LE PÈLERINAGE
DOULOUREUX
de
L'ÉGLISE A
TRAVERS LES ÂGES
4. Les placards, les
Huguenots, la St -Barthélemy
Pendant ce temps, en France, la
croissance des églises chrétiennes et la
prédication de l'Evangile - que la persécution n'avait
pu entraver jusqu'ici - subirent un sérieux échec en
1534. Impatients de voir la cause protestante en France progresser
aussi rapidement qu'en Suisse, quelques croyants de Paris
envoyèrent un des leurs, nommé Féret,
auprès de certains frères suisses pour les consulter
sur quelque action décisive en vue d'obtenir plus de
liberté pour la Parole. Il en résulta une violente
attaque contre la messe, composée par les réformateurs
de la Suisse, imprimée sous forme de placards et de
traités, puis envoyée à Paris. Les croyants
n'étaient pas tous d'accord sur l'opportunité de coller
les affiches et de distribuer les traités. Couralt, parlant au
nom des «hommes de sens rassis», avisa: «Gardons-nous
bien de poser ces affiches; nous ne ferions qu'enflammer la
colère de nos adversaires et augmenterions la dispersion des
croyants.» D'autres répliquèrent: «Si nous
regardons timidement de droite et de gauche, dans la crainte de
risquer nos vies, nous abandonnerons
Jésus-Christ.»
L'opinion des plus agressifs
prévalut. L'affaire fut soigneusement organisée et, une
certaine nuit d'octobre, les affiches furent posées à
travers toute la France. L'une d'entre-elles fut même
fixée à la porte de la chambre où dormait le
roi, en son château de Blois. Il s'agissait d'un long document
intitulé: «Articles véritables sur les horribles,
grands et importables (insupportables) abus de la messe papale,
inventée directement contre la Ste-Cène de notre
Seigneur, seul Médiateur et seul Sauveur
Jésus-Christ.» La lecture de ces affiches, au matin,
causa une violente surexcitation. On persuada le roi de poursuivre
une campagne d'extermination contre les réformés.
Dès le premier jour, le Parlement promit une récompense
à quiconque dénoncerait les colleurs d'affiches; en
outre, ceux qui les cacheraient devaient mourir sur le bûcher.
On commença tout de suite à arrêter les hommes
suspects d'avoir fréquenté les réunions, ou ceux
qui avaient favorisé la Réforme, si
modérés qu'ils fussent. On arrêta même ceux
qui s'étaient opposés à l'apposition des
placards. La terreur régna. Beaucoup prirent la fuite,
abandonnant tout. Partout en France, et surtout à Paris, les
bûchers s'allumèrent pour consumer leurs victimes. En
1535, il y eut, dans les rues de Paris, une procession de toutes les
plus saintes reliques qu'on avait pu réunir. Le roi y figurait
avec sa famille et la cour royale, puis de nombreux
ecclésiastiques et gentilshommes. Une foule énorme
remplissait les rues. On porta l'hostie jusqu'à Notre-Dame,
où une messe fut célébrée. Ensuite
François 1er et une grande multitude assistèrent,
d'abord à la rue St-Honoré, puis aux Halles, au
supplice de quelques-uns des meilleurs citoyens de Paris qui furent
brûlés, suspendus à un appareil qui devait
prolonger leurs souffrances. Tous, jusqu'à la fin,
témoignèrent de leur foi en Jésus-Christ, avec
un courage qui provoqua l'admiration de leurs bourreaux.
Voici ce qu'écrivait
à Mélanchton un homme savant et modéré,
Sturm, professeur au Collège royal de Paris: «Grâce
à la sagesse de quelques-uns, nous étions dans une
excellente position. Maintenant, hélas! les conseils d'hommes
maladroits nous ont plongés dans une terrible calamité,
dans une misère extrême. L'année dernière,
je vous écrivais que tout allait bien et que nous fondions
notre espoir sur l'équité du roi. Nous nous
félicitions les uns les autres, mais des hommes extravagants
nous ont privés de la prospérité attendue. Une
nuit d'octobre, en quelques instants, des placards concernant les
ordres ecclésiastiques, la messe et l'eucharistie furent
répandus d'un bout à l'autre de la France... Ces hommes
eurent même l'audace d'en apposer un sur la porte des
appartements royaux, comme s'ils avaient désiré
déchaîner de terribles représailles. Depuis cet
acte insensé, tout est changé, le peuple est
troublé, beaucoup sont remplis de craintes, les magistrats
sont irrités, le roi est surexcité et de terribles
épreuves nous atteignent. Si ces hommes imprudents ne sont pas
la cause première du mal, ils en sont au moins l'occasion. Si
seulement les juges savaient garder le juste milieu! Certains ont
été saisis, d'autres ont déjà
été punis de mort; d'autres encore se sont promptement
enfuis; des innocents ont subi le châtiment
mérité par les coupables. On dénonce les gens
publiquement; n'importe qui peut être accusateur et
témoin. Il ne s'agit pas de vaines rumeurs, Mélanchton.
