LE PÈLERINAGE
DOULOUREUX
de
L'ÉGLISE A
TRAVERS LES ÂGES
3. Ermites et
ordres monastiques
Le déclin spirituel des
églises, leur infidélité au modèle du
Nouveau Testament, leur mondanité croissante, leur
asservissement au système humain et leur tolérance du
péché provoquèrent, comme nous l'avons vu, des
efforts pour les réformer ou pour en établir de
nouvelles. Les mouvements momtaniste et donatiste le prouvent.
D'autre part, quelques chercheurs de sainteté et de communion
avec Dieu décidèrent de se retirer de tout contact avec
les hommes (19). L'état du monde, alors
dévasté par les barbares, et celui de l'Église,
détournée de son propre témoignage ici-bas,
amenèrent ces chrétiens à
désespérer, soit de la communion journalière
avec Dieu, soit d'une union réelle avec les fidèles
dans les églises. Ils se retirèrent donc dans des lieux
déserts pour y vivre en ermites, pensant que là,
libérés des distractions et des tentations de la vie
ordinaire, ils pourraient, dans la contemplation, obtenir cette
vision et cette connaissance de Dieu après lesquelles
soupiraient leurs
âmes.Influencés par
l'enseignement du jour - le mal s'associant à la
matière - ils comptaient sur une grande frugalité et
sur des exercices ascétiques pour assujettir le corps qui,
selon eux, était un réel obstacle à la vie
spirituelle.
Antoine, au quatrième
siècle, devint célèbre en Egypte par sa vie
solitaire. Beaucoup, désireux de l'égaler en
piété, s'établirent près de lui et
imitèrent sa manière de vivre, si bien qu'il se laissa
persuader de leur fixer une règle de vie. Le nombre des
ermites s'accrut grandement, et plusieurs d'entre eux usèrent
d'une extrême sévérité envers
eux-mêmes.Siméon le Stylite se
fit un nom en passant des années de sa vie sur une colonne.
Bientôt apparut une nouvelle
institution.Dans la première partie
du quatrième
siècle,Pachôme, dans la
Haute-Egypte, fonda un monastère, où les ermites se
rassemblèrent pour y vivre en communauté.Se
répandant au sein des églises orientales et
occidentales, ces communautés monastiques devinrent un
élément important dans la vie des peuples
christianisés.
Vers le commencement du
sixième siècle,Benoît de
Nursie, enItalie, donna une grande impulsion
à ce mouvement et sa règle de vie monacale eut plus de
succès que tout autre. Le temps des moines était moins
exclusivement absorbé par des actes d'austérité
personnelle que par l'accomplissement de certaines
cérémonies religieuses et par une activité utile
aux hommes, spécialement dans le domaine de l'agriculture.
Durant les septième et huitième siècles,
lesmoines bénédictins
contribuèrent largement à christianiser les nations
teutoniques. En Irlande aussi, les monastères et colonies de
Colomban préparèrent et envoyèrent, de
l'îled'Iona et de l'Ecosse, des
missionnaires dévoués dans le nord et le centre de
l'Europe.
Comme les papes de Rome
dominaient toujours plus l'Église et s'occupaient surtout de
luttes et d'intrigues pour obtenir le pouvoir temporel, le
système monastique attira à lui beaucoup d'hommes
vraiment spirituels, soupirant après Dieu et la
sainteté. Toutefois un monastère diffère
grandement d'une église, dans le sens que lui donne le Nouveau
Testament. Ceux qui se sentirent contraints de fuir la
mondanité de l'Église romaine ne trouvèrent pas
au monastère ce qu'une église chrétienne leur
aurait donné. Ils étaient liés par les
règles d'un ordre, au lieu d'être dirigés par la
libre opération du Saint-Esprit.
Les divers ordres monastiques
qui surgirent se développèrent sur les mêmes
lignes (20). Après avoir
commencé par la pauvreté et le plus
sévère renoncement, ils devinrent riches et puissants,
relâchèrent leur discipline et se complurent dans
l'amour de leurs aises et la mondanité. Parfois une
réaction se produisait. Quelqu'un formait un ordre nouveau
préconisant l'absolue humiliation de la chair; mais les
mêmes faits se répétaient. Parmi ces
réformateurs, citonsBernard
deCluny, au début du sixième
siècle, et Etienne Harding, deCiteaux,
au onzième siècle. Dans ce monastère cistercien,
Bernard, plus tard abbé de Clairvaux, passa une partie de sa
jeunesse. Il finit par surpasser en influence les rois et les papes.
Mais ce sont surtout quelques-uns de seshymnes
qui constituent le plus durable monument élevé à
sa mémoire.
