Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L'OBEISSANCE

Comme des enfants obéissants.
(I PIERRE 1, 14.)

Il y a quelques jours, mes frères, nous apprenions que la fièvre jaune venait de sévir avec une violence extraordinaire, au Mexique, parmi nos soldats (1); à peine cette nouvelle était-elle parvenue en France qu'un détachement de soeurs de charité s'embarquait pour les secourir. Cela se fit simplement, sans bruit, sans étalage d'enthousiasme et sans un moment d'hésitation. Or, ce n'est point là un fait exceptionnel; il est impossible de n'être pas frappé de la facilité, de la promptitude avec lesquelles le catholicisme sait recruter en France des dévouements pour les missions les plus lointaines et les plus périlleuses. S'agit-il de soigner des maladies hideuses, repoussantes, contagieuses, et d'aller enfouir sa jeunesse sous les voûtes sombres d'un hôpital, il n'a qu'à choisir entre celles qui se présenteront; s'agit-il d'aller en Chine, au Japon, à Siam porter le crucifix, les missionnaires surgiront par centaines. Or, si je demandais à un catholique d'où vient ce caractère si frappant de la discipline dans l'ardeur, il me répondrait sans hésiter qu'elle a pour point de départ un voeu d'obéissance. Je pourrais, mes frères, sonder les motifs intérieurs et la valeur morale de ce dévouement; mais je préfère aujourd'hui reporter immédiatement votre attention sur vous-mêmes et vous dire : « Vous qui avez été appelés à la liberté, savez-vous obéir? Vous souvenez-vous assez du voeu que vous avez fait, non entre les mains des hommes, mais entre les mains de Dieu ? »

L'apôtre dans mon texte établit en principe que les chrétiens sont faits pour obéir, et il définit cette obéissance d'un mot simple et lumineux en l'appelant une obéissance d'enfants. Reprenons ces deux idées: étudions d'abord les motifs; en second lieu, la nature de l'obéissance chrétienne; nous montrerons en terminant quelle est son action sur la vie.

Pourquoi devons-nous obéir? Je pourrais vous répondre : Tout d'abord, parce que l'obéissance est la loi universelle, loi voulue de Dieu, et à laquelle ne se soustrait aucune de ses créatures. Ma raison me dit qu'un être, créé et dépendant, doit servir son auteur, et l'expérience me prouve qu'en effet, il n'y a pas un être ici-bas qui ne soit constitué en vue de l'obéissance. Cherchez donc dans le monde un être qui n'obéisse pas. Dans la création matérielle, vous ne trouverez pas un atome qui ne soit gouverné, à toutes les secondes de son existence, par une loi générale; si cela n'était pas, le monde ne serait plus qu'un chaos.. Dans la société des hommes, il en est de même; si cette société subsiste, c'est grâce à un merveilleux concours d'obéissances particulières qui toutes aboutissent à l'harmonie de l'ensemble. Toutes ces choses diverses : force, nécessité, instinct, intérêt, loi civile, honneur, ambition, loi morale, sont autant de mobiles (pourquoi ne pas dire autant de maîtres?) auxquels chacun obéit. Au bas de l'échelle sociale, on obéit; ai-je besoin de le montrer? En haut, on obéit encore. Plus on s'élève, plus on amasse sur soi de responsabilité, et qu'est-ce qu'un être responsable, si ce n'est un être qui obéit?

Elle est tellement divine, cette loi de l'obéissance que nul ne peut y échapper. Voici un homme qui prétend s'y soustraire. Le devoir lui pèse; l'idée d'être obligé envers qui que ce soit lui est importune; enivré d'indépendance, il veut sortir des routes battues, être son maître, faire sa volonté. Il se croit libre, et il ne sait pas qu'il est peut-être l'esclave de cette opinion qu'il brave et que c'est pour être aperçu d'elle qu'il affecte de la blesser. Supposons pourtant qu'il échappe à ce joug. Suivons-le, cet homme qui se déclare affranchi du devoir et qui fait sonner si haut son indépendance. Hélas! à peine a-t-il marché quelque temps dans sa voie qu'une passion apparaît et lui dit : a Suis-moi! » et il la suit; « abaisse-toi, » et il s'abaisse; « dégrade-toi,» et il se dégrade, et, quand elle l'a fait marcher où il ne voulait pas, quand elle a brisé son énergie, paralysé sa volonté, cet homme découvre un jour qu'il n'est plus qu'un esclave, et qu'il n'a fait qu'échanger l'obéissance volontaire au devoir contre le plus servile abaissement.

C'est qu'on n'efface pas les lois divines. Elles se vengent tôt ou tard de qui les oublie. Or, Dieu en nous créant, nous a dit d'obéir. C'est à lui directement que devrait se rapporter toute obéissance, alors l'harmonie régnerait partout. L'homme, en péchant, a rompu cette harmonie; il a renié son Dieu, mais il n'échappe pas pour cela à la nécessité d'obéir; il change de maître, voilà tout. Les uns, presque semblables à la brute, n'obéissent qu'à la nécessité ou à l'instinct; la faim ou le froid leur disent: «Travaille! » et ils travaillent; la force leur dit : « Soumets-toi à l'ordre! » et ils s'y soumettent; les autres, plus élevés, obéissent à l'opinion : ils font telle ou telle action, parce que les hommes jugent qu'elle doit être faite; cette religion-là, qui, sous sa forme vulgaire, est ce qu'il y a de plus lâche au monde, peut s'élever jusqu'au culte brillant de l'honneur; au-dessus d'eux, nous trouvons les esclaves du devoir, mais le devoir est incompréhensible sans un Dieu qui commande et qui oblige; ce n'est plus alors qu'une magnifique idole d'airain reposant sur un pied d'argile. Enfin, au point le plus élevé du monde moral, nous trouvons les âmes qui obéissent à la charité; mais qu'est-ce que la charité si elle n'émane d'un Dieu qui aime?

