Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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C'EST UN REMPART 

ESQUISSES HISTORIQUES DU TEMPS DE LA RÉFORMATION


XII

À ROI DE SANG, PEUPLE REBELLE (Suite)
Guillaume le Taciturne.
(1533-1584)

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    REPOS AILLEURS

    (Devise de Marnix, un des officiers de Guillaume d'Orange.).

    « Quand l'Espagne remue, la terre tremble », disait le populaire, impressionné par la formidable puissance de Philippe II. Ce souverain dominait en effet sur l'Espagne, la plus grande partie de l'Italie, la Franche-Comté, les Pays-Bas, l'Amérique centrale et la plus grande partie de l'Amérique du Sud. Chaque année, les galions (2b) traversaient l'Atlantique pour apporter à Séville les millions tirés des mines d'or et d'argent du Nouveau Monde. Nul pays n'osait comparer son armée à celle du roi catholique ; l'infanterie se recrutait parmi les nobles ; l'officier parlant à ses hommes, leur disait : « Seigneurs soldats ! » ; elle était réputée invincible. Tel était l'orgueil de ce roi qu'on ne lui adressait la parole qu'à genoux.

    Mieux que n'importe qui, Guillaume de Nassau connaissait ce pouvoir. En regard de ces ressources gigantesques, que pouvaient sa principauté d'Orange, son duché de Nassau et ses diverses possessions minuscules ? Avait-il raison de prêter l'oreille aux plaintes de ces Flamands marchands de drap et buveurs de bière? aux colères de ces pêcheurs à demi-sauvages? S'opposer à Philippe II ou à son lieutenant, c'était, pour le jeune prince, briser sa carrière militaire et politique. C'était se condamner à une lutte écrasante, inégale, désespérée ; c'était préférer à la vie facile et brillante, la détresse du rebelle traqué.

    Ce fut la dure part que choisit le Taciturne. « Il préféra à sa propre fortune, la fortune de la Hollande et des siens », dit son épitaphe. Après deux tentatives d'invasion des Pays-Bas qu'il trama à l'étranger, mais que déjouèrent l'habileté du duc d'Albe et la malice des circonstances, en 1572, à la demande des Gueux, il eut l'intrépidité de devenir leur chef. Il adopta comme mot d'ordre : je maintiendrai (les privilèges politiques des dix-sept provinces, la liberté de conscience réclamée dans la requête du Compromis). Il eut comme maxime favorite: « Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni le réussir pour persévérer ». «Et pour sceller sa résolution longuement réfléchie, raconte-t-il, « je conclus un pacte avec le plus puissant de tous les potentats, le Dieu des armées célestes qui, seul, est capable de nous sauver s'il le veut. Même si tous nous devons trouver la mort dans cette lutte, même si ce pauvre peuple doit être complètement massacré, nous ne croirons pas que Dieu abandonne Sa Cause, nous continuerons à mettre en lui notre confiance.»

    Il fallait être armé de ces convictions fondamentales pour affronter une telle entreprise. Les obstacles allaient apparaître plus nombreux que Guillaume n'avait compté : il avait mesuré la force militaire du duc d'Albe, il n'avait pas prévu les difficultés constantes que ferait surgir le fanatisme de ses propres partisans. Pendant douze ans, de 1572 à son assassinat en 1584, il éprouva des revers et des succès que peu d'hommes eussent pu endurer.

    Luthérien de naissance, catholique d'éducation, il était peu à peu revenu à « ces principes de la religion réformée qu'il avait sucés avec le lait ». En définitive, en 1573, il adopta solennellement le calvinisme : c'était là pour lui la façon la plus formelle de déclarer qu'il identifiait sa destinée à celle des provinces rebelles. Dès cette heure il ne pouvait plus être question de réconciliation avec Philippe II.

    Mais s'il embrassait le culte des Gueux, il continuait à réprouver leur farouche intolérance. On l'avait autrefois soupçonné de rêver d'une « espèce de religion qu'il fan. tastiquoit en son esprit, demie catholique et demie luthérienne, pour donner contentement aux uns et aux autres». Si les formes extérieures de sa piété ont varié, son idéal est resté le même, plus lumineux seulement d'année en année, comme un soleil levant : un idéal de tolérance religieuse, d'amour fraternel même entre hommes de religions différentes, entre luthériens et calvinistes, entre catholiques et protestants, entre païens et chrétiens. En des années où son peuple, excédé de souffrir, se brutalise lui-même, comme un cheval odieusement battu s'affole sous la cravache et se casse les jambes en ruant, devant des actes d'une exaspérante cruauté, le Taciturne reste maître de lui et fidèle à la consigne que Dieu lui a donnée. Il ne répond pas à la vengeance par la vengeance ; il surmonte le mal par le bien. Parmi ces soldats héroïques et féroces, il est le soldat d'une idée.

    Pour faire apparaître la grandeur morale de Guillaume d'Orange, nous allons rappeler quelques-uns des coups qui lui furent assénés dans sa personne, dans celle de ses frères, dans celle de ses partisans, et mettre en parallèle sa conduite toujours soucieuse de tolérance et de générosité.

    .

    A L'HERETIQUE, PAS DE FOI.

