Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Deux compagnons d'infortune 

Jérémie DUPUY, de Caraman - Jean MASCARENC, de Castres


 A Toulouse

 

Enfin, après avoir roulé ensemble encore quelques jours dans le pays, nous fûmes à Toulouse, où nous nous embarquâmes le 20e jour de février 1686, sur le bateau de poste qui va de Toulouse a Bordeaux, croyant que nous trouverions là le moyen de nous embarquer pour sortir du royaume, surtout dans cette conjoncture de la foire de Bordeaux, qui devait commencer le premier jour du mois de mars suivant ; mais nous étions bien loin de notre compte, et Dieu en avait disposé tout autrement. Nous trouvâmes dans le bateau M. Mascarenc, docteur et avocat de la ville de Castres (1), et sa femme ; le sieur Maillabiou, aussi de Castres (2), et quelques autres personnes de notre religion qui n'avaient pas changé, et qui étaient dans le même dessein que nous de s'embarquer à Bordeaux pour sortir du royaume et donner gloire à Dieu.

Il se trouva dans le même bateau un jeune homme de Toulouse, nommé Boisset, qui avait été mousquetaire du roi, bien fait de sa personne, d'une conversation douce et d'une physionomie agréable. D'abord, je m'en étais fait une idée qui ne lui était pas désavantageuse, et comme dans ces bateaux, il y a d'ordinaire une confusion de monde de toutes façons et que les honnêtes gens tâchent de s'accoster les uns les autres, l'on regarde de choisir ceux qui paraissent les plus honnêtes. Boisset, ayant jeté les yeux de tous côtés, reconnut Mascarenc et sa femme, qu'il connaissait particulièrement, et qu'il avait vus souvent dans plusieurs voyages qu'il avait faits à Castres, où il avait une soeur mariée. Dès qu'il les eut aperçus, il les aborda fort civilement, et leur fit beaucoup de protestations d'amitié ; il en fit autant à Maillabiou, qu'il reconnut aussi. Nous fûmes deux jours sans avancer beaucoup, parce que la rivière était fort basse, et que nous rencontrions de temps en temps des endroits qui nous arrêtaient.

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A Agen

Enfin nous arrivâmes à Agen, le troisième jour de notre voyage, qui fut le 22 février ; et nous étant débarqués pour aller dîner dans la ville, Boisset y vint avec un moine bernardin qui était dans le bateau , qui dit qu'il voulait aussi avoir l'honneur de dîner avec nous. Nous avions bien remarqué que Boisset avec ce moine avaient eu quelque conférence dans le bateau ; mais nous avions trop bonne opinion de Boisset pour craindre que ce fût une conspiration contre nous. Il se rencontra encore que le chevalier de Gramont, lieutenant de dragons, qui est aussi de Toulouse, se trouva ce jour-là dans le même logis où nous étions allés pour dîner, son quartier n'étant éloigné d'Agen que d'une lieue seulement. Ils se firent beaucoup de caresses avec Boisset et parlèrent quelque temps en particulier avant le dîner, où ils complotèrent ensemble de nous arrêter, sans que nous en eussions aucun soupçon, trompes par la bonne opinion que nous avions de Boisset, ou enfin parce que Dieu qui voulait nous éprouver le permit ainsi (3).

Sortant de dîner, nous fûmes arrêtés par Ce lieutenant de dragons. Il s'adressa à moi le premier, comme je commençais à monter le degré avec Mme de Mollens, pour aller prendre quelques hardes que nous avions dans une chambre. « Monsieur, me dit-il, j'ai ordre de vous arrêter de par le roi, et votre compagnie aussi. » - « je vous Prie, Monsieur, lui dis-je, de me dire pourquoi vous voulez m'arrêter de la part du roi ; car je ne sais pas avoir commis aucun crime contre Sa Majesté. » - « Monsieur, nie dit-il, M. de Boufflers vous le dira. Cependant, si vous me promettez de ne pas sortir de la chambre, je vous laisserai sur votre parole, autrement je vous ferai garder. » je lui promis, et lui tins parole.