Le chrétien seul obéit directement à Celui qui est le vrai, le bien et l'amour même. Voilà, mes frères, votre privilège; vous ne servez plus des passions, des idoles ou des abstractions sans vie; vous servez Dieu directement; seuls, j'ose le dire, vous atteignez le vrai but de votre existence, car seuls vous répondez à l'intention que le Créateur a eue en vous plaçant ici-bas. Dieu voulait un couronnement à la création matérielle. Assez d'êtres lui obéissaient fatalement, il lui fallait un être qui répondît librement à son amour, qui accomplît librement sa volonté. Or, ce qui fait la grandeur du chrétien, c'est qu'il répond à cette intention du Créateur. Voilà pourquoi une âme chrétienne est plus grande que les mondes; les mondes!... Dieu les prend et les sème comme une menue poussière dans l'infini des cieux! ils obéissent fatalement à des lois fatales; l'âme chrétienne obéit librement. au Dieu qu'elle aime. En vous disant donc que vous êtes faits pour obéir, je vous rappelle votre vocation dans ce qu'elle a de plus grand et de plus glorieux. Oh! que j'aimerais faire descendre cette pensée dans l'âme du plus humble chrétien de cette assemblée! Que j'aimerais lui faire comprendre qu'en accomplissant sa tâche, si petite, si ingrate, si mesquine qu'elle lui paraisse, mais en l'accomplissant pour Dieu, il comprend la vie dans son sens le plus idéal et le plus élevé. 0 mon frère, dans ce vaste ensemble de la création qui est comme le palais de l'Eternel, votre place est obscure et petite entre toutes, il vous arrive peut-être parfois de vous dire : « L'Eternel me connaîtrait-il? » Oui, mon frère, il vous connaît mieux qu'il ne connaît ces grands de la terre qui remplissent le monde du bruit de leur renommée, mais qui au fond travaillent pour la vanité parce que Dieu n'est pas l'objet de leurs efforts. Il vous connaît, il vous aime; il approuve, il encourage vos luttes, vos efforts, vos sacrifices. Oh! vous êtes heureux, car au-dessus du monde, au-dessus des maîtres de la terre, c'est au meilleur des maîtres que vous obéissez!

Mais ce n'est pas là le seul motif de votre obéissance. Vous êtes chrétien, et, qu'est-ce qu'un chrétien si ce n'est un racheté de Jésus-Christ? Prenez ce mot de racheté dans son sens le plus simple qui est aussi le plus solennel et le plus émouvant. Dieu vous a racheté. Vous étiez coupable, condamné, séparé de Dieu, mais vous croyez que, pour vous arracher à cette terrible destinée, il s'est accompli pour vous il y a dix-huit siècles un drame immense d'amour et de renoncement. Vous croyez que pour vous le Fils du Très-Haut s'est fait homme, que pour vous il a connu toutes les faiblesses, toutes les souffrances de l'humanité, jusqu'à l'angoisse de la condamnation et de l'abandon du Père. Vous croyez que vous avez été l'objet de cet amour et de ce sacrifice, et que le sang de Jésus a coulé pour vous purifier. Eh bien! racheté de Jésus-Christ, vous ne vous appartenez plus; vous êtes devenu la propriété de Dieu même par un contrat que le Fils éternel a signé de son sang. Qu'ils passent au pied de la croix pour aller à leur perte, ceux qui ne prétendraient lire sur cette croix sanglante que le mot de Pardon sans y lire en même temps celui d'obéissance; quiconque s'en approche avec une conscience émue y découvre une loi plus sainte, plus spirituelle, plus complète, plus ineffaçable, que celle que la main de l'Eternel écrivit sur le marbre de Sinaï. Tout dans l'Evangile lui parle d'obéissance. «Obéis! » lui disait sa conscience. « Obéis! » lui redit ce spectacle étrange du Fils de Dieu manifesté en chair, souffrant et apprenant l'obéissance par les choses qu'il a souffertes. « Obéis! » lui dit la sainte victime qui pour lui gémit sur la croix. « Obéis! » lui crie le sang qui coule de son front innocent et qui va arroser la terre. « Obéis! » lui dit à son tour la longue et patiente miséricorde d'un Dieu qui l'a jusqu'ici supporté. Mes frères, si ce n'est pas l'obéissance que vous avez apprise au pied de la croix, qu'êtes-vous donc venus y faire? Qu'est-ce qu'une foi qui n'est qu'un langage Oh! redoutable pensée! l'Evangile a dit « Crois, et tu seras sauvé. » On peut croire pour être perdu !

Ainsi nous devons obéir. Comment devons-nous obéir? Telle est la seconde pensée qui va nous occuper.

Mes frères, il y a trois manières d'obéir, et il n'y en a que trois: on obéit par intérêt, par crainte ou par amour. Il y a l'obéissance du mercenaire, de l'esclave ou de l'enfant. Vous savez quelle est celle que l'apôtre attend de nous; cependant, je dois parler des deux autres, car les mercenaires et les esclaves peuvent se trouver partout, et qui me dit qu'il n'y en ait pas dans cet auditoire?

