Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Deux compagnons d'infortune 

Jérémie DUPUY, de Caraman - Jean MASCARENC, de Castres


 Départ pour l'exil

 

Ce capitaine me fit donc partir de Toulouse avec Mascarenc ; mais lorsque nous fûmes à deux lieues de là, nous vîmes arriver un soldat de la maison de ville, à cheval, qui venait à grande course et qui portait quelque ordre au capitaine du guet, qui fit qu'il s'en retourna à toute bride à Toulouse, et donna ordre à ses soldats de nous y ramener. Nous fûmes surpris de cet ordre, et nous ne pouvions pas nous imaginer ce que c'était ; nous avions quelque sujet d'appréhender, car en ce temps-là, les ordres changeaient à toute heure. Mais lorsque nous fûmes rentrés dans la ville, nous rencontrâmes ce capitaine, qui ordonna aux soldats de nous ramener tous deux à la maison de ville ; et il nous dit à nous que nous y trouverions de nouveaux prisonniers qui nous tiendraient compagnie. En effet, quand nous fûmes à la maison de ville, nous y trouvâmes le sieur Giberne, de St-Hippolyte, qui avait été receveur des tailles à Toulouse, et le sieur Gleyses, secrétaire de M. le président de Vignolles ; et le lendemain, le capitaine du guet y mena encore prisonnier le sieur Passet, marchand, tous trois nouveaux convertis et habitant dans Toulouse, qu'on accusait de ne faire pas leur devoir, et que ce capitaine avait arrêtés pour les conduire avec nous à Montpellier, par ordre de M. l'Intendant, pour éviter les frais d'un autre voyage.

Enfin ce capitaine nous fit partir de Toulouse le 23 mars 1688, avec ces nouveaux prisonniers, pour nous conduire tous ensemble à Montpellier. Nous eûmes le moyen de leur parler pendant le chemin, pour les exhorter à faire leur devoir et à rentrer dans l'Eglise de Dieu pour le glorifier. Mais ils étaient encore trop dans les intérêts du monde pour suivre notre conseil ; et quelques protestations qu'ils fissent de le vouloir faire lorsque Dieu leur aurait fait la grâce de sortir de prison, néanmoins ils ne l'ont pas encore fait, quoiqu'ils soient tous en liberté. Dieu leur fasse la grâce de se reconnaître, de se relever de leur chute, et de donner gloire à Dieu !

Nous arrivâmes à Montpellier le 28 du même mois , et nous fûmes enfermés, Mascarenc et moi, dans les prisons des Trésoriers, pour empêcher que nous ne fussions vus des nouveaux convertis, et que notre exemple ne les portât à se repentir de leur faute, et à rechercher les moyens de secouer le joug de cette cruelle servitude où ils étaient tombés par la violence des dragons et par la fureur du clergé. Les sieurs Giberne et Passet furent mis dans la citadelle de Montpellier, et le sieur Gleyses fut conduit à Sommières.

Le premier jour du mois d'avril, qui fut trois jours après notre arrivée à Montpellier, nous fûmes remis, Mascarenc et moi, entre les mains d'un garde de M. le gouverneur de la province de Languedoc, avec un ordre de M. l'Intendant, pour nous conduire à Genève, suivant les ordres du roi. On lui remit aussi un vieux avocat de la ville de Montauban, avec une demoiselle, sa parente, qui étaient tous deux prisonniers dans la citadelle de Montpellier, et qui n'avaient point changé de religion, qu'on avait pris en chemin, accusés de vouloir sortir du royaume, et qu'on avait enfermés dans cette citadelle depuis dix-sept jours seulement. Ce garde eut aussi ordre de les conduire avec nous à Genève. Nous devions aller coucher à Nîmes ; mais il nous fit passer outre, et nous mena coucher à un village qui est à deux lieues de là, afin que nous ne fussions pas vus par les nouveaux catholiques, qui sont en grand nombre dans la ville de Nîmes, et cela pour les mêmes raisons que nous avons dites ci-dessus. Il nous mena dans une litière jusques au Pont Saint-Esprit (1), pour nous empêcher d'être vus ; et là, il nous fit embarquer sur le Rhône, dans le coche d'eau, jusques à Lyon.

