que de très vrai dans toute ma lettre, et je suis aussi loin de retrancher ce que j'ai pu vous écrire, que de retrancher les principes contenus dans la méditation (2) que vous n'avez pas rougi d'attaquer ; d'ailleurs, vous ne méritez pas d'être traités avec moins de sévérité, et quand j'aurais eu tort de vous parler sur ce ton, ce ne serait certes pas vous qui auriez le droit de vous en plaindre.

« Le mal, suivant la nature et les dispositions de notre esprit, excite en nous la douleur, l'indignation ou l'esprit de satire ; ce dernier paraît appartenir plus particulièrement au vieil homme, et, bien qu'on en trouve quelques traces dans plusieurs passages des Ecritures et qu'il puisse paraître très excusable dans bien des occasions, il convient peu à un chrétien; et pour mon compte, je ne crains pas de le désavouer autant de fois que je puis m'y laisser aller. La douleur provoquée par la vue du mal est, au contraire, un sentiment éminemment chrétien ; c'est celui qui devrait dominer en nous toutes les fois que nous portons nos regards sur les maux qui règnent dans le monde, et surtout sur les plaies de la fille de Sion. Bien que d'avoir dit cela m'ait attiré, de votre part, d'amers reproches et d'insultantes railleries (héraclite, trapiste...), je ne crains pas de vous avouer, de nouveau, que je suis bien souvent attristé de tout le mal que je ne puis m'empêcher de voir en vous (collectivement), et surtout de celui que vous faites et que vous ferez encore, si Dieu ne vous montre une meilleure voie ; c'est dans cet esprit qu'une grande partie de ma lettre a été écrite, en particulier ce qui vous concerne vous, messieurs les Proposants ; c'est dans ces sentiments que je vous dis : « Il est triste de voir des jeunes gens de quelque espérance ... 1 vous faites là, mes amis, un triste apprentissage..., je me demande à quoi vous serez bons ?... et ailleurs : Oh Jésus, est-ce là ton Eglise ! »

« Quand le mal devient trop grand, et surtout quand il est fait avec ostentation, et qu'au lieu de s'en repentir on le justifie avec impudence, la douleur n'y suffit plus et fait place à l'indignation. Ce sentiment, très légitime en lui-même, peut sans doute devenir un péché s'il dégénère en violence, car la colère de l'homme n'accomplit pas la justice de Dieu ; mais je suis si loin de regarder l'indignation comme un péché que, quand je sens diminuer en moi celle que j'éprouve à la vue de certaines choses, je m'en humilie devant Dieu comme d'une grande infidélité. Le nombre de ceux qui pèchent en ne s'indignant pas est bien plus grand que le nombre de ceux qui pèchent en s'indignant trop ! Or, si l'indignation est un sentiment naturel et légitime, pouvait-il être excité plus justement et plus vivement qu'il ne l'a été par votre démarche ?

Depuis plusieurs années, mon coeur est affligé de la marche d'un homme qui, par sa vanité et son ambition, ainsi que par la raideur et l'exclusivisme de ses principes est, au dehors, une occasion de scandale en faisant clamer la voix de la vérité, tandis qu'au dedans il asservit ou déchire l'Eglise de Dieu et mutile ou corrompt la sainte Doctrine de l'Evangile. Je vois tous ces maux prêts à se centupler par la fondation d'un séminaire dans les principes de cet homme et sous sa direction ; je m'étonne de la tiédeur des chrétiens qui ne protestent pas hautement de tous côtés contre un tel état de chose, pour moi, je songe à le faire franchement..., et c'est dans ce moment même qu'il faut que je voie un écrit tout simple et dont tous les lecteurs sont édifiés, attaqué et interdit du haut de la chaire par ce même homme ; et il faut encore qu'à ce sujet je reçoive de ses écoliers une lettre dans laquelle, au milieu des accusations les plus absurdes, les plus outrées, et des chicanes les plus subtiles, je trouve une dégoûtante profession de mondanité ; où la doctrine et l'exemple de Jésus sont couverts de ridicule, et où l'on pousse le délire jusqu'à me sommer de rétracter, comme erronés, anti-évangéliques et dangereux, les principes les plus purs et les plus chrétiens ! ! ! Ah ! certes, c'était combler la mesure, c'était bander l'arc jusqu'à le rompre ; si vous étiez moins aveugles, loin d'oser vous plaindre de la sévérité de ma réponse, vous béniriez le Seigneur de ce qu'il n'est rien arrivé de pire !... Il faudrait qu'un chrétien eut le sens bien étrange pour être plus scandalisé de ma lettre que de la vôtre.