On a souvent confondu, avec l'obéissance chrétienne, celle du mercenaire qui sert Dieu pour obtenir une récompense. Quelle opposition n'y a-t-il pas cependant entre l'esprit mercenaire et l'esprit de l'Evangile! Vous me montrez un homme dont la vie vous étonne; il a renoncé à tout, même aux plaisirs les plus innocents, aux jouissances les plus légitimes; il s'est imposé une existence pénible entre toutes; il mortifie sa chair, et ajoute à ses souffrances des souffrances nouvelles. Vous vous écriez et vous dites : « Quelle sainteté! » Mais, en m'approchant, je découvre qu'il n'y a dans cette âme pas une étincelle de véritable amour, je m'aperçois que cet homme a raisonné ainsi : « Pour gagner le ciel, je dois souffrir et mériter sur la terre. Souffrons donc dans le temps pour être heureux dans l'éternité. » Eh bien! je vous le demande, cet homme est-il prêt pour le royaume des cieux ? Non, non ! ... le ciel ne s'achète ni avec de l'argent, ni avec des mérites. Le ciel est le partage des coeurs qui aiment. Qu'importent les actes les plus extraordinaires et les austérités les plus grandes; qu'importe même une fortune jetée aux pauvres, un corps livré pour être brûlé, si le coeur n'aime pas! Quel triste spectacle, par exemple, que celui d'une âme usée dans la mondanité, incapable d'aimer Dieu, mais capable de trembler devant lui, s'efforçant de réparer par des expiations tardives une désobéissance de quarante ou cinquante années, entassant oeuvre sur oeuvre, pratiquant les actes les plus minutieux de la dévotion la plus superstitieuse, marchant ainsi au-devant d'un Dieu qu'elle ne peut pas aimer, et s'efforçant de gagner le ciel, quand elle porte sa condamnation au dedans d'elle-même! Non, disons-le bien haut, le royaume des cieux n'est pas aux mercenaires; Dieu ne veut pas d'une obéissance dont l'intérêt est le but secret et suprême. Obéir uniquement ,pour se sauver est le plus sûr moyen de se perdre, car c'est vouloir abriter son égoïsme jusque dans le sein de Dieu.

Vous vous croyez, mon frère, bien éloigné d'une tentation semblable. Racheté de Jésus-Christ, attendant votre salut de la grâce de Dieu et non pas de vos oeuvres, il n'est jamais entré dans votre pensée de vouloir payer le ciel, et votre étonnement serait extrême si l'on venait vous dire qu'il y a dans votre coeur un reste de mercenaire ..... Hélas! j'en ai vu d'autres qui, comme vous, se seraient récriés à une semblable pensée ; mais, tout à coup, l'affliction a fondu sur leur vie, les coups de l'épreuve se sont succédé sans relâche.

Qu'avons-nous vu alors dans ces coeurs qui nous semblaient gagnés à Dieu? qu'avons-nous entendu sortir de ces bouches si promptes autrefois à chanter son amour? Ah ! si ce n'étaient pas encore des cris de révolte ouverte, n'étaient-ce pas des murmures; ou du moins des aveux amers de découragement, de lassitude et de langueur?

« Est-ce ainsi que tu nous récompenses ? » Telle était, au fond, la parole que ces coeurs irrités adressaient alors au Seigneur. « Est-ce ainsi que tu reconnais notre amour et notre zèle? », Eh: bien! ces murmures, d'où provenaient-ils si ce n'est d'un calcul trompé? On voulait bien servir Dieu, mais à la condition d'être heureux, comme les Juifs qui suivaient Jésus pour être rassasiés. Et, parce que le bonheur disparaît, on s'irrite, on se révolte, on ne veut pas pardonner à Dieu. Or, si ce n'est pas là l'esprit mercenaire, comment donc l'appellerons-nous ? Comment qualifier cette espérance intéressée &un serviteur qui, dans l'accomplissement du devoir, cherche avant tout la récompense? Hélas! cet esprit-là pénètre à travers toutes les professions de foi; il s'insinue au milieu des Eglises où la grâce est le plus fidèlement prêchée, il se coule comme un serpent jusqu'au plus secret des coeurs. Que chacun donc s'examine, que chacun se' demande s'il ne l'a pas réchauffé dans son sein!

Mais, si le chrétien n'obéit pas pour être récompensé, gardons-nous de croire que la récompense ne soit pas attachée à l'obéissance chrétienne; l'Evangile le dit trop haut et d'une manière trop évidente pour que nous le mettions en doute. Je sais qu'il ne manque pas de spiritualistes farouches qui voudraient que l'idée du bonheur fût absolument séparée de celle de la fidélité, pour plus grande encore. Ce n'est pas ainsi que pense Celui qui sait de quoi nous sommes faits; Jésus ne nous exhorte jamais au sacrifice sans nous montrer en même temps la compensation, et tout son enseignement sur ce sujet peut se résumer dans ces paroles qui ouvrent son discours sur la montagne : « Heureux ceux qui pleurent. » Ceux qui pleurent, c'est le sacrifice; heureux, c'est la récompense. Oui, avec le Dieu fidèle, il y a des compensations pour toutes les douleurs, et, en attendant le jour des grandes réparations, il y a dès ici-bas des joies silencieuses, mais profondes comme l'amour de Dieu. Si vous les ignorez, c'est que vous n'avez pas assez obéi. Allez demander ce qu'elles sont, non pas à ces chrétiens dont la vie heureuse n'a jamais passé pas le feu de l'épreuve, mais à ceux dont l'existence mille fois brisée semble avoir été le jouet d'une impitoyable fatalité. Ce sont ceux-là qui sauront le mieux vous dire que l'obéissance porte avec elle son salaire et que, suivant la triomphante parole de saint Paul, on peut être comblé de joie dans toutes les afflictions!

