Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA QUATRIÈME PERSÉCUTION, SOUS ADRIEN, SOUS ANTONIN, SURNOMMÉ LE DÉBONNAIRE

SOUS ANTONIN LE PHILOSOPHE, ET SOUS LUCIUS SON FRÈRE.

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Aux environs des années170 et 178 depuis la nativité de Christ, les Empereurs Adrien, Marc Antonin, surnommé le Débonnaire, et Antonin le Philosophe, provoquèrent des grandes et dures persécutions contre les chrétiens, pour les raisons que nous avons déjà racontées.

Cette persécution n'emporta pas seulement quelques particuliers, mais, sous Antonin, il y eut aussi les principaux et plus les excellents vrais docteurs de ce temps-là, lesquels, par leur doctrine et par leurs écrits, avaient avancé et maintenu la religion chrétienne, et l’avaient ornée avec l'innocence et la sainteté de leur vie, puis la scellèrent de leur sang. De ce nombre furent Polycarpe, disciple des Apôtres, et très ancien ministre de l'Église de Smyrne, lequel était appelé le docteur d'Asie et père des chrétiens, de même que Pionius, saint personnage et diligent serviteur de Jésus Christ. Ces deux furent brûlés avec plusieurs autres chrétiens. Les savants et fidèles serviteurs de Dieu, Justin le Philosophe, et Irénée évêque de Lyon furent tués par le glaive.

Cette persécution fut cruelle et inhumaine, spécialement dans les villes de Lyon et de Vienne, assises sur le Rhône, d'où les fidèles ministres de l’Évangile qui étaient dans les villes mentionnées, écrivirent une lettre aux frères des Églises d'Asie et de Phrygie. Cette lettre se trouve au cinquième livre de l'histoire d'Eusèbe aux 1er, 2e, 3e et 4e chapitres dont nous présentons ici un extrait, pour être rapporté et partagé avec l'état des Églises de notre temps.

Après avoir dit, dans la préface, qu'il serait impossible de décrire les tourments des martyrs contre lesquels l'ennemi s'était alors le plus furieusement ligué plus qu'auparavant, on peut relever qu’ils montrent que, tout d’abord, les persécuteurs privèrent les chrétiens des privilèges et charges publiques. Par la suite, ils les chassèrent des compagnies et commencèrent à se soulever et, à crier contre tous, à les traîner, les battre, les piller, puis à les accuser et les faire emprisonner au point d’irriter le gouverneur de ce qu'il les traitât avec tant rigueur.

«Vetius Epagathus l'un de nos frères, plein d’affection envers Dieu et envers le prochain, tout embrasé de zèle et ne pouvant plus supporter les iniques procédures qu'on tenait contre nous, demanda audience, pour montrer que nous n'étions pas méchants comme on le disait. Les adversaires s'opposèrent à cette requête, et le gouverneur, sans avoir égard à la qualité de ce personnage, gentilhomme honorable, au lieu de l’entendre, ne fit rien d’autre sinon de lui demander s'il était chrétien. Ce que Vetius ayant confessé tout haut, il fut mis au fer avec les autres et appelé l'avocat des chrétiens, avec lesquels il souffrit la mort peu après. Parce que le Consolateur l'accompagnait, il fit preuve de charité en ce qu'il abandonna sa vie pour maintenir l'innocence de ses frères.

«Ainsi était-il un vrai disciple de Jésus Christ, suivant l'Agneau où qu'il aille. Les principaux d'entre les martyrs, en suivant cet exemple, se présentèrent instantanément aux tourments, prêts, avec la joie dans le cœur, de pouvoir confesser le nom de Dieu jusqu’à la dernière goutte de leur sang.

«Il s'en trouva quelques-uns mal disposés, peu exercés, infirmes, et mal préparés pour soutenir le choc; c’est ainsi que dix d’entre eux se révoltèrent. Cette attitude nous attrista et nous mit dans un deuil extrême, car ils émoussèrent l'ardeur de ceux qui n'avaient pas encore été appréhendés, mais qui, jusqu’alors, avaient accompagné de près les Martyrs. Nous nous trouvâmes donc alors fort perplexes, ne sachant quelle en serait la suite. Non que nous redoutions les supplices, mais simplement parce que nous regardions l'issue, et nous craignions que d'autres ne perdissent aussi leur courage. Or on emprisonnait tous les jours quelques-uns des frères que Dieu honorait en faisant en sorte qu’ils prennent la place de ceux qui s'étaient révoltés.

«Les principaux des deux Églises, les pasteurs, les diacres et les anciens furent emprisonnés. Par le même moyen, quelques païens, serviteurs des chrétiens, furent aussi appréhendés par le commandement du gouverneur, qui faisait faire une recherche générale. Ceux qui, vaincus par les assauts déguisés de Satan, craignaient d'être soumis à la torture comme leurs maîtres, et poussés par les soldats et bourreaux, confessèrent contre la vérité que dans nos assemblées nous mangions de la chair humaine sans distinction de parenté! Ils ajoutaient encore que nous ne commettions pêle-mêle des incestes et d’autres vilenies, qui ne doivent n’être ni pensées ni racontées, ni même qu'il se soit déjà trouvé des hommes qui aient voulu parler de ces choses les uns avec les autres. Cette calomnie étant publiée et tenue pour véritable, tout le monde commença à nous courir après et à nous traiter avec toutes les humiliations qu'il est possible de penser, tant et si bien que ceux qui auparavant s'étaient montrés gracieux en notre égard à cause de la familiarité qu'ils avaient avec nous, furent fort dépités, et commencèrent à écumer de rage contre nous. Et c’est de cette façon que ce dit notre Seigneur fut accompli: l’heure vient où quiconque vous fera mourir croira rendre un culte [un service] à Dieu.´ (Jean 16.2)»

«Alors les saints martyrs endurèrent tant de tourments qu'il ne serait pas possible de tous les raconter. Le diable, quant à lui, faisait tous ses efforts, afin que même quelques blasphèmes sortissent de leur bouche. La rage, tant de la populace que du gouverneur et des gendarmes, était embrasée contre Sanctus, diacre de Vienne, et sur Maturus, vaillant combattant qui avait été nouvellement baptisé, ainsi que sur Atalus, originaire de Pergame, lequel avait toujours été le pilier et l'appui de nos Églises.

N’oublions pas Blandine, par laquelle Jésus Christ a montré, que ce qui est de petite valeur et qui n'est point excellent, mais méprisable devant les hommes, est de grand prix et de grande estime devant Dieu à cause de l'amour et de la tendresse des saints envers lui, lesquels ne sont point montrés en apparence, mais réellement et par des faits.