« Si M. Malan est maltraité dans ma réponse, c'est que je suis bien convaincu qu'il n'est point étranger à tout ceci et que d'ailleurs, comme je vous l'ai dit, il est responsable des fruits que portent son exemple et ses principes. Sans doute, j'aurais pu lui adresser des reproches beaucoup plus graves que la plupart de ceux que j'ai choisis, ou plutôt trouvés sous ma main. Je sais bien aussi que si je présentais un tel tableau de M. Malan à des personnes qui n'auraient jamais entendu parler de lui, ce ne serait pas en donner une idée juste, parce que le portrait est fort incomplet, dans ce cas je devrais, comme je l'ai toujours fait, reconnaître le bien que M. Malan a fait dans un temps, et tout ce qu'il y a de bien en lui, malgré son état actuel d'égarement et de chute, mais je n'ai pas cru devoir prendre cette précaution avec vous ; on n'est que trop porté, autour de lui, à l'admirer et à l'approuver en tout et par tout, et je ne crains pas de dire que ceux qui l'encensent aussi bien que ceux qui le supportent trop sont ses vrais ennemis, et qu'il serait fort à désirer pour lui-même que chacun le traitât comme moi jusqu'à ce qu'il eût ouvert les yeux. Au reste, je n'ai rien dit de lui qui ne soit évident et que je ne sois prêt à répéter, s'il le faut dans des termes différents ; il est certain que les dons qui lui ont donné le plus d'éclat sont, en général, purement naturels et même très superficiels, l'ascendant qu'il exerce sur plusieurs personnes est plus charnel que spirituel, il y a beaucoup de prestige et d'illusion dans l'impression qu'il produit. Il est incontestable qu'une fois ce charme détruit on est confus de ce qu'on a éprouvé, et peut-être de ce que l'on a dit et fait ; un grand nombre de personnes en a fait l'expérience : les témoins ne me manqueraient pas si je devais en produire.

« On a peut-être été surpris de ma phrase au sujet du monopole de librairie: je n'ai, ni dit, ni voulu dire, qu'il le fît, mais seulement qu'il s'en donnait l'air. Certainement, un homme qui lance des anathèmes contre tous les ouvrages religieux qui existent ou qui paraissent, et qui ne cesse d'en publier lui-même, donne largement lieu à un semblable soupçon ; et si on donne d'autres raisons de sa conduite, elles ne sont pas beaucoup plus à sa louange. En ce qui vous concerne, je ne crois pas vous avoir rien dit qui ne soit très juste et très mérité ; si je vous ai reproché en particulier d'affecter dans la discussion le ton et la manière des séminaristes catholiques romains, c'est qu'en effet tout ce que je vous ai écrit là-dessus pourrait vous être fort utile si vous saviez en profiter. Quant à votre lettre, sans parler de son contenu, la grossièreté avec laquelle vous la terminez ne méritait pas, de ma part, beaucoup d'égard.

