Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IV

Mission de Mens. Premiers travaux.

(28 décembre 1821 - avril 1822)

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Mens à l'arrivée de Neff

Neff arriva à Mens le 28 décembre 1821. Il pensait y trouver une paroisse dont les habitants, de moeurs plus simples, seraient, au moins par tradition, plus attachés à la foi chrétienne que ceux de Grenoble.

Les auditoires étaient nombreux - environ douze cents personnes. - Depuis le passage de Cook, il avait été institué un culte le dimanche après-midi. Les catéchumènes, au nombre de soixante-dix au moins, venaient à Mens une fois par semaine ; beaucoup étaient répartis sur vingt villages ou hameaux différents, éloignés souvent de deux ou trois lieues dans un pays presque impraticable.

Neff prêchait aussi dans les annexes de St-Jean-d'Hérans et de St-Sébastien, où il y avait des auditoires considérables. « Je priais, écrit-il, mais avec un coeur navré, de voir autour de moi une si grande moisson sans pouvoir abattre un épi... Voilà, l'ouvrage et la moisson ; mais tout ce qui brille n'est pas d'or ; et « il n'y a pas qu'à tailler » comme on pourrait le croire.

Son collègue André Blanc

Tout ce beau monde est mort ; et Blanc (son collègue) même, à mon avis, quoique très orthodoxe, bon enfant et même très zélé, dort encore de toutes ses forces dans le protestantisme... Il désire bien, sans doute, que les âmes se convertissent ; mais comme il ne sait pas ce que c'est que conversion, il désire encore plus la paix de ce cadavre qu'on nomme l'Eglise, et qu'il croit vivant. Je vois bien qu'il a déjà peur que je ne forme des assemblées, car il me parle souvent du danger d'innover ou d'aller trop fort... Outre la défiance de Blanc, j'ai encore à combattre ici un autre grand obstacle, l'esprit du monde, qui règne partout. Invité dans les bonnes maisons, je n'ai pu y parler que de politique ou de toute autre chose mondaine, car Blanc ne les met jamais sur un sujet religieux si ce n'est pour les entretenir de controverse... »

Mais la note de l'humilité domine dans cette lettre, comme dans les autres, et Neff ajoute « ... pour notre compte, nous devons prier ardemment le Seigneur qu'Il nous préserve de toutes les ruses de Satan et de notre propre coeur ; car nous sommes du même bois que ceux dont nous parlons. »

Premières prédications

Neff prêche sur la parabole des dix vierges. « J'invoquai, dit-il, la bénédiction du Seigneur sur mes paroles : et je crois qu'Il m'exauça ; je me sentis ferme et positif dans mes assertions, scripturaire dans mes preuves, et pressant dans ma conclusion qui n'était qu'une série de questions appuyées sur les passages de l'Ecriture que j'avais employés... J'ai cru voir dans ces personnes quelque étincelle de réveil, c'est-à-dire, quelque connaissance de leur misère ; en un mot, il me semble que la Parole rencontre ici quelque chose de 'mieux qu'à Grenoble ; mais je n'ose espérer ni me réjouir. J'ai déjà tant de fois éprouvé qu'aussitôt que je jette un coup d'oeil sur mon ouvrage, Dieu le brise entre mes mains, que je ne puis plus espérer de le voir véritablement béni. Mais c'est une chose bien cruelle pour moi de voir que mon misérable amour-propre oblige le Seigneur à me faire échouer là où tout autre réussirait... !»


CL. J. Delacoste

MENS ET LES MONTAGNES DU TRIEVES
L'Obiou (2.793 m.) Le Grand-Ferrand (2.761 m.)

 

Dès son arrivée, Neff doute fort de pouvoir rester à Mens : sa situation est compromise, et que ce soit en Suisse, à Mens, dans les Alpes ou en Piémont, elle sera toujours « comme de contrebande ».

« M. Blanc m'a dit qu'il avait reçu une lettre de Genève, de je ne sais combien de pages, contenant dans le plus menu détail toutes les accusations qu'on a formées contre tous les momiers, tant à Genève que dans le canton de Vaud. Les accusateurs savent sans doute que je suis ici ; car on l'a averti et même on le somme de prendre bien garde à son troupeau, de se garder des loups déguisés en brebis, des faux-prophètes. Si les âmes dorment, le démon ne dort pas ; il est plus actif que nous, et ses suppôts sont infatigables. On a écrit, non seulement à M. Blanc mais à un autre membre du Consistoire ; on a même été jusqu'à écrire au Consistoire en corps. J'ai un pressant besoin de sagesse et de foi dans cette circonstance critique le Seigneur seul peut nous en tirer. »

Malgré les difficultés, les portes semblaient s'ouvrir déjà.