je ne t'écris qu'une partie de ce qui se passe et je n'emploie
pas les termes énergiques qui conviendraient à un tel
état de choses. Dix-huit disciples de l'Evangile ont
déjà été brûlés vifs et
beaucoup d'autres sont menacés de la même mort. Le
danger augmente de jour en jour. Il n'est pas un homme de bien qui ne
craigne les calomnies des dénonciateurs et qui ne soit
consumé de chagrin à la vue de ces atrocités.
Nos adversaires règnent,
et avec d'autant plus d'autorité qu'ils semblent
défendre une juste cause et étouffer la
sédition. Au sein de ces maux terribles, il reste pourtant un
espoir - le peuple commence à être
dégoûté de ces cruelles persécutions et le
roi est finalement honteux d'avoir fait verser le sang de ces
infortunés. Les persécuteurs agissent sous l'impulsion
d'une haine violente, et non par souci de justice. Si le roi savait
de quel esprit ces hommes sanguinaires sont animés, il
chercherait certainement de meilleurs avis. Mais nous ne
désespérons pas. Dieu règne, Il dissipera toutes
ces tempêtes. Il nous indiquera un port de refuge; Il procurera
aux hommes de bien un asile où ils pourront exprimer librement
leurs opinions.»
En plusieurs parties de la
France, des croyants, ne se rattachant à aucune organisation
spéciale, se réunissaient pour l'adoration et la
lecture de la Bible (83). Dans l'un de ces cercles,
à Paris, la naissance d'un enfant amena le père
à se poser sérieusement la question du baptême,
ce qui aboutit finalement à la formation d'un système
ecclésiastique complet. La conscience du père ne lui
permettait pas de faire baptiser l'enfant dans une église
catholique, et il ne lui était pas possible de se rendre
à l'étranger pour cela. La congrégation se
réunit pour prier à ce sujet et décida de former
une église distincte, dont Jean de Maçon devint le
ministre. Ils nommèrent des anciens et des diacres et se
constituèrent en église ayant le droit de baptiser et
de remplir certaines fonctions qu'ils considéraient comme
appartenant à des hommes consacrés par l'Église.
Cette initiative (1555) fut suivie par beaucoup d'assemblées
de croyants, dans toute la France. L'ordre presbytérien fut
adopté par un nombre d'églises toujours croissant, dont
la majeure partie était pourvue de pasteurs venus de
Genève. Ce mouvement, plus encore que l'exemple de
Genève, influença les églises
réformées de Hollande et d'Ecosse. Calvin favorisa la
direction de chaque congrégation par un ou plusieurs ministres
et par des anciens, mais les églises françaises
adoptèrent de bonne heure le plan de synodes réunissant
pasteurs et anciens responsables pour un certain groupe
d'églises. Plus tard, ces assemblées locales
envoyèrent des délégués à un
synode provincial plus considérable; enfin, en 1559, le
premier synode national des églises françaises se tint
à Paris. A cette occasion on formula une confession de foi que
tous les pasteurs devaient signer, ainsi qu'un livre de discipline,
règle. mentant l'ordre dans les églises et auquel
chaque ministre promettait de se soumettre.
Les adhérents de ces
églises furent souvent nommés
«Évangéliques», ou «Ceux de la
religion». Mais, finalement, le ferme de «Huguenots»
(84) leur fut appliqué de
façon plus générale. On ne ne sait pas
exactement d'où vient ce nom. Le sud-est de la France,
prêt depuis des siècles à recevoir l'Evangile et
où la vérité n'avait été
étouffée que par des massacres
réitérés, manifesta alors à nouveau sa
soif de la Parole, et devint en partie huguenot. Ailleurs, les
Huguenots ne formaient qu'une petite minorité de la
population.