Si Dieu ne veut pas être servi par des mercenaires, il ne veut pas l'être non plus par des esclaves. Une obéissance que la terreur inspire, une obéissance passive, sans inspiration et sans amour, n'a point de valeur à ses yeux.

L'obéissance servile! Qu'il serait facile à Dieu de l'obtenir. Il n'aurait qu'à entr'ouvrir les cieux, qu'à faire éclater les feux de son tonnerre, qu'à écraser les rebelles sous l'évidence irrésistible des prodiges, qu'à les accabler par la terreur. Qui pourrait alors lui résister encore? Quelle serait la créature assez insensée pour entrer en lutte ouverte avec le Tout-Puissant dont un mot peut la plonger dans un malheur éternel! Dieu aurait pu plier ainsi sous son joug toutes les volontés révoltées; il ne l'a pas fait, il ne l'a pas voulu. Qu'est-ce que la révélation tout entière, si ce n'est l'histoire des appels que Dieu fait à la libre obéissance de ses créatures? Un ancien poète a supposé, dans une gracieuse image, que les tempêtes qui bouleversent les profondeurs de l'Océan n'ont pas d'autre but que de former la perle précieuse qui se développe au fond des eaux. Ne peut-on pas affirmer que tous les plans de la Providence, tels qu'ils nous apparaissent dans l'Ecriture, que toutes ses menaces, que tous ses châtiments, que toutes les épreuves n'ont pas d'autre fin que de produire ce chef-d'oeuvre de la création, ce triomphe de l'amour divin, je veux dire des âmes qui se consacrent à Dieu librement ? Qu'est-ce, au fond, que l'Evangile, c'est-à-dire ce mystère étonnant du Fils de Dieu abaissé, humilié, crucifié, sinon le plus solennel et le plus émouvant appel fait à notre liberté ? Ne lisons-nous pas tous sur la croix ces mots qu'y lut le fondateur de l'Eglise morave : « Voilà ce que j'ai fait pour toi; et toi, qu'as-tu fait pour moi? » N'hésitons pas à le dire : en présence de la croix, l'obéissance servile est une dérision!

Et cependant, qui ne l'a entendu prêcher au nom, de l'Evangile? Qui ne sait qu'on a souvent placé l'idéal de l'obéissance dans un état de passivité où l'homme se laisse manier comme un cadavre par ceux qui le dirigent, Qui ne sait qu'on a recommandé l'abdication, totale de la volonté, des affections, de la conscience même, comme le chef d'oeuvre de la sainteté? Qui ne connaît cette piété machinale dont tous les degrés sont marqués à l'avance, où le chrétien doit pratiquer, quel que soit du reste son état intérieur, où, régénéré par un baptême dont il n'a pu sentir la vertu vivifiante, il attend ses progrès et sa vie de l'influence extérieure des sacrements, de l'attouchement des choses saintes, ou de l'accomplissement de pratiques minutieusement observées? Quel contre-sens! Quel blasphème ! En présence de la croix, on ose prêcher la vertu d'une médaille bénite, de prières récitées et d'un chapelet dévidé. C'était donc bien la peine que le Fils de Dieu descendît sur la terre, puisqu'une opération magique pouvait sauver les âmes ! Ah! ne cessons pas de le dire, l'obéissance n'est pas là; ce que Dieu veut, ce sont des coeurs qui l'aiment, et ce n'est pas pour créer des automates ou des esclaves que le sang de son Fils a coulé sur la croix!

