Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VI

Voyage à Londres. - Consécration.

(mai 1823)

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Nous voici arrivés au moment où Neff jugea nécessaire de rechercher, sans plus de délai, cette ordination, qui, sans constituer l'homme de Dieu, lui ouvre au moins de larges portes, et écarte une partie des obstacles qu'il trouve sur son chemin. N'ayant fait aucune étude régulière, il ne pouvait demander la consécration aux Eglises françaises : il dut se rendre auprès d'un corps respectable de pasteurs des églises indépendantes d'Angleterre, qui, plus libres dans leur action, purent rendre justice aux preuves éclatantes que Neff avait déjà données de ses dons comme ministre, sans exiger de lui certaines connaissances qui ne lui étaient nullement nécessaires.

Toujours à Mens, même en voyage !

Neff part pour Paris, et met encore deux jours de diligence, pour arriver à Calais le 8 mai 1923 ; il attend un temps favorable pour s'embarquer, et utilise ce temps d'inaction en écrivant une longue lettre - vraie lettre pastorale - à ses amis de Mens. En voici un passage :

Angoissé pour ses catéchumènes.

« J'avais entièrement oublié que c'était hier l'Ascension ; et quand, hier matin, le conducteur de la diligence avec qui j'étais seul dans le cabriolet est venu à en parler, je ne sais à quel propos, tout à coup, l'idée de mes catéchumènes m'est venue ; j'ai pensé que c'était précisément l'heure où ils étaient réunis dans le temple, écoutant les exhortations de leur pasteur, et prenant à la face de Dieu et de son église l'engagement sacré de renoncer au monde, à la chair, au péché, et de consacrer à leur Seigneur et Sauveur tout le reste de leur vie. Cette pensée m'a tiré de l'état de tiédeur et d'indifférence où je suis si souvent, surtout en voyage, et m'a fait pousser de profonds soupirs ; je me suis senti pressé de prier pour eux, suppliant le Père de toutes grâces de vouloir bien « confirmer » réellement plusieurs d'entre eux dans l'alliance de sa miséricorde, en leur faisant sentir la grandeur de leurs engagements, et leur donnant la force d'y demeurer fidèles. Hélas ! il y en a si peu parmi eux qui sachent ce qu'ils font Et parmi ceux qui le savent, combien peu y en a-t-il qui soient vraiment décidés à vivre pour le Sauveur Combien d'autres vont faire un serment faux, ou tout au moins téméraire, et promettre au grand Dieu qui connaît leurs coeurs, ce qu'ils n'ont nulle envie de tenir !...

Chers enfants ! Que le Seigneur ait pitié de vous ! qu'Il vous ouvre les yeux ! et qu'Il parle à votre coeur de paix et de grâce ! Qu'Il vous touche par son esprit, et vous fasse « goûter combien il est doux ! » 0 si vous le saviez ! si vous aviez voulu le croire, et vous approcher de Lui, comme je vous y ai tant de fois invités de sa part, vous ne voudriez pas, pour le monde tout entier, perdre un bien si précieux. Combien je regrette de n'avoir pu vous examiner avant votre réception, pour m'assurer de vos connaissances et surtout de vos sentiments ! Je crains bien, mes chers enfants, que vous soyez bien peu avancés de ce côté-là ; vous êtes si faibles, si légers, et l'ennemi est si puissant, si rusé ! Il est si facile de faire et de penser le mal ! Il est si aisé de rester enfoncé dans la fange où l'on est né, et de suivre nonchalamment la vieille ornière du péché (1). »

Neff arriva à Londres le 11 mai 1823 et fut consacré le 19 dans la chapelle de Poultry. Voici comment il justifie sa vocation :

Sa vocation

« J'ai embrassé la vocation de ministre de l'Evangile, parce que le Souverain Pasteur de nos âmes m'a, dès le commencement, donné l'ardent désir d'annoncer la Bonne-Nouvelle aux pécheurs, et que toutes les fois que j'ai voulu me vouer à quelque autre occupation, j'ai senti une conscience chargée ; une voix me disait : Va et annonce le royaume de Dieu ; - parce qu'il a daigné répandre sa bénédiction sur mes travaux ; - parce qu'il a daigné m'ouvrir les portes, et que depuis deux ans, j'ai été appelé plusieurs fois par des Consistoires et des Eglises ; en sorte que je n'entre pas dans sa vigne de moi-même et sans vocation. »

Il fait une confession de foi. Citons-là tout entière, car elle a le mérite de ne viser à aucune originalité. Neff n'adapte ni n'interprète. Il accepte, pour la vivre et la communiquer, LA FOI QUI A ÉTÉ TRANSMISE AUX SAINTS UNE FOIS POUR TOUTES. Et ce sont en effet les fondements que Neff pose dans cette substantielle déclaration, car il entend bien ne pas effleurer les « points de doctrine contestés entre chrétiens ». Quel sens dogmatique instruit et avisé !

Sa foi

« ... Je ne prétends point pénétrer le secret de Dieu, ni m'expliquer comment et pourquoi le mal est entré dans le monde ; seulement je sais qu'il existe, qu'il réside dans notre coeur, que nous l'apportons en naissant, et qu'excité par l'exemple du monde et l'influence de Satan, il domine dans nos âmes et nous fait porter des fruits§ mauvais pour notre condamnation.