Un état de tension
existait entre les deux partis religieux, lors même que la
liberté du culte avait été garantie aux
protestants par décret royal, ce qui permettait
d'espérer que la réforme et la tolérance
apporteraient la paix. Les États-Généraux, ou
Parlement, étaient favorables. Aussi la reine-mère,
Catherine de Médicis, pouvait-elle écrire au pape :
«Le nombre de ceux qui se sont séparés de
l'Église catholique est si grand qu'il n'est plus possible de
les contraindre par des lois sévères, ou par la force
des armes. Du fait que des nobles et des magistrats se sont joints
à eux, leur puissance s'est accrue. Ils sont si fermement unis
et acquièrent chaque jour une telle force que, dans toutes les
parties du royaume, leur influence est formidable. Toutefois, par la
grâce de Dieu, on ne compte dans leurs rangs ni anabaptistes,
ni libertins, ni partisans d'odieuses opinions.» La reine
poursuit en discutant la possibilité d'entrer en communion
avec eux et suggère certaines choses qu'il serait bon de
réformer dans la foi catholique. Mais le pape était
opposé à un rapprochement, et les deux partis se
préparèrent pour une lutte possible. L'amiral Coligny,
chef des Huguenots, pouvait dire. «Nous avons deux mille
cinquante églises et quatre cent mille hommes en état
de porter les armes, sans compter nos adhérents
secrets.»
Le duc de Guise, chef du parti
catholique, ruina tout espoir de compromis en attaquant, dans une
grange, une nombreuse assemblée d'adorateurs dépourvus
d'armes. Lui et ses soldats cernèrent ces gens sans
défense et purent les massacrer à leur gré. Il
en résulta une guerre civile qui dévasta le pays.
Après des années de luttes meurtrières il y eut
une trêve. Un mariage fut arrangé entre Henri de
Béarn, roi de Navarre et chef du parti huguenot, et
Marguerite, fille de Catherine de Médicis, soeur du roi de
France. Le mariage, accompagné de grandes
réjouissances, eut lieu à Paris (1572). Dans la
pensée des Huguenots, cet événement était
de bon augure pour la paix entre les deux partis. Un grand nombre de
protestants, y compris leurs principaux chefs, se rendirent dans la
capitale pour prendre part aux fêtes organisées.
Moins d'une semaine
après la célébration du mariage à
Notre-Dame, sur un signal donné et d'après un complot
prémédité, les chefs catholiques et leurs
troupes tombèrent sur les Huguenots sans soupçons. Et
ce fut le massacre de la St-Barthélemy. Nul ne put
échapper. Les maisons huguenotes avaient été
marquées d'avance. Hommes, femmes et enfants furent
tués sans pitié, et, parmi les premiers, l'amiral
Coligny. Au bout de quatre jours, la ville de Paris et la Seine
étaient remplis de cadavres mutilés, hommes vigoureux
et joyeux enfants qui, une semaine auparavant, foulaient les rues de
la cité. Des faits semblables se produisirent dans toute la
France. Après la première surprise, les Huguenots
organisèrent la résistance sous Henri de Navarre et le
prince de Condé. Alors commencèrent les guerres de la
Ligue qui, durant plus de vingt ans, plongèrent la France dans
la misère.
5. L'Édit de
Nantes
En 1594, Henri de Navarre fut
appelé à régner sous le nom de Henri IV.
C'était un souverain capable et vaillant, mais sans
piété. Il conduisait le partit huguenot du point de vue
plutôt politique que religieux. Comme monarque protestant, sa
position était difficile dans un pays principalement
catholique et dont les rois avaient tous appartenu à
l'Église de Rome. Il trancha la difficulté en devenant
catholique pour affermir son trône; son but étant de
profiter de sa position pour légiférer en faveur des
Huguenots. Ainsi la France se vit placée sous le sceptre d'une
nouvelle dynastie catholique, et, en 1598, Henri IV promulgua
l'Édit de Nantes qui accordait aux Huguenots la liberté
de conscience et de culte.
La Ligue catholique ne se
soumit pas au roi, mais celui-ci la supprima, puis expulsa les
jésuites. Les Huguenots formaient un État au sein de
l'État. Ils avaient leurs villes et leurs districts propres,
en certaines régions, et leurs droits étaient reconnus
partout. Douze ans après l'Édit de Nantes, le roi fut
assassiné et les Huguenots furent persécutés
à nouveau. Il y eut des massacres qui provoquèrent chez
eux la résistance armée. Mais le cardinal de Richelieu
conduisit la guerre avec tant de vigueur qu'ils furent à
réitérées fois vaincus. Leur ville forte - La
Rochelle - fut prise d'assaut et les Huguenots cessèrent
d'exister comme puissance militaire et politique. Cependant Richelieu
leur laissa une certaine mesure de liberté.