« Je n'ignore pas que si ma conscience pouvait le permettre, il me serait plus avantageux de tout souffrir en silence, même de votre part, mais je dois aux intérêts du Règne de Dieu, je vous dois à vous-même de ne pas souffrir le ton sur lequel vous débutez. Certes, du train où vous parlez, où iriez-vous si vous ne trouviez point de résistance ?... Vous n'en rencontrez malheureusement pas partout OÙ vous devriez en rencontrer ; j'espère au moins qu'aussi longtemps que vous suivez cette malheureuse voie et qu'il me restera un souffle de vie, je vous serai comme une muraille d'acier sur votre chemin.

« Croyez, Messieurs, qu'il me serait bien plus doux de vous tenir un autre langage et de manifester d'une autre manière l'affection sincère que j'ai pour vous tous et pour tous ceux qui pèchent, en partie au moins, par aveuglement et par ignorance. Croyez qu'il m'est bien pénible d'avoir à lutter contre ceux avec lesquels j'espérais combattre comme compagnon d'oeuvre, mais je ne dois pas plus tolérer l'ennemi domestique que l'étranger, et il ne dépend pas de moi d'avoir la paix avec vous tous.

« Puisse le Seigneur nous la donner bientôt pour sa gloire, pour l'édification des âmes et pour notre propre joie. Amen.

« Votre dévoué serviteur pour l'amour de Jésus-Christ. »

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Deux lettres à un étudiant en théologie. (3)

 

Ne pas s'éloigner de la simplicité et de la fermeté de la foi. - « Si ce que le vous ai enseigné n'est pas l"Evangile, il n'y a point d'Evangile. » - La Bible est-elle la parole de Dieu ?

 

Genève, le 25 mai 1828.

 

« MON CHER F...,

« Après les affligeantes lettres que M. Dumont a reçues de vous, je ne croyais pas devoir rompre le premier le silence que vous avez cru garder avec moi... mais sentant mon corps s'affaiblir de jour en jour et ayant tout lieu de croire qu'il ne me reste que peu de temps à passer ici-bas, je dois, avant que ma main soit glacée par la mort, vous adresser un dernier avertissement et vous dire ce que j'éprouve à votre égard.

« Il est bien pénible sans doute de se voir à trente ans usé et flétri comme un pauvre vieillard. Cependant, Dieu sait que je suis loin de regretter la santé et les forces que j'ai perdues à son service et que je puis me réjouir de toutes les fatigues et de toutes les privations qui ont abrégé mon existence dans la certitude que mes travaux n'ont pas été sans fruits et que plusieurs âmes ont été par ce moyen liées au faisceau des vivants... Mais fallait-il, ô mon Dieu ! qu'un de ceux pour qui j'ai usé ma vie, un de ceux qui me donnaient le plus de joie, sur qui je fondais le plus d'espérances, celui que j'aimais le plus de tous les chers enfants que tu m'as donnés... fallait-il que celui-là même plongeât dans mon coeur un dard empoisonné et remplît d'amertume la coupe de mes derniers jours !...

« 0 F... ! plût à Dieu que vous fussiez encore un berger des Alpes et que votre coeur appartînt encore à Jésus !

« 0 mon cher ami, au nom de l'affection que vous m'avez longtemps témoignée, au nom des heureux jours que nous avons passés ensemble au milieu des rochers et des glaces et sous l'humble toit des alpins, lisez ces lignes de la main défaillante de celui que vous appelâtes votre père et qui s'appelle encore votre ami ; votre meilleur ami ! ...

