Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Les relations de Neff avec André Blanc.

§ 1. Lettre d'André Blanc. - Réponse à des reproches et critiques reçus de Neff. - Quelques critiques adressées à Neff.

 

Mens le 22 mars 1824.

A M. Félix Neff, ministre protestant, à son passage à St-Laurent-du-Cros, en Champsaur, chez M. Martin Dupont.

 

« TRÈS CHER AMI,

« Je viens à mon tour vous accuser réception de vos lettres. Votre première du 8 de ce mois, qui me passe l'étrille sur le dos au point de faire venir le sang, m'a fait un peu froncer le sourcil ; mais à une seconde lecture, j'ai vu et me suis convaincu que vous avez raison et que j'ai tort sous plusieurs rapports mais non pas sur tous. Je « perds de belles heures » il est vrai, « et je serai obligé d'en rendre compte à celui qui m'a dit de racheter le temps ». Cependant, je vous prie d'observer que je ne sais et ne puis improviser en chaire, que par conséquent je dois composer et apprendre mes sermons, ce qui n'est pas bagatelle puisque depuis longtemps je ne me couche que vers deux heures du matin. Il m'est impossible de courir çà et là comme vous; la semaine passée, j'ai pris un bon rhume pour être allé voir un malade à Menglas ; et quand je serai moi-même malade et au lit, qui vaquera au service ? Vous dites que je ne manque pas de prudence selon le monde et que je suis trop timide pour le spirituel : cela est vrai ; mais convenez que si nous faisions un mélange de nos deux caractères, nous serions un peu plus ce que nous devrions être tous les deux. Car vous avez souvent fait tort au règne du Seigneur par votre manque de prudence selon le monde ou pour les affaires du monde...

« Vous voulez un Référendaire (1) qui poursuive vos intérêts auprès du ministre, et selon vous il faut que Sa Grandeur, le garde des sceaux, dise à M. de la Fostelle : « Il y a là-bas, au fond du Queyras, un certain ministre, Félix Neff, qui vous prie de me prier de le faire naturaliser. » N'était-il pas plus simple d'écrire à M. Thomassin pour lui donner avis de ce que vous aviez fait et de ce que vous demandiez de lui ? Au reste, cher ami, vous ferez ce que vous voudrez, mais mon avis serait que vous fussiez aussi prudent que possible à l'égard de ceux qui ne reçoivent pas l'Evangile, afin que s'il arrive des obstacles et des persécutions, vous puissiez au moins vous rendre le témoignage que ce n'est pas votre faute. Lorsque je vous dis d'être prudent, je ne vous dis pas d'être lâche ni de trahir le Maître que vous servez et qui vous jugera. Je me réjouis bien en notre Sauveur des succès qu'il vous accorde dans les Hautes-Alpes ; ils vous aimeront et vous écouteront avec plaisir, mais, prenez garde cependant, qu'en les faisant entrer dans le bercail du Seigneur avec un fouet de poste, vous ne les effarouchiez pas. Ce sont des paysans et des montagnards, il est vrai, mais ne vous imaginez pas cependant qu'ils soient insensibles à des procédés délicats et polis. Je ne vous dis rien des troubles et des affaires de notre Mens, pour lesquels vous priez Dieu que cela ne finisse point, parce que toutes les fois que je vous en ai donné quelques détails, vous m'avez toujours appelé poltron et vous vous êtes toujours moqué de moi...

« Je ferai vos commissions aux différentes personnes qui vous ont écrit. Faites bien mes compliments à tous mes parents, ainsi qu'à M. Amard et Olivier-Maudhui, et à tous les principaux de Saint-Laurent. Tout le monde vous salue. Une autre fois je serai plus long, Clavel est là et attend votre lettre. »*

 

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§ 2. Pressentiments de Neff au sujet de sa naturalisation. - Le témoignage du chrétien doit soulever l'opposition. - Reconnaître ses torts. - Se revêtir de toutes les armes de Dieu. - Veiller.

 

Saint-Véran, le 17 juillet 1824.

