POUVEZ-VOUS
MOURIR TRANQUILLE?
« II est
réservé aux hommes de mourir une
seule fois, et après cela suit le jugement
(1). »
Mes FRÈRES,
Ces paroles qui nous mettent devant les yeux la
mort, mais la mort rapprochée du jugement
qui la suivra, doivent exciter dans tout esprit
sérieux une question que nous venons
proposer aujourd'hui à chacun de vous et qui
fera tout le sujet de ce discours.
« Il est réservé
à tous les hommes de mourir une
fois. »
Qui que vous soyez, il faut mourir. Et vous ne
savez pas quand vous devez mourir. Peut-être
dans quelques années. Peut-être dans
quelques jours. Peut-être demain.
Peut-être aujourd'hui.
« Après la mort suit le
jugement. »
Quand vous serez mort, vous aurez
à comparaître au tribunal du souverain
juge pour y recevoir une sentence dont les suites
seront éternelles. Vous n'êtes pas un
incrédule, du moins vous n'êtes pas un
impie : jugement, sentence,
éternité, ce ne sont pas pour vous de
vains mots, c'est la plus terrible des
réalités.
Cela étant voici ma question :
Pouvez-vous mourir tranquille ? je veux
dire : Si vous deviez mourir aujourd'hui, dans
ce moment même, et comparaître tel que
vous êtes au tribunal suprême,
êtes-vous assuré que vous y seriez
acquitté et non condamné ?
(2)
La question que nous venons de vous proposer est si
simple et si pénétrante à la
fois, qu'il ne devrait pas être
nécessaire de la justifier. Et pourtant cela
est nécessaire. Il règne dans le
monde une opinion, plus commune qu'on ne pense,
d'après laquelle notre question serait
presque sans intérêt et sans
utilité. On se flatte qu'aucun homme ne sera
condamné d'une manière absolue au
jour du jugement. Si cette espérance
était fondée, il suivrait de
là que vous, qui que vous soyez, vous ne
serez pas condamné, et par conséquent
que vous, qui que vous soyez, vous pouvez mourir
tranquille : merveilleuse imagination pour se
rassurer soi-même contre les terreurs du
jugement, que d'en affranchir d'un
seul coup tous les hommes ! Mais je demande
à ceux qui affirment que personne ne sera
condamné comment ils le savent, et surtout
comment ils le savent avec cette certitude qui est
nécessaire pour mourir tranquille ?
J'entends bien qu'on me répond que Dieu est
trop bon pour condamner aucun homme à un
malheur éternel. Mais on oublie en
raisonnant de la sorte, que la bonté de Dieu
n'est pas seule ici à considérer et
qu'il faut faire encore la part de sa justice,
puisque la bonté séparée de la
justice, une bonté qui laisserait le crime
impuni ne serait qu'une faiblesse indigne d'un
homme chargé de juger ses semblables, et
combien plus indigne de « celui qui juge
toute la terre (Gen. XVIII,
25) » ; que pour savoir ce qu'un
Dieu parfaitement bon et tout ensemble parfaitement
juste ordonnera de l'homme pécheur, c'est
folie de s'en rapporter à l'opinion de
l'homme lui-même, qui ne peut être ni
juge désintéressé dans sa
propre cause ni juge éclairé dans
celle de Dieu ; et qu'il en faut appeler enfin
à une autorité plus haute à la
fois et plus pure ; et où
trouverons-nous une autorité semblable, si
ce n'est dans ce livre inspiré qui nous
parle de Dieu dans le langage de Dieu même,
selon cette belle pensée d'un poète
chrétien : « Qui m'instruira
de Dieu si ce n'est Dieu
lui-même ? » Eh bien ! ce
saint livre loin d'attribuer
à Dieu une bonté qui l'empêche
de condamner aucune de ses créatures, nous
déclare au contraire dans une même
page que « sa bonté est par-dessus
toutes ses oeuvres » et « qu'il
exterminera tous les méchants
(Psaume CXLV, 9,
20 ;
XCLI, 7, 8.). »
Mais voici d'autres docteurs qui plus
téméraires encore que les premiers,
ne se contentent pas d'annoncer une sentence
favorable à tous les hommes, mais proposent
encore les plans d'après lesquels ce
résultat doit être obtenu ; et
comme on le pense bien, celui-ci propose un plan et
celui-là en propose un autre.
Quelques-uns se persuadent que l'homme pourra
encore se préparer au jugement après
la mort ; et que sait-on ? s'y
préparer peut-être avec de plus grands
avantages qu'ici-bas, puisqu'il est vraisemblable
que son esprit aura plus de lumières et
moins de tentations, quand il sera
dégagé de la matière et sorti
de ce monde.