Nombre de femmes se
retirèrent aussi du monde dans les couvents. Ces maisons
religieuses, soit pour hommes, soit pour femmes, furent, durant les
temps sombres et troublés du moyen âge, des sanctuaires
pour les faibles et des centres d'érudition au sein de la
barbarie dominante.On y copiait, traduisait et
lisait les Écritures. Mais la paresse et l'esprit d'oppression
y régnaient aussi, et les ordres religieux devinrent, entre
les mains des papes, des moyens efficaces pour persécuter tous
ceux qui s'efforçaient de réédifier les
églises de Dieu sur leur fondement originel.
Les églises
s'écartant de plus en plus du modèle tracé dans
le Nouveau Testament en différèrent finalement à
tel point qu'on avait peine à les reconnaître comme
églises chrétiennes. Il semblait que rien ne pouvait
arrêter leur ruine. L'effort tenté pour les sauver de la
discorde et de l'hérésie par le système
épiscopal et clérical, non seulement échoua,
mais encore entraîna de grands maux à sa suite. L'espoir
que les églises persécutées profiteraient de
leur union à l'État se montra un leurre. En se
mondanisant aussi, les ordres monastiques perdirent toute
capacité de se substituer aux églises
défaillantes comme refuges des âmes pieuses. Et
cependant, à travers toute cette époque, un sûr
élément de restauration ne fui jamais absent: la
présence des Écritures dans le monde. Elles
constituaient l'instrument du St-Esprit opérant avec puissance
dans des coeurs d'hommes pour en chasser l'erreur et les ramener
à la vérité divine. C'est ainsi qu'il y eut
toujours des congrégations, de vraies églises
s'attachant à l'Écriture comme au guide de la foi et de
la doctrine, et comme modèle pour la marche individuelle et
pour l'ordre dans l'Église. Bien que cachés et
méprisés, ces groupes exercèrent une influence
suivie de fruits.
4. Les Missions
(300-850)
Malgré ces temps
troublés, l'activité missionnaire, loin de cesser, fut
poursuivie avec zèle et dévouement. De fait, jusqu'au
onzième siècle, où
lesCroisades suscitèrent
l'enthousiasme des nations catholiques, il y eut un témoignage
constant qui gagna graduellement les conquérants barbares et
porta la connaissance de Christ jusqu'aux pays lointains d'où
ils étaient venus.Les missionnaires
nestoriens se rendirent même en Chine et en Sibérie,et
établirent des églises
deSamarcande à Ceylan. Des Grecs
deConstantinople traversèrent la
Bulgarie et pénétrèrent dans les plaines de
Russie; tandis que des envoyés des Églises britannique
et catholique romaine évangélisaient les nations
païennes du nord et du centre de l'Europe. En Afrique du Nord et
en Asie occidentale, les chrétiens étaient plus
nombreux qu'aujourd'hui.
Cependant les erreurs
dominantes des églises professantes eurent leur
répercussion dans leur oeuvre missionnaire. Ce n'était
plus, comme aux temps apostoliques, la simple proclamation de Christ
et la fondation d'églises. La vérité
était annoncée en une certaine mesure, mais on
insistait aussi sur les observances rituelles et légales.
Puis, quand les rois professaient le
christianisme,leurs sujets étaient
contraints,en vertu du principe de l'Église unie à
l'État, de se convertir en masses et de passer, d'une
manière tout extérieure, à la nouvelle religion
nationale. On ne fondait plus dans les divers pays, comme aux jours
apostoliques, des églises indépendantes de toute
organisation centrale, maintenant des relations directes avec le
Seigneur. Toutes devaient se rattacher à l'une ou l'autre des
grandes organisations centralisées
àRome,
àConstantinople ou ailleurs.
Ce qui est vrai sur une grande échelle l'est aussi sur une
moindre. Les effets nuisibles de ce système sont visibles
partout. Au lieu d'amener les pécheurs à Christ en leur
donnant la Bible pour guide, on les fait membres de quelque
dénomination étrangère en leur indiquant une
mission spéciale comme source de lumière et de force.
On empêche ainsi le développement des dons du St-Esprit
dans les âmes et on retarde la propagation de l'Evangile dans
le pays.
Pourtant une forme d'oeuvre
missionnaire plus pure que celle de Rome, s'étendit de
l'Irlande, par l'Ecosse, au nord et au centre de l'Europe. L'Irlande
(21) connut d'abord l'Evangile aux
troisième et quatrième siècles par des marchands
et des soldats. Au sixième siècle, le pays était
christianisé et avait créé une activité
missionnaire si intense que ses missionnaires étaient à
l'oeuvre des bords de la mer du Nord et de la Baltique à ceux
du lac de Constance.