Ce garde avait ordre de prendre en passant trois jeunes demoiselles qui étaient prisonnières dans l'hôpital de Valence, qui est au bord du Rhône. C'étaient trois filles de M. de Castelfranc, gentilhomme du voisinage de Castres, dont la plus jeune n'avait que douze ans, l'autre quatorze, et l'autre quinze (2). En les sortant de prison, on leur dit que puisqu'elles ne voulaient pas changer de religion, on les allait envoyer dans l'Amérique, où ces pauvres enfants se laissaient conduire comme des agneaux, en disant : « La volonté de Dieu soit faite ! » Leur joie fut d'autant plus grande lorsqu'elles furent arrivées à notre bateau, et que nous les assurâmes de leur délivrance en leur disant que l'on nous amenait tous à Genève par ordre du roi. C'était un miracle de la Providence divine, que ces trois filles si jeunes, détenues depuis si longtemps dans la captivité, séparées les unes des autres, avaient néanmoins résisté, et à M. l'évêque de Valence (3), et à tous les autres convertisseurs, et même à des femmes bigotes entre les mains desquelles on les avait mises, qui les tourmentaient nuit et jour, et qui leur faisaient mille peines. Mais nous savons que tout est possible à Dieu, et qu'il sait même faire sortir sa louange de la bouche des petits enfants (4). Toute cette famille de Castelfranc, qui était grande, s'est rendue célèbre par la confession de la vérité et par la persévérance. Les trois filles aînées et deux de leurs frères, après avoir été longtemps dans les prisons de France, et souffert constamment toute sorte d'outrages, furent enfin envoyés dans l'Amérique (5). Le père, après avoir longtemps roulé dans son pays, était sorti du royaume avec un de ses enfants, sans avoir changé, et ayant été pris sur mer par les Algériens, le père y est mort et a souffert ainsi glorieusement le martyre (6).

Nous fûmes toujours menés comme des prisonniers dans tout le chemin. Ce garde qui nous conduisait avait un soldat avec lui qui gardait toujours la porte de notre chambre lorsque nous étions arrivés en quelque lieu, pour nous empêcher de parler à qui que ce fût, que par son ordre.

Jeanne et Isabeau, âgées respectivement de 18, 17 et 16 ans, Josias, sieur du Puget, 20 ans (dont nous avons déjà parlé), Abel, sieur de la Grangarié, 18 ans; ils furent déportés aux Antilles, réussirent à s'échapper et se fixèrent en Angleterre où les deux fils prirent du service comme officiers.

Etant arrivés à Lyon, ce garde nous fit arrêter là deux jours, parce qu'il voulait extorquer quelque argent de cet avocat et de cette demoiselle de Montauban. Il savait qu'ils en avaient, car on les avait fouillés et on leur avait laissé leur argent pour payer la voiture et leur dépense, comme ils firent dans tout le chemin. Mais le garde voulait encore avoir quelque chose pour lui, autrement il les menaçait de leur faire laisser leurs hardes à Lyon, et de les emmener sans leur laisser rien prendre. La demoiselle lui avait déjà promis trois louis d'or, et il en voulait autant de l'avocat, mais il ne voulait rien bailler, parce que ce n'était pas juste. Le garde me tira à part pour me prier de lui aider à persuader cet homme de lui donner ce qu'il voulait ; mais moi, qui ne voulais pas tenir la main à ce brigandage, je lui dis que je n'en voulais rien faire. Il se mit en colère contre moi et me menaça de me faire aller à pied jusques à Genève. je lui dis que pour cela il fallait qu'il me fît revenir mes forces perdues ; mais que je ne le croyais pas un assez grand saint pour faire ce miracle-là. Qu'après tout je savais les ordres qu'il avait de M. l'Intendant à mon égard ; que s'il entreprenait de me maltraiter, je saurais bien m'en plaindre, et que j'avais assez d'amis auprès de M. l'Intendant pour l'en faire repentir. Il me dit si je voulais le quereller. « Non, dis-je, mais je me défends autant que je le puis quand on m'insulte. » Enfin, il prit les hardes de l'avocat, et voulait faire partir ce pauvre vieillard sans manteau, nonobstant la pluie qu'il fit ce jour-là ; tellement qu'il fut contraint de lui bailler trois louis d'or, comme avait déjà fait la demoiselle. Pour nous, il ne nous demanda point d'argent ; il savait bien que nous n'en avions pas, et M. l'Intendant lui avait fait bailler de quoi fournir aux frais de notre conduite.

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A Genève

Il nous fit partir sur les chevaux du messager de Lyon qui allait à Genève, où nous arrivâmes heureusement, par la grâce de Dieu, le 12 d'avril 1688.

Ces jeunes filles de M. de Castelfranc, qui semblaient abandonnées de tout secours humain, ne le furent pas pourtant ; la Providence de Dieu fit qu'elles trouvèrent à Genève des demoiselles, leurs parentes, qui étaient là bien établies, et qui avaient de quoi subvenir à leurs nécessités, qui les reçurent chez elles fort honnêtement et en prirent tout le soin possible. Deux jours après, ces pauvres filles apprirent la nouvelle de la mort de leur père, qu'elles reçurent fort chrétiennement, en se résignant à la volonté de Dieu.