Nous demeurâmes dans cette chambre, M. et Mme de Mollens et moi, jusqu'à ce qu'on amena M. Mascarenc et sa femme, que le chevalier de Gramont était allé prendre au bateau, où ils étaient allés par l'avis de Boisset, qui croyait par ce moyen de se mettre à couvert de sa trahison. L'on nous mit tous alors dans une autre chambre, et l'on mit un dragon à la porte pour nous garder. Nous fûmes tous bien surpris de notre malheur; les femmes eurent recours aux larmes, et les hommes le reçurent assez constamment. Pour moi, Dieu nie fit cette grâce de n'en être point ébranlé ; je fis d'abord cette réflexion que Dieu m'appelait à la souffrance, et je pris une ferme résolution, avec la grâce de Dieu, de suivre ma vocation sans reculer d'un pas, et de souffrir plutôt la mort que d'abandonner la vérité de laquelle Dieu m'avait donné la connaissance. Cette ferme résolution fit que, bien que je sois assez tendre naturellement, je ne m'attendris pas pourtant pour les larmes que ces dames répandaient en abondance ; au contraire, je les encourageai, autant qu'il me fut possible, à souffrir toutes choses pour la vérité de la religion dont nous faisons profession, et je leur représentai que Dieu nous faisait bien de l'honneur de nous avoir choisis pour être des témoins de sa vérité, et de nous avoir appelés à souffrir pour son nom.

L'on nous laissa quelques heures dans cette chambre, où l'on nous pressa extraordinairement pour nous obliger d'obéir à la volonté du roi, et de faire abjuration de notre religion, nous promettant qu'on nous mettrait à l'instant en liberté, et qu'il nous serait permis d'aller où bon nous semblerait. Nous protestâmes tous constamment que nous aimerions mieux mourir que d'abandonner notre religion. Sur ce refus, nous fûmes conduits par un officier (4) et quelques soldats du régiment de Touraine dans les prisons du sénéchal d'Agen, MM. de Mollens, Mascarenc et moi, et peu de temps après on y mena Maillabiou et le sieur Caudiès (5), du lieu de Bruniquel, les femmes de MM. de Mollens, Mascarenc et Caudiès ayant été enfermées ailleurs.

Quelques jours après, voyant qu'on ne pouvait pas nous obliger à changer de religion, ni par les promesses, ni par les menaces, l'on fit venir dans la prison le lieutenant-général du sénéchal d'Agen, pour procéder à notre audition sur ce qu'on nous accusa que nous voulions sortir du royaume, contre les défenses portées par les déclarations du roi (6) mais nous ne voulûmes pas répondre devant ce magistrat qui n'était pas notre juge, et nous insistâmes à notre déclinatoire, demandant d'être renvoyés devant nos juges naturels, ce qui fit qu'il ne passa pas plus outre dans l'instruction de cette affaire.

L'on attendait dans Agen le retour de M. de Boufflers, lieutenant-général des armées du roi, qui commandait les troupes en Guienne, pour savoir ce qu'il voudrait faire de nous ; mais on crut cependant qu'il ne fallait pas nous laisser ensemble, parce que nous pourrions nous fortifier les uns les autres, et consulter entre nous ce que nous aurions à faire et à répondre ; et ainsi, ils résolurent de nous séparer, pour nous priver de la consolation que nous avions d'être ensemble. Si bien que par ordre de M. de Rozen, maréchal de camp des armées du roi, qui commandait en l'absence de M. de Boufflers, on me fit conduire avec Maillabiou dans la citadelle de Puymirol qui est à deux lieues d'Agen (7), par un sergent et quelques soldats qui vinrent nous prendre dans la prison. Ce fut alors que je m'attendris, et lorsque M. de Mollens me vint embrasser les larmes aux yeux, pour me dire adieu, je ne pus retenir les miennes. Nous nous tenions fortement embrassés, fondant en larmes sans pouvoir nous quitter; il semblait que c'était un présage que nous allions nous séparer pour toute notre vie, et que nous ne nous reverrions jamais, comme il y a bien de l'apparence, si Dieu à qui rien n'est impossible ne nous rassemble comme par miracle ; M. de Mollens étant en Brandebourg, son Altesse Electorale lui a donné quelque charge dans ses troupes et où sa femme l'est allé joindre. Enfin les soldats nous séparèrent.