Réconciliés avec le gouvernement, ils
s'adonnèrent, avec leur énergie caractéristique,
à l'agriculture, au commerce et à l'industrie. Ils y
réussirent si bien qu'ils devinrent pour le pays une source de
grande prospérité.
Lorsqu'à la mort de
Mazarin, Louis XIV assuma le pouvoir, il prit immédiatement
des mesures restrictives contre les Huguenots. Sous l'influence des
Jésuites, il usa de tous les moyens pour les forcer à
se rattacher à l'Église romaine. Ceux qui
résistèrent eurent à subir des
persécutions toujours croissantes. Ils les endurèrent
patiemment, mais la situation ne fit qu'empirer. On leur enlevait
leurs enfants pour les faire élever dans des couvents; on
interdisait les réunions, et les massacres
recommençaient. De grossiers soldats s'installaient chez eux
et s'y comportait comme bon leur semblait. Ce fut l'infâme
système des dragonnades. Les gens qui s'enfuyaient
étaient pourchassés dans les forêts et en
d'autres lieux de refuge. On les ramenait chez eux pour les
contraindre à loger les cruels dragons, qui, à force
d'outrages et de tortures, les obligeaient à se
«convertir», ou les tourmentaient jusqu'à la
mort.
En 1685, le dernier espoir des
Huguenots s'évanouit par la publication de la
Révocation de l'Édit de Nantes. Tous leurs pasteurs
durent quitter la France en quinze jours. En quelques semaines, huit
cents lieux de culte huguenots furent détruits. Ordre fut
donné de faire baptiser et élever les enfants dans
l'Église catholique. Impossible, pour ceux qui
refusèrent de se convertir, de trouver un emploi. Quiconque
essayait de quitter le pays était condamné aux
galères pour la vie, s'il s'agissait d'hommes. Pour les
femmes, c'était la prison perpétuelle. Malgré
les souffrances qui s'attachaient à l'exil - perte des biens,
pénibles voyages par des voies détournées,
souvent avec des petits enfants, des vieillards et des malades, sans
compter les terribles dangers encourus aux frontières
strictement surveillées - le meilleur élément de
la nation française quitta tout, pour le plus grand
appauvrissement de la France. Les fuyards se dirigèrent sur la
Suisse, la Hollande, le Brandebourg, les Iles Britanniques et
ailleurs. Ils y furent accueillis et ces pays furent enrichis par
l'arrivée de cette multitude de gens capables, au
caractère calviniste fortement trempé, qui y
déployèrent leurs talents d'industriels et de
commerçants habiles, se faisant remarquer dans la vie
politique et militaire, ainsi que dans les arts et les
sciences.
6. Les Camisards; les
églises du Désert
Si la révocation de
l'Édit de Nantes amena un exode de grande envergure, plus
nombreux encore furent ceux qui restèrent en France, ne
pouvant ou ne voulant pas s'exiler. Ils continuèrent à
souffrir les iniques dragonnades. lis abondaient surtout en
Dauphiné et en Languedoc, où la persécution fut
la plus intense. Réduits aux pires extrémités,
ils se laissèrent gagner par une étrange exaltation
religieuse. En 1686, Pierre Jurieu écrivit un exposé de
l'Apocalypse dans lequel il déclarait que la prédiction
de la chute de Babylone s'appliquait à l'Église
catholique et s'accomplirait en 1689. L'un de ses disciples, Du
Serre, enseignait les vues prophétiques de son maître
aux enfants du Dauphiné et ces derniers, élevés
au sein des horreurs des dragonnades, parcouraient en bandes les
villages de la province, comme «petits prophètes».
Ils citaient les terribles jugements de l'Apocalypse et en
annonçaient le prochain accomplissement. «La belle
Isabeau», une toute jeune fille, joua un rôle important
dans ces tournées. Des milliers de gens, qui avaient
été contraints de se rattacher au catholicisme, furent
ainsi ramenés à leur première foi et
refusèrent d'assister à la messe. En Languedoc, plus de
trois cents de ces enfants-prophètes furent emprisonnés
dans un même lieu.
