LE PÈLERINAGE
DOULOUREUX
de
L'ÉGLISE A
TRAVERS LES ÂGES
CHAPITRE Ill
Pauliciens et
Bogoumiles
(50-1473)
Croissance de la domination
cléricale. - Persistance des églises primitives. - Leur
histoire faussée par leurs ennemis. - Premières
églises en Asie mineure. - Arménie. - Églises
primitives en Asie mineure dès les temps apostoliques. -
Faussement décrites par leurs adversaires comme
manichéennes. - Pauliciens et Thonraks. - Continuité
des églises du N. Testament. - Constantin. - Silvain. -
Siméon. - Tite. - Vénération des reliques et
adoration des images. - Empereurs iconoclastes. - Jean de Damas. -
Restauration des images dans l'Église grecque. - Concile de
Francfort. - Claudius, évêque de Turin. - Islamisme. -
Sembat. - Serge. Conducteurs des églises en Asie mineure. -
Persécution sous Théodore. La Clé de la
Vérité. - Carbeas et Chrysocheïr. - Les
Écritures et le Coran. - Caractère des églises
d'Asie mineure. - Migration des croyants d'Asie en Europe. - Histoire
subséquente en Bulgarie. Bogoumiles. - Basile. - Opinions sur
les Pauliciens et les Bogoumiles. Dissémination des Bogoumiles
en Bosnie. - Kulin Ban et Rome. - Rapports des Bogoumiles avec les
chrétiens au loin. - La Bosnie envahie. - Avance des
Mahométans. - Persécution des Bogoumiles. - La Bosnie
prise par les Turcs. - Les amis de Dieu en Bosnie, lien entre le
Taurus et les Alpes. - Tombes des Bogoumiles.
1. Le cléricalisme en
lutte avec les églises primitives
Dans tous les temps, de nombreux disciples du
Seigneur ont considéré l'union de l'Église
à l'État comme contraire à l'enseignement du
Christ. Partout où l'Église a joui de l'appui du
gouvernement, elle s'en est servi pour supprimer par la force tous
ceux qui ont désapprouvé son système, ou ont
refusé, en quelque manière, de se plier à ses
ordres. La majorité donc, soit par indifférence, soit
par intérêt ou par crainte, a fini par se soumettre
à l'Église, au moins d'une façon
extérieure. Il se trouva pourtant toujours des hommes qui
n'acceptèrent point ce joug, mais s'efforcèrent de
suivre Christ, d'obéir à sa Parole et à la
doctrine des apôtres. Pour ceux-ci il n'y eut point de
trêve à la persécution.
L'histoire des siècles
après Constantin révèle la mondanité
croissante et l'ambition du clergé des églises
catholiques de l'Orient et de l'Occident. Elles en vinrent à
mettre la main sur les consciences aussi bien que sur les biens
matériels et, pour appuyer leurs prétentions, elles
employèrent la violence et la fourberie d'une façon
illimitée. L'histoire nous donne aussi ici et là des
aperçus sur le douloureux sentier de nombreux croyants qui, en
tout temps et en tous lieux, souffrirent tout ce que leur infligeait
l'Église mondanisée dominante, plutôt que de
renier Christ ou de renoncer à suivre ses traces.
Les histoires véridiques
de ces témoins ont été oblitérées,
dans la mesure du possible. Les écrits, tout comme leurs
auteurs, ont été détruits aussi
complètement que le permettait la puissance des
persécuteurs. Mieux que cela. Désireux de justifier
leurs cruautés, ces persécuteurs répandirent sur
le compte de leurs victimes des récits faits des pires
inventions. Ils y sont décrits comme
hérétiques et on leur attribue les mauvaises doctrines
qu'ils avaient répudiées. On les appelle
«sectaires» et on leur applique certaines étiquettes
qu'ils n'auraient pu que désavouer. Ces martyrs s'appelaient
généralement chrétiens ou frères; mais on
leur donnait des noms variés pour créer l'impression
qu'ils représentaient des sectes nouvelles et étranges.
On les désignait par des épithètes insultantes
pour nuire à leur réputation. Il est donc difficile de
retracer leur histoire. Les rapports de leurs adversaires sont fort
suspects et les paroles arrachées à leurs lèvres
par la torture sont sans valeur. Pourtant, en dépit de ces
obstacles, il nous reste encore un ensemble d'évidences dignes
de foi, continuellement accrues par des investigations qui nous
montrent ce qu'étaient ces hommes et ce qu'ils firent, ce
qu'ils crurent et enseignèrent. Ce sont leurs propres rapports
qui nous éclairent sur leur foi et leur vie.