    Il venait à peine de se retirer dans son duché de Nassau qu'une douloureuse nouvelle lui parvenait déjà : son fils aîné, Philippe-Guillaume, propre filleul du roi d'Espagne, avait été, à l'âge de treize ans, enlevé de force de l'Université de Louvain (1567). Le père avait sans crainte laissé son enfant poursuivre là ses études, puisque l'un des privilèges les plus augustes de cette fameuse école était que, pour quel crime que ce fût, ceux qui y étaient immatriculés n'y pouvaient être arrêtés. Malgré les protestations du recteur, le duc d'Albe n'eut aucun scrupule a violer ce droit d'asile, puisque les vénérables théologiens du concile de Constance avaient proclamé par tout l'univers qu'on ne doit pas tenir parole à l'hérétique. Tout enfant qu'il fût, le petit prince fut emmené en Espagne et « mis entre quatre murailles dans un château a la campagne », où son tendre parrain le retint prisonnier pendant, trente années.

    Lors de la première expédition dirigée contre le duc d'Albe (1568), Guillaume d'Orange perdit son jeune frère Adolphe, tué dans la bataille d'Heiligerlee d'une décharge de pistolet et d'un coup d'épée au milieu du coeur.

    Lors de la deuxième expédition (1572), au lieu des secours promis par les Huguenots français et attendus dans l'anxiété, ce qui parvint au camp des envahisseurs, ce fut la nouvelle de la Saint Barthélemy (24 août). Coligny massacré, la trop petite armée des libérateurs des Pays-Bas n'avait plus que la déroute ou la retraite en perspective. Grandes furent, parmi les Gueux, la déception et la colère :

    « Oeil pour oeil, dent pour dent , S'écriaient-ils, la rage dans l'âme. En France, ils ont tué 8000 coeurs libres... Réveille-toi, Flamand ; saisis la hache sans merci : la sont nos joies ; frappe l'Espagnol ennemi et romain partout où tu le trouveras. Ils ont emmené les victimes mortes ou vivantes vers leurs fleuves et, par pleines charretées, les ont jetées à l'eau. La Seine fut rouge pendant neuf jours, et les corbeaux par nuées s'abattirent sur la ville... »

    Vive le Gueux! Ne pleurons point, frères.
    Dans les ruines et le sang
    Fleurit la rose de la liberté.
    Si Dieu est avec nous, qui sera contre?
    Quand l'hyène triomphe,
    Vient le tour du lion.
    D'un coup de patte il la jette sur le sol, éventrée.
    Oeil pour oeil, dent pour dent. Vive le Gueux !

    Seul, le Taciturne se taisait.

    Dès 1572, le prince, fixé sur territoire hollandais, dirigea la révolte. Sur mer, les Gueux étaient presque toujours heureux. Quand leur amiral avait crié : « De par le prince, en chasse 1 » et que tous les capitaines de la flotte avaient répété : « De par monseigneur d'Orange et messire l'amiral, en chasse», quand les tambours et les fifres avaient sonné l'abordage, la victoire était de règle. Par contre, sur terre, les échecs étaient durs et fréquents, aggravés par la férocité du duc d'Albe et des troupes espagnoles. Guerre de sièges successifs, certaines villes et provinces conquises par les uns étant reprises par les autres.

    Pour terroriser l'adversaire, l'Espagnol procédait à des pillages et à des exécutions exemplaires : durant trois jours, la ville de Malines subit « le plus cruel et inhumain saccagement qui se soit vu de ce temps ».

    Après quelques jours de canonnade, Zutphen fut emportée d'assaut; l'armée royale ayant reçu l'ordre « de ne laisser un seul homme en vie et même de faire mettre le feu à quelques parties de la ville », elle exécuta ponctuellement la consigne.

    Naarden, « que personne au monde n'aurait voulu défendre tant elle était faible », eut l'audace de tirer du canon sur l'ennemi : on put ainsi « par la permission de Dieu » infliger aux bourgeois le châtiment qu'ils méritaient. Après leur avoir formellement promis « qu'ils ne seraient grevés ni en leurs corps, ni en leurs biens », les hommes de la petite cité, réunis par ordre dans l'église, au nombre de 500, furent froidement massacrés ; tous les autres habitants y passèrent ensuite, vieillards, femmes et enfants. Car « à l'hérétique, on ne doit garder la foi ».

    Vint le tour de Harlem, la plus grande ville de la province de Hollande, mais faiblement fortifiée. Ce siège est devenu célèbre par l'héroïque résistance de la population et par la tragédie qui l'acheva. Les soldats du roi y mirent de l'acharnement, soutenus par l'espoir du pillage : ils repoussèrent toutes les tentatives d'Orange contre leurs lignes. A mesure que la cité prolongeait sa défense, de part et d'autre la guerre se faisait plus féroce. Les bourgeois s'excitaient à la constance :

    « Harlem est la ville des coeurs vaillants, des femmes courageuses. Elle voit sans crainte, du haut de ses clochers, onduler comme des bandes de fourmis d'enfer les noires masses des bourreaux.

    « Le fils du duc d'Albe ne veut, dit-il, pour entrer chez nous, d'autres clefs que son canon. Qu'il ouvre, s'il le peut, ces faibles portes ; il trouvera des hommes derrière. Sonnez, cloches ; carillon, lance tes notes joyeuses dans l'air épais de neige.

