LE PÈLERINAGE
DOULOUREUX
de
L'ÉGLISE A
TRAVERS LES ÂGES
CHAPITRE XV
La Russie
(1788-1914, 850-1650, 1812-1930,
1823-1930, 1828-1930)
Émigration mennonite et
luthérienne en Russie. Les privilèges changent le
caractère des églises mennonites. - Wüst.
Réveil. - Les Frères mennonites se séparent de
l'Église mennonite. - Réveil de l'Église
mennonite. - Interdiction des réunions parmi les Russes. La
circulation de Bibles russes est permise. - Traductions de la Bible.
Cyrille Lucas. - Les Stundistes. - Diverses voies d'introduction de
l'Evangile en Russie. - Grande extension des églises. -
Événements politiques en Russie amenant un
surcroît de persécution. - Exils. - Cas d'exils et de
l'influence du N. Testament. - Décret du St-Synode contre les
Stundistes. - Chrétiens évangéliques et
baptistes. - Désordre général en Russie. -
Édit de Tolérance. - Accroissement des églises.
- La tolérance retirée. Révolution. - Anarchie.
- Naissance du gouvernement bolchéviste. - Efforts pour abolir
la religion. Souffrance et accroissement. - Les communistes
persécutent les croyants. J. G. Oncken. - Église
baptiste formée à Hambourg. - Persécution. -
Tolérance. - École biblique. - Baptistes allemande en
Russie. - Dons d'Amérique. - Nazaréens. -
Fröhlich. - Réunions à Budapest. -
Dissémination des Nazaréens. - Souffrances
endurées pour refus du service militaire. - Enseignement de
FröhLich.
1. Mennonites et piétistes en
Russie 1788-1914
En Hollande, les descendants des croyants
réveillés au seizième siècle par les
travaux de Mennon prospérèrent beaucoup après
que le joug de l'Espagne eut été brisé,
grâce à la résistance du prince d'Orange. La
tyrannie fit alors place à une expérience sans
précédent de liberté de conscience et de culte.
Au dix-huitième siècle, les églises
étaient devenues prospères. En Prusse, cependant, elles
connurent la pauvreté et le découragement, en partie
pour avoir refusé de faire le service militaire; ce qui leur
causa beaucoup de désagréments. Aussi
acceptèrent-elles comme une délivrance de Dieu l'offre
que leur fit l'impératrice Catherine II de Russie de venir
s'installer dans les régions nouvellement occupées de
la Russie méridionale, avec liberté de culte et
exemption du service militaire (108).
Les plus pauvres furent les plus prompts au
départ et, en 1788, il y eut un premier exode de deux cent
vingt-huit familles, soit environ mille cinq cents personnes, qui,
l'année suivante, s'étaient établies dans la
province d'Ekaterinoslav, district de Chortitza, sur la
rivière du même nom, affluent du Dniepr. Ils eurent
d'abord à lutter pour l'existence; mais bientôt d'autres
colons plus fortunés se joignirent à eux et leur
ténacité au travail amena bientôt le
bien-être. Ils ne tardèrent pas à prouver au
gouvernement russe, que leurs travaux aideraient à relever le
niveau de l'agriculture et de la vie en général. A
mesure que la riche terre noire donnait d'abondantes récoltes
de céréales, s'élevaient des villages aux rues
larges, bordées de maisons bien construites. Les Russes et les
Tartares voisins comprirent alors que le pays offrait des
possibilités de gain dont ils n'avaient jamais
rêvé. Les mennonites ne furent pas les seuls immigrants.
Un grand nombre de luthériens, surtout des piétistes
persécutés en Würtemberg, vinrent aussi cultiver
le pays et y bâtir des villages.
Ce fut le début d'une colonisation qui
prit une grande extension. Avec le temps, les colonies
s'étendirent du sud de la Russie à la Crimée,
spécialement le long du cours inférieur de la Volga, au
Caucase, jusqu'en Sibérie, dans le Turkestan et même
atteignirent les confins de la Chine. Vivant à part de la
population environnante, les colons conservèrent leur langue
maternelle, leur religion et leurs coutumes, formant des
communautés compactes dispersées comme des îles
dans la mer des Slaves orthodoxes et d'autres peuples du vaste
empire.
