Le premier et le
dernier
Ne crains point! Je suis le
premier et le dernier, le Vivant. J'ai été mort, mais
je suis vivant aux siècles des siècles; et je tiens les
clefs de la mort et du séjour des morts.
Apoc. 1. 18.
L'Eternel marche devant vous,
et votre arrière-garde, c'est le Dieu d'Israël.
Esaïe 52. 12
Nous entrons, dit-on, dans le printemps le plus
sanglant, le plus mortel de l'histoire, où les hommes par
milliers vont se précipiter les uns les autres dans
l'abîme, où les destructions et les désespoirs et
les injustices se poursuivront avec la même infernale
monotonie. Et que dire à ce monde livré à la
mort ? A ces hommes sans espoirs, ou bien chargés de faux
espoirs. Nous sommes tellement muets, tellement las, tellement
misérables. L'histoire n'est qu'un perpétuel lendemain
du Vendredi-Saint, une suite d'illusions et de désillusions.
Et ce que les hommes disent peut être agréable et
très encourageant. Ils parlent du printemps de la nature, de
reconstruction et de révolution. Mais tout ce que nous disons
est déjà saboté secrètement par l'orgueil
et la mort. Nos projets ne sont que des rêves de
prisonniers.
Il y a deux mille ans, les hommes aussi
faisaient des projets ou se désespéraient. Ils ne
savaient pas que l'état du monde était beaucoup plus
désespéré qu'ils ne le pensaient et qu'il avait
coulé sur la croix plus de sang que sur tous les champs de
bataille de l'histoire. Mais surtout, au milieu des projets qu'ils
faisaient, ils ne savaient pas que Dieu avait, Lui, de son
côté, un projet qu'Il était en train
d'exécuter, et que ce matin même il allait se passer
quelque chose de meilleur que tout ce que nous avons jamais pu
rêver et projeter. Quelque chose grâce à quoi on
pourra nous dire : Ne crains point ! Il n'y a plus rien à
craindre ! - Personne n'en sait rien. Nul ne soupçonne ce qui
s'est passé, jusqu'à ce qu'il rencontre Celui que l'on
avait éliminé, jusqu'à ce que se lève et
parle Celui que l'on avait descendu dans le silence de la tombe. -
« J'étais mort, mais je suis vivant aux siècles
des siècles. » Celui qui nous parle, parle de la mort au
passé. Il est le seul être au monde qui puisse parler de
la mort au passé, parler d'une mort terminée. Il n'a
pas de mort devant Lui. La mort ne le précède plus.
C'est Lui qui va devant. Il est le premier. Il est devant tout. Mais
il est aussi le dernier, et cela parce qu'il a subi la mort, Il s'est
mis derrière elle; Il ne l'a pas laissée être la
dernière chose.
Il est le premier et le dernier. C'est la
Révélation de Dieu. Il est, disait Esaïe, notre
avant-garde et notre arrière-garde. Nous marchons entre Lui et
Lui. Voyez bien ce que cela signifie pour notre vie; voyez quelle
bonne nouvelle; car nous sommes comme des soldats qui s'avancent en
colonne dans un pays ennemi. C'est une marche angoissante, car toutes
les surprises sont à craindre. Pour ceux qui vont devant
surtout, c'est l'inconnu, c'est le risque à chaque instant de
tomber dans une embuscade. Les soldats savent bien ce que c'est
qu'une marche de reconnaissance, et de cette angoisse d'être en
avant, quand il faut avancer et que l'on se dit: «Il n'y a
personne devant nous, nous sommes les premiers. Il n'y a rien devant
nous, pour nous avertir et nous protéger.» Et c'est ainsi
pourtant que nous cheminons tous dans notre vie. Nous allons, et qui
va devant nous ? Il n'y a devant nous que l'ennemi qui prépare
son embuscade, et qui tombera sur nous infailliblement;
c'est-à-dire qu'il n'y a devant nous que la mort. Nous pouvons
marcher peut-être longtemps encore avant de la rencontrer. Mais
nous sommes devant, et il n'y a personne entre elle et nous.
