Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE V

Réveil de Mens.

(mai 1822)

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Neff n'était pas à Mens depuis cinq mois que déjà il voyait « l'aurore d'un beau jour ». Voilà l'aperçu qu'il donnait de son activité:

« Loin d'avoir le temps d'écrire, je n'ai pas toujours celui de prendre mes repas à l'heure, et je dois souvent dire comme le Seigneur : « Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père et d'accomplir son oeuvre. » Depuis quelques temps avant Pâques, j'ai été visiter presque tous les hameaux et villages de la paroisse, et je tiens presque partout des assemblées où l'on vient de fort loin après les travaux. Quand je suis à Mens, le soir, il y a toujours catéchisme et assemblée de chant, entrecoupée de lectures et d'explications que M. Blanc fait souvent... M. Blanc entre définitivement dans l'oeuvre; et en même temps le Seigneur travaille bien d'autres âmes, soit à la ville, soit à la campagne, surtout parmi mes catéchumènes... Parmi les grandes personnes, la Parole agit puissamment aussi ; il est peu de familles riches dans le bourg qui ne comptent une partie de leurs membres parmi les gens bien disposés ; deux ou trois seulement se sont manifestées contraires à l'Evangile. Dans le peuple, on constate moins de réveil proprement dit, mais beaucoup de bonnes dispositions ; plusieurs jeunes filles ne veulent plus danser ; et de cette affaire on ne danse presque plus. J'arrivai un dimanche au soir dans un petit village où il y avait un bal bien établi, mais peu nombreux ; après qu'on m'eut aperçu, chacun tira de son côté ; en un clin d'oeil, tout fut éclipsé ; et peu après on vint à l'assemblée. Chaque jour on découvre quelque âme travaillée qui pleure sur ses péchés. »

Expériences intimes

« Je fais de temps en temps de nouvelles expériences, qui m'apprennent à me défier de moi-même, à supporter les autres, et surtout qu'il faut combattre tout de bon quand on veut vaincre car, si l'on n'est pas persuadé qu'on peut tout en Christ, on ne fera jamais rien.

Je crois avoir remporté hier, sur mon coeur, une victoire, « qui vaut plus que la prise d'une ville » (1) et qui me met bien au large ; il n'est pas si cruel qu'on le pense de crucifier la chair : le premier coup ou plutôt l'appréhension est le seul mal ; mais ce n'est qu'un éclair.

C'est une vérité dont je souhaiterais de pouvoir faire bien souvent l'expérience, et que chaque disciple de Christ devrait avoir sans cesse présente à la mémoire, savoir : « que nous sommes vraiment libres, et que le monde est vaincu ».

Puissance

Il était de plus en plus soutenu et puissant. « Le Seigneur, dit-il, m'a donné pour la prédication une facilité, une force, une hardiesse dont je suis moi-même étonné.... il m'arrive souvent de faire plusieurs lieues de suite et cinq ou six services dans un jour, surtout le dimanche. Ici, toutes les visites de malades sont autant d'assemblées ; tous les voisins y viennent, surtout les femmes, pour y profiter de l'explication de la Bible et de la prière. Les ensevelissements sont des occasions de prédication. Je suis souvent occupé à instruire et à converser depuis cinq heures du matin jusqu'à onze heures du soir ; et tout cela sans que j'aie plus aucune toux, ni douleur de poitrine. »

La première conversion

Neff rapporte ici la conversion d'une de ses catéchumènes, « celle qui l'a le plus réjoui.... l'enfant premier-né à Christ parmi mes catéchumènes et même parmi les adultes.

« ... La fille de mon hôte, nommée Emilie (2).... une de mes catéchumènes assez intelligente.... était alors fort mondaine ; son adresse dans les ouvrages de femmes la faisait rechercher par les meilleures maisons, aussi était-elle de tous les bals, comédies, promenades et lectures frivoles. Tout ceci ne me faisait pas plaisir ; et ayant entendu parler d'une comédie qu'il s'agissait de jouer, je lui en manifestai mon mécontentement, assez pour l'empêcher de jouer. Mais, si elle obéissait, ce n'était pas de bon coeur ; et loin de goûter ma prédication, elle languissait que je fusse loin pour se livrer plus à son aise à sa mondanité. Elle assistait cependant régulièrement aux services publics et particuliers, et surtout aux leçons de religion que je donne le soir ; elle était toujours la plus intelligente, quoique sa bouche seule confessât la vérité ; et elle ne laissait pas de prendre de bonnes résolutions et de prier, comme je le leur recommandais, pour que le Seigneur lui fît connaître ses péchés.