    « Nous n'avons que de faibles murs et des fossés à la manière ancienne. Quatorze pièces de canons vomissent leurs boulets sur le port. Mettez des hommes où il manque des pierres... Venez, bourreaux, marchez dans nos rues, les enfants vous couperont les jarrets avec leurs petits couteaux... »

    Sept mois de siège réduisirent enfin Harlem « a une famine sans exemple ». Un peu plus tard, les bourgeois de Leyde, en pareille situation, devaient jurer « qu'ils mangeraient plutôt leur bras gauche que de rendre la ville ». Ceux de Harlem apprirent à manger chevaux, chiens, chats et rats, herbes, feuilles et racines, et le cuir de leurs souliers. A ce régime; cinquante personnes mouraient par jour, les dernières semaines de l'investissement ; au total 13 000 succombèrent à la faim. En désespoir de cause, il fallut bien hisser sur la tour de l'église le drapeau noir, signal de détresse. Sur la promesse « que grâce serait faite à tous ceux qui resteraient dans la ville », les portes furent ouvertes; dans des angoisses terribles, une population exténuée, blême, squelettique, attendit l'entrée du fils du duc d'Albe. « A l'hérétique, on ne doit garder la foi »; cependant, pour accomplir au nom du roi un acte de clémence (sans ironie), le gouverneur se contenta de mettre patiemment à mort les 2300 soldats français, wallons et anglais qui avaient défendu la place (1573). Pendant plusieurs jours, le glaive et la corde besognèrent ; liés deux à deux, quelques centaines d'hommes furent jetés à la mer. Les crabes étaient gras, cette année-là, a la fin de l'été.

    Quelques mois plus tard, disgracié pour n'avoir pas su maîtriser d'un coup la révolte des Gueux, le duc d'Albe quitta les Pays-Bas, « chargé de butin et saoulé de sang et de supplices. Il montrait un visage soucieux et mécontent. »

    L'an suivant, en 1574, Louis de Nassau, accompagné de son frère cadet, Henri, arriva d'Allemagne à la tête de trois mille cavaliers et de sept mille fantassins, mercenaires de différentes nations. Comme il cherchait à pénétrer en Hollande, pour porter secours à son frère et aux Gueux, il fut atteint à Mook par les troupes espagnoles et attaqué au moment où ses lansquenets refusaient de combattre, réclamant leur solde. En quelques heures, le désastre fut complet : l'armée d'invasion fut taillée en pièces et dispersée ; parmi les trois mille tués, se trouvaient tous les capitaines et les deux frères de Nassau, dont on ne put retrouver les corps. Une semaine plus tard, le prince d'Orange ne recevant aucune réponse à sept lettres successives, commença de s'alarmer. Lorsqu'il dut constater la disparition de Louis et d'Henri, il écrivit à son dernier frère Jean : « Si, faute de secours, nous nous perdons, au nom de Dieu, soit ! Toujours nous aurons cet honneur d'avoir fait ce que nulle autre nation n'a fait avant nous, en nous défendant et en nous maintenant en un si petit pays, et contre les puissants efforts de l'Espagne, sans assistance quelconque. »

    Cet adversaire impossible à abattre, il ne restait plus, pour le lâche souverain, qu'à le faire assassiner. Du fond de l'Escurial (le Palais qu'il avait eu l'heureuse idée de construire en forme de gril, idée si pleine d'à-propos), Philippe Il publia une proscription sanglante contre Guillaume de Nassau, l'appelant « ingrat, rebelle, hérétique, hypocrite, Caïn, Judas, impie, sacrilège, parjure, l'auteur de tous les troubles des Pays-Bas et la peste du genre humain » ; il promettait vingt-cinq mille écus d'or et des lettres de noblesse a qui le prendrait mort ou vif. C'était là le suprême outrage.

    .

    LE DOMPTEUR DES GUEUX.

    Le Taciturne bravait tous les orages avec une sérénité sans égale. « Tranquille au milieu des plus grandes tempêtes », telle était sa devise. Et, calmement, il obéissait à sa conscience.

    Sa bonhomie et sa rondeur d'allures lui attiraient la sympathie des bourgeois, hommes d'affaires et marchands: « Il savait causer, converser et boyre avec eux, et avec la langue les tirer à ce qu'il voulait. » Dans son hôtel, il avait pour maître-coq « un roi de cuisine, un empereur de fricassées » ; sa table était ouverte a chacun ; tous les chefs des Gueux y défilaient, flattés de s'y asseoir a côté d'ambassadeurs et de princes étrangers, mis en gaieté par les aimables railleries du maître de céans. « Lorsqu'il marchait par les rues, il allait toujours découvert, montrant un visage riant au peuple, qui accourait de toutes parts pour le voir passer». Il arrêtait les simples artisans pour s'entretenir avec eux. « On rapporte qu'un jour, ayant entendu du bruit dans la maison d'un petit bourgeois en dispute avec sa femme, il entra dans cette maison, où, après avoir écouté patiemment la cause de leur querelle, il les exhorta à se réconcilier l'un et l'autre, avec une tendresse incroyable. Ce qui ayant été exécuté sur-le-champ, le maître du logis le pria de goûter sa bière, ce que le prince lui accorda. »

    Aussi devenait-il toujours plus l'idole de la foule. « Quoique la vie de ce noble Prince semblait être persécutée par la Fortune, il avait néanmoins souvent la satisfaction d'une joie et d'un contentement intérieur au .milieu de ce Peuple dont il possédait entièrement les coeurs et l'affection, au lieu qu'il y a des Princes qui ne commandent que sur les corps de leurs Sujets, ce qui n'est point comparable à ce charmant empire sur les âmes qui fait la plus noble partie de la Souveraineté. » Les catholiques et les royalistes eux-mêmes admiraient son humanité.