 

« BIEN-AIMÉ FRÈRE EN JÉSUS-CHRIST,

« Je suis absolument sans nouvelles de Paris; cela m'étonne un peu, mais que puis-je attendre ? Bien que je ne sois pas de ceux qui voient tout en noir, je ne suis pas non plus d'un caractère très espérant; et c'est par principe que je m'attends au pire dans tous les cas douteux ; c'est le moyen de n'être jamais cruellement déçu. Pour la présente affaire (ma naturalisation), j'en doute chaque jour davantage ; car Satan ne doit pas avoir manqué d'intriguer en cela, comme en toutes choses ; et je serais moins surpris de voir arriver au premier jour un ordre de partir tout de suite de France, que de recevoir des lettres de naturalité. Mais je suis prêt à tout événement ; et si je ne peux faire entendre l'Evangile aux hommes blancs, peut-être que les sauvages du Madagascar ou des îles Sandwich le recevront mieux ; et si je ne puis partir comme missionnaire en titre, j'irai comme maître d'école plutôt que de rester les bras croisés dans cette Europe, si policée et si chrétienne qu'elle ne veut pas entendre parler de Jésus ; tout cela n'est cependant encore qu'un rêve, car jusqu'ici je prêche bien sans empêchement...

« Je ne suis pas fort étonné des jolis présents qu'on vous envoie et des compliments qu'on y joint. Ceci vous prouve qu'un chrétien est et doit être crucifié pour le monde et que le monde à son tour doit être crucifié pour lui. Je pense que vous reconnaîtrez maintenant l'illusion dont vous vous flattiez quand vous disiez en parlant de l'inimitié de vos adversaires (2), « quand tout cela sera fini », et que je vous disais que cela ne finirait pas, tant que vous resteriez fidèle ; vous ne vouliez pas le croire alors, il vous semblait que tout ce tapage tenait à d'autres causes qu'à la haine du monde contre Christ et qu'il n'était pas naturel que la vérité fût si mal reçue et demeurât toujours dans le mépris ; vous n'aviez pas bien pris garde à ce que nous prédit l'Evangile tout entier, vous trouviez la croix bien pesante ; et en jetant les fondements de la tour, vous n'aviez pas bien calculé ce qu'elle vous coûterait, aussi vous en étiez étonné et il s'en faut de beaucoup que vous soyez disposé à vous glorifier dans les afflictions (Rom. V : 3) ni à vous réjouir au milieu des épreuves (l Pierre I : 6). Vous me trouviez bien dur, ainsi que Bonifas, quand nous vous disions que cela n'était que des piqûres de mouches, qu'une croix de plumes. Ce que je vous en dis, cher ami, n'est pas pour vous faire des reproches, mais afin que vous reconnaissiez que vous aviez tort, et que c'était mal fait à vous de vous affliger ainsi ; car dans le temps vous vouliez toujours vous justifier et il n'y avait pas moyen de vous faire entendre raison, Or, quand on ne reconnaît pas son mal, on ne peut pas y chercher le vrai remède et on est toujours prêt à en devenir de nouveau la victime.

Comme il est plus que probable que nous ne sommes pas au bout, il convient de faire comme le sanglier de la fable, et de nous préparer au combat pendant ce petit moment de relâche. Ce n'est pas quand l'ennemi est devant une place qu'on peut aisément la fortifier ; il faut qu'elle soit déjà prête quand il arrive ; or, ce n'est pas quand on se flatte d'une longue paix, quand on la désire ardemment, quand on tremble à l'idée de la guerre qu'on peut bien s'armer et préparer une courageuse résistance. Veillons en tout temps, car le lion rôde autour de nous et il ne se contentera pas toujours de rugir. J'espère, mon cher frère, qu'actuellement vous pensez ainsi et qu'à l'avenir vous serez à même de fortifier les autres, comme vous y êtes appelé, au lieu de leur faire manquer le coeur par votre découragement. Eût-on la mort dans l'âme, il faut faire une bonne mine devant sa troupe. C'est ainsi qu'on se fortifie soi-même ; combien de fois cela m'est-il arrivé...

« Adieu, cher ami, que le Seigneur vous fortifie et fasse de vous un vaillant capitaine, dans sa milice sainte.

« Votre dévoué et très affectionné frère en J.-C. » (3)

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§ 3. Annoncer la Parole aux Ignorants. - Conduire les les âmes réveillées.

 

Arvieux, le 15 septembre 1824.