On vante les effets de l'obéissance aveugle. On nous parle des prodiges qu'elle accomplit. Ce n'est pas nous qui les nierons. L'obéissance aveugle est un formidable instrument de succès. Voyez ce qu'elle obtient à la guerre, quand elle précipite en un clin d'oeil, sur un point donné au signal d'un homme, l'irrésistible élan de cent mille soldats. Tous les despotes ont senti sa puissance, tous n'ont pas eu d'autre ambition que de l'obtenir, Je le dirai pourtant avec une conviction profonde: je tremble quand je vois l'homme réclamer et obtenir, fût-ce dans le meilleur but et pour la meilleure cause, une puissance' dont Dieu lui-même ne veut pas, car ce n'est pas le Dieu de l'Evangile qui demande une soumission servile ou passive, ce n'est pas en cela qu'il se glorifie. Vous me montrez la puissance énorme que donne pour accomplir le bien un voeu d'obéissance aveugle et sans réserve; mais n'avez-vous jamais songé qu'il pouvait avec autant d'énergie conduire au mal, et cela sans aucun scrupule, puisque toute la responsabilité est rejetée par celui qui obéit sur celui qui commande ? De ces deux hommes qui, dans la pâle clarté d'une soirée du seizième siècle, se relèvent du confessionnal, le front paisible, l'oeil fixement dirigé sur l'oeuvre qui les attend, et le coeur calme, l'un va partir comme un martyr immolé d'avance pour porter le crucifix au Japon, et vous criez à l'héroïsme mais l'autre va se diriger en Hollande pour y assassiner Guillaume le Taciturne, et moi je frémis d'horreur, car enfin ces deux hommes se valent, et, martyr ou meurtrier, ils n'ont fait qu'obéir. Supposons même que cette obéissance aveugle et passive ne serve qu'aux plus nobles causes, la sainteté du but ne peut me faire oublier tout ce qu'elle a de funeste et de mortel, et quand je vois cet instrument effrayant broyer sur son passage tous les élans spontanés., toutes les impulsions volontaires, toute la magnifique efflorescence de l'âme humaine, je le maudis comme un instrument de mort. Non! pas même pour servir la vérité religieuse, il n'est permis de briser le ressort des âmes et de réduire l'homme à la passivité. Que si nous voyons souvent aujourd'hui l'obéissance forcée, reposant sur les voeux monastiques, produire des oeuvres qui commandent notre respect et notre admiration, c'est que, sous l'empire de l'opinion, des lumières et de la liberté, elle ne peut plus se diriger avec puissance que du côté du dévouement et de la charité; dans ce courant elle rencontre les forces vives de l'âme, et elle se transforme chez les natures d'élite en une obéissance volontaire; mais dans les époques et dans les pays où elle n'a point subi cette influence, elle est devenue une puissance fatale et, pour plier les âmes sous le joug de Dieu, elle n'a produit que le calme du désert et la paix du tombeau.

Ainsi, mes frères, avec la même force qui nous a fait condamner l'obéissance intéressée, nous repoussons celle qui agit sous ?empire de la terreur ou d'une morne passivité. Dieu, nous l'avons dit, ne veut être servi ni par des mercenaires, ni par des esclaves. Qui le servira donc? L'Apôtre répond : Des enfants.

Des enfants! Ce mot si simple est d'une admirable profondeur. Il résume tout dans le sujet qui nous occupe : dépendance absolue à l'égard de Dieu, saint respect et tendre amour. Il nous rappelle tout ce qui nous oblige à obéir, et il écarte tout ce qui pourrait se mêler à notre obéissance de servile ou d'intéressé. Enfants de Dieu! Ce titre glorieux, ce titre de noblesse, nous l'avons perdu. Si nous le possédons de nouveau, c'est par grâce; il n'a pas fallu moins que Jésus-Christ pour nous le rendre, moins que son sacrifice pour nous le faire accepter; en sorte que ce mot nous rappelle tout ce qu'il y a dans l'Evangile de plus sérieux et de plus émouvant. N'attendez pas même que j'essaye de dépeindre ce que cette relation d'enfant et de Père a ici d'unique, de saint et de tendre; le temps me presse, j'ai hâte d'en venir au devoir; j'ai hâte de vous dire : 0 vous qui appelez le Seigneur votre Père! vous qui avez rejeté bien loin de vous, je veux le croire, et les calculs du mercenaire, et les craintes de l'esclave., enfants de Dieu, savez-vous obéir?

Obéir! mais avant d'aller plus loin, je me demande si nous avons compris tout ce que ce mot signifie. Par là nous entendons presque toujours une action. Or, agir n'est qu'une partie de l'obéissance; souffrir en est l'autre et, pour beaucoup de nos semblables, c'est la plus grande; pour tous c'est la plus difficile.

Nous n'avons pas de peine à croire que nous servons Dieu quand nous agissons; marcher, parler, travailler, ce sont là pour nous des moyens d'obéir. Mais attendre, rester inactif, et souffrir, c'est, nous semble-t-il, perdre notre vie. Erreur grossière de notre esprit charnel qui n'apprécie que ce qui se voit et ce qui se pèse. Comme si le travail intérieur qui se produit en nos âmes n'avait pas plus de valeur que la somme de matière que nos mains auront façonnée, que la distance que nos pieds auront parcourue, que le nombre de mots que notre bouche aura prononcés!

Mes frères, on obéit à Dieu dans la souffrance tout autant que dans l'action; il faut à l'Eglise des malades aussi bien que des missionnaires; sa volonté est aussi formelle quand elle nous dit: « Tais-toi,» que lorsqu'elle nous dit : « Parle,» quand elle nous cloue sur un lit de douleur que lorsqu'elle nous envoie au combat.

La vie du chrétien est souvent comparée par I'Ecriture à une sainte guerre. Eh bien! dans une bataille rangée, toutes les troupes n'ont pas le même rôle à remplir. Si les uns sont lancés sur l'ennemi et peuvent déployer, au plus fort de la mêlée, leur bouillant courage, il y a des régiments tout entiers qui doivent rester exposés pendant de longues heures aux coups meurtriers de l'artillerie. Immobiles, l'arme au bras, ils voient les boulets ennemis tracer dans leurs rangs de sanglants sillons, et, le soir, décimés par ce feu cruel, sans avoir pu même y répondre, si la bataille est gagnée, ils ne remporteront pas de glorieux trophées, et leurs noms ne retentiront point parmi ceux que la foule acclame. Qui oserait dire cependant que leur rôle était facile ? Il l'était si peu que ce sont toujours les troupes les mieux disciplinées et les plus fermes que l'on choisit pour ces postes sans gloire; on peut attendre des jeunes gens l'ardeur enthousiaste et l'élan impétueux qu'il faut pour charger l'ennemi, mais les vétérans seuls ont l'intrépidité calme et ferme qui sait braver froidement une mort obscure. Or, dans la bataille de la vie, il en est de même. Si Dieu place les uns aux postes avancés, s'il les appelle aux luttes dont le bruit retentit, il en est d'autres auxquels il ordonne d'attendre et de souffrir dans le silence et dans une apparente inaction; mais tous ensemble concourent à la victoire, tous servent également aux plans de l'Eternel. Eh bien! mes frères, vous que Dieu appelle sûrement à l'une ou l'autre de ces tâches, savez-vous obéir?