« Mes forces ne me permettent pas de vous faire de longs raisonnements, d'ailleurs quels raisonnements pourrait-on employer pour éclairer un esprit qui a laissé s'obscurcir pour lui la lumière divine ?... à quoi pourrait servir la lueur d'une faible lampe à celui qui a bronché et qui tâtonne en plein midi, après avoir été réveillé et réjoui des doux rayons de l'Orient d'en-haut ? Je n'ai, mon cher ami, qu'un seul mot à vous dire. Je ne suis pas un homme à préjugés. Je crois être, sans employer peut-être le jargon prétentieux de l'école, aussi philosophe que ceux qui y entrent ; je n'ai pas toujours cru à la révélation, et à présent encore je puis, et trop facilement peut-être,me placer en dehors de l'Evangile pour l'examiner. Or, ce dont je suis de jour en jour plus convaincu : ce qu'on ne peut nier sans manifester le plus stupide aveuglement ou la plus insigne mauvaise foi, c'est que Si CE QUE JE VOUS AI ENSEIGNÉ N'EST PAS L'EVANGILE, IL N'Y A POINT D'EVANGILE.... Jésus-Christ est un imposteur et les chrétiens de toute espèce de misérables dupes... Nous n'avons aucune lumière, aucune vérité.... nous n'avons aucune raison d'attendre une vie à venir.... nous sommes encore sans espérance et sans Dieu au monde..., il ne reste plus alors qu'à dire avec l'Epicurien : mangeons et buvons car demain nous mourrons : Alors le saint ministère n'est plus qu'une misérable jonglerie et le prédicateur, quel qu'il soit, n'est plus qu'un fanatique ou un méprisable tartufe, le dernier, le plus vil des êtres !...

Serait-ce là, ô F..., la carrière que vous vous proposez de suivre ? et après avoir eu la douleur de vous voir faire naufrage quant à la foi contre les brisants d'une science faussement ainsi nommée, aurai-je celle encore plus grande de vous voir jouer ce rôle hypocrite, prêchant pour de l'argent et un vain titre, une religion de pure convenance sociale, une doctrine sans fondement et à laquelle en conscience vous-même ne pouvez croire? Faudra-t-il que je vous voie, couvert d'une peau de brebis, ravager, en vrai loup ravissant, les troupeaux de Jésus-Christ et tourner lâchement contre vos bienfaiteurs les armes qu'ils vous ont mises en mains pour la défense de l'Evangile ?... Mais non, je ne le verrai pas... mes yeux seront fermés à la lumière de notre faible soleil et le voile épais de la mort me cachera les tristes scènes de ce monde... Mais peut-être aussi le Seigneur notre Dieu aura-t-il compassion de vous et se souviendra-t-il de mes ardentes prières... Le Dieu de sainteté qui prépare mon âme pour le royaume où rien d'impur ne doit entrer, trouve bon de crucifier en moi tout ce qui appartient au vieil homme... Je me complaisais dans la force et l'activité de ma jeunesse et maintenant ma vigueur se change en sécheresse d'été, ce corps robuste se consume lentement et refuse de répondre à l'activité de l'esprit qui l'anime encore... Je me complaisais aussi dans les bénédictions que le Seigneur avait daigné répandre sur mon ministère et j'y trouvai une compensation trop charnelle de mes fatigues et de ma souffrance, et maintenant Dieu permet que le souffle empoisonnant de l'incrédulité et de l'orgueil ait fané comme en un matin la plus brillante fleur de ce champ pour lequel j'avais tant travaillé ! ... 0 Seigneur, que ta volonté soit faite ! Frappe, humilie ton indigne serviteur, mais épargne, ô mon Dieu, ces âmes immortelles que tu as rachetées à si grand prix !

« Oh ! si je pouvais espérer qu'après m'avoir humilié par votre déplorable chute, notre Dieu daignera, quand je ne serai plus, quand je ne pourrai plus m'en enorgueillir, vous rappeler d'entre les morts et vous renouveler à repentance... Ah ! si un jour vous voyez se flétrir cette fleur de jeunesse dont vous êtes peut-être si vain ; si vous sentez votre corps s'affaiblir et se dessécher, consumé par la maladie ; si vous voyez la pâle mort s'approcher de vous et couvrir d'un sombre voile toutes vos espérances pour ce monde.... ô mon ami, votre orgueilleuse incrédulité vous donnera-t-elle de la joie, vous fournira-t-elle des consolations ? Ah si alors le divin Sauveur que vous avez si follement abandonné daigne vous tendre une main secourable, vous l'arroserez de vos larmes et direz en vous frappant la poitrine : Seigneur, je ne suis pas digne d'être appelé ton fils !