Même dans les trois
premiers siècles, il y eut de nombreux corps de
chrétiens qui protestèrent contre la mondanité
et le relâchement croissants de l'Église, contre son
infidélité aux enseignements de l'Écriture. Des
mouvements de réveil se produisirent et bien qu'il soit
impossible d'établir une relation probante de l'un à
l'autre, la cause sous-jacente fut toujours identique - le
désir de revenir à la pratique de quelque
vérité évangélique. Durant les premiers
siècles, l'Asie mineure et
l'Arménie furent souvent le
théâtre de ces réveils, en même temps que
le refuge d'églises qui avaient dès le début,
maintenu, à divers degrés, la pureté de la
doctrine et la sainteté de la vie.
Dès les premiers jours,
l'Evangile s'était répandu au nord
d'Antioche. Les apôtres Paul et
Barnabas, puis d'autres ensuite, avaient
prêché et fondé des églises à
travers toutes ces contrées. Les épîtres aux
Galates, aux Éphésiens et aux Colossiens nous offrent
une vivante description des résultats puissants et
sanctifiants de la doctrine apostolique chez les croyants de ces
premières congrégations. Elles nous montrent aussi la
force des enseignements contraires qu'il a fallu combattre. Le
système catholique (ainsi nommé à cause de sa
prétention à être la seule Église
universelle avec une organisation cléricale), prit un rapide
essor dans ces régions, mais y rencontra toujours des
résistances. Au troisième
siècle, le royaume d'Arménie anticipa l'union de
l'Église à l'État sous Constantin-le-Grand en
faisant du christianisme la religion nationale du pays. Toutefois, il
ne manqua jamais d'églises maintenant les principes du N.
Testament.
Depuis les temps de
Mani, les églises des croyants qui se
nommaient chrétiens - pour se distinguer de ceux que l'on
appelait «romains» - avaient
été accusées de manichéisme,
malgré leurs protestations contre l'injustice qu'il y avait de
leur attribuer une doctrine qu'elles ne professaient pas. On ne
prouve rien en réitérant une telle affirmation. Or,
comme ces écrits qui ont survécu à ces
chrétiens ne contiennent pas trace de manichéisme, on
peut raisonnablement en conclure que ces gens n'étaient pas
manichéens. Bien loin d'accepter les noms sectaires qu'on leur
prodiguait, ces croyants se nommaient eux-mêmes,
individuellement, «chrétien» ou
«frère», et collectivement «La sainte
Église universelle et apostolique de notre Seigneur
Jésus-Christ». A mesure que s'accentuaient la
mondanité et l'infidélité aux Écritures
des églises grecque, latine et arménienne, ces
chrétiens leur refusèrent le nom d'églises,
déclarant qu'une telle appellation ne cadrait pas avec leur
union à l'État, avec l'admission dans leur milieu des
inconvertis par le baptême des enfants,
avec la participation des non-croyants à
la Sainte-Cène, et d'autres erreurs qu'elles avaient
introduites.
Ces
églises furent fréquemment appelées
pauliciennes, on ne sait pourquoi. On les nommait aussi
Thonraks, d'après la région
où elles furent pendant un temps très nombreuses. La
persécution dont elles furent victimes et la destruction
systématique de leur littérature ne nous ont
laissé que peu de possibilité de connaître leur
histoire. Nous savons cependant qu'il y avait dans ces vastes
régions de l'Asie mineure et de l'Arménie, autour du
Mont Ararat et au delà de
l'Euphrate, des églises formées
de croyants baptisés, des disciples du Seigneur
Jésus-Christ, qui obéissaient à l'enseignement
des apôtres, tel qu'il est contenu dans les Écritures.
Ce témoignage avait été maintenu sans
interruption.
Bien que l'histoire de ces
nombreuses congrégations ne nous soit parvenue que de
façon fragmentaire, ce fait n'affaiblit pas leur juste
prétention d'être les vraies descendantes des
églises apostoliques, non pas nécessairement par
filiation au sens naturel du mot - bien que ce fût souvent le
cas - mais plutôt par une préservation ininterrompue de
leurs caractéristiques spirituelles. Ces lacunes dans leur
histoire sont la conséquence naturelle des efforts voulus que
firent d'abord la Rome païenne, puis les Églises
nationales, pour détruire à jamais ce peuple et son
histoire. Et ces efforts atteignirent généralement leur
but. On ne saurait douter que, dans certains districts et à
certaines époques, les
persécuteurs aient réussi à anéantir les
précieux témoignages des croyants et des
églises, qui ne seront révélés qu'au jour
du jugement. Il y a plutôt lieu de s'étonner de tout ce
qui nous a été conservé: l'existence de tant
d'églises chrétiennes du type primitif, quant à
la doctrine et à la pratique, ne s'explique - comme en
témoignent du reste ces croyants - que par leur attachement
à l'enseignement du N. Testament. Leur manque d'organisation,
l'absence de toute direction centrale, leur habitude de
reconnaître l'indépendance de chaque congrégation
ont produit une grande variété dans les
différentes églises. En outre, les tendances
particulières de certains conducteurs éminents
faisaient, en quelque mesure, différer une
génération de l'autre, soit en spiritualité,
soit par la mise en évidence de certaines
vérités plus spécialement enseignées.