Je dirai ici nettement toute ma pensée. L'obéissance est la vertu qui nous manque le plus aujourd'hui. J'aime peu ces généralités vagues par lesquelles on prétend accumuler sur notre époque toutes les faiblesses et tous les vices ; mais je ne crois pas y tomber en disant qu'aujourd'hui s'il y a un sens qui s'affaiblisse c'est celui de l'obligation. Le servilisme, on le trouve assez, il abonde tellement qu'on en a le coeur soulevé; mais l'obéissance libre au devoir, l'obéissance à la volonté divine, voilà ce qui nous fait défaut. Comment n'en serait-il pas ainsi à une époque où des esprits que l'on nomme graves ont osé dire que l'idée de Dieu avait été jusqu'ici le pire obstacle au libre essor de l'humanité ?

Voilà le courant de l'époque. Placez-y maintenant quelques-unes de ces âmes pour lesquelles la révolte a un mystérieux et séduisant attrait, et jugez ce que sera leur tentation. Or, il y a, mes frères, il y a des heures terribles où l'indépendance de l'orgueil s'éveille en nous avec une force extraordinaire. Tout conspire alors dans notre âme pour résister à Dieu. L'imagination veut errer à l'aventure, elle veut poursuivre au loin ses rêves audacieux; la passion se dresse comme une brute qui s'éveille et demande sa pâture, l'intelligence veut décider en souveraine, la volonté ne veut relever que de soi. Heures de lutte redoutable, qui ne vous a connues! Alors, des profondeurs de notre orgueil, montent jusqu'à Dieu des murmures auxquels notre bouche n'ose pas donner un langage. Nous lui dirions 'volontiers : « Pourquoi m'as-tu fait chrétien ? Pourquoi as-tu mis en moi cette conscience importune qui ne me laisse aucune trêve? Pourquoi as-tu dressé sur ma route cette croix du Calvaire que mon regard rencontre au milieu de mes égarements? Pourquoi, tandis que les autres s'en vont, insouciants et légers, marchant selon le désir de leur coeur, la convoitise de leurs yeux et l'orgueil de leur vie, pourquoi m'as-tu tellement fait connaître le fond de toutes ces joies, que je n'y puis plus participer sans remords, et que je trouve dans leurs délices mêmes l'amer sentiment de leur vanité?... Ainsi, mes frères, montent dans nos coeurs ces pensées qui toutes s'unissent pour dire à l'Eternel comme par un épouvantable blasphème: « Dieu cruel, pourquoi m'as-tu sauvé ? »

0 vous qui avez plongé le regard dans ces abîmes de l'orgueil, et qui avez senti alors je ne sais quel effrayant plaisir qui ressemble à l'attrait du vertige; vous qui avez entendu frémir au dedans de vous cette voix de la révolte que tout joug épouvante; venez, vous dirai-je, venez, allons ensemble au Dieu de l'Evangile et demandons-lui compte de cette obéissance qu'il nous impose.

Venez! Mais, où le trouverons-nous? A Nazareth, obéissant comme un serviteur; à Gethsémané, s'écriant: « Non pas ma volonté, mais la tienne; » sur le Calvaire, épuisant pour nous seuls toutes les lies de la coupe amère de la douleur. Eh bien ! pécheurs, allez à lui, si vous en avez le courage, et débattez vos droits. Plaignez-vous d'obéir devant un Sauveur humilié, plaignez-vous de porter votre croix quand lui est cloué sur la sienne, plaignez-vous de souffrir quand lui, obéissant jusqu'à la mort, doit s'écrier pour sa récompense : « Mon Dieu , pourquoi m'as-tu abandonné? »