    Peu à peu, il arriva à dompter les Gueux et a en faire des soldats disciplinés. Il ne craignait pas d'établir dans ses armées de sévères sanctions contre tout acte de rapine et de faire pendre quelques officiers pillards. « La bonne justice qu'il maintenait parmi ses troupes faisait ressortir plus cruellement les désordres de celles du roi. » a Il avisait pareillement aux moyens de payer le blé pris par les Gueux aux paysans et d'accorder aux catholiques romains comme à tous, le libre exercice de leur religion, sans persécution ni vilenie. »

    Pour couper court aux habitudes de violence et de fanatisme de ses soldats et matelots, il fit un exemple retentissant en cassant de son grade d'amiral en chef des Gueux de mer le glorieux conquérant de La Brielle, Guillaume de la Marck, sire de Lumey (1573). Ce dernier n'était pas seulement vaillant et audacieux ; il haïssait aussi frénétiquement tout ce qui sentait le catholique. Par la parole et par écrit, le prince d'Orange, en lui conférant de grands pouvoirs, lui avait expressément commandé la modération, « afin d'assurer le succès de la révolution par l'union de tous les habitants des Pays-Bas ». La Marck avait tout promis. Mais il oubliait tout quand il se trouvait à la tête de sa terrible flotte. Ses marins et soudards portaient au couvre-chef le croissant d'argent avec l'inscription : « Plutôt servir le Turc que le Pape ». Quand les capitaines les rassemblaient sur le pont et leur annonçaient la bataille, ils répondaient : « Nous avons des ailes, ce, sont nos voiles ; des patins, ce sont les quilles de nos navires; des mains gigantales (de géants), ce sont les grappins d'abordage. Vive le Gueux ! » Et aussitôt, dans le vent aigre et sous le ciel clair, au glapissement des fifres et roulement des tambours, les navires partaient à l'assaut. « Toutes voiles dehors comme des cygnes, cygnes de la blanche liberté. Blanc pour liberté, bleu pour grandeur, orange pour le prince, c'est l'étendard des fiers vaisseaux. Ils passent, ils courent, ils volent sur l'eau, vites comme des nuages au vent du nord, les fiers vaisseaux des Gueux. Entendez-vous leur proue fendre la vague? Dieu des libres. Vive le Gueux 1 Les flots gémissent traversés, quand les bateaux vont droit devant eux, ayant sur la pointe de l'avant le bec meurtrier de leur longue coulevrine. » Quand l'ennemi est rejoint, quatre-vingts canons tonnent à la fois, et la belle voix des arquebuses Proclame la prochaine délivrance.

    A la tête de ses sauvages Gueux, le sire de Lumey méprisait les ordres du prince. Il était impitoyable pour les prêtres et les moines ; il faisait torturer et pendre les papistes.

    Un jour, un digne et bon vieillard voyageait sur la route de La Haye, venant de Delft. C'était Cornélius Musius, prêtre septuagénaire, aimable poète très estimé de Guillaume d'Orange. Les soldats de La Marck, rapinant par le pays, tombèrent sur lui, l'emmenèrent brutalement à Leyde vers cinq heures du soir et l'enfermèrent dans la maison d'un notaire. L'amiral le fit aussitôt mettre à la question, exigeant que Musius avouât qu'il avait quitté Delft avec l'intention de se retirer chez les Espagnols ; on ne put lui arracher cet aveu. Cependant, La Marck, sans autre forme de procès, le fit torturer et pendre. La victime vivait encore qu'arrivait à bride abattue, devant les murs de Leyde, un messager du prince d'Orange, qui ordonnait de relâcher d'urgence le prisonnier. Mais La Marck, enrageant de voir que sa proie risquait de lui échapper, ne fit ouvrir la porte de la ville qu'après le dernier soupir du vieillard.

    Quelque temps plus tard, le prince d'Orange put enfin faire arrêter et emprisonner ce forcené. Et les Gueux de mer furent mis sous les ordres d'un être humain.

    Harlem venait de se rendre à l'Espagnol lorsque Middelbourg (île de Walcheren, Zélande) dut ouvrir ses portes au Taciturne, après une magnifique résistance de deux ans (1574). « On s'attendait à le voir ordonner le carnage de la garnison espagnole, ou tout au moins l'exécution de son chef, le vieux colonel Mondragon ». Il ne fit rien de tout cela. Il permit à Mondragon de se retirer sain et sauf avec son régiment, les soldats gardant leurs armes ; les prêtres et les moines purent sortir en paix. La parole de miséricorde que Guillaume avait donnée, il la tint ponctuellement, a l'ébahissement de l'ennemi. Une fois la ville occupée par ses volontaires, son premier soin fut de faire célébrer dans l'église un service d'actions de grâces.

    La même année, après s'être empare du château de la dame de Vredenbourg, il la remit en liberté avec ses filles, « disant qu'il ne faisait pas la guerre aux dames, mais aux Espagnols ».

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    « TRANQUILLE AU MILIEU DES TEMPÊTES »

    Il y a en Hollande vingt-cinq mille pièces d'or à gagner d'un bon coup de pistolet. Dans tous les coins de l'Europe des scélérats trament des complots de connivence avec évêques et seigneurs. Car l'argent est le poison de l'âme.