- Les choses en étaient là, quand elle entendit mon discours du Vendredi saint ; elle fut frappée de ces paroles que je répétais souvent dans ma première partie : « Allez à Golgotha ; et là vous verrez combien vos péchés sont odieux. » Elle y alla effectivement, et pour la première fois elle lui dans les souffrances du Sauveur la terrible sanction de la sainte loi du Seigneur. Dans le même instant, l'amertume et l'angoisse s'emparèrent de son âme ; elle versa beaucoup de larmes pendant le service et elle en sortit, n'emportant que l'enfer dans son coeur, parce qu'elle ne voyait encore que ses péchés et non un Sauveur. Je ne la vis qu'une seconde dans la journée, et néanmoins je soupçonnai la cause de sa tristesse, qui ne faisait qu'augmenter malgré tout ce qu'elle voulait faire pour se distraire. Dans cet instant, elle maudissait le moment où elle avait demandé à Dieu la connaissance de son coeur ; et elle fut dans cet état, sans rien dire à personne, jusqu'au mardi matin. Je cherchais à lui parler, mais elle en fuyait l'occasion ; ses parents et ses amies se mettaient l'esprit à la torture pour deviner la cause de son affliction. Enfin, le mardi matin, je lui fis chercher des passages sur mon Testament.... tout ce que je pus lui dire ne parut lui faire aucun effet ; elle fut tout le jour fort triste, ce qui inquiétait fort ses parents ; à peine pouvait-elle parler ; elle fuyait la compagnie et ne mangeait presque rien.

« Le lendemain matin, elle me dit qu'elle était toujours de même ; et comme je la pressais de me dire au juste ce qui l'affligeait, elle finit par me dire en sanglotant : je suis trop orgueilleuse, je ne pourrai jamais être sauvée ! Je lui témoignai combien j'étais réjoui de lui voir cette connaissance de son coeur ; et je déroulai alors devant elle tous les trésors de la miséricorde divine en Jésus-Christ ; mais elle m'opposait toujours l'excès de son orgueil et de sa vanité ; elle ne pouvait croire à la bonne nouvelle...

« Je la laissai pour aller à La Mure, où je prêchai l'après-midi. Je tins le soir une nombreuse réunion à La Baume, près du Drac (3), chez le maire de la commune. Il ne resta pas un habitant du village à la maison, on apporta jusqu'aux petits enfants. De mémoire d'homme on n'avait peut-être entendu de prédication dans cet endroit, fort écarté des temples et des routes. Le lendemain, j'allai à St-Jean-d'Hérans, visiter une personne mourante ; puis je revins à Mens pour mon catéchisme...

« Je craignais de trouver Emilie au lit et ses parents bien fâchés. Quelle fut ma surprise, au contraire, de la trouver toute joyeuse ! « Oh ! que je suis heureuse ! » s'écria-t-elle, dès qu'elle m'aperçut, en venant au-devant de moi. « Vous ne m'avez pas laissée entre les mains d'un juge Qu'il est bon ! Oh ! qu'il est bien nommé, SAUVEUR ... Mais quelles angoisses, quelles souffrances le Seigneur a dû souffrir, lui qui a bu jusqu'à la lie ce calice d'amertume ! Je comprends maintenant ce qu'il voulait dire : Mon âme est saisie de tristesse jusqu'à la mort !... » Non seulement son langage était nouveau, mais son maintien et son visage étaient changés ; l'expression d'importance et de vanité avait fait place à celle de la modestie et de la douceur ; ce n'était plus la même Emilie. Mon premier mouvement fut de bénir le Père des miséricordes et l'Ami des pécheurs. Mais à peine avais-je ouvert la bouche pour la féliciter de cette grande grâce, qu'elle augmenta ma joie en me disant: « Je ne suis pas la seule.

« - Et qui ?