« Je crois que, dans cet état, l'homme n'est ni digne, ni capable d'avoir aucune part au royaume de Dieu, et qu'il ne mérite que la malédiction, selon la justice du Très-Haut.

Sa doctrine

« Je crois que, sans exception, tous les hommes sont privés de la gloire de Dieu, selon ce qui est écrit au troisième chapitre des Romains... Je crois qu'il n'existe en nous-mêmes, ni dans toute la création, aucun moyen de nous sortir de cet état de perdition, mais que Dieu nous a aimés quand nous étions ses ennemis, et qu'il a envoyé dans le monde, en forme de chair de péché, la Parole éternelle par laquelle il a fait les siècles, que cette Parole éternelle a habité parmi nous, sous le nom de Jésus, qui signifie Sauveur. Je crois que le Sauveur, 1° a obéi pour nous à tous les commandements de la loi, nous acquérant ainsi la justice qui nous manquait ; 2° qu'Il a souffert dans son corps et dans son âme, jusqu'à la mort en croix, toute la malédiction qui pesait sur nous..., que par ce sacrifice le Père est apaisé envers nous, et nous tient pour justes en son Fils bien-aimé. Je crois que les disciples de Christ sont faits par la foi une même plante avec lui, qu'ils sont considérés de Dieu comme étant chair de sa chair, os de ses os, qu'ils sont de vrais membres de son corps dont il est la tête ; qu'ainsi ils peuvent dire qu'ils ont été condamnés, maudits et punis en Christ, justifiés et glorifiés en Christ, qu'ils sont représentés et assis avec lui dans les Cieux ! Je crois que la vraie foi par laquelle seule nous avons part à cette grâce, consiste : 1° à être profondément convaincus et vraiment touchés de notre état de corruption, et de la justice de notre condamnation éternelle ; 2° à mettre toute notre confiance dans les souffrances et la justice de Jésus-Christ, espérant tout par Lui et rien sans Lui. Il n'y a point de foi sans cette connaissance de nos péchés et de l'entière nullité de nos mérites...

Les bonnes oeuvres

« Je crois que nous ne sommes point sauvés, parce que nous aimons Dieu, mais afin que nous l'aimions; mais que si nous sommes sauvés par la foi sans les oeuvres de la loi, nous sommes aussi créés par Jésus-Christ pour accomplir les bonnes oeuvres que Dieu nous a préparées.

« Je crois encore que, pour répondre à ce but du Seigneur, il est absolument nécessaire qu'il écrive lui-même sa loi dans notre esprit, qu'il change nos meurs et nous fasse devenir de nouvelles créatures.

La vie en Christ

« Je crois que ce changement est le résultat d'une foi véritable. Je crois qu'à partir de cette nouvelle naissance, nous sommes appelés à nourrir ce nouvel homme par la parole de Dieu, la prière et tous les moyens d'édification à notre portée ; et que nous devons veiller sur nous-mêmes, usant fidèlement de tous les secours et de toutes les grâces de Dieu, de peur d'être séparés de Christ, et rejetés comme le sarment qui ne porte pas de fruit.

Sa méthode

« D'après ces points principaux, seuls essentiels de la doctrine évangélique, je crois que nous devons, en instruisant les hommes : 1° chercher à les convaincre de péché par tous les moyens scripturaires et de raisonnement ; 2° les conduire à Jésus, l'Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde ; qui ne rejette aucun de ceux qui vont à Lui ; 3° les engager tous à lire et à méditer la Parole de Dieu, et surtout prier pour ceux qui ne connaissent pas la vérité, afin que le Seigneur éclaire leur esprit, leur fasse sentir leurs péchés, et leur donne le pardon et la paix en Jésus ; prier aussi pour ceux qui le connaissent, afin que Dieu les garde de tout péché et les conduise à la perfection dans la charité et l'humilité.

Pas de controverse

« Je crois aussi que nous devons annoncer Christ et Christ crucifié, sans entrer dans des discussions peu édifiantes sur les points de doctrine contestés entre les chrétiens ; laissant à Dieu les choses cachées, et nous attachant avec simplicité aux choses directement salutaires pour nos âmes, propres à nous rapprocher de Dieu, et à nous unir à nos frères par le lien de la charité.

« Au reste, je crois que le devoir d'un bon dispensateur est de donner à chacun la nourriture qui lui convient : aux enfants en Christ, du lait ; aux hommes faits, de la viande solide ; instruisant, exhortant, menaçant ou consolant, selon l'état de chacune de ses brebis. »

La nostalgie

Neff ne prolongea pas son séjour à Londres

« l'ennui le prenait », son coeur était angoissé, dans sa solitude il prenait d'anciennes lettres de ses catéchumènes (2), les baisait et fondait en larmes. « Ne sachant pas l'anglais, écrivait-il, mes visites sont fort insipides ; et le plus vite que je pourrai partir d'ici sera pour moi le plus agréable. J'y resterai cependant tout le temps nécessaire pour former des liaisons utiles au règne de Dieu dans notre pauvre France. » Ces relations devaient lui être des plus utiles. Plus tard, il reçut beaucoup de ses amis anglais pour son oeuvre dans les Hautes-Alpes.

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1. On trouvera, Appendice III, cette lettre, citée plus complètement
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2. Lire Appendice IV, la lettre où il s'épanche ainsi.
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