NOTES
PÉDAGOGIQUES
Quand il eut avalé sa saucisse et son
pot de bière, Dürer sortit de l'auberge de la «
Petite cloche à la Saucisse Rôtie (2)»
et descendit vers la place du Marché. Il
eut bientôt rencontré Pirkheimer, qui rapportait un
exemplaire de Cicéron acheté à la
foire.
Pirkheimer dit.
- OÙ vas-tu, Dürer?
- Excellent Wilibald, mon ami, je vais tenir
mon banc de foire pour que mon Agnès puisse aller
manger.
Pirkheimer, retournant sur ses pas,
accompagna le peintre au marché, et tous deux, causant de
doctes choses, arrivèrent devant l'église
Notre-Dame. Comme midi sonnait et que la cavalcade des petits
bonshommes de bois tournait à l'horloge de l'église,
Dürer remarqua qu'il fallait la grande foire de mai pour lui
donner l'occasion de voir les figurines sortir de leur
cachette.
- Eh ! bien, dit Pirkheimer, sois plus
curieux encore
et viens voir la fontaine de l'Homme aux
oies, que Pankratz Labenwolf a fait dresser hier sur la
place.
Et quand ils eurent regardé la
fontaine, le paysan de pierre qui porte sous chaque bras une oie
dont le bec fait un goulot ; quand ils eurent admiré la
rudesse du visage de l'homme et comment l'effort qu'il fait pour
porter ses deux bêtes est rendu avec vérité,
les deux amis se séparèrent et Dürer alla
s'asseoir à son banc.
Agnès compta la recette de cette
première matinée de foire ; elle remit à son
mari la grosse bourse de cuir ; puis elle s'en alla du pas
mesuré d'une bourgeoise honnête, à travers les
étalages des libraires, des armuriers et des
potiers.
Et Dürer contempla les flèches
dentelées des églises et de la Belle-Fontaine, les
pignons en escaliers des maisons, les toits pointus des tourelles,
les fenêtres ogivales à petits carreaux, les
sculptures accrochées partout, tout cet effort de l'art
pour élever les âmes, pour éclairer la vie,
pour enrichir la cite.
Des auberges où l'on rôtit la
saucisse renommée, où l'on trinque la bière
blonde, sortaient maintenant les marchands de tous pays, discutant
les marchés à conclure.
Et les paysans éperonnés,
armés de vieilles épées au fourreau
usé, de coutelas passes à la ceinture, envahissaient
la place, la remplissaient du bruit de leur rude langage.
Et comme deux d'entre eux s'arrêtaient
devant son étalage et regardaient avec attention les
gravures qui se balançaient au vent, Dürer leur offrit
l'image d'un cochon monstrueux. Et, parce que les paysans
continuaient de promener leur regard surpris sur les gravures aux
sujets variés, le peintre leur présenta le portrait
de l'empereur
Maximilien, et une paysanne qui porte des
volailles et qui dispute avec un manant devant un panier d'oeufs.
Et aussi l'enfant prodigue entouré de pourceaux, à
genoux dans la cour d'une ferme.
Alors le plus vieux villageois se tourna
vers l'église et dit :
- J'ai vu, par là, des gens qui m'ont
dit que tu en vendais d'autres qui représentent la vie de
Notre Seigneur.
Et Dürer leur montra les douze planches
de la Passion gravées sur cuivre.
La première représente le
Christ debout contre la colonne de son supplice. Son corps,
dépouillé de vêtements, cède sous la
douleur et le froid. Il tient la verge et le fouet de
lanières garnies de pointes.; la corde qui l'attacha est
enroulée à la colonne. Ses mains et ses pieds sont
perces ; un jet de sang coule de son côté ; la
couronne d'épines s'enfonce sur son front. Tous ses membres
sont tordus par la souffrance et son beau visage implore la
pitié. Deux fidèles adorent en joignant les mains.
Au loin, sur le Calvaire, les croix sont dressées. C'est
l'homme de douleur, comme on l'a souvent
représenté.
Immobiles, les deux paysans regardent
longuement. Quand Dürer croit qu'ils ont vu chaque
détail, il leur montre la seconde scène. Le Christ,
à genoux, les bras levés, prie et supplie, tandis
que les trois disciples reposent inertes auprès de
lui.
Jamais Dürer n'avait agité le
Christ d'un tel frisson de désespoir; jamais il ne lui
avait prêté un geste aussi pathétique.
Le vieux paysan demande:
- C'est toi qui a fait cela?