Nous tous avions la crainte qu'elle ne demeurât point ferme dans la confession à cause de la faiblesse de son corps ou de celle sa volonté. Mais Blandine fut tellement remplie de cet esprit de constance, que ceux qui la tourmentaient de plusieurs manières, depuis le matin jusqu’au soir, chacun à leur tour, se lassaient, les forces leur manquant. Ils confessaient alors qu'ils étaient vaincus, ne sachant plus que lui faire, s'étonnant de sa résistance en voyant son corps tout rompu, froissé et ouvert de partout. Et quand ils certifiaient, qu'une seule espèce de torture était suffisante pour lui ôter la vie, combien plus alors tous ces grands tourments qu’on lui infligeait ne pouvaient-ils arriver à leur fin?

Mais cette heureuse et vaillante combattante retrouvait de nouvelles forces, en confessant Jésus-Christ. Et toutes les fois qu'elle disait: «je suis chrétienne et de même, on ne fait point de méchanceté entre nous», elle était comme renouvelée, sentant un grand repos et un merveilleux soulagement de ses douleurs.

Quant à Sanctus, il endurait constamment toutes les peines que les hommes lui donnaient bien plus que les forces humaines ne peuvent le supporter. Et comme les iniques à cause des passions et des angoisses si dures s'attendaient à entendre de lui quelque parole déshonnête, et mal convenable, il leur résista avec une telle constance, qu'ils n'arrivèrent même pas à lui faire dire son propre nom, ni de quel pays, de quelle ville et de quelle condition il était, franche ou servile. À toutes les interrogations et demandes qu'on lui faisait, il répondait seulement en langage romain: «je suis chrétien». Avec ses réponses voilà toute la confession qu'il faisait, de son nom, de sa ville et de sa race, personne ne pouvant tirer d'autres paroles de lui. En partant le gouverneur et les bourreaux firent un grand effort, en se dépitant contre lui.

Ne sachant plus que faire, finalement ses tourmenteurs lui appliquèrent des lames de cuivre toutes rouges de feu sur les parties les plus tendres de son corps. Ses membres étaient brûlés, cependant, sans s'en étonner, il demeurait constant et ferme dans la confession qu'il avait faite, étant arrosé et fortifié par la fontaine céleste d'eau vive, sortant de Christ. Son corps rendait témoignage des maux qui lui avaient été faits. Car son corps fort petit était tout disjoint et couvert de plaies, tout brûlé ayant mêmes perdu la forme extérieure humaine.

Et Jésus Christ, dans la personne de cet homme endurant, a obtenu une grande gloire, et confondu l'adversaire! Il a montré pour l'instruction des autres, qu'il n'y a rien qui puisse étonné celui en qui est dans l'amour du Père, ni rien d'hideux et de misérable, là où la gloire de Jésus Christ est conjointe.

Quelques jours après, ces bourreaux iniques tourmentèrent à nouveau ce Martyr du Seigneur, et s'attendaient à être bien victorieux sur lui quand ils viendraient de nouveau à tourmenter son pauvre corps déjà tout enflé, ne pouvant accepter qu'on y mît la main ou bien que les autres, s'il mourait à la torture, en soient effrayés.

Mais contre l'attente des hommes, son corps fut redressé et restauré par les autres tourments qui s'ensuivirent; il retrouva la première forme et l'usage de ses membres, à tel point que la seconde torture lui apporta médecine.

Et comme le diable pensait qu'une certaine femme, qui avait nom Biblis, l'une de ceux qui avaient abjurés, eût perdu courage, aussi, par des blasphèmes, il voulait la pousser à la condamnation, et la conduisit au supplice la forçant à dire des choses méchantes contre nous. Mais, étant à la torture, elle revînt à la foi comme étant réveillée d'un profond sommeil. Elle se ravisa au milieu du supplice temporel, du tourment éternel, qui est en la géhenne du feu et contre toute espérance elle se mit à contredire les bourreaux en parlant de cette façon: «Comment peut-il se faire que ceux auxquels il n'est pas permis de manger le sang des bêtes, mangent la chair des petits enfants (comme vous le dites)?» (La primitive Église à cause de la faiblesse de plusieurs retenait encore quelques cérémonies de l'Église d'Israël.) Dès lors conférant ouvertement qu'elle était chrétienne, elle fut placée dans la même condition que les Martyrs.

Ainsi par la grâce de Jésus Christ, les bourreaux avec leurs tourments tyranniques n'ayant rien gagné sur la patience des martyrs bien heureux, le diable s'avisa et fournit quelques autres artifices, à savoir que les fidèles étant resserrés dans une prison obscure, dans un cachot obscur et puant, leurs pieds furent étendus de manière à souffrir la torture. Tirés jusqu’au cinquième sous-sol, là ils endurèrent le reste des tourments, que les bourreaux dépités et pleins de rage diabolique ont l'habitude de faire. Plusieurs y furent étranglés, à savoir ceux que le Seigneur voulait retirer à cause de leur foi pour leur faire voir sa gloire.

D'autres, ayant enduré une si horrible torture, que même si l’on y eût appliqué toutes les sortes de remèdes possibles, on n'eût jamais pensé qu'ils eussent put vivre; ils demeurèrent en prison, destitués de toute aide humaine, mais cependant renouvelés par le Seigneur dans leur corps et leur esprit, en sorte qu'ils exhortaient les autres et les consolaient.

Mais quant aux plus jeunes qui étaient appréhendés de nouveau, ceux dont les corps n'avaient point été auparavant flagellés ni battus, ils ne purent endurer les ennuis de la prison et y moururent.

Mais le bienheureux Photin , diacre dans l'Église de Lyon, âgé de plus de nonante ans (90), fort faible de son corps et qui avait de la peine à respirer, à cause de sa faiblesse corporelle, étant néanmoins rempli d'une grande allégresse d'esprit de ce qu'il était saisi d'une singulière affection de martyre. Il fut aussi traîné devant le siège judiciaire, ayant le corps tout abattu autant à cause de la vieillesse que des maladies qu'il avait eues, mais ayant réservé son âme à cette fin glorieuse que Jésus Christ triomphât par elle.

Les gendarmes le portèrent jusqu’au siège judiciaire, et les gouverneurs de la ville allaient avec toute la populace jetant de grands cris de toute sorte, comme si lui même eût été le Christ; finalement il rendit un bon témoignage, car étant interrogé par le gouverneur pour savoir qui était le Dieu des chrétiens, il répondit: «Si tu es digne de le savoir, tu le sauras!»

Sur le champ il fut violemment traîné et âprement battu de plusieurs façons. Ceux qui étaient auprès de lui l'outrageaient des pieds et des mains, n'ayant aucun égard à sa vieillesse! Ceux qui étaient loin jetaient furieusement contre lui tout ce qui leur venait sous la main, et tous avaient cette opinion que ce serait un grand péché et une impiété énorme si quelqu'un s'abstenait de lui faire quelque outrage. Par ces moyens ils pensaient bien se venger de l'injure faite à leurs dieux. Ne pouvant presque plus respirer, il fut traîné en prison dans laquelle il mourut deux jours après qu'il y fut mis.