« - Louise... j'y allai hier, sitôt que j'eus éprouvé la délivrance de mon fardeau car je ne pouvais garder cela pour moi toute seule j'étais trop joyeuse!... Maintenant elle ne prie plus par obéissance ; je crois qu'elle a déjà trouvé la paix (4). »

Le Réveil

« Depuis un mois, écrit Neff, j'ai vu du réveil dans deux communes qui jusqu'ici avaient dormi du plus profond sommeil ; dans l'une d'elles, des enfants de neuf à onze ans ont été les premiers touchés, et cela par la seule visite d'une petite catéchumène de quatorze ans ; c'est Louise, amie d'Emilie... Le nombre des âmes converties augmente insensiblement ; et ce qu'il y a de plus admirable, c'est que, sans que je m'en mêle, ils se rapprochent les uns des autres et savent se découvrir mutuellement, quoique dispersés sur une grande étendue de pays. La plupart de ceux de mes catéchumènes dont j'avais bien auguré persévèrent et avancent dans la voie étroite ; et plusieurs m'ont devancé de bien des journées dans la foi, et surtout dans la sanctification...

« Le Seigneur me donne chaque jour une nouvelle force et une nouvelle activité ; il est difficile de se faire une idée de la liberté avec laquelle je parle à ce peuple ; surtout à celui de la campagne ; car je leur en dis vraiment plus que Saint Etienne n'en disait aux Juifs. Blanc s'y est mis aussi avec force et corrobore sa prédication par son exemple, et par le blâme qu'il jette noblement et publiquement sur sa conduite passée. »

Le témoignage d'André Blanc

Ce collègue s'exprime lui-même ainsi : « Environ cinq mois après l'arrivée de M. Neff à Mens, plus de cent personnes, la plupart chefs de famille, craignant qu'il ne partît parce qu'il n'était plus appelé à remplir ses fonctions de suffragant (le pasteur étant de retour), s'adressèrent au Consistoire pour le supplier de bien vouloir le retenir sous le nom de pasteur catéchiste, s'offrant de le payer de leurs deniers. Le Consistoire, faisant droit au désir des pétitionnaires, nomma M. Félix Neff pour son pasteur catéchiste le 11, juin 1822. Partout dans Mens et les environs, le nom de notre ami n'était prononcé qu'avec respect ; et peu s'en fallut qu'on ne le considérât comme un saint exempt de péchés, ce qui l'affligeait profondément parce qu'il voyait qu'on s'attachait à sa personne et qu'on n'allait pas à Jésus-Christ, qui seul, peut pardonner les péchés... Il me dit un jour avec un grand chagrin : « On m'aime trop, on me reçoit avec trop de plaisir, on me donne trop d'éloges ; assurément, on ne me comprend pas... »

« Doué de très grands talents naturels, ayant une élocution facile, une âme brûlante de l'amour du Sauveur, il prêchait plusieurs fois par jour sans répéter les mêmes discours ; c'était, au contraire, par des idées neuves, des peintures vives, des comparaisons frappantes qu'il commandait l'attention de son auditoire. Il rendait la Parole de Dieu si claire qu'on était étonné de ne l'avoir pas comprise plus tôt.

« Sa vivacité naturelle lui faisait quelquefois commettre des imprudences, mais il les reconnaissait aussitôt et en gémissait. C'était toujours avec reconnaissance qu'il recevait les observations qu'on lui faisait sur son caractère personnel ; mais, se tenant en garde contre toute prudence humaine, il n'écoutait pas les conseils qu'on lui donnait sur ses longues courses, ses pénibles fatigues d'esprit, sur le ménagement de sa santé... Tous ses instants étaient remplis. En hiver, il allait quelquefois avec des temps affreux, ayant de la neige jusqu'aux genoux, visiter ses paroissiens. Si ceux à qui il voulait faire connaître l'Evangile ne savaient pas lire, il entreprenait aussitôt la pénible tâche de leur apprendre à lire ; et c'était avec une patience et une douceur admirable qu'il leur montrait les lettres et leur faisait épeler les syllabes. Ses visites aux malades étaient très fréquentes. Il leur prodiguait les soins les plus affectueux ; il écoutait patiemment le long récit de leurs malaises, etc... Il les aidait de ses connaissances en botanique pour faire les remèdes ordonnés par le médecin, il allait même quelquefois chercher les plantes ou arracher les racines indiquées...

« Sachant que le coeur de l'homme est orgueilleux, plein de la bonne opinion de lui-même, et très facile à s'irriter, ce n'était jamais qu'avec la plus grande prudence et les plus sages ménagements qu'il abordait quelqu'un pour lui parler de l'Evangile ; il savait, avec beaucoup de tact, saisir les moindres occasions. C'était en racontant l'histoire de quelque personne pieuse, ou sa propre conversion, qu'il faisait sentir la nécessité de naître de nouveau. Mais cette prudence, ces sages ménagements ne l'empêchaient pas de parler avec force à ceux qui ne marchaient pas droit devant Dieu... »

Est-il étonnant que Dieu ait béni un tel ouvrier, lui ait donné une riche moisson d'âmes !