« Je vous ai dit dans plus d'une lettre que les fonctions du ministre de Christ ne se bornent pas à annoncer aux ignorants et aux endormis la Parole de vie et de vérité, mais encore à édifier, nourrir, conduire avec discernement les âmes réveillées, qui seules, à proprement parler, composent un troupeau.

« Il faut pour cela que le ministre ait lui-même de l'expérience spirituelle intérieure. Je ne sais si vous en avez acquis ; mais, pour l'ordinaire, vos lettres n'en font guère mention. Elles sont pleines, il est vrai, de témoignages de votre affection pour l'oeuvre de Dieu en général, et surtout (ce dont je ne puis que vous remercier bien affectueusement) pour ce qui me regarde moi-même. Mais quant à l'oeuvre de Dieu dans nos propres coeurs et dans le coeur de ceux qu'ils nous a donnés à paître, vous en parlez peu.

« Je crains toujours que le bruit extérieur vous absorbe, et que dans un certain sens, quoique spirituel, vous ne fassiez un peu comme Marthe. Rassurez-moi là-dessus, et que dorénavant nos lettres soient de part et d'autre plus directement édifiantes.

« Je vous prie d'excuser ma liberté: vous savez bien de quel principe elle part. »

 

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§4. Lettre d'André Blanc. - L'humilité chrétienne. La naturalisation de Neff.

 

Mens, 29 janvier 1825.

 

« TRÈS CHER FRÈRE EN NOTRE SAUVEUR J.-C.,

« J'ai reçu ce matin une lettre de M. Soulier et je me hâte de vous transcrire le passage qui vous concerne: « Je m'occupe de l'affaire de M. Neff, j'ai reçu de lui une lettre datée de Gap, le 11 courant, et une ampliation de la vocation que lui a adressée le Consistoire de Gap. J'ai vu M. de la Fostelle et lui ai communiqué les pièces. Il m'a dit que dans l'état où en était restée l'affaire de M. Neff, il lui était impossible de prendre l'initiative de la remettre sur le tapis, mais que, si tout autre que lui le faisait, il y consacrerait encore tous ses moyens. Vendredi prochain, s'il plaît au Seigneur, je me transporterai à la Chancellerie royale, je verrai où tout en est, puis je verrai M. le préfet de l'Isère et l'engagerai à faire quelques démarches à cet égard. Dites tout cela à notre frère M. Neff, car je ne lui écrirai que lorsque j'aurai quelque chose de nouveau à lui communiquer. » M. Dumont n'est pas encore nommé, mais cette affaire tire à sa fin. Le concours de Montauban a nommé celui qu'on redoutait le plus contre l'évangile pour le dogme. On ne croit pas que celui de l'histoire ecclésiastique fût contre la vérité. Venons à vos deux lettres d'Orpierre et de Guillestre :

« Que le juste me frappe, ce me sera une faveur. » (Ps. XLI). Quoique je sois loin d'avoir la foi de David, comme lui cependant je n'en aime que davantage ceux qui font assez de cas de moi pour me reprendre et m'exciter au service de mon Sauveur, pour lequel je suis malheureusement trop lâche. Je vous remercie sincèrement de vos conseils. Après vous avoir quitté, j'ai fait comme le conseillait le père Oberlin, j'ai secoué la bouteille, et si je n'y ai pas trouvé que j'étais trop quarré, je me suis convaincu que je pouvais me reprocher de la lâcheté et de la mollesse pour le service de mon Maître ; j'ai reconnu que je n'agis pas assez, que je perds très souvent un temps précieux, et que je ne saisis pas avec assez d'activité toutes les occasions de faire le bien. J'ai prié, cher frère, et je me propose, moyennant la grâce du Seigneur, d'être à l'avenir plus vigilant et plus actif. Je ne vais plus aussi souvent dans les mêmes maisons, je visite plusieurs familles et je me trouve quelquefois aux réunions de Payan, Duseigneur et Bonnet. Ma présence paraît leur faire plaisir et leur être utile. La foi et la piété de plusieurs de ces gens me font rougir de honte, ils sont tous plus avancés dans la connaissance du Seigneur que moi qui suis docteur en Israël. Leurs prières ferventes ont souvent ému mon coeur et fait couler mes larmes. Priez pour moi, cher ami, j'en ai besoin. Que le Seigneur veuille achever l'ouvrage que vous avez commencé dans le coeur de d'Aldebert.