C'est alors que se montra une singulière conduite et providence de Dieu dans la miséricorde infinie de Jésus Christ: ceux qui avaient fait abjuration lors de la première persécution furent aussi remis dans les chaînes, participants ainsi aux afflictions.

L'abjuration qu'ils avaient faite ne leur servait à rien dans ce temps-là! Ceux qui confessaient franchement ce qu'ils étaient, furent emprisonnés comme chrétiens, les autres qui avaient abjuré furent détenus comme menteurs et méchants à cause de leur position furent punis au double.

La joie du martyre, et l'attente des promesses et l'amour de Jésus Christ et l'Esprit du Père céleste étaient un merveilleux soulagement pour les premiers, mais, quant aux autres, ils sentaient de grands remords dans leur conscience, de sorte qu'en passant ils montraient sur leur visage des signes qui donnaient à connaître ce qui les affligeait au-dedans.

Les premiers marchaient joyeux, ayant les marques sur leur visage d'une gloire et d'une grâce merveilleuse de telle sorte que leurs liens leur servaient d'un ornement convenable et bien séant, comme si c'eussent été des épouses, parées de leurs franges dorées et de diverses couleurs, et les faisaient sentir bon de la suave odeur de Christ à tel point qu'il y en avait plusieurs qui pensaient que les Martyrs s'étaient parfumés de quelques onguents précieux.

Mais ceux qui avaient abjurés s'en allaient triste, la tête baissée, défigurée, couverts d'ignominie et de déshonneur. Les païens leur faisaient tous des opprobres, les regardant comme des vilains et des lâches de cœur, accusés comme meurtriers en s'étant dépouillés de ce titre de chrétien, honorable, glorieux et plein de vie.

Les autres, ayant vu ces choses, furent fortifiés, et étant empoignés, ils confessèrent hardiment et franchement, n'ayant pas même une seule pensée de l'esprit diabolique.

Un peu plus tard il a été est ajouté dans cette épître:

«Ces choses étant ainsi faites, les martyres par lesquels ils passèrent de cette vie à l'autre furent finis et terminés dans une grande diversité de tourments. Ces Martyrs offrirent à Dieu une couronne de diverses couleurs et de toutes sortes de fleurs. Aussi était-il raisonnable que ces vaillants champions, qui avaient soutenu de grands combats, remportassent la couronne incorruptible.»

» Ainsi donc Maturus, Sandus, Blandine et Attalus, furent menés aux bêtes, pour être en spectacle, c'est ainsi, qu'un jour fut assigné à la cause des nôtres pour ce combat contre les bêtes.

De nouveau Maturus et Sandus furent tourmentés de multiples façons dans l'Amphithéâtre, comme s'ils n'eussent encore rien souffert, mais plutôt comme s'ils eussent combattu pour la couronne. Après avoir repoussé l'adversaire de plusieurs façons, ils endurèrent à nouveau le fouet, ainsi que c'est la coutume de faire dans ce lieu-là, puis ils furent déchirés par les bêtes, souffrant aussi tout ce qu'une populace enragée criait de tous côtés, en commandant ce qui devait leur être fait.

En plus de tout cela, ils furent mis sur un siège de fer tout rouge de feu, d'où leurs corps, comme s'ils eussent été frits parfumaient le flair de tous les assistants. Cependant les bourreaux ne cessèrent point pour autant, mais étaient toujours plus enragés, ils voulaient prendre le dessus sur la patience des martyrs. Mais quoi qu'ils pussent faire, il ne sortit d'autre parole de la bouche de Sandus, sinon cette confession, qu'il avait l'habitude de faire dès le commencement: «je suis chrétien!».

Ainsi donc, ces saints personnages, ayant conservé et veillé sur leurs âmes durant ces divers et difficiles combats, furent finalement tués ce même jour après avoir été en spectacle à tout le monde en servant de passe-temps au peuple à la place des combats qu'on faisait faire d'homme à homme en champ clos.

Blandine fut pendue à une potence, et exposée aux bêtes, lesquelles se ruaient contre elle, pour la dévorer. On pouvait la voir pendue à ce bois, en forme de croix faisant constamment des prières. Elle donnait du courage aux autres fidèles combattants, qui pouvaient, au travers de ce terrible combat, contempler avec leurs yeux de chair, dans leur soeur, celui qui a été crucifié pour eux. Ainsi tous ceux qui croyaient au Fils de Dieu, furent bien persuadés que toutes personnes qui endurent des souffrances pour la gloire de Jésus Christ ont communion avec le Dieu vivant.

Comme il arriva que pas une de ces bêtes ne la touchât pour lui faire du mal, elle fut détachée de cette potence, ramenée en prison et réservée pour d'autres combats. Réservée à cette fin pour montrer à ce serpent tortu qu'ayant été victorieuse, cette petite femme, faible et méprisable, représentait néanmoins ce vaillant et invincible champion Jésus Christ par les exhortations et les encouragements qu'elle prodiguait à ses frères. Finalement, suite à de si difficiles combats, elle a obtenu la couronne incorruptible.

» Quant à Attalus, le peuple aussi demandait avec instance que ce dernier soit mené au supplice, car il était fort renommé. Et lui aussi plein d'une bonne conscience, allait joyeusement au combat. Il fut donc promené tout autour de l'Amphithéâtre tandis qu'on portait devant lui un tableau où il y avait écrit en langue romaine: C'est ici Attalus le chrétien. Le peuple frémissait et grinçait des dents contre lui; mais quand le gouverneur fut averti qu'il était Romain, il commanda qu'il fût renvoyé en prison, avec les autres qui y étaient déjà et pour lesquels il avait écrit à l'Empereur dont il attendait une réponse.

Le temps d'attente ne leur fut point oisif ni sans fruit et une incroyable miséricorde de Jésus Christ se montra dans leur patience. De ce fait, les choses mortes étaient vivifiées par ceux qui étaient vivants et eux, quoique martyrs, faisaient du bien à ceux qui ne l'étaient point. La mère vierge (c'est-à-dire l'Église) était grandement réjouie, laquelle les recouvrait vivants ceux qui étaient sortis de son ventre avortons et comme morts. En effet, plusieurs de ceux qui avaient abjuré revenaient à eux, et étaient de nouveau engendrés et réchauffés, apprenant à faire courageusement confession après avoir recouvré la vie, et avoir été fortifié par la débonnaireté et la douceur de celui qui ne veut point la mort du pécheur, mais pour qui il est toujours facile de pardonner ceux qui se repentent.

C'est ainsi qu'ils furent menés au siège judiciaire, pour être interrogés de nouveau par le gouverneur. L'Empereur avait écrit, que ceux qui persisteraient dans leur confession fussent étendus comme une peau de tambour, et qu'on laissât aller ceux qui abjureraient, lors qu'on commencerait à célébrer la grande fête, durant laquelle un fort grand peuple, venant de toutes parts, s'assemblerait.