« Cher ami, si le lumignon fume encore, si votre coeur n'est pas encore entièrement fermé aux douces influences de l'amour qui nous unissait en Jésus..., je recevra! avec joie de vos nouvelles.... mais si vous n'avez rien de meilleur à m'écrire que ce que vous avez écrit à nos amis de Mens, épargnez-moi cette dernière douleur... ô mon cher F..., faudra-t-il que je descende au sépulcre sans emporter la douce espérance de vous retrouver dans la Jérusalem d'en-haut ! 0 F..., mon coeur se déchire ! Recevez donc, vous que j'ai tant aimé, recevez mes derniers, mes éternels adieux !...

« Votre ami affligé et souffrant...

II

 

Genève, 11 juin 1828.

 

« MON CHER F...,

« La lettre à laquelle vous venez de répondre est la dernière que j'aie pu écrire de ma propre main ; je continue à être plus faible, quoique moins souffrant. On m'ordonne les bains de Plombières (département des Vosges) ; j'espère m'y rendre incessamment. On regarde ces eaux comme très salutaires pour les affections du genre de celles qu'on me suppose, mais si le Seigneur ne juge pas à propos de bénir ce moyen, j'espère qu'il me donnera de trouver en tout temps sa volonté bonne, agréable et parfaite, et que me soutenant par sa grâce, il sera glorifié en mon corps, soit par la vie, soit par la mort.

« Je suis vivement touché, mon cher F..., des sentiments affectueux qu'exprime votre lettre, mais je dois vous avouer qu'elle me rassure peu sur votre état spirituel, et qu'en particulier j'ai été bien peiné de la manière dont vous parlez de quelques personnes auxquelles vous devez certainement du respect et de l'affection et qui ne veulent que votre plus grand bien ; je comprends toutefois que vous ayez pu vous exprimer ainsi dans l'idée que vous aviez été l'objet d'injustes préventions et de rapports exagérés ; aussi, je me hâte de rectifier votre opinion à ce sujet. Je dois vous dire d'abord que M. Dumont ne. m'a jamais, qu'il me souvienne, parlé de vous dans ses lettres, et que longtemps avant celles que vous lui avez adressées, j'avais déjà ouï dire, de toute autre part que de Mens, qu'on observait un changement fâcheux dans la direction de vos idées, que vous n'apportiez plus qu'un esprit de dispute dans les réunions d'édification de vos amis, et qu'on croyait remarquer en vous plus de présomption, et moins de simplicité dans vos moeurs. La dernière de vos lettres m'avait déjà inspiré quelques craintes à votre sujet, et c'est en conséquence que je vous écrivis assez longuement sur le danger de mettre trop d'importance à ce qu'on appelle dans le monde études théologiques. Depuis lors, on m'a communiqué la première de vos lettres à M. Dumont (l'original lui-même) et une copie de la réponse, selon moi très sage, qu'il vous avait faite. (Toutefois, ce ne fut pas M. Dumont qui me l'adressa, et il ne m'écrivit rien à ce sujet). J'ai appris plus tard que vous paraissiez avoir assez mal reçu cette lettre et qu'après un assez long silence vous y aviez répondu d'une manière peu satisfaisante.

« Voilà, mon cher ami, la source de mes inquiétudes à votre égard et il n'était pas besoin que j'en apprisse davantage pour vous croire déjà bien éloigné de la simplicité, et de la fermeté de la foi dans laquelle je vous avais vu. Quand après avoir connu, éprouvé, enseigné soi-même tout ce que l'Evangile a de plus puissant, de plus réel, de plus vivant, on envient à remettre en doute et même à attaquer comme vous le faisiez, dans la première lettre à M. Dumont, ses doctrines vivifiantes, cela marque certainement une fâcheuse aberration de la lumière divine dans une âme et cela peut s'appeler dans le langage de l'Ecriture : avoir oublié la purification de ses péchés passés ; et certes, il n'est pas besoin d'être pusillanime pour être alarmé à la vue d'une semblable lettre, sur l'état d'une âme que l'on a cru affermie dans la vérité... La réponse de M. Dumont n'annonce nullement un esprit étroit, un homme exclusif qui se donne soi-même pour un point de comparaison, comme le pivot sur lequel tout doit tourner, et hors duquel il n'est aucun mouvement certain ni régulier, comme la pierre de touche de toute vérité, etc.