Les privilèges accordés par le
gouvernement changèrent rapidement le caractère des
églises mennonites. Car, pour jouir de ces avantages, les
enfants devaient devenir mennonites. Ainsi leur réception dans
l'église ne se basa plus, comme autrefois, sur la confession
de leur foi en Christ et sur l'évidence de leur nouvelle
naissance. Mais ils étaient baptisés et devenaient
membres, à un certain âge, ou en se mariant, de
l'Église qui devint ainsi nationale, ses membres étant
convertis ou non. Bientôt le niveau moral tomba. Des familles
qui, à leur arrivée, s'étaient
distinguées par leur sobriété et leur
piété, tombèrent ouvertement dans le
péché, si bien que l'ivrognerie, l'immoralité et
la cupidité prévalurent bien vite. Il y eut pourtant
toujours des &mes pieuses qui protestaient contre ces maux et
s'humiliaient profondément pour leurs frères de la
faillite de leur témoignage.
Leurs prières furent exaucées et
le secours vint d'où nul ne l'attendait. Le tenancier d'une
auberge à Murrhard, en Würtemberg, avait un fils, Edouard
Hugo Otto Wüst, auquel il fit étudier la
théologie. En dépit d'une vie dissolue à
l'université de Tübingue, le jeune homme passa les
examens requis et, en 1841, accepta un poste de pasteur de
l'Église nationale wurtembergeoise, à Neunkirchen et
Riedenau. Il se mit à l'oeuvre avec son énergie
naturelle, se lia intimément avec des piétistes, des
moraves, des méthodistes, et, trois ans après sa
consécration, expérimenta un changement de coeur et put
abandonner les habitudes coupables qui l'enchaînaient encore.
La grande joie de savoir ses péchés pardonnés et
l'assurance d'être un enfant de Dieu lui furent
accordées tandis qu'il attendait l'aube de l'année
1845. Par sa prédication et ses études bibliques, aussi
bénies qu'intéressantes, il attira beaucoup
d'âmes, mais provoqua aussi l'envie et la haine de ses
confrères. On cherchait à entraver son oeuvre par des
vexations et des humiliations lorsque, grâce à
l'influence des piétistes, il reçut un appel d'une
église «séparatiste», à Neuhoffnung,
en Russie méridionale.
Dans cette église, il prêcha son
premier sermon à vingt-huit ans. Grand et bien bâti,
doué d'un organe puissant et agréable, sa nature
sympathique attirait ceux qu'il rencontrait. Dans ses sermons, il
montrait par les Écritures quelle avait été
l'expérience de son coeur, la suffisance de l'oeuvre
expiatoire de Christ et l'assurance du salut réservée
à tous ceux qui mettent leur confiance en Lui. L'église
déjà bondée dut faire place à des
auditeurs venant d'autres milieux, entre autres à des
mennonites. Wüst ne permettait à aucune question de
dénomination de limiter son travail. Aussi
commença-t-il bientôt à tenir des études
bibliques dans les maisons mennonites et à prêcher dans
leurs locaux. Il en résulta un grand réveil. Des
pécheurs se repentirent et beau. coup d'âmes
trouvèrent la paix par la foi. Il y eut un puissant changement
du péché à la piété. Mais bien
vite l'opposition surgit. Il fut interdit à Wüst
d'employer les locaux mennonites, mais ceci n'enraya pas le
réveil. Quelques. uns créèrent des
difficultés en se livrant à des manifestations de joie
extravagantes, en prenant leurs sentiments pour des mouvements de
l'Esprit. Mais ces déformations fâcheuses, qui ne
pouvaient conduire qu'à la folie et au péché,
furent finalement éliminées et l'oeuvre divine
persista, en dépit d'attaques intérieures et
extérieures. Wüst mourut en 1859, âgé de
quarante-deux ans seulement. Durant son ministère,
quelques-uns des mennonites convertis prirent la Ste-Cène dans
son église, avec les membres de sa propre
congrégation.