    Pour préparer le meurtre, de riches marchands se font généreux et avancent les fonds. La police de Philippe Il examine les candidats assassins, et les prêtres bénissent leurs armes. En ce concours institué par le roi catholique, le lauréat sera heureux : richesse et noblesse en cette vie, salut éternel dans l'autre.

    Les amis de Guillaume de Nassau sont dans l'inquiétude : le prince manque de prudence. Il reste affable et confiant envers chacun ; sa porte s'ouvre à qui désire lui parler ; sa table réunit toujours visiteurs et partisans venus de près et de loin. Il ne se retire pas de son peuple. Point de mesures spéciales, d'appartements gardés, de portes secrètes. Il ne donne pas signe de peur, bien qu'il connaisse son danger. Sa vie est dans la main de Dieu.

    A Anvers, par une calme soirée de printemps (1582), il s'entretient gaiement à table, dans le cercle de sa famille et de ses amis. On chuchote à la porte de la salle à manger : « C'est un messager porteur d'une pétition. Inutile de le faire entrer ! » répond un officier. Le prince ne veut pas qu'on renvoie ainsi un quémandeur ; n'est-il pas là pour son peuple? Il se lève. Mais avant qu'il ait atteint la porte, un coup de feu a retenti, et le Taciturne s'affaisse, douloureusement blesse. Ses amis se précipitent à son secours et l'emportent. Jaureguy a bien tiré - la balle est entrée sous l'oreille droite et sortie par la joue gauche, brisant les dents. On attend la mort du chef adoré. Il est impossible d'exprimer combien grande est la tristesse de la ville et du pays a la nouvelle de l'attentat. Les magistrats ordonnent des jeûnes publics : le peuple est continuellement à l'église, implorant la guérison. Combien grande est ensuite sa joie lorsqu'il apprend peu à peu le rétablissement providentiel du « Père de la Patrie » !

    A mesure que sa politique d'union nationale perd du terrain, Guillaume de Nassau se retire dans les provinces septentrionales, centre de la résistance. Il se fixe à Delft. C'est là qu'il sera le moins en danger. C'est là aussi qu'il pourra mener la vie la plus simple. Car le prince qui vivait naguère dans l'opulence et dans le luxe, étant l'homme le plus riche du pays, doit maintenant compter ses sous comme le moindre des journaliers. A défendre son peuple, il a dépensé toute sa fortune. Pour satisfaire ses créanciers, il a mis en gage non seulement ses vastes et nombreux domaines Seigneuriaux, mais le bel ameublement de sa maison, son orfèvrerie, sa porcelaine, et ses objets d'art. Lorsqu'on le rencontre dans les rues de Delft, on le prendrait pour un bourgeois un peu dépenaillé, lui, le familier des empereurs et des rois.

    Que lui importe son modeste accoutrement 1 S'il n'avait que ce souci-là, il aurait le coeur léger. Mais il porte en son âme l'angoisse de l'avenir : la discorde parmi ses partisans, leurs intrigues, leurs actes de funeste intolérance les uns à l'égard des autres, voilà le pire tourment de sa vie. De l'Espagnol, on vient à bout. Mais pas de la mesquinerie du coeur humain.

    Pourtant à Delft même, il n'a que des amis. Dans la petite ville où presque tous les citoyens se connaissent, l'apparition d'un étranger est immédiatement remarquée. Plus d'une fois déjà, on a arrêté des individus suspects ; il est manifeste que l'exemple de Jaureguy a trouvé des imitateurs. Chacun est sur le qui vive.

    Cependant, les fugitifs protestants continuent de trouver asile dans la cité. Un jour frappe à la porte de la ville un Franc-Comtois, Balthazar Gérard. Il raconte que les inquisiteurs ont brûlé son pauvre père et qu'il vient chercher refuge parmi ses frères de Hollande. Pourquoi le soupçonner? Pas de dévot plus assidu que lui. Il n'est jamais sans une Bible sous le bras. Chaque dimanche, il assiste au culte réformé. Et il ne manque pas de prendre part aux discussions théologiques du jour.

    Quelle hypocrisie ! Gérard n'est qu'un suppôt des jésuites. Il a conspiré à Trêves avec eux. Ces derniers l'ont assuré que, s'il délivrait l'Eglise du plus grand ennemi qu'elle eût, il accomplirait un exploit de héros ; s'il mourait en exécutant cette action, il serait mis au rang des bienheureux martyrs ; s'il abandonnait son projet, il serait condamné aux éternels supplices de l'enfer.

    Après avoir passé à Delft quelques semaines, dont il profita pour acquérir la confiance du Taciturne, il jugea le moment venu. Il demanda au prince une audience, pendant laquelle il n'osa tirer son arme. Déjà, Guillaume s'était retiré ; a sa femme qui le questionnait anxieusement sur cette entrevue suspecte, il répondit en riant : « Ce n'était qu'un brave bourgeois venu m'apporter un message ». Mais un instant après, le prince se disposant à sortir, prit l'escalier descendant en la cour. Gérard, dissimulé derrière une colonne, fait un pas en avant, le pistolet levé, et tire : ayant reçu la décharge en pleine poitrine, Guillaume d'Orange s'effondre et meurt presque aussitôt dans les bras de son épouse et de sa soeur en disant : « Seigneur, aie pitié de mon âme et de ce pauvre peuple ! » (10 juillet 1584).