Toutefois tous ces conducteurs professent qu'ils firent leur doctrine
des Écritures et qu'ils maintiennent la tradition apostolique.
Ce qui doit être admis puisque rien ne vient prouver le
contraire.
Il nous est parvenu quelques
rapports sur des serviteurs de Dieu qui passèrent leur vie
à visiter et à fortifier ce genre d'églises en
leur prêchant l'Evangile.
C'était des hommes
animés de l'esprit apostolique, forts, patients, humbles et
d'un courage indomptable. Constantin,
nommé plus tard Silvain, fut l'un d'entre eux. Vers l'an 653,
un Arménien, fait prisonnier par les Sarrasins, fut
relâché et, durant son voyage de retour, fut reçu
avec bonté dans la maison de Constantin. Au cours de la
conversation, l'Arménien observa que Constantin était
un homme spécialement doué. Ils lurent ensemble les
Écritures et le voyageur reconnaissant, remarquant combien son
hôte s'intéressait à cette lecture, lui fit, en
le quittant, un don précieux, un manuscrit contenant les
quatre Évangiles et les Épîtres de Paul. Ce livre
fut étudié à fond par Constantin et l'amena
à un changement de vie radical. Il ne tarda pas à
témoigner de ce qu'il avait reçu, changea son nom en
celui de Silvain - compagnon de Paul - et attira sur lui la
colère des autorités en se joignant aux croyants qui
rejetaient l'adoration des images et
d'autres superstitions de l'Église byzantine. Il se fixa
à Kibossa, en Arménie, et y
rayonna de ce centre en évangélisant, trente ans
durant, les divers peuples environnants. De nombreuses conversions
parmi les catholiques et les païens furent le fruit de cette
activité. Ses voyages l'amenèrent dans la vallée
de l'Euphrate, à travers la chaîne du Taurus et dans les
parties occidentales de l'Asie mineure, où ses succès
attirèrent l'attention de l'empereur
byzantin Constantin, dit Pogonat.
Cet empereur publia un
décret (684) contre les congrégations
indépendantes de croyants et, en particulier, contre
Constantin, chargeant Siméon, un de ses officiers, de veiller
à l'exécution du jugement. Pour donner plus de poids au
châtiment de Constantin, Siméon remit des pierres
à plusieurs des amis personnels de l'accusé et leur
ordonna de lapider le maître qu'ils avaient si longtemps
aimé et révéré. Ils refusèrent, au
risque de perdre leur vie et laissèrent tomber les pierres
à terre. Mais un jeune homme, nommé
Justus, élevé par
Constantin comme son propre fils et
traité avec grande bonté, saisit une pierre et tua son
bienfaiteur d'un seul coup. Ceci lui valut louanges et
récompense de la part des autorités qui le
comparèrent à David tuant Goliath.
Siméon fut profondément ému
par tout ce qu'il vit et entendit à Kibossa. S'y étant
entretenu avec des chrétiens, il fut convaincu de la
vérité de leur doctrine et de la pureté de leur
conduite. Rentré à Constantinople, il ne connut point
de paix intérieure durant les trois ans qu'il passa encore
à la cour. Il quitta tout, s'enfuit à Kibossa et,
adoptant le nom de Tite, reprit et continua
l'oeuvre de l'homme qu'il avait fait mettre à mort. Il devait
bientôt rejoindre la grande compagnie des martyrs, car, deux
ans plus tard, Justus, au courant de la manière de vivre des
frères, donna des informations à l'évêque,
qui, les communiquant à l'empereur
Justinien II, permirent la capture d'un grand
nombre de croyants. Pensant qu'en terrorisant le reste des
«hérétiques», il les amènerait
à la soumission, l'empereur les fit
tous monter sur le bûcher, y compris Siméon. Mais les
plans du persécuteur furent déjoués. Le courage
des martyrs fit de la foi d'un grand nombre une flamme de
consécration et de témoignage, si bien que de nombreux
prédicateurs et docteurs furent suscités et que les
congrégations augmentèrent beaucoup. Ils
endurèrent l'affliction avec fermeté, se bornant
à la résistance passive. Puis vint un temps de
répit, procuré par des circonstances concernant le
monde catholique.
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