Mais qui est revenu du séjour des morts pour
vous informer de ce qui s'y passe ? Qui a
calculé les effets du changement immense et
mystérieux que la mort apporte dans notre
condition, pour vous donner l'assurance qu'il sera
seulement question de conversion après la
mort ? Et que peut-on affirmer enfin
concernant les morts, sinon ce qu'en enseigne la
parole de Dieu ?
Eh bien ! cette Parole, qui à la
vérité ne nous donne guère de
lumières sur la condition des morts, en
dit assez toutefois pour
détruire l'espérance que vous
entretenez, puisqu'elle ne vous parle jamais ni de
conversion des morts, ni de prières pour les
morts, ni de rien de semblable ; puisqu'elle
fait partout envisager la vie présente comme
étant le temps de l'épreuve et la
mort comme en étant le terme ;
puisqu'elle nous peint la mort
« surprenant l'homme dans son
péché
(Ezéch., XXXIII, 6,
etc.) » et qu'elle donne
à entendre qu'un homme qui sera
« mort dans ses
péchés » ne pourra jamais
aller où est allé Jésus-Christ
(Jean VIII, 21.), c'est-à-dire
dans la félicité
éternelle ; puisqu'elle lie
étroitement dans notre texte et ailleurs le
jugement avec la mort sans tenir compte de
l'intervalle qui les sépare :
« Il est réservé à
tous les hommes de mourir et après cela suit
le jugement ; » puisqu'elle
répète en plus d'un endroit
« qu'on ne connaîtra pas les
merveilles de l'Éternel dans les
ténèbres, ni sa justice dans le pays
d'oubli ; que les morts ne loueront point
l'Éternel, et que le sépulcre ne le
célébrera point ; que les morts
ne s'attendent plus à sa
vérité, mais que ce sont les vivants,
les vivants qui le célébreront, et
qui enseigneront à d'autres vivants le
chemin de la vérité
(Esaïe XXXVIII, 18, 19 ;
Ps. VI, 6 ;
XXX, 10 ;
LXXXVIII, 11 ;
Ecclés. IX,
10) ; » enfin puisqu'elle
déclare dans un passage qui se rapporte
directement à la question qui nous occupe,
que c'est « suivant les choses
que nous aurons faites dans le
corps
(3) »,
c'est-à-dire dans la vie présente,
que nous serons jugés au tribunal de
Jésus-Christ.
Il est enfin des hommes qui vont encore plus loin,
et qui se figurent qu'en quelque état que
l'on paraisse au tribunal de Dieu et quelque
sentence qu'on y reçoive, il ne sera
question pour personne d'un malheur
éternel ; ne craignant pas de
régler le jugement d'après une
théorie de leur invention. Il ne faut pas
s'imaginer, disent-ils, qu'au tribunal de Dieu les
uns seront absolument condamnés et les
autres absolument acquittés ; il faut
laisser au peuple et aux enfants la croyance d'un
paradis et d'un enfer ; en
réalité les choses ne seront pas si
tranchées, mais voici à peu
près ce qui aura lieu.
À la suite du jugement tous les hommes
seront rangés sur une échelle immense
mais unique, comprenant toutes les nuances
possibles de félicité et de
misère depuis le souverain bonheur
jusqu'à l'extrême infortune, et dont
chacun occupera le degré correspondant
exactement à sa valeur morale,
calculée d'après une juste
appréciation de ces deux
éléments, les ressources dont il aura
joui et le parti qu'il en aura tiré ;
puis commencera un mouvement universel qui ne doit
jamais s'arrêter, chacun montant
de degré en degré
pour occuper la place de celui qui le
précède et laissant la sienne
à celui qui le suit :
éternité mobile, où les
récompenses et les peines ne seront
éternelles que parce que les distances
premières seront éternellement
conservées, et où il n'y a point de
degré si élevé de
félicité où ne puissent
aspirer avec le temps ceux-là même qui
auront d'abord été rejetés
à la dernière place.
Mais qu'est-ce que cela ? C'est une conjecture
ingénieuse qui amuse l'imagination, qui
charme l'esprit, qui plaît au coeur, qui
endort agréablement la conscience ;
mais ce n'est rien de plus. Que dis-je ? et ne
voyez-vous pas tout ce que cette conjecture a
contre elle ?
Elle a contre elle le bon sens de tous les peuples,
qui, sans convention et comme par instinct, se sont
accordés à croire deux séjours
éternellement distincts, l'un de
félicité et l'autre de
misère.
Elle a contre elle la philosophie, puisqu'elle
perpétue la figure mobile de ce monde et
transporte le temps, dans
l'éternité ; le temps qui n'est,
s'il en faut croire de grands philosophes, qu'une
forme de la pensée qui n'aura pas même
de nom dans notre condition future.