«En ce jour-là se tenait la Cour, les martyrs bien heureux furent menés au siège judiciaire pour les montrer devant cette grande multitude, tout en les interrogeant une fois de plus. Ceux qui avaient eu quelque droit de bourgeoisie à Rome, avaient la tête tranchée, et les autres étaient exposés aux bêtes.

Au reste, le Seigneur Jésus fut grandement glorifié par ceux qui avaient auparavant abjuré. Maintenant ils faisaient confession de leur foi, contre l'attente et l'opinion des païens: on les interrogeait à part comme ceux qu'on voulait relâcher et mettre en liberté; mais après avoir fait leur confession, ils furent mis au rang des martyrs. Ceux en qui il n'y avaient eu aucune trace de foi, ni de sentiment pour la robe de l'Époux, ni aucune pensée de la crainte de Dieu, diffamaient sa vérité et demeuraient dehors, comme des enfants de perdition.

Tous les autres furent conjoints à l'Église, lesquels on interrogeait; entre autres il y eut un certain personnage, nommé Alexandre, Phrygien de nation, médecin de son état, lequel était demeuré plusieurs années en Gaule, et connu de presque tous à cause de l'amour qu'il avait envers Dieu, et de la hardiesse dont il usait dans son parler (car il n'était point vide de dons et grâces apostoliques). Quand il se trouva près du tribunal, exhortant par signes ses frères à confesser franchement Jésus Christ en ayant la face triste, il fut soudainement aperçu de toute l'assistance. Ce peuple, qui était fort contrarié de voir ceux qui avaient auparavant abjuré, faire confession, criait à pleine tête contre Alexandre, comme s'il était la cause de tout cela.

Le gouverneur le pressait fort de répondre qui il était, et lui, ayant dit tout haut: «je suis chrétien», soudainement le gouverneur fort courroucé le condamna à être dévoré par les bêtes.

Le lendemain il fut présenté avec Attalus et le gouverneur, pour faire plaisir à toute cette populace, l'exposa aux bêtes. Ils furent donc menés à l'Amphithéâtre, et après avoir enduré toutes les peines et les tourments de toutes sortes, finalement on les fit torturer. Toutefois on ne put arracher un seul soupir ni un seul mot de la bouche d'Alexandre, qui cependant parlait dans son cœur à Dieu.

Quant à Attalus, alors qu'il était mis sur une chaise de fer toute rouge de feu, étant là brûlé de sorte qu'on sentait l'odeur de sa chair ainsi rôtie et brûlée, commença à dire en langue romaine: «Voici ce que vous faites, c'est vraiment manger et avaler les hommes; mais quant à nous, nous ne mangeons point la chair des hommes, et ne faisons aucune autre méchanceté.» Puis il fut demandé quel Dieu il avait, et il répondit, que Dieu n'avait pas de nom comme un homme.


Après toutes ces choses, pour le dernier jour des jeux, Blandine fut de nouveau produite avec Pontique, qui était un jeune garçon de quinze ans. Ils avaient été montrés tous les jours, afin qu'ils fussent présents aux tourments des autres pour les contraindre de jurer par le nom de leurs idoles. Mais parce qu'ils demeuraient fermes dans leur foi, qu'ils ne tenaient pas compte de leurs paroles, cette populace furieuse s'aigrit de telle sorte contre eux, qu'elle ne fut nullement prise de pitié pour le jeune âge de Pontique, et ni de respect à la faiblesse de cette petite femme. Après les avoir fait souffrir une infinité de peines, ils les prenaient, les faisaient tournoyer pour les affliger et les tourmenter encore davantage en les pressant toujours de jurer par le nom de leurs idoles. Ils ne purent jamais obtenir satisfaction, car Pontique fut merveilleusement fortifié par sa sœur Blandine.

Ce que les infidèles remarquèrent, c'est qu'elle exhortait et encourageait Pontique, lequel, après avoir enduré constamment toutes sortes de tourments, rendit l'esprit à Dieu. Quant à Blandine, elle fut gardée la dernière. Après avoir, comme une noble mère, exhorté ses enfants et qu'elle les eût envoyés à leur Roi Jésus, après avoir considéré attentivement tous leurs combats, finalement elle s'avança pour aller après eux, toute joyeuse et pleine de vivacité comme si elle allait à un banquet nuptial, et non point pour être jetée et exposée aux bêtes.

Après avoir été flagellée et exposée aux bêtes, on l'enveloppa dans un filet et elle fut offerte à la violence d'un taureau. Ce dernier, tout effarouché après l'avoir vannée de ses cornes jusqu’à rendre l'esprit. N'ayant point de rancune pour tout ce qui lui avait été fait en raison de l'espérance des choses qu'elle croyait et des promesses familières de Jésus Christ, finalement, elle expira.

Les païens et les infidèles furent contraints de reconnaître entre eux, que jamais cela n'était arrivé qu'une femme eût enduré tant de tourments aussi terribles. Mais, en dépit de cela, leur rage et leur cruauté contre les saints ne cessa point, les bêtes sauvages n'avaient aucun repos étant, elles aussi, poussées par Satan, qui est une bête cruelle.

Comme les païens et les infidèles étaient violents et outrageux, ils s'avisèrent de tourmenter les corps d'une autre façon. Car, quoiqu'ils fussent vaincus en eux même, ils n'en étaient pas apaisés pour tout cela d'autant plus qu'ils avaient perdu tout sens et entendement humain. Le gouverneur et le peuple étaient embrasés de rage comme des bêtes furieuses, montrant également et méchamment leur haine contre nous, afin que l'Écriture fût accomplie, qui dit «que celui qui est inique soit encore plus inique et que celui qui est juste soit encore justifié» (Apoc. 22. 11).

Ils jetèrent aux chiens ceux qui étaient étouffés ou étranglés en prison, puis ils mirent des gardes qui veillaient jour et nuit afin de nous empêcher d'ensevelir nos frères. Pendant plusieurs jours ils mirent en place quelques gens de guerre pour la garde du reste des corps qui avaient été laissées, aussi bien par les bêtes que par le feu. En partie déchirés, en partie brûlés, ces restes furent placés ensemble avec les têtes des autres ainsi que quelques tronçons de leur corps qui demeurèrent sans sépulture.

Sur cela les uns murmuraient, les autres grinçaient des dents entre eux-mêmes, cherchant de nouveaux moyens pour se venger encore. Il y en avait d'autres qui se riaient et se moquaient en magnifiant leurs idoles, leur attribuant toutes les peines et tourments que les nôtres avaient endurés.

Quant à ceux qui étaient les plus doux et bénins entre eux, et qui semblaient avoir quelque compassion, ils faisaient encore ces reproches en disant: «Où est leur Dieu, et de quoi leur a servi cette religion qu'ils ont préférée à leurs propres vies?»

