LE PÈLERINAGE
DOULOUREUX
de
L'ÉGLISE A
TRAVERS LES ÂGES
CHAPITRE XVII
Questions de communion et
d'inspiration
1830-1930
Réunion de Plymouth. - Conditions en
Suisse romande. - Visites de Darby. - Développement de son
système. - «L'Église en ruines». - Auguste
Rochat. - Différence entre l'enseignement de Darby et celui
des frères qui prenaient le N. Testament comme modèle
des églises. - Changement du principe
congrégationaliste en principe catholique. -
Dissémination des réunions. - Lettre de 'Groves
à Darby. - Suggestion d'une autorité centrale. - Darby
et Newton. - Darby et l'église de Béthesda, Bristol. -
Darby exclut tous ceux qui ne se joignent pas à lui pour
exclure l'église de Béthesda. - Application universelle
du système d'exclusion des églises. - Églises
qui n'adoptèrent pas le système exclusif. - Leur
influence sur d'autres milieux. - Églises se conformant au N.
Testament formées en divers pays. - Rationalisme. - Critique
biblique. - C.-H. Spurgeon. - Augmentation de la diffusion des
Écritures.
1. Darby à Plymouth et en Suisse
Romande
A Plymouth, une assemblée qui avait des
contacts personnels avec Dublin et Bristol exerça de bonne
heure une grande influence, tant par le nombre de ses membres, que
par les dons remarquables de quelques-uns de ses conducteurs et
docteurs. C'est l'importance de cette assemblée qui a
donné lieu au nom bien connu de «Frères de
Plymouth». Les plus éminents de ses docteurs furent
Benjamin Wills Newton et J. N. Darby. Ce dernier se rattachait
à une assemblée de Londres, mais, comme il se
dévouait entièrement au ministère de la Parole,
il voyageait beaucoup et venait fréquemment à Plymouth.
Contrairement à la plupart de ses collaborateurs, il
enseignait encore le baptême des enfants, bien qu'il eût
quitté l'Église anglicane. Toutefois, sa doctrine
différait de celle de cette église; elle ressemblait
plutôt à celle de Pélage qui estimait que le
baptême introduit l'enfant dans une sphère où il
lui sera possible de recevoir la grâce de Dieu.
Tandis que F. W. Newman, associé quelque
temps à A. N. Groves, à Bagdad, devenait un puissant
avocat du rationalisme, et que son frère John Henry Newman est
connu comme chef du mouvement ritualiste - dit d'Oxford, lequel fut
le début du réveil anglo-catholique de l'Église
anglicane, - John Nelson Darby connut des phases de
développement, non moins remarquables.
En 1828, il accepta une invitation en Suisse
romande, où les conditions spirituelles étaient
favorables au réveil. La plupart des ministres de
l'Église nationale avaient été saisis par le
rationalisme du jour. Une scission avait donné naissance au
mouvement de l'Église libre qui, toutefois, n'avait pas
pleinement satisfait les désirs de ses adhérents. Un
siècle auparavant, Zinzendorf et ses aides avaient
formé de nombreux groupes de sérieux chercheurs et de
témoins, et il subsistait de cet effort encore quelques
traces. Dans les montagnes du Jura, il existait aussi des
assemblées de croyants fondées sur l'Écriture,
autrefois persécutées comme anabaptistes. A
Genève, les fruits des études bibliques de Robert
Haldane s'étaient maintenus, et les principaux conducteurs du
mouvement de l'Église libre en avaient été
influencés. Il en était résulté
l'assemblée nommée «la Nouvelle
Église», qui, depuis 1818, se réunissait au Bourg
de Four et, plus tard, à la chapelle de la Pélisserie.
D'autres mouvements avaient pris, ou prenaient naissance dans
l'Église nationale et hors d'elle. Celui qui se rattachait
à S. H. Fröhlich, avait, depuis 1828, provoqué un
réveil. Gaussen et Merle d'Aubigné avaient
essayé de ramener l'Église nationale de son
rationalisme à la pensée de Calvin. D'autres luttaient
contre le rattachement de l'Église à l'État et
organisaient l'Église libre, entre autres Vinet qui, suivi de
huit autres théologiens, quitta, en 1840, l'Église
nationale, et fut imité, cinq ans après, par un grand
nombre de pasteurs.
Cette atmosphère d'excitation et de
changement fut favorable à Darby, dont on apprécia les
grands dons. Pendant quelque temps, il s'unit à
l'église du Bourg de Four. Son ministère y fut
très goûté. Il parlait du retour du Seigneur, de
la position de l'Église et du croyant vu «en
Christ», puis il exposait les écrits prophétiques.