Quelque chose de nouveau

« En effet, notre évangéliste s'était mis à l'oeuvre avec zèle, mais avec prudence. On s'aperçut bientôt qu'il y avait là quelque chose de nouveau ; cela paraissait dans ses conversations, dans sa tenue, dans ses réunions particulières du soir, plus encore que dans ses prédications. On était frappé du soin qu'il prenait de la jeunesse et du zèle qu'il mettait à enseigner le chant sacré. On lui adressait des questions, il y répondait pertinemment ; et, sans bien se rendre compte de l'élément nouveau, mais pleinement évangélique, qui s'introduisait dans l'Eglise, on comprenait que, jusqu'à ce jour, cet élément avait fait défaut (1). »

Neff apprenait le patois pour se faire comprendre de ses nombreux catéchumènes, faisait des visites de malades... « et quand on me voit passer, on y vient pour profiter de la lecture et de la prière. Les paysans, naturellement timides, commencent aussi à se familiariser avec moi, et me prient d'aller les voir ; ils sont fort étonnés que je veuille les instruire en particulier, ils n'ont jamais vu un ministre qui fît cela. Dans les bonnes maisons, je suis aussi fort bien reçu. J'ai refusé, il est vrai, d'aller dans les sociétés où l'on joue et où il y a de la mondanité, mais je fréquente trois ou quatre maisons où je peux parler de l'Evangile. En général, je suis aimé dans le pays, et la grande majorité désirerait que le pasteur que je remplace ne revint pas et que je pusse rester parmi eux...

« Je me suis mis, sans consulter Blanc, qui craint les innovations, à rassembler mes catéchumènes du bourg quatre fois la semaine (deux fois les garçons et deux fois les filles), dans la soirée et dans ma chambre ; je leur fais apprendre par coeur des passages du Nouveau Testament relatifs aux principales vérités de l'Evangile, en ayant soin de leur montrer le rapport de ces passages avec les enseignements du catéchisme... J'ai bien à lutter contre les cartes, les romans et le bal ; je ne le fais cependant qu'avec prudence, sachant qu'il ne faut pas mettre le vin nouveau dans de vieux vaisseaux. Blanc, lui-même, fait quelques pas, et s'occupe davantage des vérités fondamentales ; il apprend à connaître les hommes, et ne regarde plus les gens comme chrétiens par cela seul qu'ils ont reçu le baptême d'eau. »

Premiers résultats. - Perspectives

Six semaines après, le 2 avril 1822, Neff voit ainsi la situation : « Je dois avouer qu'une vie sédentaire et fixe a peu d'attraits pour moi, et que j'envisage avec peine la nécessité de travailler constamment dans le même lieu. Je préférerais infiniment la vie mobile d'un missionnaire ; et comme la curiosité, l'amour des aventures, celui de la variété, celui même de la gloire s'en trouvent beaucoup mieux, je crois pouvoir dire, sans me séduire moi-même, que si j'ai quelque désir de demeurer dans cette contrée, c'est principalement par amour pour les âmes, et parce qu'il me semble qu'une grande oeuvre s'y prépare : les temples où je prêche sont constamment pleins, souvent même beaucoup de personnes sont obligées de rester dehors. Il règne pendant mes prédications, à ce que l'on m'assure, beaucoup plus de silence qu'il n'en régnait ci-devant ; les paysans en parlent ; plusieurs commencent à venir vers moi me demander des traités et des prières ; ils veulent avoir par écrit la prière que je fais avant le sermon. Plusieurs viennent, de plus d'une lieue, pour assister au catéchisme le jeudi matin. Mes catéchumènes semblent aussi faire quelques progrès, surtout ceux du bourg, que je tiens plus que les autres. Il n'en est point parmi ceux de Mens qui ne possèdent assez exactement les principes fondamentaux de la foi, et qui ne soient dans le cas de citer dix ou douze passages sur chaque article ; plusieurs aussi de ceux de la campagne sont venus me demander mon recueil pour l'étudier, et viennent pour en avoir l'explication. Ceux qui, d'abord, paraissaient les plus distraits et les plus bornés, se sont tout à coup ouverts, et ont presque devancé les premiers.

« J'ai appris que dans un hameau voisin ils s'étaient réunis le dimanche un certain nombre, pour lire la Bible et réciter des prières ; j'ai aussi vu que l'un de ceux du bourg a refusé à ses parents d'aller au bal en disant : « Comment pourrions-nous danser après tout ce que M. Neff nous a dit ? » Je sais aussi que dans deux ou trois des principales maisons on ne lit plus de romans et on a renvoyé les caisses de livres qu'on recevait de Grenoble. Comme ces deux maisons étaient à peu près les seules qui fussent abonnées, il arrive que beaucoup d'autres personnes, à qui on les faisait lire, s'en trouvent sevrées ; petit à petit, on se retire du monde ; on ne joue plus la comédie, on danse moins ; on se réunit pour chanter des cantiques ».

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1. F.-Martin DUPONT : Mes impressions, p. 48. 
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