Voilà les sentiments qu'éprouvaient ces infidèles et ces païens! Quant à nous, nous étions fortement angoissés de ne pouvoir enterrer les corps de nos frères. La nuit ne nous servait à rien pour le faire et les gardes ne pouvaient être gagnés avec de l'argent ni apaisés ni fléchis par nos prières et nos supplications. Au contraire, ils les gardaient fort soigneusement, comme s'ils eussent retiré un grand gain de ce que les corps des martyrs n'étaient point enterrés»

Après ces choses et quelques autres, il est ajouté dans cette même épître ce qui s'enfuit:

«Finalement les corps des martyrs, exposés, à la moquerie et aux risées, gisant sur la terre durant six jours, furent enfin brûlés et réduits en cendres par ces infidèles. Ensuite ils furent jetés dans le Rhône afin qu'il ne subsistât aucun reste sur la terre.

Faisaient-ils ces choses, comme s'ils eussent eu la force de vaincre Dieu, et ôter ainsi tout moyen aux martyrs de revivre, en disant qu'ils n'avaient maintenant plus aucune espérance de cette résurrection dont ils étaient persuadés? Ils nous introduisent, disaient-ils, une religion étrange et nouvelle, méprisent les tourments, allant franchement et joyeusement à la mort. Voyons maintenant s'ils ressusciteront, et si leur Dieu pourra les aider et les délivrer de nos mains!» Voilà ce qu'Eusèbe a compris au 5e livre de son histoire.

Ce que le même auteur raconte du Martyre de Polycarpe , évêque de Smyrne, est tout aussi mémorable, pour l'instruction et la grande consolation des fidèles.

Après avoir raconté comment les persécuteurs recherchèrent ce bon pasteur, ils le trouvèrent caché par les fidèles dans un lieu à l'écart où il lui fut dit, trois jours avant sa prise, que son lit était en feu et le consumait en moins de rien! À ce propos il assura ceux qui l'accompagnaient, qu'il finirait cette vie en mourant dans le feu.

Étant découvert il descend vers ceux qui le cherchaient, leur montre fort bon visage, leur fait dresser la table, puis, ayant obtenu d'eux de prier Dieu pendant une heure en leur présence, il les étonna tellement, que la plupart d'eux déploraient et détestaient le rude traitement fait à un si honorable vieillard.

Sur ce Eusèbe ajoute:

«Après avoir achevé sa prière dans laquelle il fit un sommaire de toute sa vie et en faisant mention de l'Église universelle, l'heure de partir étant venue, on le chargea sur un âne pour le mener en la ville. Quelques-uns vinrent au-devant de lui et le firent monter dans leur chariot en lui disant: «Quel mal y aura-t-il de dire: Vive l'Empereur, et sacrifier?» Il ne répondit rien, mais entendant qu’ils le pressaient de répondre i dit: «je ne ferai rien de ce que vous me conseillez.» Eux, voyant leur peine et parole perdues, commencèrent à le rudoyer et le poussèrent en dehors du chariot à tel point qu'il se froissa la cuisse en tombant. Néanmoins, comme s'il n'eût rien souffert, il passa outre. Le chemin était rempli de gens qui furent la cause que bien peu d'entre eux entendirent une voix qui leur criait du ciel: «Polycarpe, prend courage, et continue jusqu’à la fin.» Personne ne vit celui qui parlait; la voix fut néanmoins entendue de plusieurs chrétiens.

Étant entré dans la ville il y eut un grand tumulte parmi le peuple qui disait que Polycarpe était pris.

Le gouverneur, devant qui on l'avait amené, l’interrogea.

D. Es-tu celui qu'on nomme Polycarpe?

R. Ouï.

D. Renonce ta religion, protège ta vie, jure par la vie de l'Empereur, change de manière de vivre, dis que c'est bien d'exterminer les chrétiens.

R. Sur ce Polycarpe, regardant d'un œil ferme la troupe qui l'environnait, haussant sa main avec un grand soupir et levant les yeux au ciel, répondit: Extermine ces infidèles-ci.

D. Jure, maudit Christ, et je te laisserai aller.

R. Il y a quatre-vingt-six ans que je sers à Christ. Il ne me fit jamais mal ni déplaisir quelconque: comment pourrai-je dire du mal de mon Roi qui m'a sauvé?

D. Jure par le bonheur de César.

R. Si vous prenez plaisir à me faire parler, en feignant ne pas savoir qui je suis, JE SUIS CHRÉTIEN. Si vous désirez savoir c'est qu'est le christianisme, assignez-moi un jour, et vous en entendrez parler.

D. Parle de cela au peuple.

R. C'est à vous que je parle. Nous avons appris à rendre aux Princes et aux Magistrats l'honneur qui leur appartient et qui ne nous nuise point: quant à la populace, elle est incapable de comprendre mes défenses.

D. J'ai des bêtes pour te faire manger si tu ne changes pas de langage.

R. Faites-les venir. Ma résolution est de ne point changer le bien en mal: au contraire, pour nous c'est un honneur de quitter les choses méchantes pour suivre les justes.

D. Je te ferai brûler si tu maudis les bêtes et persévères dans ton opinion.

R. Vous me menacez d'un feu d'une heure, et ne savez pas ce qu'est le feu éternel apprêté pour les réprouvés. Pourquoi tardez-vous tant? Faites-moi donc le pire qu'il vous sera possible de faire.

«Polycarpe parlant ainsi se sentait plein de foi et de joie. Sa face était si vermeille, qu'au lieu d'être troublé par les menaces du gouverneur, on le voyait très assuré. Le gouverneur tout pâle envoya un des officiers crier par trois fois au milieu de la place: POLYCARPE A CONFESSÉ QU'IL EST CHRÉTIEN.