    Son fils, Maurice de Nassau, prince d'Orange, affermit si vaillamment l'oeuvre du Taciturne que son habileté militaire fit l'admiration de toute l'Europe et qu'il fut surnommé le Fléau des Espagnols.

    La Hollande était libre.

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    NOTES HISTORIQUES

    Les Pays-Bas comprenaient, au 16e siècle, les royaumes actuels de Belgique et de Hollande. Ils étaient divisés en dix-sept provinces. Les dix provinces du sud (la Belgique), peuplées surtout de Wallons (Français), débordaient d'abondance grâce à leurs fabriques de drap et à l'activité de leur commerce. Les sept provinces du nord (la Hollande), au delà de la Meuse et du Rhin, étaient moins prospères; leurs habitants, d'origine germanique, s'adonnaient surtout à la pêche. «Mais au nord comme au sud, le même trait de caractère se retrouvait chez tous les habitants: ils étaient passionnément attachés à leurs libertés. « Chaque province avait son administration particulière, ses « Etats » (Grand Conseil) et son Gouverneur ; pour l'ensemble des provinces, il y avait à Bruxelles les « Etats généraux » et le Gouverneur général, sorte de vice-roi.

    Dès la première heure, la Réforme luthérienne avait pénétré dans ce pays si proche de l'Allemagne. Aussitôt, Charles-Quint avait établi, à sa manière, l'Inquisition et avait promulgué de sanglants édits affichés partout, les placards. Sous Philippe Il se produisit une vigoureuse offensive du calvinisme, qui arrivait de France, par le sud, et qui progressait jusque dans le nord malgré toutes les interdictions.

    Féru de despotisme, le roi entreprit, de Madrid, par l'intermédiaire de la gouvernante, sa soeur, Marguerite de Parme, et de son homme de confiance, le cardinal Granvelle, de mater ce peuple avide de liberté. Il tenta de faire appliquer strictement les placards souvent négligés ; il réintroduisit dans plusieurs villes des garnisons espagnoles ; il porta des atteintes diverses et répétées aux droits des provinces. De là, une double agitation, politique et religieuse, qui aboutit au rappel de Granvelle (1564), mais qui ne modifia pas les pratiques du gouvernement.

    Dans ces conditions, en 1566, les nobles se liguèrent en une alliance, ou Compromis, qui compta vite deux mille adhérents. Ils envoyèrent à Marguerite une nombreuse députation pour réclamer l'abolition de l'Inquisition (5 avril 1566). Prise au dépourvu, la gouvernante promit la modification des placards. C'est probablement à cette occasion-là que le met de « Gueux», prononcé en injure, fut adopté par les nobles comme mot de ralliement.

    Le soulèvement des iconoclastes, imprévisible, brutal, fut malheureusement funeste à la cause de la liberté. Les Gueux se divisèrent aussitôt en «Gueux d'Etat » (catholiques désireux avant tout de réformes politiques) et « Gueux de Religion « (ardents calvinistes visant à la liberté du culte et adversaires de « l'idolâtrie romaine »). Le fanatisme d'une partie des réformés rompit une première fois l'unité de front des défenseurs du pays.

    L'audace des alliés du Compromis et la fureur des iconoclastes permirent à Philippe Il d'agir sans ménagement, selon son goût. Il remplaça Marguerite de Parme, trop indulgente, par le duc d'Albe, un vieux et dur soldat, qui institua aussitôt un tribunal dit Conseil des Troubles, et bientôt surnommé le Tribunal du Sang. Ce fut un terrible massacre et le règne de la terreur.

    L'établissement d'énormes, impôts nécessités par l'entretien des troupes espagnoles, acheva d'exaspérer le pays. La prise de La Brielle par les Gueux de mer (1572) fut le signal d'un soulèvement général.

    Tout d'abord, les dix-sept provinces marchèrent d'accord, celles du nord ayant pu chasser l'Espagnol et se retranchant derrière leurs canaux, digues et bras de fleuves, celles du sud durement maintenues sous le joug, mais applaudissant aux moindres succès des Gueux, s'alarmant à leurs défaites. Les victoires des soldats du roi étaient d'ailleurs chèrement achetées. D'autre part, les troupes espagnoles, recevant rarement leur solde, se révoltaient souvent et se payaient elles-mêmes en pillant et en « mangeant les entrailles du pays». Les provinces soumises étaient les plus en danger. En 1576, Anvers fut saccagée et massacrée de fond en comble.

    Après le départ du duc d'Albe, disgracié, après la mort de son successeur Requesens, tué de soucis, le désordre gagnant toujours plus de terrain dans le sud, les Belges se révoltèrent enfin. En novembre 1576, inspirés par le Taciturne, les dix-sept provinces conclurent à Gand une union pour la défense de leurs libertés (Pacification de Gand).