Beaucoup furent attirés à lui par son désir
d'avoir communion avec tous les croyants, quelle que fût leur
position ecclésiastique. A Lausanne, ses réunions
furent largement fréquentées et hautement
appréciées. Peu à peu, Darby forma un groupe
spécial - «la réunion» - où il
développa et formula librement ses vues particulières
sur l'Église.
2. Enseignement de Darby ; Auguste
Rochat
Concernant les différentes
dispensations, ou périodes de temps pendant lesquelles Dieu
agit envers les hommes, Darby enseignait (121)
que chacune d'elles avait échoué
dès les débuts. «En chaque cas - dit-il - il y eut
insuccès total et immédiat quant à l'homme,
malgré que la patience de Dieu ait toléré, et
que, dans sa grâce, Il ait continué la dispensation dans
laquelle l'homme avait failli dès le commencement. De plus...
il n'y a aucun exemple de la restauration d'une dispensation qui nous
a été accordée, bien qu'il y ait eu des
réveils partiels par la foi». Comme exemples de ces
faillites de l'homme au début d'une dispensation, Darby
indique l'ivresse de Noé, la descente d'Abram en Egypte et son
reniement de Sara, le peuple d'Israël élevant le veau
d'or, etc.
Il fait la même assertion quant à
l'Église: «Il y eut -dit-il - un éloignement moral
de Dieu, au sein de la chrétienté. Même au temps
des apôtres, il est déjà question de
l'«apostasie», des «temps fâcheux», de la
«dernière heure», de l'«abandon de la
foi», du «mystère d'iniquité». Les
apôtres faillirent à leur mandat d'aller prêcher
l'Evangile à toute créature dans le monde. Ils
restèrent à Jérusalem, d'où ils auraient
dû fuir. Un nouvel apôtre, celui des Gentils, fut
suscité pour combler cette lacune. «Ainsi - écrit
Darby - ...cette dispensation, tout comme d'autres, fit faillite
dès le début... elle marque une rupture à son
origine - à peine fut-elle établie qu'elle fit voir une
fêlure.»
Il demande ensuite si «de nos jours, les
croyants sont en mesure de former des églises sur le
modèle des églises primitives, comme ils le
croient» et «si la formation de telles congrégations
est en accord avec la volonté de Dieu?» «Non -
répond-il - car l'Église est en ruines» ...
«le premier abandon est fatal et entraîne le
jugement» ... «l'Écriture ne reconnaît jamais
la restauration du premier état.» ... «L'attitude
complète de l'âme - explique-t-il - est modifiée
si nous reconnaissons que nous vivons dans un temps d'apostasie qui
se hâte vers sa consommation, au lieu de croire en une
Église ou en une dispensation que Dieu soutient par sa
grâce toujours fidèle.» Dans l'Écriture,
nous voyons: «1) L'union de tous les enfants de Dieu; 2) l'union
de tous les enfants de Dieu dans chaque localité. Cet
état de choses, indiqué dans la Parole de Dieu, a
cessé d'exister, et la seule question à résoudre
est celle-ci: Comment le chrétien doit-il juger et agir quand
un état de choses placé devant nous dans la Parole a
cessé d'exister? Vous répondrez: il doit le restaurer.
- Votre réponse porte en elle la preuve du mal. Elle suppose
qu'il y a en nous quelque puissance. je vous dirai. écoutez la
Parole et obéissez-y, quand elle s'applique à un tel
état de déclin. Votre réponse admet deux choses:
1) qu'il est selon la volonté de
Dieu de rétablir l'économie, ou dispensation, sur son
pied primitif, après qu'elle a échoué; et
2) que vous êtes capables, de la
restaurer et y êtes autorisés.