« Sa lettre me paraît très sage, très bien raisonnée, et absolument telle que j'aurais voulu l'écrire moi-même, et si au lieu de sentir la justesse de ses observations, et de les recevoir avec reconnaissance, vous en avez été blessé, si vous les avez regardées comme le résultat d'un esprit d'intolérance et d'exclusion, et si vous y avez répondu d'une manière peu satisfaisante, si à présent encore au lieu de reconnaître avec franchise et humilité que vous aviez écrit ces choses dans un moment pénible d'incertitude, d'agitation et de doute, que vous avez manqué de vigilance, de persévérance dans la prière, et d'une sage défiance de vous-même et des hommes habiles à séduire ; si, au lieu d'avouer que vous avez inconsidérément affligé vos amis, vous vous bornez à vous plaindre avec amertume des craintes qu'ils ont manifestées, et si vous paraissez encore prévenu contre eux, comment puis-je être rassuré moi-même sur l'état actuel de votre esprit et de votre coeur ?

« Pour toute âme sérieuse et qui cherche la vérité, la première question à résoudre est sans doute celle-ci : Dieu a-t-il parlé ? Ou en d'autres termes, la Bible est-elle bien la parole de Dieu ? Ici chacun peut, ou plutôt chacun doit user avec la plus grande indépendance du droit d'examen, et ne se donner aucun repos qu'il n'ait trouvé la solution de cette question importante. Une fois cette vérité établie : Dieu a parlé, la seule question qui reste, est : Qu'a-t-il dit ? Ici encore chacun doit, avec la plus grande liberté, examiner lui-même ce que Dieu a dit, c'est-à-dire étudier dans un esprit de foi, de soumission et de confiance, la parole de Dieu. Mais si entre ces deux questions on en pose une troisième et qu'on demande à la raison humaine: qu'est-ce que Dieu DOIT avoir dit ? Si on se permet de choisir, d'admettre, de rejeter, d'interpréter, de tordre les déclarations les plus claires de la Sainte Ecriture pour la mettre en harmonie avec ce qu'on appelle les lumières de la raison, c'est là un abus criant du droit d'examen. C'est pourtant ce que font bon nombre de docteurs de notre siècle, - qui font même consister en cela les prétendus progrès de la théologie, et qui semblent ne réclamer le droit d'examen que pour en faire cet usage téméraire et illégitime ; et c'est ce que vous-même paraissez faire dans votre première lettre à M. Dumont.

« Je serais plus affligé que surpris si un chrétien, après avoir connu, comme vous l'avez fait, les vérités de l'Evangile, en venait à éprouver quelques doutes quant à la première question : La Bible est-elle la parole de Dieu ? et s'il croyait devoir faire de nouveau de cette question l'objet de son examen. Mais je ne puis concevoir qu'il puisse jamais remettre en question si les doctrines que nous appelons fondamentales sont bien réellement celles que l'Esprit de Dieu fait ressortir de toute part dans les livres sacrés.

« Je ne me flatte point d'être moi-même à l'abri de toute espèce de doute et dans certains moments je puis repasser de nouveau avec plaisir les preuves de l'authenticité de la révélation, mais s'il était possible que je cessasse d'y croire; et que je ne visse pas plus l'intervention divine dans la rédaction de la Bible que je ne la vois dans le Coran ou dans le Zend-Avesta, je n'y verrais pas moins toutes les doctrines que j'y ai vues jusqu'à présent...