Des moines
irlandais, désirant se retirer du monde, s'établirent
dans quelques-unes des îles situées entre l'Irlande et
l'Ecosse. Iona ou l'Ile des Saints, sur laquelle
s'établitColomban, fut un centre
d'où les missionnaires se rendaient en Ecosse.Les moines
irlandais et écossais prêchaient en Angleterre et parmi
les païens du Continent.
Ils avaient pour méthode
de visiter un pays et d'y fonder, si possible,
unvillage missionnaire. Ils élevaient au
centre une modeste église de bois, autour de laquelle se
groupaient des sallesd'école et des
cellules pour les moines - ceux-ci étant à la fois
constructeurs, prédicateurs et instituteurs. S'il le fallait,
on bâtissait autour de ce premier cercle des demeures pour les
étudiants et leurs familles qui, peu à peu, venaient
grossir les rangs de la communauté. Le village était
enclos d'un mur, mais, bien souvent, il s'étendait au
delà de ses premières limites. Des groupes de douze
moines, chacun sous la direction d'un abbé, s'en allaient pour
ouvrir de nouveaux champs à l'Evangile. D'autres restaient
comme maîtres d'école et, dès qu'ils avaient
suffisamment acquis la langue du pays,ils
traduisaient et copiaient des portions de l'Écriture, ainsi
que des cantiques, qu'ils enseignaient à leurs
élèves.
Ces moines étaient
libres de se marier ou non. Beaucoup restaient célibataires
pour pouvoir mieux se consacrer à leur Oeuvre. Lorsqu'il y
avait quelques convertis, les missionnaires groupaient les plus
capables d'entre les jeunes hommes, les initiaient à quelque
travail Manuel, leur enseignaient les langues et leur expliquaient la
Bible. Ils les formaient de façon à ce qu'ils pussent
un jour évangéliser leurs
concitoyens.Les baptêmes étaient
différés jusqu'à ce que les néophytes
fussent suffisamment instruits et eussent donné des preuves de
la réalité de leur foi.Les moines évitaient
d'attaquer les croyances de ces peuples, estimant plus profitable de
leur enseigner la vérité que de leur exposer leurs
erreurs. Ils acceptaient les Saintes Écritures comme source de
foi et de vie etprêchaient la
justification par la foi. Ils ne s'occupaient aucunement de politique
et ne recherchaient pas l'appui de l'État. Bien que cette
oeuvre fût marquée par certains traits étrangers
à l'enseignement du Nouveau Testament et à l'exemple
apostolique, elle resta indépendante de Rome et, à
certains points de vue importants, différente du
système catholique romain.
En
596,Augustin, apôtre de la
Grande-Bretagne,etquarante moines
bénédictins, envoyés par
lepape Grégoire 1er,
débarquaient dans le comté deKent et
commencèrent parmi les païens de l'Angleterre une oeuvre
qui devait porter des fruits abondants. Bientôt il y eut
conflit entre les deux formes d'activité missionnaire à
l'oeuvre dans le pays, l'ancienne étant britannique et la
nouvelle, romaine. Le pape nomma Augustin archevêque de
Canterbury, lui accordant ainsi la suprématie sur tous les
évêques britanniques du pays. Un élément
national vint aggraver la lutte entre les deux missions, les
Britanniques, les Celtes et les Gallois s'opposant aux Anglo-Saxons.
L'Église de Rome insista pour que sa forme de gouvernement
ecclésiastique fût la seule autorisée dans le
pays. Mais l'ordre britannique continua sa résistance, dont
les derniers efforts furent absorbés, au treizième
siècle, parle mouvement des
Lollards.
Sur le Continent, l'oeuvre
extensive et bien établie des missionnaires irlandais et
écossais fut attaquée par le système romain,
sous l'énergique direction du bénédictin anglais
Boniface, qui avait pour tactique de forcer les missionnaires
britanniques à se soumettre, au moins extérieurement,
à Rome, sous menace d'être détruits. Pour
exécuter son dessein, il obtint l'aide de l'État, sous
la direction de Rome. En 755,Boniface fut
tué par les Frisons. Le système qu'il avait
instauré détruisit graduellement les premières
missions. Toutefois leur influence fortifia plusieurs des mouvements
de réforme subséquents.
Vers 830 parut une Harmonie des
quatre Évangiles, appelée
«Heliand» (le Sauveur). C'est un
poème épique par allitération, écrit en
vieille langue saxonne et provenant sans doute des cercles de Mission
Britannique sur le Continent. Il contient le récit
évangélique sous une forme spécialement
appropriée au peuple pour lequel il était écrit.
Chose remarquable, il ne renferme aucune mention de l'adoration de la
Vierge et des saints et se distingue par l'absence presque
complète de l'enseignement caractéristique de Rome
à cette époque.
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