» ... Avant d'accepter vos
prétentions, je dois considérer, non seulement que
l'Église était telle au début, mais surtout que
la volonté de Dieu est qu'elle soit ramenée à sa
gloire primitive. je dois ensuite admettre que l'union volontaire de
«deux ou trois», de vingt ou de plusieurs corps de
croyants, autorise chacun deux, dans une localité quelconque,
à prendre le nom d'Église de Dieu, alors
qu'originellement l'Église était l'ensemble de tous les
croyants dans un lieu déterminé. Si vous
prétendez cela, il vous faut encore me démontrer que
vous avez si bien réussi, par le don de par la puissance de
Dieu, à rassembler les croyants, que vous êtes en droit
de traiter de schismatiques, de coupables. et d'étrangers
à l'Église de Dieu, tous ceux qui refusent de,
répondre à votre appel. Et permettez-moi ici d'insister
sur une considération très importante,
négligée par ceux qui sont résolus de faire des
églises. Ils ont été si
préoccupés. de leurs églises qu'ils ont presque
perdu de vue l'Église,
»D'après l'Écriture,
l'ensemble de toutes les églises terrestres constitue
l'Église, du moins l'Église ici-bas. Et l'Église
en un lieu donné n'était autre que l'association
régulière de tout ce qui faisait partie du corps entier
de l'Église, c'est-à-dire du corps complet de Christ
sur terre. Celui donc qui, là où il habitait,
n'était pas un membre de l'église, n'appartenait pas du
tout à l'Église de Christ... L'Église est en
ruines... Si le corps professant n'est pas en état de ruine,
je demande alors à nos frères séparés:
Pourquoi l'avez-vous quitté? S'il est en cet état,
confessez cette ruine - cette apostasie - cet abandon du niveau
primitif.
» Comment donc l'Esprit agirait-Il?
Comment s'affirmera la foi d'un tel croyant? Il reconnaîtra la
ruine; elle sera toujours présente à sa conscience, et
il en sera humilié. Nous qui sommes coupables de cet
état de choses, prétendrons-nous pouvoir y
remédier? Non; la tentative prouverait simplement que nous
n'en sommes pas humiliés. Recherchons d'abord, en toute
humilité, ce que Dieu, dans sa Parole, nous dit d'un tel
état de choses. Ne faisons pas comme des enfants stupides qui,
ayant brisé un vase précieux, s'efforcent d'en
rejoindre les fragments, dans l'espoir de cacher aux autres le
dommage causé.
» J'insiste sur cet argument auprès
de ceux qui s'efforcent d'organiser des églises. Si de vraies
églises existent, ces personnes ne sont pas appelées
à en créer. Si, comme elles le disent, ces
églises existaient d'abord, mais ont disparu, alors la
dispensation est en ruines, et dans une condition
d'éloignement absolu de son premier état. En
conséquence, ces personnes entreprennent de rétablir
cet état. Mais il faut qu'elles justifient cette tentative,
autrement elle ne s'appuie sur aucune garantie... S'occuper à
refaire l'Église et les églises d'après le plan
primitif, c'est reconnaître te fait de la faillite
présente sans se soumettre au témoignage de Dieu sur
ses buts quant à cet état de ruine... La question
placée devant nous n'est pas si de telles églises
existaient à l'époque où la Parole de Dieu fut
écrite; mais si, après que, par la faute de l'homme,
elles ont cessé d'exister et que les croyants ont
été, dispersés, ceux qui ont assumé
l'office apostolique de les rétablir et, ce faisant, de
remettre sur pied toute la dispensation, ont vraiment saisi la
volonté de Dieu, sont revêtus de puissance pour
accomplir la tâche qu'ils se sont proposée... je me
demande ce que disent la Parole et l'Esprit sur l'état de
l'Église déchue, au lieu de m'arroger la
compétence de réaliser ce que l'Esprit a dit de la
première condition de l'Église.
» Ce dont je me plains, c'est que l'on se
soit conformé aux pensées de l'homme, c'est que l'on
ait voulu imiter l'Église primitive, telle que nous la montre
le St-Esprit, au lieu de rechercher ce que la Parole et l'Esprit ont
déclaré concernant notre condition présente...
En de telles circonstances, notre devoir est d'obéir, et non
d'imiter les apôtres... Quand on nous dit que les directions
données aux églises primitives sont pour tous les temps
et pour tous les lieux, je mie permets de demander si elles sont pour
les temps et pour les lieux où les églises n'existent
pas? et nous en revenons à cette enquête. Si la
dispensation est en ruines, qui peut créer des
églises?...
» On me demandera peut-être ce que
doivent faire les enfants de Dieu dans les circonstances
présentes de l'Église. Ma réponse est
très simple. Ils doivent se réunir dans l'unité
du corps de Christ, en dehors du monde... Quant aux détails,
tenez-vous-en à la promesse du Seigneur: Là où
deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu
d'eux (Matth. 18. 20). C'est ce dont a besoin le coeur qui aime Dieu
et est fatigué du monde. Comptez sur cette promesse du
Seigneur, vous, enfants de Dieu, disciples de Jésus. Si deux
ou trois d'entre vous s'assemblent en son nom, Il sera là.