Dürer montre l'arrestation de
Jésus, où, parmi des bras qui se lèvent pour
frapper, des piques et des hallebardes qui se dressent, des
flammes que le vent agite, des corps qui roulent et des bouches
qui hurlent, Jésus, calme, digne, muet, reçoit, les
yeux baissés, le baiser de Juda. Il y a dans cette figure
de Jésus, à demi-cachée par celle du
traître, une majesté et une douceur
surprenantes.
Et quand le peintre a fait voir Jésus
lié, soumis, sans défense, posant un long regard
triste sur Caïphe, le vieux paysan dit :
- Explique-nous, car le prêtre de mon
village ne sait rien.
Plus tard, il regarde tout autour de lui et
il dit
- Ah ! si Luther venait à
Nüremberg!
Dürer leur montre toutes les planches
et leur explique tout : Jésus devant Pilate, tiré en
tous sens par les soldats, mais le regard fermement
arrêté sur son juge. Flagellé par deux brutes,
courbant l'échine sous les coups et sous le regard dur des
prêtres, et gardant une expression grave et douce. La
même attitude et la même expression dans le
couronnement d'épines. La même expression
concentrée de quelqu'un qui souffre pour des maux de
l'âme plus que pour ceux du corps. Et encore cette
même attitude, cette même expression, ce même
corps grand, nerveux et meurtri et la silhouette menaçante
des trois croix qu'on apporte quand Pilate dit : « Voici
l'homme ».
Il montre Jésus qu'on entraîne
pendant que le gouverneur se lave les mains du sang innocent. Et
la belle figure douce et régulière de Jésus
qui porte sa croix.
Il fait voir le corps sans vie, le visage
qui semble songer du Seigneur crucifié ; et la douleur
calme de la mère et de saint Jean. Puis la scène de
la descente de la croix, où Madeleine se lamente et se tord
les bras ; où le corps de Jésus, pantelant et
inerte, déjeté et endolori, est pose sur le sol dur
; où sa figure est convulsée et sa bouche ouverte et
douloureuse.
Le même corps lourd et raidi,
tendrement porté par des amis, pieusement mis au tombeau.
Le recueillement de cette poignée d'hommes et de femmes ;
et le bourgeois de Nüremberg, en chapeau à poils, qui
s'unit aux Juifs aux robes flottantes pour déposer le
Christ au pied d'un rocher noir. Et les troncs noueux qui se
cramponnent sur le roc.
Dürer leur montre tout cela et leur
explique tout.
Enfin, il met sous leurs yeux le Christ aux
limbes et le Christ ressuscité ; son corps souple et sa
figure rajeunie ; ses vêtements soulevés par le
souffle de l'Esprit ; sa tête auréolée de
lumière éclatante.
Longtemps les paysans regardent les gravures
éparses sur la table. Puis le vieux lève son visage
bouleversé vers le peintre et lui demande :
- Tu n'en as pas d'autres?
Dürer fait passer une seconde fois
l'histoire tragique devant leurs yeux. Il dit :
- Des ouvriers ont gravé ceci sur les
bois d'après mes dessins. Souvent l'expression des visages
est mauvaise, mais l'ensemble n'est pas altéré. A la
première page, le Christ pleure, assis sur un tombeau, le
visage caché derrière la main, accoudé sur
ses genoux. Puis j'ai représenté le premier
péché par lequel le mal est entré dans le
monde, et la naissance du Sauveur. Le voici, doux et inexorable,
qui dit adieu à sa mère et va commencer sa mission.
Ici, Jésus chasse les vendeurs du temple ; il lève
le bras droit pour frapper, et le gauche rend l'équilibre
à son corps qui trébuche sur un marchand
renversé.
Ceci est le dernier souper ; Jésus
révèle avec tristesse qu'un des disciples le
trahira. Et, tandis que les onze se regardent avec méfiance
et échangent des propos amers, Judas lève
effrontément la tête et demande : « Est-ce moi?
» Et, dans ce grand bassin, le Christ lave les pieds à
Pierre au milieu des contestations des disciples.
Sur la place du Marché, le tumulte
augmente ; des milliers de gosiers profèrent le rude
dialecte du pays. Les marchands hurlent et les coqs s'appellent ;
les paysannes jacassent ; les oies claironnent ; les
intérêts se croisent et les passions
s'entrechoquent.