Mais il est rare, mes frères, le nombre de ceux qui vont jusqu'à la révolte ouverte. Peu d'hommes osent ainsi braver Dieu face à face; la plupart du temps, nous lui échappons d'une autre manière ; nous acceptons son joug en apparence, nous faisons profession de le servir, mais nous nous réservons de choisir nous-mêmes la manière dont nous le servirons. L'Eglise est remplie de chrétiens qui veulent servir Dieu, mais à leur gré, et qui sacrifient leurs devoirs les plus prochains à des devoirs imaginaires; de chrétiens qui font leur volonté sous le couvert de la volonté divine; on les voit souvent poursuivre un plan parfaitement arrêté dans leur esprit avec une obstination douce mais intraitable, on les voit ne tenir compte alors ni des observations de leurs frères, ni des indications des événements, ni des signes les plus évidents par lesquels Dieu vient en aide à notre faiblesse, puis on les entend justifier leur conduite en alléguant la volonté de Dieu ; la volonté de Dieu ! mot commode, si souvent invoqué pour justifier des caprices, qu'il amène un sourire sur les lèvres des mondains... Ah! mes frères, craignons de profaner de telles expressions, soyons-en sobres dans notre langage, gardons- nous de prendre pour des inspirations divines les conseils de notre imagination et les suggestions de notre coeur rusé, car alors en nous séduisant nous-mêmes, nous livrons les choses saintes aux rires trop justifiés des moqueurs. Quel spectacle dérisoire que celui d'un chrétien qui porte la livrée de l'obéissance, et qui au fond néglige les devoirs les plus clairs, les plus évidents, les plus naturels! Le plus souvent alors, pour étourdir sa conscience, il redouble de zèle extérieur; son ardeur s'exhale en protestations bruyantes, et le nom de l'Eternel revient d'autant plus sur ses lèvres que sa volonté est absente de son coeur. Ah! quand je vois combien ce fait est fréquent, j'en ai le coeur serré; il y a dans cette manière de ruser avec Dieu, de vouloir lui donner le change, quelque chose de profondément triste. Est-ce là, mes frères, la tactique de l'amour? Le coeur qui aime se plaît-il à tromper, et croyez-vous en imposer à Dieu avec des apparences de fidélité? Mes frères, votre conscience est la voix de Dieu, je ne puis croire qu'elle se taise alors ... , il faut l'entendre. Sans cela, ne parlez plus d'obéissance, et prenez garde que vous ne ressembliez à ce fils de la parabole qui avait dit à Son père: « J'irai dans ta vigne, » et que son père n'y trouva pas; prenez garde que les péagers et les femmes perdues ne vous devancent dans, le royaume des cieux.

Il est une dernière tentation que je dois vous signaler, mes frères ; et je la crois d'autant plus dangereuse qu'elle ne vient ni de notre orgueil, ni de notre ruse naturelle, et qu'elle s'adresse peut être de préférence aux natures les plus droites et les plus sincères. La voici :

En combattant la soumission servile, nous avons dit avec raison que l'obéissance doit être avant tout intérieure et spontanée, que tout acte qui ne procède pas d'un libre mouvement d'amour n'a pas de valeur devant Dieu. Mais voici la conséquence que nous en tirons : Quand Dieu nous appelle à l'obéissance, nous attendons qu'un mouvement intérieur nous y pousse, et s'il ne vient pas, nous refusons d'obéir. Prenons des exemples et descendons dans la réalité : Dieu nous commande la prière. Notre coeur est froid; nous disons : Ma prière sera inutile et formaliste, et nous ne prions pas. Dieu nous commande de lire sa Parole. Notre coeur est languissant; la Bible ne nous dirait rien, et nous ne la lisons pas. Dieu nous commande de rendre témoignage à notre foi. Notre coeur ne sent plus les réalités divines; nos paroles dépasseraient nos impressions présentes, et nous ne parlons pas. Dieu nous commande de visiter le pauvre, le malade. Notre coeur est desséché; nous leur apporterions des consolations stériles et banales, et nous ne les visitons pas. Voilà, mes frères, voilà notre danger, voilà notre écueil à nous qui savons si bien que l'obéissance servile est sans valeur aux veux de Dieu. J'ose affirmer que bien des vies chrétiennes, qui nous semblaient pleines de force et d'ardeur, sont venues se briser sur cet écueil-là.

Ah! sans doute, notre coeur devrait toujours être en état d'accomplir avec amour, avec joie, la volonté divine. Mais vous savez bien qu'il ne l'est pas toujours. Que faire dans ces moments-là? Rester inactif? Dieu nous en garde! Mes frères, il faut obéir, obéir avec humiliation, obéir sans entraînement, sans enthousiasme, sans ardeur, hélas! mais obéir enfin! Quoi! me direz-vous, cette obéissance sans ardeur n'est-elle point inutile et dérisoire ? Non, mes frères, si elle est sincère, elle sera encore acceptée; cette volonté sans élan n'en est pas moins un signe que c'est vers Dieu que notre vie est tournée. Il y a des jours sur l'Océan où nul souffle ne vient enfler les voiles ni même rider la surface de l'eau; les vaisseaux doivent alors rester immobiles, et cependant, à voir la direction vers laquelle leur proue est tournée, vous pouvez reconnaître s'ils se rendent vers la patrie ou s'ils s'éloignent vers des rivages inconnus.

De même, sur l'océan de la vie chrétienne, il est des jours où nul souffle d'en haut ne vient remplir nos âmes; cependant c'est toujours vers Dieu, vers l'obéissance qu'il faut qu'elles soient dirigées, afin que, lorsque le vent se lèvera, ce soit du côté de l'obéissance qu'il nous emporte. Il est insensé de prendre pour règle de sa vie l'entraînement du coeur; notre règle, c'est le devoir, et le devoir est de tous les temps. Savez-vous la conséquence de cette funeste tendance? C'est que notre vie chrétienne subit toutes les influences passagères bonnes ou mauvaises; c'est que, manquant de discipline, elle manque aussi de force et de consistance; c'est que, dans toute notre activité, on sent les velléités successives de l'ardeur et du découragement; c'est qu'un jour tout est ardeur, et alors nos églises se remplissent, nos oeuvres intéressent, nos dons se multiplient, nos pauvres sont aimés, et que le lendemain l'Evangile semble retentir dans le désert, nos oeuvres sont en souffrance, nos pauvres négligés. Ne nous y trompons pas! On ne fait rien sans règle. Il en est de la vie chrétienne comme d'une eau jaillissante; renfermez-la dans un lit étroit et profond, elle ira porter au loin la vie et la fécondité, elle pourra mettre en mouvement les plus puissants engrenages. Laissez-la s'égarer dans les sables, elle disparaîtra bientôt ou ne formera plus qu'un marais fangeux.