C'est là que Dieu a mis son nom, comme autrefois dans son
temple à Jérusalem. Vous n'avez besoin de rien d'autre
que de vous rencontrer là, dans la foi. Dieu est au milieu de
vous; vous verrez sa gloire... Souvenez-vous aussi que, quand les
disciples se réunissaient, c'était pour rompre le
pain... Si Dieu nous envoie, ou suscite parmi nous quelqu'un qui
puisse nourrir nos âmes, recevons-le avec joie et gratitude
comme de la part de Dieu, selon le don qui lui a été
accordé... Ne fixez jamais de règles; le St-Esprit vous
guidera... Quant à la discipline, rappelez-vous que
l'exclusion d'un membre est la dernière ressource...
Préserver la sainteté de la table du Seigneur est un
devoir positif... Nous le devons à Christ Lui-même. Il
peut se présenter des cas où nous repoussons avec
crainte la manifestation du péché (Jude 23). Mais,
d'autre part, gardons-nous d'un esprit de jugement, comme du feu
à la maison... - Là où deux ou trois sont
assemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux. - Si tout le
système corporatif est réduit à néant, je
reviens à certains principes bénis, immuables, desquels
tout découle. Le rassemblement des - deux ou trois - :
voilà la chose dont tout dépend, à laquelle
Christ a attaché, non seulement son nom, mais encore sa
discipline - le pouvoir de lier et de délier.»
Quant à quitter une assemblée ou,
comme on dit, dresser une autre table, Darby écrit: «Je
n'en ai pas aussi pour que d'autres frères, mais je dois
expliquer mes raisons. Si telle ou telle réunion était
l'église ici-bas, la quitter serait se séparer de
l'assemblée de Dieu. Il est vrai que, là où deux
ou trois sont assemblés au nom de Christ, Il est au milieu
d'eux et, qu'en un certain sens, la bénédiction et la
responsabilité de l'église reposent sur eux. Mais si je
voyais des chrétiens déclarant être
l'Église, ou accomplissant quelque acte formel pour le
démontrer, je les quitterais à cause de leur fausse
prétention et de la négation du témoignage
même que Dieu nous appelle à rendre à
l'état de ruine. Cette assemblée aurait cessé
d'être la table du peuple de Dieu et son témoignage, du
moins intelligemment... D'autre part, le témoignage collectif
rendu à la vérité est la plus grande
bénédiction possible d'En-Haut. J'estime que, si
quelqu'un, agissant selon la chair, se séparait de deux ou
trois croyants marchant saintement devant Dieu dans l'unité du
corps de Christ, non seulement il agirait en schismatique, mais
encore il se priverait nécessairement de la
bénédiction de la présence de Dieu.
»
Parmi ceux, en Suisse, qui combattirent les
vues de Darby, Auguste Rochat fut l'un des plus distingués,
tant par son caractère que par ses capacités.
Concernant l'expression «l'Église en ruines», il
démontra que l'Église, comme collectivité, ne
peut être en ruines, quoique les individus puissent
déchoir. Il expliqua que, si l'Écriture parle
d'assemblées, elle n'appelle pas les groupes de croyants
vivant ici-bas, séparés les uns des autres en divers
lieux, l'Assemblée ou l'Église. L'Église, dans
son ensemble, renferme les croyants de tous les temps et de tous les
lieux, ceux qui ont cessé de vivre ici-bas et ceux qui ne sont
pas encore nés: les assemblées locales ne sont unies
les unes aux autres que par l'amour et la communion fraternelle.
Darby enseignait que seulement les apôtres, ou leurs
représentants, avaient eu le droit de choisir, ou de nommer
des anciens pour l'église. Cependant - disait-il - en ces
jours d'apostasie, il faut reconnaître ceux qui ont reçu
des dons de Dieu pour un service spécial, mais sans les
désigner officiellement. Rochat répliqua qu'aucun
passage de l'Écriture n'appuie cette opinion, qu'au contraire
les assemblées avaient ce droit, puisqu'elles choisissaient
des hommes pour remplir certaines charges et les plaçaient
devant les apôtres, qui les agréaient et leur imposaient
les mains. Rochat refusa d'accepter les termes de Darby,
«ruine», «apostasie», comme applicables à
l'Église. Un ordre de choses ne peut apostasier, mais bien un
individu. La vraie Assemblée n'apostasie jamais. La Parole de
Dieu ne mentionne jamais l'apostasie de l'Église.
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