Recueillis comme ils le seraient au pied de
l'autel de saint Sebaldus ou derrière les vitraux
imagés de l'église de Notre-Dame, Dürer et les
deux villageois contemplent la vie du Christ. Ils remarquent les
détails connus, que le peintre a fidèlement rendus,
comme avaient fait ses devanciers ; qu'il a puisés à
la source commune de la tradition et que chacun s'efforce de
retracer de son mieux. Et Dürer souligne ingénument
quelques inventions, quelques poses nouvelles : Jésus
plié en avant, tiré par les cheveux devant Pilate.
Ou le corps étendu sur le sol, la face contre terre, les
bras allongés, suppliant son Père à
Gethsémané.
Et parce qu'au milieu de tant de
détails pittoresques, la scène reste simple et
compréhensible ; parce que tous ces visages, où se
peignent la rage, la peur, l'étonnement douloureux, la
lassitude et toutes les passions qui secouent la race humaine,
contrastent toujours avec la souveraine dignité du Sauveur
; et parce que la douleur, la tendresse, la
sincérité, l'humilité et la mort ne ravagent
jamais la figure divine et n'altèrent jamais sa grandeur,
les paysans qui regardent les trente-sept planches de la Petite
Passion sont saisis d'une émotion profonde.
Seulement une fois, quand Jésus
succombe sous le poids de sa croix, quand sainte Véronique
s'apprête à essuyer la sueur de son visage et qu'un
soldat le frappe de son bâton, on voit sur la figure du Fils
de Dieu une douleur hagarde, une douleur de bête qui se
retourne en hurlant contre celui qui l'attaque. Mais Dürer
explique que le graveur a exagéré cette expression ;
qu'il a agrandi, par son dessin maladroit, l'orbite des yeux
caves, et déformé la bouche sur la gauche.
Et quand ils ont contemplé les
horreurs du crucifiement, remarqué les coups de marteau qui
enfoncent les clous dans les mains du Christ renversé ;
assisté à la déposition, et montré du
doigt les tenailles qui arrachent le clou maudit, ils reposent
leurs coeurs agités près des arbres touffus
où Madeleine prend Jésus pour le jardinier. A
l'horizon, le soleil se lève ; ses rayons embrasent
l'étendue du ciel, et Jésus est calme et souriant,
comme un convalescent.
Puis Dürer leur montre le Seigneur
rompant le pain dans l'auberge d'Emmaüs. Le geste de ses
mains, la ligne de ses épaules, les boucles flottantes de
ses cheveux, ses lèvres légèrement ouvertes ;
les traits de sa figure et le port de sa tête, sont
empreints de tant de grâce, de tant d'amour meurtri et
vainqueur qu'une larme roule sur le cuir tanne du vieux
paysan.
Et quand ils ont encore regardé
Jésus qui se fait voir à Thomas, qui disparaît
dans le ciel, qui revient dans la sainte colombe et qui juge les
hommes au dernier jour, le vieux dit au peintre :
- je veux te payer tout, de quelque prix que
tu le fasses.
Mais sans prendre garde a son offre,
Dürer leur présente encore de grandes feuilles
où il avait dépeint les scènes les plus
tragiques des souffrances du Seigneur. Et pour la troisième
fois, la Passion du Christ se déroule devant leurs
yeux.
Au milieu d'arbres aux branches tordues, de
roches déchirées, de racines et d'herbages qui
pendent, sur la terre nue, le Christ est agenouillé ; ses
mains intercèdent, ses yeux supplient, ses traits
douloureux implorent, et son corps voûté se soumet ;
il accepte de boire jusqu'à la lie la coupe que lui
présente un ange. Cependant que Pierre, Jacques et Jean
dorment lourdement, affaissés en avant, en arrière,
de côté, sur un rocher, sur un tertre, sur un tronc.
Et toute cette nature pleure, et toute cette nuit lugubre
s'écoule goutte à goutte, sans faire grâce
d'une seconde.
Plus terrible encore la flagellation. Le
corps du Seigneur ne s'appartient plus. La bête humaine se
l'approprie ; elle fait main basse sur lui. Par ses poings dont
elle lui, assène des coups, par sa bouche qui vomit des
injures, par ses regards qui se promènent insolemment sur
son corps nu, par les instruments de son industrie dont elle se
sert pour le bafouer, la bête humaine s'empare du Christ.
Tous ses amis ont disparu. Pas un visage attentif qui épie
dans l'ombre ; pas un regard de pitié qui s'offre dans un
recoin, Jésus est à la merci de la foule qui le bat,
qui le lie, qui le flagelle, qui crache contre lui, qui l'insulte,
qui se moque de lui et qui le dévisage. Elle remplit ses
yeux, son coeur, d'un tintement infernal. A pleines joues un gamin
souffle dans une trompe. Seul un caniche se tait et
détourne la tête.