J'ai reçu une lettre de lui et il me parle de vous avec intérêt, ce qui est une bonne marque. Je pense que l'apparition et les démarches de ce F. seront peut-être plus avantageuses au règne de Dieu qu'on ne l'imaginait d'abord. (4) Peut-être que sans la sottise de son collègue R., le nom du Sauveur ne serait pas si bien connu à Mens qu'il l'est actuellement, et qui sait si F. ne fera pas faire dans votre Consistoire ce que R. a fait faire ici. Pour que les Ecritures fussent accomplies et que Jésus pût mourir pour nous, il fallait un Judas ! Les voies de Dieu ne sont pas nos voies, adorons sa sagesse et allons en avant en invoquant son secours. L'avertissement amical que vous avez donné à d'Aldebert sur les projets perfides de F. l'auront prévenu en votre faveur. Entretenez avec lui quelque correspondance. Par la grâce de Dieu, les réunions de la veuve Anne du Roy *et de la maison de Jacques Philippe seront le levain qui fera lever la pâte. Je vous remercie de tout mon coeur du bien que vous avez fait à mon frère Antoine, continuez, je vous prie. Comme Bartimée il commence à voir quelque chose. Dans la dernière lettre que j'en ai reçu, il y a cette phrase qui donne à espérer de grandes choses : « Ah ! cher frère, je me croyais honnête homme et depuis le jour où je voyageai avec M. Neff, de la Roche à Briançon, je me reconnais non pour un honnête homme, mais bien tout à l'opposite ! (5)

« Je vous embrasse bien cordialement en Jésus-Christ. »

 

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§ 5. Les relations que doit rechercher un pasteur. - Comment un pasteur peut obtenir la confiance des âmes réveillées.
- Il ne faut pas se faire Illusion sur l'état spirituel de ses paroissiens et les flatter.
- Ne pas écouter les « rapports des ennemis ». - Humilité de Neff. - La légèreté.

 

Arvieux, le 15 mars 1825.

 

« MON CHER AMI ET FRÈRE EN JÉSUS-CHRIST, NOTRE SEIGNEUR,

« Je suis bien réjoui du bon effet que vous retirez de la fréquentation des frères et soeurs. Je savais bien que cela vous manquait et que le cercle étroit et peu vivant dans lequel vous vous renfermiez ne pouvait pas y suppléer. C'est parmi ceux qui ont de la vie que l'on en prend soi-même, d'ailleurs de loin vous ne pouviez juger qu'imparfaitement, et vous ne vous aperceviez pas combien il y avait de différence entre une soirée chrétienne et vos veillées de salon. J'espère que dans cette nouvelle atmosphère vous prendrez de l'accroissement et ferez des expériences et qu'ainsi vous pourrez bientôt obtenir la confiance des âmes réveillées, qui d'abord ne trouvaient en vous que peu de ressources.

En parlant d'expériences, il en est une que vous avez besoin de faire, non pour vous, mais pour les autres : c'est-à-dire que vous ne jugez pas toujours sainement de l'état des âmes, et comme c'est un point essentiel, je dois vous en dire deux mots. Ainsi, par exemple, je nie rappelle qu'un jour, chez Mme Duseigneur, vous parliez de Zénaïde en sa présence, disant que sa maladie lui avait été bien salutaire, et comme' a croyant bien plus avancée qu'auparavant. Je ne dis rien pour ne pas vous contredire, mais je la vis le lendemain et je ne connus rien de plus qu'auparavant ; de plus, m'en étant informé, on ne m'en dit rien de satisfaisant. Il faut s'informer des gens, car nous, ministres, ne les voyons guère sous leur vrai point de vue et risquons de les flatter mal à propos. Il me souvient qu'une fois, je vous demandai des nouvelles de votre confrère Benjamin B., dont on ne m'avait pas dit grand chose de bon, vous en parûtes étonné, et, lui rendant un excellent témoignage, vous l'excusiez de ce qu'il négligeait la fréquentation des amis. Il m'écrivit, je l'ai vu depuis et je me suis convaincu qu'il est très peu avancé intérieurement. De plus, on continue à se plaindre de lui. Il est très peu édifiant, ne parle jamais aux frères que de choses terrestres et ne va jamais aux réunions d'exhortation qui se tiennent chez son frère, dont il aurait autant besoin que personne. Vous avez pour lui une estime particulière et humainement il l'a méritée, mais il ne faut pas se faire illusion sur son état spirituel (6).