    Malheureusement, cette union fut rompue à nouveau par la discorde et le fanatisme. « Entre les provinces du sud et celles du nord, il y avait opposition de race, de langue, de religion. Malgré les efforts du Taciturne qui voulait, par une « Paix de religion », les amener à la tolérance réciproque, Calvinistes au nord et Catholiques au sud ne voulaient pas admettre d'autre façon de croire que la leur. Cet état d'esprit fut mis à profit par un nouveau gouverneur, un neveu de Philippe II, le duc de Parme, Alexandre Farnèse, le fils de Marguerite. Aussi bon diplomate qu'habile homme de guerre, il entreprit de ramener par la modération les catholiques au roi d'Espagne. En 1579, ceux-ci rompaient l'Union de Gand, formaient l'Union d'Arras et rentraient sous l'autorité de Philippe II ». (Malet.)

    Les sept provinces du nord signèrent entre elles la Pacification d'Utrecht (1579), puis l'acte de La Haye (1581), par lequel elles se proclamèrent indépendantes: ce fut la république des Provinces-Unies.

    La guerre reprit de plus belle, Philippe Il et son fils après lui s'obstinant à vouloir soumettre les révoltés. Elle dura encore près de trente ans. En 1609, une trêve fut signée. En 1648, après une nouvelle lutte de vingt-sept ans, l'indépendance des Provinces Unies fut définitivement reconnue par les traites de Westphalie.

    Guillaume de Nassau, prince d'Orange, dit le Taiseux (« celui qui sait se taire »), d'où l'on fit plus tard le Taciturne, naquit à Dillenburg (duché de Nassau), le 16 avril 1533 et mourut assassiné à Delft (Hollande), le 10 juillet 1584.

    Charles-Quint ayant exigé que le petit prince fût élevé à sa cour dans la religion catholique, Guillaume fut pendant neuf ans un des gentilshommes de sa chambre. L'empereur admirait tant la précoce maturité d'esprit du jeune homme qu'il prenait plaisir à l'instruire lui-même. Lorsqu'il donnait audience particulière aux ambassadeurs, « le jeune prince voulant se retirer avec le reste des courtisans, l'empereur l'arrêtait toujours avec ces paroles obligeantes: « Demeurez, prince ! » Toute la cour était surprise des hautes charges qui lui furent confiées alors qu'il n'avait pas vingt ans.

    Ces témoignages d'estime et de faveur que lui prodigua Charles. Quint provoquèrent de vives jalousies et lui nuisirent auprès de Philippe Il. Cependant, le nouveau roi ne pouvait se passer de son concours. Membre du Conseil d'Etat depuis 1555, Guillaume devint en 1559 gouverneur des provinces de Hollande, Zélande, Utrecht et Franche-Comté.

    A cette date, ayant négocié pour Philippe Il le traité de Cateau-Cambrésis, il fut désigné comme otage pour en garantir l'application. Il vécut ainsi quelque temps à la cour de Paris. C'est dans son Apologie qu'il raconte comment Henri Il lui révéla les projets combinés avec Philippe Il pour l'extermination des hérétiques. C'est alors, dit-il, qu'il se décida à employer tous les moyens en son pouvoir pour débarrasser son pays de la « vermine espagnole ».

    Malgré sa jeunesse, son immense fortune lui assurait une très grande influence. « Ses revenus faisaient de lui le seigneur le plus riche des Pays-Bas et on lui savait gré de n'en tirer aucune vanité. Car il se montrait simple, aimable, accueillant envers tous. jamais de colère ni de rudesse, même envers ses domestiques ». Instruit, parlant huit langues, il se faisait remarquer surtout par son intelligence lucide et par sa volonté tenace. S'il était lent à se décider, il vie variait plus ensuite. « Mon intention, depuis que Dieu M'a donné un peu d'entendement, a toujours tendu à cela de ne me soucier ni de paroles ni de menaces en choses que je puisse faire avec bonne et entière conscience. »

    Après les événements de 1566, reconnaissant l'inutilité de la résistance pacifique au despotisme espagnol et décidé à protéger à ces chrétiens malheureux et opprimés », il se démit de ses charges publiques et n'attendit pas pour se retirer à Dillenburg que le duc d'Albe lui eût coupé le cou.

    De sa retraite à l'étranger, il « leva deux fois de très grosses armées », dont il supporta lui-même une grande partie des frais, et pénétra dans les Pays-Bas avec de l'artillerie de campagne et de lourds canons « parlant pour lui ». Mais « le Taiseux ne devait avoir nul bon succès » en ces guerres. car tantôt d'Albe refusait le combat, tantôt « les lâches soudards mercenaires demandaient argent quand il fallait bataille », et toujours l'indispensable secours faisait défaut à la dernière heure.

    La première fois (1568), il comptait sur l'appui des princes luthériens d'Allemagne. Mais aucun d'eux n'intervint : ils ne s'intéressaient pas au sort de voisins calvinistes qui avaient hautement déclaré « qu'ils aimeraient mieux mourir que de se faire luthériens ».

    La deuxième fois (1572), Guillaume comptait que les villes catholiques l'accueilleraient comme un libérateur: elles le traitèrent avec défiance ; leur colère était grande non seulement contre l'oppresseur espagnol, mais aussi contre les Gueux massacreurs de curés et pilleurs d'églises ; à cause du fanatisme de ses alliés, le prince d'Orange était devenu suspect dans les provinces catholiques.

    En cette même expédition, il comptait sur l'intervention des Huguenots de France. Leurs premiers renforts furent dispersés ou bloqués. Au lieu des secours qui devaient suivre, ce qui parvint au camp de Guillaume de Nassau, ce fut la nouvelle de la Saint-Barthélemy (24 août 1572). C'était le désastre pour les rebelles des Pays-Bas.: ils ne pouvaient plus rien attendre, pour le moment, des Calvinistes de France.