L'année même de sa mort, un
certain nombre de croyants mennonites, sentant que, dans leur propre
église, ils ne pouvaient continuer à prendre la
Cène avec des inconvertis, commencèrent à la
prendre de temps en temps dans des maisons privées, avec ceux
qui confessaient leur foi en Christ. Ceci éveilla un amer
ressentiment et, bien que désireux d'éviter des
divisions, ces croyants furent contraints de se séparer de
l'église mennonite. D'autres les imitèrent et, en 1860,
une congrégation séparée de frères
mennonites fut formée.
L'ancienne Église mennonite agit alors
envers les nouvelles églises de frères mennonites
exactement comme l'avaient fait autrefois les églises
nationales envers leurs propres ancêtres. Elle les condamna et
les livra aux autorités civiles, demandant qu'ils fussent
privés de tous leurs droits comme mennonites et
menaçant quelques-uns de l'exil en Sibérie. Des
années durant, cette question fut le sujet de constantes
négociations avec le gouvernement et les
«Frères» en souffrirent énormément.
Enfin le gouvernement accorda à tous les mennonites les
privilèges originaux, qu'ils appartinssent ou non à une
église particulière.
Les réunions des «Frères
mennonites» prospérèrent constamment et, en
grandissant, furent abondamment pourvues des dons du St-Esprit. En
s'efforçant d'appliquer à leurs églises
l'enseignement et le modèle du Nouveau Testament, ils
comprirent que la méthode de baptiser par aspersion dans
l'église mennonite n'était pas celle pratiquée
par les apôtres et ils introduisirent le baptême des
croyants, par immersion. Plus tard, certains comprirent qu'ils
devaient être en communion avec tous les saints et non
seulement avec les mennonites. Bien qu'ils ne fussent pas unanimes en
cette affaire, quelques-unes des églises se sentirent libres
de recevoir tous ceux qu'ils croyaient appartenir à Christ.
Ils furent aidés à faire ce pas par les visites de
serviteurs de Dieu de divers milieux étrangers.
Ces événements produisirent un
grand changement dans l'ancienne Église mennonite. Elle
continua à admettre comme membres des croyants et des
inconvertis, mais le réveil qui avait poussé beaucoup
de gens à quitter cette Église agit avec puissance
parmi ceux qui y étaient restés. Ses pasteurs
prêchèrent l'Evangile avec succès pour le salut
des âmes. La vie pieuse des convertis fui un témoignage
journellement vécu devant tous, en sorte que le
péché fut condamné et que le ton
général de l'ensemble, même chez les inconvertis,
en fut relevé. L'amertume entre l'«Église» et
les «Frères» diminua peu à peu. Les croyants
des deux branches jouirent enfin de la communion en Christ,
malgré leurs divergences de vues.
Les grands besoins du monde païen et la
responsabilité de porter l'Evangile à ceux qui ne l'ont
pas encore entendu exercèrent beaucoup de coeurs. Il en
résulta l'envoi de missionnaires aux Indes et en d'autres
pays. Le rapide accroissement de bien-être fut pour beaucoup de
ces colons une tentation d'être trop absorbés par les
choses matérielles, tandis que d'autres usèrent de leur
fortune dans la crainte de Dieu et pour l'avancement de son
règne. Beaucoup avaient émigré en
Amérique, si bien que leurs intérêts
s'étendirent bien au delà de leur première
sphère d'activité pour atteindre les
extrémités de la terre.
Si le gouvernement russe accorda des
privilèges aux mennonites, il leur imposa aussi certaines
obligations et limitations. Pour remplacer le service militaire, les
jeunes hommes devaient s'occuper pendant quelques années de
travaux forestiers. Il était défendu aux mennonites de
tenir des réunions parmi les Russes, ou de faire «aucune
propagande» auprès des membres de l'Église
orthodoxe grecque; cette condition, de laquelle dépendait la
liberté de leurs réunions, fut acceptée et
observée. Une activité spirituelle, remarquablement
bénie, s'exerça dans les villages mennonites,
dispersés à travers la vaste steppe russe. Les
mennonites, employant beaucoup d'ouvriers russes, quelques-uns
assistaient journellement au culte de famille, où ils
entendaient la Parole de Dieu. Dans le contact quotidien entre hommes
se rencontrant à la ferme ou au marché, entre femmes
travaillant ensemble à la maison, ou aux champs, l'Evangile
devint le sujet de nombreuses conversations.
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