Mais la hideur des figures, des jambes
décharnées, des cous goitreux, des ventres
graisseux, à peine plus horribles que la face
bouleversée du Christ, sa grimace de douleur et la dure
anatomie de ses muscles et de ses os, ne font pas horreur au vieux
paysan dont la figure est rude et l'existence
austère.
Pas plus que les Juifs aux masques de
sorcières, le prêtre obèse, le griffon et le
faune de pierre, le gamin crapuleux et la mine sordide de la femme
de Pilate, dans la scène de l'Ecce Homo.
Ailleurs Jésus porte sa croix,
grossièrement équarrie. Son corps décemment
vêtu s'affaisse. Son noble visage se tourne vers
Véronique. Jean et les saintes femmes suivent en pleurant
et en aimant. Le caniche aboie gaiement ; et dans le ciel serein
tournent les hirondelles.
D'une voix éraillée par
l'émotion, d'une voix qui vient de loin, le vieux paysan
remarque que Jésus tombe sur une plante de chardon.
Mais devant le corps cloué au bois,
la tête pendante, les reins déviés, les plaies
saignantes, et la mère accablées, le vieux fronce
les sourcils, avance ses lèvres minces et contracte tout
son visage épais, pour ne pas pleurer.
Plus loin le pauvre corps mort s'abandonne;
une des Marie soulève une main ; Jean appuie à ses
genoux les épaules du cadavre. Et la nature, comme à
Gethsémané, s'agite, s'attriste, se penche et
sympathise.
L'heure s'écoule. Les acheteurs
affluent sur la place. Les petites filles achètent des
fichus de soie ; les paysans choisissent des tridents. L'argent
roule et l'argent s'empile.
Dürer montre ses gravures au vieillard
et lui explique les choses. Il dit :
- Les cinq que je te montre maintenant ont
été faites après les autres ; j'avais
voyagé en Italie, et j'avais appris la manière de
peindre de ce pays-là. J'ai voulu donner à mes
compositions plus de clarté majestueuse ; à la
figure du Seigneur plus de beauté et de grandeur.
Regarde le titre de cette Grande Passion ;
le corps fermement modelé de Jésus, ces masses
d'ombres et de lumières ; et surtout l'expression de la
figure. Ce soldat présente à Jésus le roseau,
symbole de sa royauté bafouée. Et Jésus, les
mains jointes, le dos courbé, assis sur la pierre froide du
tombeau, détourne la tête et te regarde avec
douceur.
Pour la première fois le fils du
paysan parait ému ; il approuve en branlant le chef.
Ensuite il se baisse un peu pour mieux voir
le beau visage du Christ de la sainte cène, doux et
souverain, tendrement penché sur saint Jean, tandis que le
Maître fait entendre aux siens la sinistre
révélation.
Ils admirent encore en silence le
mélange de douleur tragique et de confiance
inaltérable sur la face du Christ que baise le
traître. Et le contraste entre les corps des soldats
lourdement chargés d'armures et de sommeil,
écroulés sous la nuit épaisse, et le Seigneur
glorieux qui s'élance dans la lumière,
entouré d'amours ailes au matin de la résurrection.
Son beau corps souple, et son visage ovale aux yeux en amande. Et
encore l'opposition plus violente entre les monstres de l'enfer,
vampires ailés, sangliers cornus, oiseaux chevelus, et les
corps des saints délivrés et des petits enfants, et
du Seigneur plein de force, de joie et de beauté.
Et quand ils voient qu'il n'y a pas d'autres
gravures représentant les souffrances du Christ, qu'il n'y
a plus que des madones, ou des saints Jérôme, ou des
chevaliers, ou des portraits de grands personnages, ou Adam et
Eve, ils se taisent.
Le vieux passe son poing sur ses yeux ; il
regarde sans voir l'église gothique et ses statues de
couleur, et les échoppes des autres marchands. Il voit le
Christ, et ses souffrances, et sa mort, et sa gloire.
Dürer ne dit rien non plus ; il ne
pense pas à vendre ses gravures.
Mais le vieux dit encore:
- je veux te payer tout cela ; fais le prix
que tu veux.