    Après ce nouvel anéantissement de ses espérances, le prince d'Orange battit en retraite. Vaincu, fugitif, endette, abandonné par beaucoup de ses amis et même par sa femme, Anne de Saxe, mais non découragé et opiniâtre jusqu'à l'héroïsme, il se retrancha en Hollande et Zélande, appelé par les Gueux à prendre la tête de leur soulèvement. Il était décidé à travailler à la délivrance de son pays « tant que l'âme lui demeurerait au corps » et « à faire sa sépulture » dans les cantons en révolte.

    Pendant douze ans, il fut l'âme de la résistance, mettant de l'ordre dans le nouvel Etat, organisant ses finances, disciplinant ses troupes, régularisant sa vie économique, entretenant d'étroites relations diplomatiques avec l'Allemagne, l'Angleterre et la France, opposant les ambitions de ces puissances pour obtenir des secours. Il sut mener tous ces travaux de front avec les soucis de la guerre, des sièges commencés, des villes à débloquer, des batailles à livrer contre la plus grande armée du temps.

    Il guerroyait âprement contre la suprême habileté politique et militaire de Farnèse lorsque, à cinquante et un ans, la balle de Gérard le délivra définitivement de sa lourde tâche.

    Quoiqu'il eût toute sa vie exhorté les siens à la modération, son assassin, saisi quelques instants après l'attentat, fut le lendemain affreusement torturé: il fut tenaillé dans toutes les parties du corps ; la main qui avait tiré le coup de pistolet fut brûlée entre deux fers ardents ; puis le malheureux fut écartelé tout vif, et le bourreau, lui ayant arraché le coeur, le lui jeta au visage. Gérard endura ces tourments avec une prodigieuse constance. Le vrai coupable, ce n'était pas lui.

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    INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

    - Histoire des princes d'Orange de la maison de Nassau. Amsterdam, Marret 1692.

    - Th. Juste, Histoire du soulèvement des Pays-Bas. Tomes I et II. Bruxelles, Gobbaerts, 1867.

    - H. Pirenne, Histoire de la Belgique. Tomes III et IV. Bruxelles, Lamertin, 1919.

    - A. Malet, Histoire moderne. Paris, Hachette, 1913.

    - Ch. de Coster, Légende d'Ulenspiegel. Bruxelles, Lacomblez, 1912.

    (Ce vieux récit belge est écrit avec une verve, une saveur, une virulence incroyables. C'est une évocation passionnée des souffrances du pays sous Philippe Il. Nous nous sommes permis de lui emprunter quelques brefs épisodes (L'araignée, Le Compromis, Les chants des Gueux, La Saint-Barthélemy, Le siège de Harlem, etc.) que nous ne pouvions nous résoudre à narrer dans nos termes après les avoir lus dans ceux de l'ardente Légende.)

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    NOTES PÉDAGOGIQUES

    Au temps de la Réforme, les Pays-Bas furent le théâtre d'événements extrêmement complexes et enchevêtrés. Nous ne devions pas tenter de les décrire ; nous en avons choisi quelques-uns dignes d'illustrer le But du récit inscrit en tête de ce chapitre.

    Pour utiliser ces pages avec quelques chances de profit, il sera bon de ne pas perdre ce fil conducteur: démontrer par des faits que le mal produit le mal, que la vengeance engendre la vengeance, que l'intolérance provoque l'intolérance, d'éternité en éternité. Il ne suffit pas de prendre parti pour la cause de Dieu et de se dévouer corps et âme à la chose publique ; il faut encore se garder du chauvinisme qui obscurcit l'esprit et fait échouer les plus courageux efforts.

    La mission du chrétien dans ce monde, est de rompre le cercle vicieux, de répondre à l'offense par le pardon.

    C'est l'unique moyen par lequel puisse se réaliser le message de Noël: Paix sur la terre, bienveillance parmi les hommes.

    Pour les aînés.

    Dans cet ordre d'idées, il vaudra la peine de méditer les lignes suivantes suggérées au journal de Genève, le 11 septembre 1926, par l'entrée de l'Allemagne dans la Société des Nations :

    « La guerre, l'armistice, Versailles et Trianon, Wilson et. son grand rêve tissé de superbes idées, la Société des nations victorieuses et ses tâtonnements du début, et, pour finir, au bout de ces longues années qui virent l'humanité encore désaxée, en quête d'une conscience, pour finir,... ce 10 septembre, où l'Allemagne franchit le seuil de la salle de la Réformation.

    » Cinquante-cinq ans sont passés depuis que les bataillons allemands vainqueurs firent vibrer la voûte de l'Arc de l'Etoile. Naguère la victoire, pour se payer, frappait ceux qu'elle avait terrassés. Aujourd'hui. l'humanité a réfléchi. L'humanité a changé et s'est dit qu'au-dessus des plus intenses satisfactions d'amour-propre, au-dessus des plus glorieuses sanctions que l'exaltation patriotique commande, au-dessus de tout cela, il y avait autre chose, il y avait quelque chose de plus grand, de plus magnanime, de surhumain peut-être, mais quelque chose enfin, né dans la conscience des peuples, quelque chose que l'esprit créait et qu'appelait avec ferveur, avec passion, l'avenir: la réconciliation ! ... »



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