« Dans le même temps, vous me parliez mal du zèle d'Aimé du Loix. J'en fus très affecté pour vous-même ; car c'est un mauvais signe. Je pensai que ces rapports ne venaient que des ennemis ou des tièdes, et que vous étiez bien prompt à les écouter. D'ailleurs, si c'étaient des chrétiens qui eussent remarqué cela, ils auraient dû plutôt lui tendre secours que de le blâmer. Je me suis informé de tout cela en Trièves, et il n'y a rien de vrai que son dévouement. Je regarde ce jeune homme, quoiqu'il ait aussi ses défauts, comme la perle de votre Eglise. Ce n'est pas de son zèle qu'il faut lui faire un crime ; on devrait l'imiter et non le blâmer ; je crois devoir l'encourager de plus en plus, bien loin de le modérer par des conseils charnels. Je ne vous ai pas fait ces observations dans le temps, parce que je craignais que vous ne pussiez pas les porter encore. Mais je vous l'ai dit souvent : vous avez trop de sagesse charnelle, trop de calculs humains; car moi, qui en ai moins que vous, je passe parmi les bons frères pour un temporiseur achevé, et je reconnais que c'est malheureusement la vérité : je voudrais souvent passer entre les gouttes et tirer les marrons du feu sans jamais m'échauder les ongles.

Vous avez lu les journaux de Bott ; voilà ce que j'appelle un évangéliste, quoique je ne me sente pas le courage de suivre une semblable route. Aussi voyez les bénédictions qui reposent sur leurs travaux ! On voit bien que Dieu légitime leur vocation, méconnue des formalistes. Nous ne combattons qu'en lâches, derrière la contrescarpe, et couverts de boucliers ; et si quelque plume de flèche nous atteint malgré notre armure, nous crions au meurtre. Ceux-là combattent en rase campagne, à découvert, et sans aucune arme défensive ; et ils appellent coups de faveur les coups les plus graves ; ils n'y font pas même attention, et exhortent les frères à ne pas se laisser distraire de la seule recherche importante par ces événements purement extérieurs. Lesquels sont les plus fidèles et brilleront le plus à la droite de Celui qui a méprisé la honte et souffert la Croix ? Pour moi, toutes les fois que je lis ces relations, en voyant combien peu je suis digne de manier l'épée de l'Esprit et combien méchant serviteur je suis, je me sens porté à jeter le froc aux orties et à reprendre mon sabre d'artilleur !

« J'avais petite opinion de M. M. ; elle était trop légère pour être chrétienne ; vous aviez une fois de la peine à admettre que cette légèreté fût un vice, mais je suis bien sûr qu'en prenant de la vie, vous sentirez que c'est un vrai poison pour la piété ; c'est la légèreté qui éloigne tant d'âmes de la conversion, et qui en retarde tant d'autres dans la sanctification ; cette légèreté suffit pour expliquer la lenteur de la marche du règne de Dieu dans les contrées du Midi... La légèreté est pour moi un grand ennemi, et je ne m'y livre jamais sans m'en trouver bien mal ; vous avez aussi besoin d'y prendre garde, et c'est pourquoi je vous en parle un peu au long...

« Adieu, cher et bien-aimé frère. Puisse le Seigneur vous consoler, vous réjouir et vous fortifier par son esprit de grâce et de paix.

« Votre dévoué frère en Jésus-Christ. »


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§ 6. Dernière lettre, d'André Blanc à son « père, frère et vrai ami en Jésus-Christ. »

 

Mens, 25 janvier 1829.