Elle a contre elle la morale, puisqu'elle suppose
qu'il n'y a qu'une transition insensible de la
sainteté et de la bénédiction
qui lui est promise au péché et
à la malédiction dont il est
menacé, et que les crimes les plus
détestables, y
persévérât-on jusqu'à la
mort, ne sont après tout que du temps perdu.
Mais elle a surtout contre elle la
Bible : la Bible, qui
déclare ou suppose partout, par son ensemble
et par ses détails, par son esprit et par sa
lettre, qu'il y aura un jugement véritable,
où les uns seront mis à la droite et
les autres à la gauche, et à la suite
duquel « ceux-ci s'en iront aux peines
éternelles et les justes à la vie
éternelle
(Matth. XXV, 46.
) ; »
la Bible, qui nous fait entendre Abraham disant au
mauvais riche : « II a
été établi entre vous et nous
un grand abîme, afin que ceux qui voudraient
passer d'ici vers vous ne le puissent pas, non plus
que ceux qui voudraient passer de
là » ici
(Luc XVI, 26. ) ; »
la Bible enfin qui nous dépeint la condition
d'un Juda, mort dans son impénitence,
« comme tellement
désespérée qu'il vaudrait
mieux pour lui n'être jamais né
(Matth. XXVI, 24.). »
Coupons court à toutes ces vaines
imaginations. Tous les raisonnements dont on essaie
pour se persuader qu'aucun homme ne sera
éternellement condamné, n'ont rien de
solide, parce qu'ils ne peuvent se fonder ni sur la
raison de toutes ces matières, ni sur la
révélation qui n'en parle que pour se
prononcer contre cette espérance.
Ce ne sont là que des théories sans
appui qui peuvent bien amuser les loisirs d'un
philosophe dans son cabinet, mais qui ne peuvent
pas donner de tranquillité sur un lit de
mort ; puisque dans tous les cas et pour dire
le moins, elles ne présentent aucune
certitude à celui qui tente de s'y
réfugier. Car quel est celui de
vous qui dans ce moment terrible,
aux prises avec les angoisses de la mort, pourrait
dire avec une assurance inébranlable :
« Je sais qu'il n'y aura personne de
condamné au tribunal de
Dieu ? »
Non, non : tous ces systèmes sortis de
votre cerveau ne peuvent pas plus vous rassurer
contre les frayeurs du jugement, que ne le pourrait
une peinture que vous feriez suspendre devant vos
yeux et dans laquelle vous auriez pris soin de vous
faire représenter jouissant de la
félicité éternelle.
C'est pourquoi, laissant la ces pompeuses
puérilités d'une sagesse faussement
ainsi nommée, et prenant les choses comme
elles sont, je veux dire comme nous les trouvons
dans la parole de Dieu ; admettant qu'il y
aura un jugement proprement dit où les uns
seront acquittés et les autres
condamnés, et qu'ainsi tous les hommes ne
peuvent pas mourir tranquilles, mais ceux-là
seulement qui ont une assurance fondée
qu'ils ne seront pas condamnés, je vous
demande si vous êtes de ce nombre, vous, qui
que vous soyez dans cet auditoire.
La question est terrible.
Examinons-la, je ne dis pas froidement, cela est
impossible, mais de sang-froid. Évitons tout
entraînement de sensibilité, tout
écart d'une imagination qui se joue, et
discutons ce redoutable sujet aussi simplement,
j'ai presque dit aussi familièrement que si
j'en parlais à chacun de vous dans son
cabinet !
Si tous les membres de cette assemblée
devaient se lever l'un après l'autre et
répondre à ma question, il n'est pas
vraisemblable que la plupart le fissent avec cette
fermeté qui marque une assurance bien
établie. Des espérances vagues, une
confiance irréfléchie, tout au plus
des raisons mal pesées, voilà ce
qu'on trouve chez le plus grand nombre.
Toutefois, s'il en faut juger par la
tranquillité qu'ils font paraître et
la sécurité dans laquelle ils vivent,
ils se persuadent sans doute qu'ils peuvent mourir
tranquilles ; et si on leur demande pourquoi
ils le peuvent, voici à peu près ce
qu'ils répondront et ce qu'où entend
dire en effet tous les jours.
L'un dira : « Je suis un
honnête homme ; je ne fais de tort
à personne ; ne remplis-je pas mes
devoirs de père, de mari, de citoyen ?
et quel crime ai-je commis pour mériter une
condamnation
éternelle ? »
Un autre : « Je ne suis pas un
impie ; j'assiste au culte chaque Dimanche et
je communie plusieurs fois
l'année. »
Un troisième : « Dieu
n'est-il pas miséricordieux envers ceux qui
se rendent dignes de sa grâce, et que peut-on
blâmer dans ma vie ? »
Ces diverses réponses n'en font
réellement qu'une : elle se rencontrent
toutes dans ce point capital, que ceux qui parlent
ainsi pensent que leur conduite est telle qu'ils
n'ont pas à redouter le jugement d'un Dieu
juste et bon.