Alors, voici la grande nouvelle, le
Ressuscité déclare:
« Je suis le Premier.» Si nous
l'entendons vraiment, il faut bien que cela donne à notre
coeur cette détente, ce soulagement, cet apaisement, que
procure à des soldats la déclaration de leur chef :
«Vous savez, vous n'avez rien à craindre, il y a devant
nous une avant-garde. Nous ne sommes pas les premiers. L'ennemi ne
peut pas tomber sur nous. » Ainsi, Jésus-Christ
Ressuscité nous précède toujours, où que
nous soyons, où que nous allions. Non seulement Il va le
premier, mais Il est le premier. Son essence est d'être le
Premier. Il n'est pas un lieu ni un temps où Il ne soit
d'abord; Il est le premier-né de la création; Il est le
premier-né d'entre les morts.
Mais ce n'est pas tout. Il ne suffit pas
à une colonne qui avance en pays inconnu d'avoir une
avant-garde. Le danger n'est pas seulement devant. Il est aussi
derrière. Il est peut-être plus angoissant encore, pour
les hommes, d'être les derniers, de se dire: «Il n'y a
rien derrière moi, plus personne que ce grand pays inconnu
où l'ennemi peut surgir.» Oui, c'est angoissant et c'est
dur d'être le dernier d'une colonne en marche, d'être
soi-même l'arrière-garde. Surtout si l'on est
fatigué ou blessé et que l'on n'arrive plus à
suivre, et qu'il faut s'arrêter au bord du chemin. Et qui donc
alors ramassera ces hommes, s'ils sont les derniers, et s'ils ne
peuvent pas suivre ? Qui les ramassera s'il n'y a plus personne
derrière eux ? Les voilà seuls abandonnés
à l'ennemi, livrés à la mort. Nous sommes tous
ainsi dans la vie. Qui avons-nous derrière nous ? Personne.
Rien. Pas d'arrière-garde. Et l'heure vient toujours, plus ou
moins tôt, où la fatigue, où la maladie nous
empêchent de suivre la colonne; nous voyons les hommes
s'éloigner et nous restons seuls en arrière. Qui nous
ramassera ? Que nous arrivera-t-il ? La captivité, la mort ?
Il n'y a plus d'autre espoir puisque nous sommes les derniers.
C'est dans cette situation qu'ici encore
retentit la nouvelle inespérée: « Je suis le
Dernier», Celui qui vient derrière, Celui qui ferme la
marche. Jésus-Christ est notre arrière-garde. Si nous
l'entendons, il n'est alors plus possible que nous soyons les
derniers, nulle part, même si nous sommes assis depuis
longtemps sur le bord de la route à ne plus pouvoir avancer.
Où que nous nous arrêtions, n'en pouvant plus, Il est
encore derrière. Nous ne pouvons aller nulle part sans qu'Il
soit derrière nous. Mais comment Lui, qui est le premier dans
sa résurrection, peut-Il être aussi le dernier ? Autant
demander comment Lui, vivant aux siècles des siècles,
peut être mort, sérieusement mort et maudit sur la croix
? Pourtant, c'est la vérité. Le premier, le Prince de
la vie, est aussi le dernier. Il l'est sur la Croix,
réellement. S'il n'était pas mort, mais s'Il
était descendu de la croix, alors nous, en mourant, nous
serions derrière Lui. S'il n'était pas mort, il
resterait quelque chose derrière Lui. Mais comme Il peut dire:
« J'ai été mort», il peut dire aussi:
«Je suis le dernier. Quoi qu'il t'arrive, et même si tu es
définitivement arrêté dans un cercueil,
même si tu es dans l'impossibilité de jamais rejoindre
la colonne des vivants, c'est Moi, c'est Moi quand même qui
ferme la marche, c'est Moi qui te ramasse, - c'est Moi qui suis
toujours et quoi qu'il arrive le dernier, absolument le dernier,
puisque jamais personne ne pourra être derrière,
là où j'ai été sur la croix. »
Ainsi, quand Esaïe proclamait aux captifs de Babylone:
«L'Eternel, le Dieu d'Israël ouvrira votre marche, et
l'Eternel fermera votre marche, ce n'était pas seulement une
image, c'était déjà la réalité de
Jésus-Christ. C'était Pâques l'avant. garde et
Vendredi-Saint l'arrière-garde.
Mais laissons-nous toucher mieux encore par
cette Parole: regardons notre vie. Où commence-t-elle et
où finit-elle ? Nous avons beau chercher, nous ne savons pas
où nous commençons et où nous finissons. Nous ne
savons pas d'où nous venons ni où nous allons. Nous
n'avons ni commencement ni fin. C'est notre malheur insondable : ne
venir de nulle part et n'aller nulle part; il n'est rien de pis.