Assemblées d'enfants

« Les petites filles surtout, écrit Neff, font des progrès étonnants ; il est difficile de supposer une église plus vivante que la société de ces enfants ; non contentes de se réunir en assez grand nombre, le dimanche, pour prier, elles saisissent toutes les occasions pour se réunir à trois ou quatre ; elles ont même fixé des heures pour cela. Leurs petites assemblées sont, à proprement parler, des assemblées de confessions et de prières, car elles prient toutes l'une après l'autre, avant de se quitter. Tout cela se fait sans que je m'en sois mêlé ; je ne fais pas même semblant d'en être touché, de peur d'en souiller le principe par l'orgueil. Cette petite société est comme une fournaise ardente, où s'embrasent aussitôt les corps les plus froids ; à peine une jeune fille les fréquente-t-elle huit ou dix jours, qu'il faut qu'elle se réveille et qu'elle entre dans la même voie...

« Quoique ces chers enfants soient ici les membres les plus intéressants de la famille de Jésus, ils ne sont, grâce à Dieu, pas les seuls qui fassent des progrès dans la vérité. Parmi les adultes qui ont compris et goûté la bonne nouvelle de l'Evangile, il en est plusieurs qui croissent dans cette connaissance, et qui montrent par leurs oeuvres que le royaume de Dieu est justice, paix et joie par le Saint-Esprit. Les liens de l'amour fraternel se resserrent de plus en plus, et la ligne de démarcation entre le monde et l'Eglise de Dieu est chaque jour plus sensible ; car le diable ne manque pas non plus de travailler de son côté ; et ses émissaires sont souvent plus actifs et plus zélés pour lui que nous ne le sommes pour le Sauveur...

Une Société Biblique

« Depuis longtemps on parlait d'établir ici une Société Biblique, dont le besoin est grand. On était sur le point de mettre ce projet à exécution, quand tout à coup, le gouvernement est venu se mettre en travers en refusant l'autorisation qu'on avait eu la sotte précaution de lui demander... Nous avons donc profité du renvoi de la Société Biblique pour mettre en train une Société de traités. Elle deviendra, si Dieu la soutient et la bénit, une petite bibliothèque religieuse, qui fournira de bonnes lectures à tous les habitants du pays qui voudront en profiter. »

Le chant

Neff fonde aussi une école de chant. Il écrit (à Ami Bost probablement) : « Si tu étais ici, tu me serais de grand secours pour le chant, car je suis obligé de créer la musique dans ce pays où je n'en ai pas trouvé trace... Notre école de musique, écrit-il six mois après, chemine toujours : à compter d'à présent, nous allons mettre en pratique, pour le chant des Psaumes et des cantiques, les principes que nous avons donnés aux élèves : il est évident que la musique harmonieuse de nos cantiques a été bien utile pour réunir les dormants autour de la croix de Christ. »

Une réunion de Neff

Dans le seul village de la Baume, il ne s'était encore manifesté ni opposition, ni réveil. « Reçu chez le maire avec beaucoup d'honnêteté, j'étais attentivement écouté de tous les habitants, et n'étais compris de personne. » Un dimanche, « quand j'eus fini l'explication et la prière, au lieu de se retirer, tout le monde se rassit et demeura dans le silence. J'avais parlé sur la naissance du Sauveur. Tout occupé de l'état de ces pauvres âmes, et pressé de solliciter pour elles, je priais, appuyé sur mes mains, les coudes sur la table, en poussant quelquefois des soupirs. On crut que je me trouvais mal et on me le demanda plusieurs fois. Après avoir inutilement répété que j'étais bien, je finis par me lever en leur disant, d'un ton affectueux : « Je ne suis point malade, mes amis, mais je pense à vos âmes ; je pense que la plupart d'entre vous ont déjà oublié tout ce qu'ils viennent d'entendre, ou ne s'en occupent plus ; et c'est ce qui me rend triste ; cependant il est écrit : « Aujourd'hui, si vous entendez la voix de Dieu, n'endurcissez point vos coeurs. _Craignez que quelqu'un d'entre vous, négligeant la promesse d'entrer dans son repos, ne s'en trouve privé. »

Ces paroles firent une grande impression ; plusieurs fondirent en larmes, et ce fut le commencement du réveil.