Je demeurai quelque temps à Genève, pour me délasser et me remettre un peu dés fatigues de mon voyage, qui m'avait fort incommodé, mais particulièrement pour y goûter les consolations d'ouïr prêcher la Parole de Dieu dans les saintes assemblées, être nourri spirituellement de ce pain céleste, duquel j'étais si affamé, et participer au sacrement de la Cène, dont j'avais été privé si longtemps. Mais comme l'on m'avait sorti des prisons dépouillé de tous mes biens, n'ayant remporté que mon âme pour butin, et ayant appris qu'à Genève l'on ne donnait point de subsistance aux réfugiés, parce qu'ils se trouveraient trop charges a cause que c'est là la porte par où passe la plus grande partie de ceux qui sortent de France pour la religion, je me résolus à passer outre, pour trouver ailleurs quelque subsistance parmi nos frères charitables, qui se trouveraient mieux en état de me secourir.

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A Vevey et à Lausanne

Je partis de Genève le 2 de mai 1688, pour aller à Vevey voir M. Quinquiry, ministre réfugié qui est natif de la même ville que moi (7), qui m'avait fait l'honneur de m'écrire à Genève pour me témoigner la joie qu'il avait de ma délivrance. je voulais aussi le prier de me donner quelque adresse et ses conseils, pour savoir de quelle manière je devais me conduire dans ce pays pour trouver quelque secours et quelque établissement par la charité de nos frères, dont j'avais un si grand besoin dans l'état déplorable où j'étais. J'arrivai à Vevey le 5 de mai, et je trouvai sur le port, au bord du lac, M. Quinquiry et Mme sa femme, qui avaient su que je devais arriver ce soir-là, qui au sortir du bateau coururent m'embrasser avec tous les témoignages d'amitié possibles, et qui m'amenèrent chez eux où ils me recueillirent et me traitèrent fort honnêtement pendant quelques jours, après lesquels je partis pour aller à Lausanne, où M. Quinquiry me fit l'honneur de venir avec moi. Ce fut là où j'appris par plusieurs personnes de qualité que les souverains seigneurs de la ville et république de Berne avaient résolu de recueillir avec une charité extraordinaire les confesseurs de Jésus-Christ qu'on avait tirés des cachots et des prisons, et qu'on avait fait sortir de France par ordre du roi, parce qu'ils avaient persévéré en la foi, et qu'on n'avait pu les faire changer de religion par la longueur de leur captivité dans les prisons, ni par les souffrances qu'on leur avait fait endurer ; et que leurs Excellences voulaient leur donner un établissement honnête pour les faire subsister dans leur pays.



Table des matières

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(1) Pont-St-Esprit (Gard), sur les bords du Rhône.
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(2) C'étaient Marie, Rose et Marguerite de Nautonnier de Castelfranc, âgées respectivement de 15, 14 et 12 ans, soeurs du jeune Josias, que nous avons vu à la Tour-Caudière (page 106) ; enfermées d'abord à l'hôpital de Toulouse, elles furent transférées à celui de Valence, où l'on espérait que les horreurs de l'odieux d'Hérapine vaincraient leur résistance ; de guerre lasse, on les conduisit à Genève, en même temps que Dupuy et Mascarenc ; elles s'établirent ensuite en Angleterre. Marie fit son testament en 1:752 et mourut en 756 ; Rose épousa son cousin César Mélier, originaire de Roquecourbe, officier réfugié, et elle mourut en 1744 ; Marguerite vécut à Londres.
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(3) L'évêque de Valence était alors Daniel de Cosnac, plus tard archevêque d'Aix, auteur de mémoires estimés.
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(4) Psaume 8 : 3.
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(5) Ces enfants de Castelfranc étaient Charlotte,
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(6) Adrien de Nautonnier, époux de Rachel Bouscasse, de Castres, vit son château de Castelfranc, près de Montredon, dévasté par les dragons ; il s'enfuit, erra longtemps et réussit à quitter le royaume avec son fils David, sieur de Fonbonne ; établi à Londres, il voulut se rendre en Hollande, mais le vaisseau qui transportait 63 protestants français fut pris par les pirates d'Alger (Gazette de Harlem, du 13 août 1687), et il mourut en captivité l'année suivante. (Voir sur cet évènement la relation du pasteur Brassard, de Montauban, qui parvint à s'échapper d'Alger et se fixa à Amsterdam, Bulletin de l'histoire du Protestantisme, année 1878, page 349).
Sur ses douze enfants, nous avons vu la destinée héroïque de neuf d'entre eux ; quant aux autres, l'aîné, Jean, resta en France et abjura pour la forme, Rachel mourut en 1692 dans un couvent de Castres ; Gédéon se retira en Angleterre où sa postérité continua la famille.
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(7) Guillaume Quinquiry, originaire de Caraman et parent de Dupuy, avait épousé en 1674 Marquise Gaubert ; pasteur à Aiguefonde, puis à Revel, emprisonné à Toulouse, il se réfugia à Vevey en 1686 ; il mourut en 1710.

 

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