Et pendant que son fils compte la valeur
d'un florin rhénan et étale les pièces de
cuivre sur le banc de foire, le vieux dit à Dürer
:
- Pourquoi ne viens-tu pas prêcher
cette histoire chez nous, puisque tu la connais comme si tu avais
vu le Seigneur. On m'a dit qu'il n'y avait qu'un homme en
Allemagne qui fut éclairé du Saint-Esprit et
prêchât par amour pour ses frères; c'est le
moine de Wittenberg. Mais je vois que tu connais Jésus et
que tu l'aimes comme lui.
Et Dürer répond:
- Frère, l'habileté que le
Seigneur m'a donnée est dans mes doigts et point sur ma
langue. Je fais mon métier pour plaire à Dieu, et
Luther fait le sien. Des colporteurs répandent mes estampes
; des fidèles contemplent mes tableaux ; moi, je
médite sur les souffrances de notre Seigneur
Jésus-Christ et je les raconte comme je peux.
.
NOTES HISTORIQUES
Albrecht Dürer, peintre et graveur,
né en 1471, fut le grand artiste dont le burin continua,
amplifia l'oeuvre de la parole des Réformateurs. On ne
saurait dire s'il fut protestant, au sens étroit du mot, en
faisant acte de rupture avec le catholicisme et acte
d'adhésion à l'église
évangélique, mais il est certain qu'il suivit avec
une ardente sympathie les efforts de Luther et qu'il fut un
émouvant interprète non seulement des angoisses, des
passions et des espérances de son temps, mais de l'Evangile
lui-même dans ce qu'il a de plus profond et de plus
sacré.
Il commença par travailler avec son
père qui était orfèvre, puis se voua à
la peinture qui l'entraîna, d'atelier en atelier, à
Bâle, à Venise, ailleurs encore. De retour dans sa
patrie, il s'établit à Nüremberg, en 1506,
s'adonna particulièrement à la gravure, créa
chef-d'oeuvre sur chef-d'oeuvre avec un zèle infatigable,
jusqu'à l'heure de sa mort en 1528. Les premiers travaux
furent à la gloire de la Vierge Marie, dont il a
donné plusieurs images. Mais, après une suite de
grandes planches sur l'Apocalypse qui parut en 1498, on peut dire
qu'il consacra tout son talent et toute son activité
à redire les souffrances du Christ.
«C'est bien de propos
délibéré qu'il a choisi et comme isolé
pour son art, ces quelques pages du Livre, et qu'il s'est
concentré sur elles. Mais alors, il les a lues et relues
sans se lasser, avec un besoin insatiable d'en approfondir
toujours le sens, d'y faire de nouvelles découvertes. A
cinq reprises, sur bois, sur cuivre, sur fer, son poinçon a
décrit, en des suites de planches distinctes, le martyre et
la mort du héros de Golgotha ; il en méditait une
sixième quand Dieu le reprit. Au cours de sa
carrière, chaque fois qu'il eut le sentiment que sa vie
intérieure s'était enrichie et que son génie
avait atteint une maturité plus grande, avec ses moyens
nouveaux, il revenait à ce qu'il considérait comme
son sujet. Maintes fois il a avoué que, d'attirer les
regards sur le Fils de l'Homme, c'était son devoir
d'artiste chrétien, sa façon à lui de
réformer, de montrer à ses semblables, en des temps
apocalyptiques, où se trouvait la délivrance et le
salut. Son insistance est émouvante.» (W. Cuendet dans
les « Cahiers de Jeunesse », mars 1923. Il faut lire cet
article qui pourra être, pour plusieurs, une vraie
introduction, non seulement à la compréhension de
Dürer mais à l'art religieux en
général.) On trouve facilement des reproductions des
chefs-d'oeuvre de Dürer à des prix très
accessibles. Il existe aussi
des séries de cartes postales utiles
pour donner une idée des suites de la Passion. (Fr.-A.
Ackermann's Kunstverlag, Munich-Universal-Galerie, Serie 212: A.
Dürer, Passion, 16 Stiche). N'importe quelle librairie les
fournira.
J. V.
.
NOTES PÉDAGOGIQUES
Ce récit n'aura
d'intérêt pour les jeunes que s'il est
accompagné d'images. (Les estampes de Dürer se
trouvent en cartes postales). Nous conseillons de demander aux
cadets de réunir, à l'avance, les reproductions
artistiques qu'ils possèdent sur la vie du Christ. Les
classer, les exposer, décrire et apprécier
chacune.
Après le récit, rechercher les
arts qui concourent à l'édification. Visiter avec
les cadets quelques peintures et sculptures qui se rapportent
à la vie du Christ (églises, musées).