Début d'opposition

Neff vivait en parfaite harmonie avec son collègue Blanc, qu'avec un tact remarquable il avait su attirer insensiblement dans ses vues ; d'autre part, Neff lui dut une foule de conseils et de leçons sur la théologie en général ; mais le pasteur Raoux, qu'il avait remplacé et qui était de retour, n'aimait pas les « mystiques de Genève, les novateurs » et reprochait à Neff les assemblées du soir (5), et celles que, pendant l'été, il tenait en pleine campagne le dimanche après-midi. L'affaire se corsa, Neff dut aller à Paris l'exposer au Consistoire (6). Il revint bientôt à Mens.

Le Réveil s'étend . - Sa simplicité

Pendant son absence, le Réveil s'était étendu et, à son retour, il apprend que « nos frères du bourg ont formé chez l'un d'eux, ci-devant ivrogne et dissipateur, une assemblée du samedi soir. D'abord, elle était peu nombreuse ; mais au bout de peu de semaines, elle a tellement augmenté qu'à peine l'appartement est assez grand. Blanc ni moi, n'avons jamais fait semblant de connaître l'existence de cette réunion, et nous sommes charmés qu'il ne s'y rende absolument que des gens du peuple. Ils sont tout à fait à leur aise : l'un a un cantique, l'autre une exhortation, l'autre une lecture, l'autre une prière, et tout se fait avec ordre. Il s'y trouve aussi des femmes ; et souvent c'est la fille d'un muletier ou une servante qui donne ses idées sur une portion d'un chapitre ; un boulanger, un menuisier, un tisserand font des observations en leur patois ; et quelquefois l'une de mes catéchumènes termine par une prière d'abondance » (7).

Malgré tant de succès, Neff considère ce qui reste à faire, bien plus que ce qui est déjà fait.

Ce qui reste à faire... pour les autres

En octobre 1822, il écrit : « Je découvre chaque jour davantage la corruption des habitants de ce pays, qui, au premier coup d'oeil, m'avaient paru, en général, un peu plus simples et plus pieux que les paysans des autres contrées. La masse est foncièrement incrédule, même à la campagne ! »

En avril 1823, même note : « Quant au spirituel, tout chemine comme par le passé. Plusieurs croissent en connaissance et nous donnent de la joie ; d'autres, qui dormaient, se réveillent ; quelques-uns qui avaient ouvert les yeux les referment ; car l'ardeur du soleil sèche le germe tendre qui n'a pas poussé de profondes racines. »

pour lui-même

Et de tout cela, Neff s'humilie encore lui-même, et c'est sa propre misère qu'il dépeint avec le plus d'énergie :

« L'oeuvre du Seigneur se soutient ici ; et si j'avais plus de vie et de zèle, elle ferait bien du chemin. Mais quand le cheval est mauvais, la voiture ne va pas vite, et quand la mère n'a pas de lait, l'enfant ne prend pas d'accroissement.

« Cependant, quelque sec et aride que soit mon coeur, et quelque incapable que je sois de faire cheminer convenablement ceux qui ont déjà un peu de vie, je ne suis point embarrassé pour annoncer, soit les jugements de Dieu, soit sa miséricorde à la multitude des irrégénérés encore plongés dans le sommeil de la mort ; et la même puissance qui fit jaillir l'eau du rocher dans le désert, fait aussi sortir de mon sein des fleuves d'eau vive, quoique moi-même je n'en aie pas, à ce qui me semble souvent, une goutte à ma disposition pour rafraîchir ma langue ou que plutôt je néglige d'en boire ! »