Table des matières

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(1) Jean Mascarenc, avocat à Castres (voy. la deuxième partie de ce volume), et Marguerite de Salavy, sa femme.
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(2) Etienne Malabiou, bourgeois de Castres, fils de Tobie, clerc en la cour et chambre de l'Edit, conseiller du roi, et de Marthe de Montels.
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(3) Ce misérable, dont nous ne savons que le nom de Boisset, a certainement dénoncé les fugitifs pour toucher la moitié de leurs biens, suivant la déclaration du roi du 20 août 1685.
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(4) On fouilla Dupuy et on trouva sur lui son batistaire et celui de sa soeur, extrait du batistaire de Carmaing, fait le 15 octobre 1631 par le pasteur de cette époque cette pièce, qui est aux Archives du Tarn, B. 94, encore toute maculée, fut compromettante pour Dupuy et convainquit ses juges de son intention de gagner l'étranger.
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(5) Marquis Caudye ou Caudie, 31 ans, bourgeois habitant la ville de Bruniquel-en-Quercy, et Françoise de Rigal, 27 ans, sa femme. Le temple de Bruniquel avait été condamné le 6 octobre 1685.
Il y avait aussi le domestique du sieur de Brail, Isaac Lanis, 19 ans, du lieu des Bordes, dans le comté de Foix.
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(6) L'interrogatoire des prisonniers eut lieu à Agen le 24 février 1686 par-devant le sieur de Faure, consul de cette ville ; ils étaient arrivés à Agen le vendredi 22 février ; dès leur arrestation, ils furent détenus, les hommes dans les prisons royales d'Agen, les femmes « gardées à vue par des soldats en l'hostellerie où pend pour enseigne l'image St-Jacques », toujours à Agen.
Dupuy se déclare « habitant de Carmaing, en Languedoc, ayant fait cy-devant profession des armes, et s'estant depuis longtemps retiré à cause de son âge, estant âgé de soixante et dix ans ou environ. »
Parmi les hommes, Dupuy Moulens, Mascarenc, Malabiou et Caudie, refusent de répondre, contestant la validité du juge qui les interroge ; seul Lanis, « au service du sieur de Brail depuis deux mois environ, répond qu'il s'embarqua mercredy dernier à Toulouse, le sieur de Brail avec sa femme et une petite fille, et d'autres personnes qu'il ne connaît pas, ledit de Brail devant se rendre à Bordeaux ». Il ajoute qu'il est disposé à abjurer.
Quant aux femmes, plus intimidées, elles consentirent quelques réponses ; Mme de Brail « s'est embarquée à Toulouse avec son mary et avec un petit enfant d'une de ses soeurs de l'âge de sept ans, et un valet, sans aucun dessein de sortir du royaume, mais seulement pour s'écarter de leur maison, aller de ville en ville dans le royaume pour éviter les chagrins que les gens de guerre leur donnoient ».
Mme Mascarenc se borne à de courtes réponses très vagues.
Mme Caudie dit « qu'elle s'est embarquée pour gagner du temps que les gens de guerre ne fussent pas dans leurs maisons ». Celle-ci fut conduite aussitôt au monastère des religieuses du Chapellet de la présente ville d'Agen. (Archives du Tarn, B. 241).
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(7) Puymirol est exactement à 16 kilomètres à l'est d'Agen.

 

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