 

« MON BIEN-AIMÉ PÈRE, FRÈRE, ET VRAI AMI EN JÉSUS-CHRIST,

« Mon âme a été délicieusement émue d'une vraie joie et d'une grande reconnaissance envers le Seigneur, notre Bon Dieu, en voyant votre écriture sur l'adresse de votre lettre. Mon excellent ami ! Que le Seigneur soit de plus en plus avec votre âme, qu'il vous donne la force, la joie et la paix de son Saint-Esprit, afin que vous puissiez combattre vaillamment et être victorieux jusqu'à la fin, jusqu'à ce que vous mettiez la main sur la couronne que votre maître vous a destinée gratuitement dès la fondation du monde. Courage, cher ami ; encore quelques pas et vous serez au bout de la course ; vous aurez atteint le but ; vous serez dans la Jérusalem céleste où il n'y aura plus de larmes, ni deuil, ni tentation, ni aucune douleur ; vous serez avec celui qui vous a aimé et sauvé.

Mon bien-aimé frère, bientôt vous serez avec le Seigneur, ce qui vous sera beaucoup plus avantageux ; vous retrouverez devant le trône de l'Agneau qui a été mis à mort et qui vit aux siècles des siècles, vos chers enfants spirituels qui vous ont précédé ; tous ceux que vous laissez sur la terre maudite à cause du péché vous rejoindront aussi quand les jours de leur pèlerinage seront accomplis. S'il plaît à Dieu, j'y serai aussi, mon cher et tendre ami, oui, nous serons tous avec vous lorsque vous vous présenterez devant le Maître pour lui rendre compte de votre administration et que vous lui direz : « Me voici, Seigneur, avec les enfants que tu m'as donnés. » Permettez-moi, mon très cher frère, de vous adresser deux demandes, et, je vous en prie, ne me les refusez pas : la première, c'est de prier pour moi, oui, cher ami, priez le Seigneur de me rendre plus actif que je ne le suis, qu'il me donne plus de foi et qu'il inonde mon coeur des douceurs divines de la paix ! Priez aussi pour ma femme, que l'esprit de Dieu la convertisse sincèrement et l'amène humiliée à ses pieds pour implorer le pardon de ses péchés ; demandez-lui qu'il fasse qu'elle s'occupe de la misère de son âme et qu'elle soit remplie de charité pour tout le monde. Priez aussi pour mes trois enfants, afin qu'ils soient de vrais enfants de Dieu en Jésus, notre tendre Sauveur.

Enfin, donnez-nous, à moi et à ma famille, votre bénédiction. Je ne vous demande pas de prier pour mon église, parce que je suis persuadé que vous le faites tous les jours. Je n'ose pas, cher ami, vous faire la seconde demande avec la même liberté, : je voudrais que vous me donnassiez, comme souvenir, le Nouveau-Testament que vous portiez dans votre poche, ou quelqu'autre bagatelle qui ait servi à votre usage ; ne vous moquez pas de moi, si je vous fais cette demande ; mais ayez de la condescendance pour ma faiblesse. Je trace ces quelques lignes avec un coeur oppressé et des yeux humides, non pas que je veuille vous retenir sur cette terre, mais j'aurais voulu vous voir encore une fois pour vous demander pardon des fâcheries que je vous ai causées par mon caractère brusque et souvent peu charitable. Veuillez me dire ou me faire dire que vous me pardonnez ; je n'en doute pas, mais j'aimerais le lire venant de vous. Je ne vous oublie pas dans mes prières. Que Dieu soit de plus en plus avec vous et votre tendre mère. Je vous embrasse de tout mon coeur tous les deux. » (7)

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1. Les Référendaires au Sceau de France étaient des officiers ministériels institués pour présenter et poursuivre les demandes relatives à la naturalisation, aux dispenses, rectifications d'état civil, etc.
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2. Neff fait allusion aux difficultés suscitées à Mens par les ennemis du réveil (voir page 76).
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3. Sauf le premier paragraphe, cette lettre est inédite et nous a été communiquée par le pasteur L. Marchand.
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4. il s'agit d'un individu profondément immoral qui voulait profiter d'une absence de Neff pour se faire nommer pasteur de St-Laurent-du-Cros (voir page 119), et qui y avait presque réussi.
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5. Voir page 147.
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6. Le passage inédit qui précède nous a été communiqué par le pasteur L. Marchand.
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7. Voir page 229 ce que Neff mourant lit répondre à cette lettre.
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