« Si un homme- judicieux, après avoir admis l'Evangile rencontre dans ce livre non pas seulement des choses qu'il ne peut comprendre, mais des choses qui le heurtent et qu'il ne croit pas pouvoir admettre, sa foi en la révélation en sera ébranlée jusque dans ses fondements, et si de pareilles rencontres se répètent fréquemment, il finira peut-être par rejeter entièrement la Bible, ou plutôt s'il agit sagement, il examinera de nouveau la première question : Est-il bien vrai que la Bible soit la Parole de Dieu ? mais il ne cherchera pas à élaguer, à atténuer, à dénaturer par des interprétations subtiles et forcées ce qu'il voit si clairement et si fréquemment exprimé dans ce Livre. S'il prend ce dernier parti, il est à craindre qu'il ne soit influencé peut-être à son insu par l'intérêt qu'il peut avoir à conserver l'extérieur du respect et de la soumission à une religion révélée. C'est peut-être pourquoi cette dernière classe, si peu nombreuse parmi les laïques qui ont examiné par eux-mêmes, se compose principalement de ces ecclésiastiques qui cherchent avant tout dans le ministère une existence sociale honorable.

Privés de la lumière de l'Esprit de Dieu, ne pouvant ni comprendre les vérités sublimes de l'Evangile, ni en sentir la puissance efficace, regardant comme impraticables les renoncements et les devoirs qu'il nous impose, ne pouvant surtout se résoudre à charger cette croix de Christ qui est folie et scandale au monde, et n'osant cependant attaquer en face l'Evangile dont ils se disent les ministres, ils minent sourdement sa base, ils en évident tout l'intérieur, conservant seulement le comble et la façade comme un abri, ou plutôt comme un masque qui leur est encore nécessaire. Telle est la marche oblique de ceux que nous appelons les néologues, tel est l'art odieux qu'ils enseignent avec tant de subtilité dans leurs Académies. Est-il possible, ô mon cher F... ! qu'un chrétien qui a goûté le don de Dieu puisse être en aucune manière séduit par de tels docteurs, et qu'à la vue de pareilles choses il puisse éprouver d'autres sentiments que ceux de la plus vive indignation, de la douleur la plus profonde et du plus souverain dégoût ?

Est-il possible qu'entouré de semblables ténèbres, il ne se sente pas porté par cela même à bénir mille et mille fois le Seigneur qui l'a fait passer de ces ténèbres à sa merveilleuse lumière, qui lui a donné, à lui, des yeux pour voir, et qui a daigné lui révéler, à lui chétif, ces choses qu'il a cachées aux sages et aux intelligents ? Est-il possible que sa foi ne soit pas fortifiée en voyant s'accomplir sous ses yeux d'une manière si frappante, si littérale, ce qu'il lit tous les jours dans les livres sacrés, de la folie, de l'orgueil et des ténèbres qui règnent dans le coeur de ces hommes sages aux yeux du monde, mais étrangers à la vie de Dieu ? Est-il possible, enfin, qu'il ne se sente pas dévoré par le zèle de la maison de Dieu, pressé du besoin de s'unir plus étroitement à ses frères et de prier ardemment avec eux pour les pauvres aveugles qui l'entourent et pour ceux qu'ils égarent, et surtout pressé du besoin de rendre témoignage à ce Divin Sauveur, méconnu et blasphémé... » (4)

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1. Candidats en théologie.
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2. Sur le lVe chapitre de Saint Jacques.
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3. Ce jeune homme devait sa conversion et son orientation vers le saint ministère à Neff qui, de son côté, l'aimait comme un fils. Après l'avoir eu comme collaborateur dans les Hautes-Alpes, Neff lui facilita l'instruction en l'envoyant à Paris, puis à la Faculté de théologie de Montauban.
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4. La lettre se trouve coupée ici.
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