Après cette criée tous les gentils et juifs demeurant en la ville de Smyrne commencèrent à tempêter et à crier de tous côtés: «C'est le docteur de l'Asie, le père des chrétiens, le ruineur de nos Dieux, et qui a prêché à plusieurs reprises qu'il ne les faut point adorer.» Passant outre ils suppliaient ce gouverneur de faire déchirer Polycarpe par un lion; ce qu'il refusa faire, disant que le lion avait déjà couru et chassé. Alors ils se mirent à crier «qu'il soit donc brûlé tout vif!» Ce qui leur fut promptement accordé, afin que fût accompli ce que Polycarpe avait prédit à ses amis: «Il faut que je sois brûlé tout vif

Le peuple courut de ce pas et apporta du bois et des sarments, étant secondé par les juifs qui s'y employaient avec grand courage selon leur coutume. Ayant dressé le bois, Polycarpe se dépouille, et se déchausse, puis on l'environne de ce qui était nécessaire pour le supplice. Comme ils voulaient l'attacher contre le pieu, il leur dit: «Laissez-moi comme je suis; celui qui m'a fait la grâce de mépriser le feu, me fortifiera tellement que sans être ainsi ferré je demeurerai ferme et debout dans les flammes.» À sa requête ils se contentèrent de lui lier les mains derrière le dos et le présentèrent, comme une grande victime des plus belles de tout le troupeau faite en sacrifice de bonne odeur au Dieu Tout-puissant, à qui Polycarpe fit la prière qui suit:

«PÈRE de ton Fils bien-aimé et bénit Jésus Christ, par qui nous avons eu connaissance de toi, O Dieu des anges, des vertus, de toutes créatures et de tant de fidèles qui vivent en ta présence, je te rends grâces de ce qu'aujourd'hui et à cette heure tu m'as fait cet honneur que je fois du nombre des martyrs, et que, buvant dans la coupe de Christ, j'aie part à la résurrection de vie éternelle en corps et en âme par la vertu du Saint-Esprit.

Je me présente devant toi en sacrifice, que je te prie d’avoir pour agréable; ce que tu fais et accomplis a été manifesté ici devant par toi Dieu véritable qui ne peut mentir. Je te remercie de tant de biens, je bénis ton saint Nom, je te glorifie par mon sacrificateur éternel, Jésus Christ ton Fils bien-aimé, par lequel gloire soit à toi, à lui et au Saint-Esprit des maintenant et à jamais. Amen.»

Comme il achevait, les bourreaux vinrent mettre le feu au monceau de bois: mais le feu se voûtait autour de ce martyr, sans l'approcher. Les méchants commencèrent à crier à l'un des bourreaux lui commandant de le transpercer d'un coup de javeline. Ce qu'ayant fait, il sortit tant de sang du corps de ce saint personnage, pasteur de l'Église de Smyrne, que le feu en fut presque éteint. Sur ce, il rendit paisiblement l'esprit au Seigneur.

Douze hommes de Philadelphie furent aussi brûlés à Smyrne avec lui, et quelques autres après qui glorifièrent aussi le nom de Jésus Christ.

J'ai raconté le fait des martyrs de Lyon et de Vienne, et la procédure tenue contre Polycarpe, parce que cela montre comme les anciens persécuteurs besognaient pour la plupart contre les serviteurs de Dieu. Je répéterai en cet endroit ce que j'ai déjà dit ci-dessus:

Qui sera celui dépourvu d'entendement, qui ose dire que la doctrine et la pure religion des saints martyrs et témoins de Jésus Christ, ait été fausse, quoiqu'ils aient été livrés par Dieu dans la main des païens leurs ennemis? Qui ose dire que la fausse religion de ces incrédules ait été bonne et vraie parce qu’ils surmontèrent corporellement, et tuèrent les pauvres fidèles? Ou, qui sera assez audacieux pour vouloir disputer avec Dieu en lui demandant pourquoi il a accepté que son Église bien aimée ait été autant oppressée par de si grandes afflictions?

Mais Dieu par sa grâce suscita en ce temps-là, et par la suite, du milieu des païens, de saints et savants vaillants personnages, de grande estime et d'autorité, lesquels par leurs saints, et divins écrits (qu'ils appelaient Apologies). Ces écrits qui furent adressés aux Empereurs Romains, au Sénat, et aux Gouverneurs, présentaient l'innocence des chrétiens, confessaient, magnifiaient, et défendaient la religion chrétienne en prouvant que les chrétiens sont innocents des forfaits dont ils étaient accusés à tort. Qui plus est, ils eurent la hardiesse de démontrer et réfuter, par ces Apologies, la vanité et la fausseté de la religion des païens.

Je mettrai ci-après les noms de tels personnages, prit d'Eusèbe, et noterai l'époque à laquelle ils ont vécu afin que chacun voit comme la foi chrétienne, en dépit des persécutions, s'est montré ouvertement et hardiment, sans aucune peur ni frayeur, et a répandu ses rayons comme le soleil, malgré qu'elle fût persécutée, qualifiée d'hérésie, de séduction, et arrosée du sang des chrétiens.

L'an du Seigneur 119 Quadratus, homme craignant Dieu, et de grande autorité, présenta un livre à l'Empereur Adrien, en faveur des chrétiens. Sept ans après, un gentilhomme romain, nommé Serenus Granius, envoya un semblable écrit au même Empereur. Un grand personnage nommé Aristides en fit autant. Ces livres touchèrent tellement cet Empereur qu'il demanda à son lieutenant en Asie, nommé Minutius Fundanus, qu'à l'avenir il ne reçut plus aucune accusation contre les chrétiens, à moins qu'ils ne soient chargés de quelque autre crime.

L'an 141 Justin Philosophe, homme fort renommé dans tout l'Empire Romain, écrivit et envoya une apologie pour les chrétiens à l'Empereur Antonin surnommé le Débonnaire. Autant en firent Asian, et Apollinaire pasteur de l'Église de Hiérapolis, et Milciades. Cet Empereur Antonin demanda à ses lieutenants en Asie, qu'ils ne fissent aucun déplaisir aux chrétiens. On trouve la copie de sa lettre au quatrième livre de l'histoire ecclésiastique, chap. 15.

Pareillement, Athénagoras, Philosophe athénien, écrivit une Apologie à Marc Aurèle Antonin, et à Lucius Aurelius Commodus, que l'on trouve imprimée en Grec et en Latin.

Il y avait aussi à Rome un fort sage et excellent sénateur, nommé Apollonius, qui, ayant été recherché et accusé à cause de la Religion chrétienne, composa un fort beau livre sur la religion des chrétiens et de leur innocence qu'il présenta au Sénat: malgré cela, il fut mis à mort, ce qui arriva l'an du Seigneur 188.

Finalement l'an 209 Tertulien écrivit aussi un fort beau livre en faveur des chrétiens où il démontre leur innocence, la folie des superstitions païennes et la vérité et l'excellence de la Religion chrétienne. Ce livre intitulé Apologétique, est encore en lumière.

Des Apologies de Justin et de Tertullien nous extrairons, pour le présent, ce qui suit, afin de montrer comment étaient les Églises chrétiennes d'alors.

«Ceux qui croient (dit Justin dans sa grande Apologétique, chap. LXV et LXVI pour les chrétiens) ce que nous enseignons de Christ être véritable, et promettent de vivre comme sa parole le requiert.

Ils apprennent premièrement à demander à Dieu par des prières, accompagnées de jeûnes, qu'il leur pardonne les fautes passées; de notre part nous joignons nos prières aux leurs. Ensuite, nous les menons à l'eau, et ils renaissent ainsi de la même façon que nous qui avons été régénérés, car ils sont baptisés d'eau au nom du Père de tous, de notre Dieu et Sauveur Jésus Christ, et du Saint-Esprit.