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1. Proverbes XVI, 32.
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2. Bonnet.
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3. A quinze kilomètres de Mens.
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4. Prenons encore Neff sur le vif avec ses catéchumènes
Neff était très affectueux, très doux, mais quand il le fallait, et avec cet à-propos remarquable, il savait planter comme un dard aigu en plein coeur des paroles directes et incisives qui devaient remuer jusqu'au fond de l'être : qu'on en juge par les deux récits suivants tirés de sa correspondance :
« Avant-hier au soir j'allai au Villard. Hier matin je réunis dans une étable les catéchumènes de l'année dernière et ceux de celle-ci... je les exhortai à la persévérance en leur indiquant ces trois moyens - la prière, la lecture, et la méditation de l'Ecriture, et la fréquentation assidue, même au risque de sa vie, des frères en J.-C.
Comment parler à des catéchumènes
« Pendant que nous parlions, Delphine, la soeur aînée d'Aimé, qui après avoir été réveillée, a renié et se moque de son frère et des autres, entra dans l'étable où on ne lui avait point dit de venir. Après avoir interrogé les autres, je l'interrogeai, aussi sur ce qui arrive à une âme qui néglige les moyens d'édification que j'avais annoncés.
« Elle retombe, me dit-elle, d'une voix mal assurée, sous la condamnation !
« Oui, lui dis-je, elle abandonne le Sauveur ! Tu dois en savoir deux mots par expérience !
« Et, partant de là, je lui reprochai sa défection, lui annonçant quel serait le sort du sarment qui ne demeure point attaché au cep. Puis, me tournant vers les autres, je leur proposai l'exemple de la femme de Lot. Delphine, fort abattue, comme on peut le penser, ne répondit mot ; après la séance, je la vis sérieuse, et je lui dis que puisque les exhortations particulières n'avaient produit aucun effet, j'avais cru devoir lui parler en présence de tous. »
« Hier au soir (un autre jour et à Mens même), au catéchisme, j'ai fait la même chose pour Louise. Je l'interrogeai la dernière. Elle avait récité les paroles de Jésus : Jean XIV, 17. Après qu'elle eut expliqué ce que c'est que l'habitation du St-Esprit dans les âmes, je lui demandai si cet Esprit nous était donné pour un temps seulement.
« - Pour toujours, répondit-elle (v. 16).
« - Mais si cet Esprit ne se retire point de soi-même, ne pouvons-nous pas, nous, le perdre ?
« Elle eut beaucoup de peine à répondre. Cependant elle se décida à dire à demi-voix, et les larmes aux yeux : Oui !
« - Oui, répondis-je avec calme, mais avec force, et vous en êtes la preuve. Cette apostrophe frappa tous les auditeurs, à qui je m'adressai ensuite en les invitant à veiller et à prier, de peur de tomber comme Louise, par timidité et par complaisance pour le monde... En effet, cette jeune fille n'est tombée que parce qu'elle n'a pas eu le courage de résister aux mauvais traitements de sa mère et aux sarcasmes de ses autres parents et amis ; et parce que, pour leur complaire, ou pour éviter des coups, elle a consenti à danser, à jouer, à aller en société avec les mondains, et à ne plus fréquenter les enfants de Dieu. Autant en arrivera-t-il toujours, et rien de si juste, à « ceux qui veulent conserver leur vie en ce monde », ils la perdront ! dit le Seigneur. »
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Les réunions du soir
5. « Neff allait présider des réunions, la nuit, partout autour de Mens, jusque dans les campagnes les plus éloignées ; il fallait suivre des sentiers écartés le long des torrents, franchir des poins, descendre dans les ravins, dans l'obscurité la plus complète, en compagnie de quelques jeunes gens, souvent seul. Plus d'une fois, il avait rencontré des hommes armés de bâtons, à la démarche oblique. Neff passait au milieu d'eux sans hésitation, et personne n'avait jamais osé mettre la main sur lui. Il avait été militaire, sergent-major d'artillerie à Genève ; il était sans peur. On était désarmé devant lui. Ce n'est pas qu'il eût rien de martial ou de très imposant, mais il était ferme et résolu, ayant surtout la conscience de son bon droit. » (F. MARTIN-DUPONT : Op. Cit., P. 50).
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6. Au moment où Neff avait le plus à souffrir de ce collègue il note un fait touchant :
« Il n'y a pas jusqu'au fils du pauvre R., le petit Edouard, âgé de cinq ans, qui ne cherche à se dérober à la surveillance de ses malheureux parents pour venir près de Louise et des autres enfants, entendre parler du Sauveur et pour demander au bon Dieu un coeur et un esprit nouveaux ! »
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7. Neff et Blanc distribuent en outre des Nouveaux Testaments de Sacy aux catholiques. Un curé en demande deux cents nouveaux. Neff écrit à ce sujet : « Si cela tient, les catholiques romains seront bientôt fournis de Bibles comme les protestants; Dieu veuille qu'ils en fassent un meilleur usage ! »
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