Il faut donc obéir en tout temps, au jour de l'épreuve comme au jour de la bénédiction, avec larmes si vous ne le pouvez faire avec joie, avec un coeur défaillant si l'ardeur et l'impulsion vous manquent. Et qui nous dit d'ailleurs que cette obéissance, passive d'abord et sans joie, ne se transformera pas bientôt sous la bénédiction du Dieu fidèle, en un joyeux accomplissement de sa volonté? Si l'amour est la source de l'obéissance, ne peut-on pas dire aussi que l'obéissance est la source de l'amour, et que nous nous attachons à Dieu en raison des sacrifices que nous lui avons faits ? L'expérience vous l'atteste. Que de fois vous avez commencé péniblement, avec une répugnance secrète, un sacrifice que vous avez achevé avec des larmes de reconnaissance! Que de fois vous vous êtes mis à genoux répétant des paroles auxquelles ne correspondait dans vos coeurs aucun amen sincère ; ce coeur était plus dur qu'un rocher, et cependant, comme sous les coups de la verge du prophète, l'onde a jailli et vous vous êtes relevé consolé!

Que de fois vous vous êtes acheminé d'un pas lent, et le coeur partagé, vers la demeure du pauvre ou du malade , prêt peut-être à vous laisser détourner de votre route par le premier obstacle, et vous avez cependant trouvé en vous assez de puissance pour relever son courage abattu et pour lui faire sentir une sympathie qui lui était bien nécessaire! Que de fois, ô prédicateur de l'Evangile, vous êtes monté dans cette chaire, vous demandant d'où vous pourriez faire sortir la lumière, vous qui passiez alors par un nuage sombre; d'où vous pourriez faire jaillir l'amour, vous dont le coeur était froid; et voici : la lumière et la grâce sont descendues, et vous avez pu bénir Dieu de ce que votre parole avait ému les âmes et n'était pas retournée à lui sans effet. Que de fois, mon frère, assailli par une tentation soudaine qui trouvait votre coeur non-seulement désarmé, mais complice par avance de l'ennemi, vous avez fui, mais la tête baissée, portant la honte et le remords d'un crime dont la consommation ne dépendait que d'un moment d'hésitation et de faiblesse, et cependant, parvenu à quelque distance, vous avez senti vos pieds affermis sur le roc, et vous avez pu regarder avec dégoût ce péché qui vous semblait plein d'attrait Voilà les fruits de l'obéissance, voilà ce qu'elle produit sous la bénédiction de Dieu!

Un dernier mot ... , et ce mot je l'adresse à ceux qui dans cette assemblée ne possèdent pas la vérité et la cherchent encore. S'ils me demandent quel est le meilleur moyen d'acquérir la foi ou de la fortifier quand on la possède, je n'hésiterai pas à leur répondre : Obéissez! Obéissez à la voix du devoir, et cette voix, froide d'abord et sévère, aura pour vous des accents toujours plus tendres et persuasifs; elle deviendra vivante, et vous y reconnaîtrez la voix de Dieu. Un éloquent écrivain, malheureux enfant d'un siècle incrédule, et qui connaissait, par une expérience douloureuse, l'influence des actions sur les croyances, Rousseau, a écrit cette grande parole : « Si tu veux croire en Dieu, vis de telle manière que tu aies toujours besoin qu'il existe. » Cette parole si profondément vraie n'était que l'écho d'une déclaration du Christ : « Si quelqu'un veut faire la volonté de Dieu, il connaîtra que ma doctrine est divine. » Vous donc qui hésitez et qui doutez encore, obéissez et vous croirez; obéissez tout d'abord à l'enseignement moral du Christ dont votre conscience atteste la sainteté, et vous croirez au Christ. Obéissez à la vérité, et la vérité vous éclairera... Jusque-là vous discuterez sans cesse, cherchant toujours et ne trouvant jamais, faisant osciller au gré de vos impressions passagères l'aiguille de la balance où vous pesez les raisons contraires, ignorant que cette balance ne s'inclinera du côté d'une foi positive que le jour où vous y aurez jeté le poids de votre obéissance. Vivez de telle manière que vous ayez toujours besoin de croire que la justice, la sainteté, et l'amour de Dieu sont des réalités, et vous y croirez toujours. Plus vous ferez de sacrifices à la vérité, plus la vérité vous sera chère; renoncez pour elle à l'éclat factice des vanités trompeuses, et vos yeux dessillés la verront briller d'une pure et sereine lumière qui les ravira toujours plus; renoncez pour elle aux plaisirs grossiers de la chair, aux joies mauvaises de l'orgueil, aux illusions délicieuses de l'amour-propre, et vous trouverez en elle des compensations que vous ne soupçonnez pas. 0 vérité divine , tu te caches à la raison superbe qui ne cherche en toi qu'une pâture à sa curiosité; pour elle tu demeures toujours un impénétrable mystère; mais, à ceux qui ne veulent entendre ta voix que pour la suivre, à ceux qui ne t'appellent que pour t'obéir, à ceux-là, tu te révèles toujours plus grande, plus magnifique et plus adorable, et tous les sacrifices que tu leur demandes ne sont rien, je l'atteste, auprès de la joie pure, profonde, infinie dont tu remplis leur coeur!

1 Ce sermon a été prêché en 1861.

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