Ayant ainsi instruit et baptisé quelqu'un, nous le ramenons vers les frères dans l'assemblée afin que tous ensemble prient, tant pour nous-mêmes que pour celui qui est de nouveau éclairé dans la connaissance de son salut, afin qu'en adhérant à la pure doctrine nous vivions si saintement que nous soyons trouvés fidèles observateurs de la volonté de Dieu, et que nous obtenions vie éternelle.

Après la prière achevée, nous nous entre-saluons par un baiser. Le ministre ayant achevé l'action de grâces, les diacres donnent aux fidèles présents leur part de pain et de vin trempé, consacrés avec action de grâces en permettant qu'on en porte aux absents. Cet aliment s'appelle entre nous Eucharistie; personne ne communie sinon ceux qui tiennent notre doctrine pour véritable, qui ont été baptisés du lavement de régénération dans la rémission des péchés, et qui vivent comme Christ a enseigné. Nous ne prenons pas cela comme du pain et du vin commun: mais tout ainsi que Jésus Christ fils de Dieu, notre Sauveur fait vrai homme, a prit chair et sang pour notre salut: aussi par la parole de prière et d'action de grâces, nous apprenons que la viande sacrée laquelle changée nourrit notre chair et notre sang est la chair et le sang de ce Jésus Christ vrai homme.

Le jour du dimanche, les fidèles des villes et des champs s'assemblent; on lit alors les écrits des Prophètes et des Apôtres. Après que le lecteur ait terminé sa lecture, le ministre fait une exhortation pour une sainteté de vie. Cela fait, les riches donnent l'aumône, s'il leur plaît, chacun à sa discrétion. Leurs contributions sont mises dans les mains du ministre qui les distribue aux orphelins, aux indigents, etc. Nous faisons nos assemblées le dimanche, parce qu'en ce jour-là Dieu créa le ciel et la terre, et Jésus Christ ressuscita des morts

Tertullien, en son apologétique, chap. 39:

«Nous nous assemblons, dit-il, en grande compagnie, afin que nous obtenions de Dieu, par les prières et dans l'union de plusieurs voix, ce qui nous est nécessaire. Une telle importunité lui est agréable. Nous prions pour les Empereurs, pour les états publics, etc. Nous sommes assemblés pour entendre la lecture de la parole de Dieu, et pour être exhortés à nous repentir, ou nous fortifier selon que la circonstance du temps le requiert.

Quoi qu'il en soit, par de saintes prédications nous nous nourrissons la foi, relevons l'espérance, assurons le courage, et n'oublions pas de demander soigneusement l’obéissance aux commandements de Dieu.

Dans nos assemblées on a les exhortations, les répréhensions et la censure de l'Église, laquelle juge avec un soigneux examen ceux qui fautent, se souvenant bien que Dieu les regarde. Si quelqu'un a commis tel scandale qu'il soit banni des lieux où se font les prières et les autres saints et publics exercices de Religion. Cela lui est un préjugé comme définitif de condamnation à mort éternelle. Certains anciens, bien éprouvés, sont arrivés à ce degré d'honneur, non point par argent, mais par le témoignage de leur piété et président dans de telles assemblées.

Chacun apporte sa petite aumône, chaque mois ou quand il lui plaît, et pourvu qu'il le puisse. Car on ne contraint personne, mais chacun donne de son bon gré. Et ce sont les dépôts de piété, dont nul autre que les pauvres n'ont part.

Notre Cène montre à son nom ce qu'elle requiert de fait. On l'appelle entre nous Agapé. C'est-à-dire dilection ou amour fraternel. Quelques frais qu'il faille faire, c'est un grand gain de dépenser pour les exercices de piété. Tous les pauvres sont aidés et soulagés par ce moyen. On ne se met point à table avant que Dieu n'ait été invoqué. Chacun mange autant que la nécessité le requiert. On boit selon qu'il est besoin à l'honnêteté: les fidèles le comprennent si bien, qu'ils n'oublient point que, mêmes durant la nuit, il faut adorer Dieu. Leurs dispositions sont telles, qu'ils se souviennent que Dieu les écoute.

Après s'être lavé les mains, et mis la lumière sur table, chacun, selon sa possibilité, est incité de chanter à Dieu par des Psaumes et des cantiques spirituels. Cela découvre la sobriété ou l'intempérance des uns et des autres. À la fin on prie Dieu comme au commencement.»

Ce bref extrait de l'Apologétique de Tertullien nous amène par l'ordre des temps à la 5e persécution de l'Église sous l'Empereur Septimius Severus, environ deux cent cinq ans après la naissance de Jésus Christ.

Ce Prince, comme Tertullien, (qui vivait à son époque) en témoigne dans son livret à Scapula, portait une bonne affection aux chrétiens, et s'opposait à la fureur du peuple qui leur courrait après. Il fit même des édits en leur faveur. Or, en l'an 9e de son empire, étant allé en pèlerinage vers l'idole de Sérapis en Alexandrie, il changea de volonté.

Dans ce livret adressé à Scapula et ailleurs Tertullien fait mention des principaux auteurs de la persécution, et S. Cyprien aussi qui les distingue en trois bandes, à savoir païens, juifs et Hérétiques.

Les crimes imposés aux chrétiens étaient la sédition et le crime de lèse-majesté. On les accusait d'être homicides, sacrilèges, incestueux, meurtriers de petits enfants et mangeurs de chair humaine, se mêlant ensemble comme bêtes brutes, après que les chandelles étaient éteintes. Adorant une tête d'âne, et le Soleil pour leur Dieu; ils étaient ennemis du genre humain, détracteurs de la religion des peuples observée et maintenue depuis si longtemps: attitude qui avait attiré tous les malheurs dont le monde était foulé, comme S. Cyprien dit que c'est ainsi que Demetrian diffamait la doctrine de l'Évangile et les anciens chrétiens.

Eusèbe décrit cette persécution sous Severus, au 6e liv. de son histoire, ch.1. en parlant des fidèles d'Égypte et de Thébaïde exécutés à mort dans la ville d'Alexandrie, parmi lesquels fut Léonides, père d'Origène docteur fort renommé, et bien d'autres encore.

La persécution fut violente à Carthage, comme le livret à Scapula le montre; dans la Cappadoce pareillement les martyrs étaient décapités et brûlés, on confisquait leurs biens. Néanmoins tous persévéraient constamment, et, au milieu des supplices, condamnaient et détestaient les superstitions de leurs adversaires. Tout ceci est amplement traité dans l'Apologétique de Tertullien, lequel découvre la vanité et l'iniquité des païens, répond aussi à toutes les calomnies lancées contre les chrétiens, et prouve qu'ils ne sont coupables d'aucun des crimes dont on les accusait.