Dans les Cévennes,
hommes et femmes tombaient en extase. Ils parlaient alors le pur
français de la Bible, au lieu du dialecte qui leur
était habituel, et ils inspiraient à leurs auditeurs un
courage héroïque. En dépit de leurs souffrances,
ces gens restaient de loyaux sujets du roi. En 1683, une
délégation de pasteurs, de gentilshommes et de chefs
protestants décida d'envoyer à Louis XIV une
déclaration de loyauté. Cependant, à cette
même date, le pape insistait sur l'extermination de ceux qu'il
appelait: «la race exécrable des anciens
Albigeois».
L'abbé du Chayla inventa
un instrument de torture spécial et exerça de telles
cruautés sur les croyants des Cévennes, qu'à la
fin ils se levèrent, tuèrent l'abbé et
organisèrent une résistance militaire contre les
dragonnades. Parmi les chefs se trouvait Jean Cavalier, un
garçon boulanger, qui, à dix-sept ans, se mit à
la tête des Camisards, ainsi nommés à cause des
chemises blanches qui leur tenaient lieu d'uniformes. Cavalier fut un
chef des plus capables. Trois ans durant (1703-1705), il combattit
avec succès et vainquit les plus grands maréchaux de
France, bien que sa petite troupe ne compta jamais plus de 3000
hommes, tandis que ses adversaires lui opposèrent
jusqu'à 60.000 soldats. Il finit par conclure une paix
honorable. Mais ses lieutenants, qui continuèrent la guerre,
furent exterminés.
La guerre des Camisards fut une
exception. Ailleurs, les Huguenots endurèrent sans
résistance les plus horribles traitements. Beaucoup furent
pendus ou brûlés vifs. Un grand nombre de femmes furent
emprisonnées, surtout à Grenoble et à Valence.
Une certaine femme, Louise Moulin de Beaufort, fut condamnée
(1687) à la pendaison, à la porte de sa maison, parce
qu'elle avait assisté à des réunions. Elle
supplia ses bourreaux de lui permettre d'allaiter d'abord son
bébé; ce qui lui fut accordé. Elle mourut
ensuite courageusement. C'est dans de telles conditions que les
«Églises du Désert», ou «Églises
sous la Croix», poursuivirent leur témoignage. Un des
exilés du Dauphiné, lors de la Révocation de
l'Édit de Nantes, Jacques Roger (85), fut profondément
ému par le récit des souffrances de ses frères
restés au pays. Comparant leurs vies d'affliction à
l'existence facile dont il jouissait à l'étranger, il
résolut de retourner en France pour y partager leurs
tribulations et pour les secourir selon ses possibilités.
De retour au pays, il y trouva
un petit reste fidèle, en dépit de la rage et de toute
la puissance des adversaires. Il constata aussi que l'oeuvre des
«Prophètes», hommes et femmes, avait, dans quelques
districts, dégénéré en fanatisme et en
désordre. Il se sentit alors appelé à remplacer
les pasteurs qui avaient fui et à rétablir le
système des synodes forcément abandonné.
D'autres se joignirent à lui et, dans ses tournées, il
rencontra Antoine Court, jeune homme de vingt ans, dont on disait
déjà beaucoup de bien, et qui occupa ensuite une place
prééminente parmi ceux qui travaillèrent en
faveur des «Églises du Désert». Court
était un homme pondéré et très vif
d'esprit. Il fut un prédicateur itinérant plein de
courage, un travailleur et un organisateur infatigable. Il contribua
puissamment à rétablir l'ordre dans l'Église,
avec ses synodes provinciaux et même nationaux. Sous sa
direction, une école s'ouvrit à Lausanne, pour la
préparation des pasteurs et prédicateurs. Ce fut une
école de martyrs, car un grand nombre de ceux qui se rendirent
en France, une fois leurs études terminées, furent
pendus, quelques-uns tout jeunes. Jacques Roger lui-même, subit
ce supplice à Grenoble, à l'âge de soixante-dix
ans. La vie de ces hommes était une succession de
délivrances extraordinaires, alors qu'ils parcouraient
montagnes et forêts pour aller porter la Parole aux villages
disséminés. Loin d'être exterminées, les
«Églises du Désert» ne firent que
s'accroître jusqu'en 1787, époque où Louis XVI
publia un «Édit de tolérance» qui causa un
grand soulagement. En 1789, la Révolution bouleversait la
France et apportait aux protestants la liberté de
conscience.
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