C'est ce que la Bible appelle la mort. L'homme pécheur,
l'homme séparé de Dieu, c'est justement l'homme sans
commencement ni fin, sans origine et sans but. L'homme, gouttelette
perdue dans l'Océan des âges, caillou lancé dans
le silence éternel des espaces infinis, l'homme qui tombe
à jamais dans une histoire sans fond. Dieu seul peut vivre
sans commencement et sans fin. L'homme ne peut que mourir. Et ce fut
la tromperie effroyable du serpent dans le paradis (et ça
l'est tous les jours) de dire à Adam: se sera merveilleux pour
toi d'être comme Dieu, de n'avoir comme Dieu ni commencement,
ni fin, de n'avoir personne devant toi, ni derrière toi. Fais
un essai ! Goûte à cette liberté ! Goûte
à cet infini ! Adam a essayé et nous avons tous
essayé. Et cela n'a pas été merveilleux du
tout.
Pour l'homme, pour la créature,
être comme Dieu, n'avoir ni commencement ni fin, ni avant-garde
ni arrière-garde, cela n'est point la vie, mais la mort; cela
n'est point le salut, mais la perdition. Cela n'est point la joie,
mais l'angoisse. Et si nous sommes tous ici des hommes
pécheurs, des hommes morts, ce n'est pas que nous mentions ou
convoitions, ou dérobions, ce n'est pas que nous soyons des
gens immoraux ou irréligieux, c'est d'abord parce que nous
n'avons ni commencement ni fin. Voilà l'état que la
Bible appelle la perdition, notre état d'homme sans limite;
d'homme qui plonge indéfiniment ses pensées dans
l'univers et dans l'histoire, sans jamais rien trouver qui
l'arrête, sans parvenir à aucune frontière.
Alors, le message de Pâques, c'est le message inverse de celui
du serpent dans la Genèse; c'est le message qui
anéantit l'état dans lequel nous a plongés la
promesse du malin: «vous serez comme Dieu ». A cette
lamentable colonne de marche qui va depuis la chute sans avant-garde
ni arrière-garde, à ce troupeau d'hommes sans berger,
errants sans direction, Jésus-Christ rend la vie en devenant
son avant-garde et son arrière-garde. A la lumière de
Pâques, nous comprenons tout cela pour la première fois
: Dieu, qui est sans commencement ni fin, a pris en
Jésus-Christ un commencement et une fin, pour nous rendre
ainsi la vie; car la vie, cela n'est pas, comme le diable veut
toujours nous le faire croire, être infini, être
soi-même un dieu, c'est au contraire trouver en Dieu son
commencement et sa fin. Rentrer dans le Paradis, avoir la vie
éternelle, ça n'est pas je ne sais quel prolongement de
notre existence après la mort, c'est retrouver aujourd'hui
même en Jésus-Christ le commencement et la fin que nous
avons perdus, le vrai cadre, la vraie forme, la vraie limite, de
notre existence. Avoir la vie éternelle, c'est écouter
la voix de Celui qui nous dit: « Je suis le Premier et le
Dernier, le commencement et la fin, le Vivant. Je tiens les
extrémités du monde. Je tiens les clefs de la mort. Je
tiens les deux bouts de ta vie.» Entendez bien le message de
Pâques : cet homme crucifié est au commencement de tout,
et il est à la fin de tout, je ne puis reculer ni avancer sans
tomber sur Lui. Rien ne peut commencer sans Lui, et rien ne peut
finir sans Lui. Il est le Vivant, et il n'y a de vivant que ce qu'il
commence et termine. C'est Lui qui dit le premier mot, et c'est Lui
qui dit le dernier mot. Lui qui ouvre la marche et Lui qui ferme la
marche. Le savoir, c'est avoir la paix qui surpasse toute
intelligence, c'est avoir la joie que nul ne peut nous ravir.
Entre temps, il peut se passer des choses
terribles. Entre temps, les puissances de ce monde peuvent mettre la
main sur nous et nous étrangler. Entre temps, chacun peut
jouer au maître et s'exercer à dire le dernier mot,
chacun peut faire et vivre comme si le tombeau de Joseph
d'Arimathée était demeuré scellé. Mais
c'est un entre-temps. Un tout petit entre-temps, jusqu'à ce
que le Seigneur de toutes choses vienne terminer notre histoire
interminable. Amen.