Durant ces horribles tempêtes, la foi, la charité et la patience des fidèles croissaient et s'épuraient comme l'or dans la fournaise. D'autre part, le Seigneur conserva beaucoup de pasteurs et d'autres particuliers de son Église pour remettre les choses au-dessus suite à la mort de cet Empereur. L'état de l'Église fut assez tranquille sous Caracalla, Macrin et Héliogabale. Mais la sixième persécution se ralluma sous Maximin, de laquelle il faut dire aussi quelque chose.

L'an de Christ 239, Jules Maximin persécuta l'Église Chrétienne, commandant qu'on empoignait principalement les docteurs de l'Église, à savoir les pasteurs et les ministres: car c'étaient eux qui séduisent (comme il disait) le pauvre peuple par leurs prêches, et étaient ainsi la cause de troubles dans l'Empire. C'est pour cela qu'il fallait s'en débarrasser rapidement pour remettre l'Empire en repos, et nettoyer le monde de cette fausse doctrine.

Plusieurs ministres de l'Église furent alors mis à mort du nombre desquels sont Pamphile et Maximus. Origène écrivit en ce temps-là, pour la consolation de l'Église, un beau livre du Martyre. Il montre qu'il faut que les vrais chrétiens confessent et rendent témoignage de leur foi par la bouche et par leurs oeuvres et qu'ils la scellent de leur sang, si besoin est. Car de son temps s'était élevée une secte pernicieuse des Helchefaites, qui disaient qu'il suffisait d'avoir et de garder la foi au cœur, et qu'on pouvait bien (en temps de nécessité) la renier de la bouche. Cette opinion est contraire à la doctrine de l'Évangile, et des Apôtres selon Matthieu 10. 32-33 et de Romains 10. 10. Cette persécution et cette effusion de sang dura trois ans entiers.

L'an de Christ 252 ou comme d'autres disent 254 commença et fut ébranlée dans toutes les provinces de l'Empire, sous Décius, par la septième persécution contre l'Église Chrétienne; elle fut beaucoup plus cruelle que la précédente. L'Église fut privée de nombreux excellents personnages dans cette persécution.

Sixtus évêque de Rome fut décapité. Laurent son diacre fut grillé, ainsi que le poète Prudentius en fait mention ainsi que plusieurs autres, dont il fait mention dans ses hymnes.

Avec le martyr d'un nommé Romain, il traite excellemment de la Religion chrétienne et des vrais exercices de celle-ci.

Il décrit aussi les tourments de S. Hippolyte, qui fut démembré par des chevaux sauvages.

Babylas, très excellent serviteur de Christ et évêque d'Antioche, fut tué. Celui-ci pria instamment qu'on mit auprès de lui la chaîne avec laquelle on le traînait à la mort, comme son ornement et son collier de l'ordre.

Sérapion, ayant été déchiqueté de plusieurs plaies, fut précipité du haut de sa maison en bas.

Macaire, Alexandre, et Epimachus furent brûlés.

Plusieurs vierges excellentes furent cruellement tourmentées et mises à mort, à savoir Apolloine, Eugène, Victoire, Théodore, Anatholie, Rusine, et plusieurs autres.

Denis, évêque d'Alexandrie, écrivit une lettre à Fabien ministre d'Antioche, dans laquelle il parle des saints martyrs qui furent mis à mort en Alexandrie, sous Decius. Cette lettre est au 6e liv. de l'histoire ecclésiastique d'Eusèbe, chap. 31.

Hermannus Contradus [Hermann dit Contractas, à cause de son état de paralysie, fut moine dans l'abbaye de Reichenau (1013-1054). Il a laissé une Chronique.] fait aussi un long dénombrement dans sa chronique, des S. martyrs, qui souffrirent la mort dans divers lieux de l'empire, sous Decius.

Bref avec cette persécution il fut répandu beaucoup du précieux sang des innocents. Comme Tertullien avait plaidé sous Severus la cause des chrétiens, Cyprien , évêque de Carthage, son disciple, fit de même et réfuta les calomnies contre les païens en répondant à un de leurs principaux avocats nommé Demetrian. Prudence aussi fit après, une réponse en beaux vers latins, aux plaintes et objections de Symmachus grand ennemi des chrétiens.

À grand-peine la 7e persécution était-elle terminée, que la 8e commença, par le commandement de l'Empereur Valérien, l'an de Christ 260 durant laquelle furent décapités deux excellents personnages, à savoir Corneille évêque de Rome, et Cyprien évêque de Carthage en Afrique. Les histoires font mention d'un grand nombre de grands personnages, qui, en ce temps-là, reçurent la couronne de martyre. On écorcha ainsi plusieurs fidèles pour essayer de les détourner de la foi chrétienne à celle des païens par ce cruel tourment, mais ils n'obtinrent pas ce qu'ils désiraient.

Je ne saurai oublier ce que S. Jérôme raconte dans la vie de Paul premier ermite, touchant le temps des persécutions sous Decius et Valérien. Il dit que les persécuteurs n'essaient pas seulement de faire abjurer la Religion aux chrétiens par le moyen de tourments cruels, mais aussi par diverses voluptés et plaisirs. Ne pouvant les contraindre à renier leur religion par le moyen des tourments, ils essayèrent de le faire par la volupté en envoyant vers eux de belles femmes, qui les incitaient à la débauche sexuelle. Il y eut un de ces martyrs qui, pour se dépêtrer d'une telle femme, se coupa la langue avec ses propres dents et la lui cracha au visage.

Paul, l'ermite, en ce temps-là, s'enfuit dans un désert, où il passa sa vie dans une petite cabane, et Antoine s'y retira aussi sur la fin de la vie de Paul. Ces deux furent les pères des ermites, c'est à dire, de ceux qui s'étant retirés dans des déserts ou lieux solitaires comme hors du monde, y passaient leur temps dans une grande austérité de vie. S. Jérôme dit aussi que S. Antoine mourut âgé de 105 ans, l'an de grâce 361. C'est depuis ce commencement que la Moinerie tire son origine; on n'en parlait point en l'Église ancienne alors que la corruption n'y était pas encore entrée, comme elle a fait depuis.

Du temps de ces persécutions, on essaya donc de séduire les fidèles par plusieurs plaisirs et voluptés.

Aurélien fut Empereur, l'an de grâce 273 auquel est attribuée les histoires de la neuvième persécution. Il fut, au commencement, débonnaire et humain envers les chrétiens, mais sur la fin de son empire il changea, et résolut, par l'instigation de certains mauvais sujets, de persécuter l'Église Chrétienne. Eusèbe témoigne au 7e liv de l'hist. Eccle. cha. 26. et Orose le fait aussi, qu'il ne put exécuter et mener à bien cette persécution, selon qu'il avait délibéré quoiqu'il fit tout son possible pour le faire.

Néanmoins l'Église de ce temps-là fut en grande perplexité et angoisse, mais l'Empereur fut assassiné et ainsi la persécution cessa.




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