C'est à cette pensée commune que je
veux m'arrêter ; et m'adressant à
tous ceux qui s'appuient ainsi
sur leur conduite pour se persuader qu'ils peuvent
mourir tranquilles, je vais rechercher avec eux si
ce fondement est solide et si leur
tranquillité est bien établie.
Pour qu'un accusé comparaissant devant un
tribunal humain, puisse être assuré
qu'il n'a rien à redouter du jugement auquel
il va être soumis, que faut-il ?
Évidemment, il faut qu'il ait comparé
la conduite qu'il a tenue avec la loi selon
laquelle il va être jugé et qu'il ait
trouvé la première conforme à
la seconde.
Pour que vous puissiez avoir une assurance
semblable en marchant vers le tribunal de Dieu, il
faut aussi que vous ayez comparé votre
conduite, sur laquelle vous vous appuyez, avec la
loi d'après laquelle le jugement doit
être prononcé, et que vous ayez
trouvé la première conforme à
la seconde.
Avez-vous fait ce rapprochement et trouvé
cette conformité ? Voyons si vous ne
vous êtes point fait illusion.
La loi selon laquelle vous serez jugé au
tribunal de Dieu, c'est la loi de Dieu. Vous la
connaissez d'abord par la conscience ou Dieu l'a
écrite au commencement ; mais cette
première lumière ayant
été plus ou moins obscurcie par le
péché, Dieu nous en a donné
une autre, la Bible.
C'est donc par la Bible que vous pouvez apprendre
à connaître la loi. Vous l'y trouvez
tantôt résumée en quelques
maximes fécondes : « Tu
aimeras Dieu de tout ton coeur, de toute ton
âme et de toute ta pensée, et ton
prochain comme toi-même
(Matth. XXII,
37-39.) ; » ou encore :
Soit « que vous mangiez, que vous buviez
ou que vous fassiez quelque autre chose, faites
tout à la gloire de Dieu
(I Cor. X, 31. ; »
tantôt répandue en préceptes de
détail, tels que la charité,
l'humilité, la tempérance etc., dont
chacun se subdivise encore en diverses
applications : par exemple, la charité,
en charité envers nos proches ou devoirs
domestiques, charité envers nos concitoyens
ou devoirs sociaux, charité envers tous les
hommes ou amour du prochain. Voilà la
loi.
Cette loi, l'avez-vous pratiquée ?
Et quand vous avez entendu lire tantôt les
commandements de Dieu, auriez-vous pu vous lever et
dire, ce que crut pouvoir dire ce jeune homme de
l'Évangile à qui Jésus-Christ
venait de les rappeler : « J'ai
gardé toutes ces choses dès ma
jeunesse ?
(Matth. XIX, 20.) »
Si vous me répondez affirmativement,
écoutez le simple récit d'une
conversation que j'eus un jour avec un homme qui
avait cette opinion de lui-même. Je lui avais
adressé la question qui fait le sujet de ce
discours : « Pouvez-vous mourir
tranquille ? » II m'avait
répondu sans hésitation qu'il le
pouvait ; et pressé d'expliquer sur le
motif de sa tranquillité, il m'avait dit
comme vous que la vie éternelle est promise
à ceux qui ont obéi aux commandements
de Dieu, ce qu'il avait fait
toute sa vie. Je pris alors, presque au hasard,
l'un des commandements du Décalogue ;
c'était, je crois, le
cinquième : « Honore ton
père et ta mère » ; et
en lui proposant des questions telles que
celle-ci : « Ne vous est-il jamais
arrivé de faire une chose que vos parents
vous avaient défendue ? ou de parler
sans nécessité de leurs
défauts ? ou de manquer au respect, aux
égards, à l'affection que vous leur
devez ? ou de faire à leur égard
quelque chose que vous ne voudriez pas que vos
enfants fissent à votre
égard ? »
Je l'obligeai à reconnaître qu'il
avait péché en beaucoup de
manières contre le commandement que je lui
avais rappelé. Je lui demandai alors si,
à supposer qu'il n'eût
péché que contre ce seul commandement
et qu'il eût observé tous les autres
d'une manière irrépréhensible,
il pouvait se donner pour observateur de la
loi ?
Il fallut répondre que non, d'après
cette parole si profonde à la fois et si
simple de St. Jacques : « Quiconque
aura gardé toute la loi, s'il vient à
pécher en un seul point, il est coupable de
tous. Car celui qui a dit : Tu ne commettras
point adultère, a dit aussi : Tu ne
tueras point. Si donc tu ne commets point
adultère, mais que tu tues, tu es
transgresseur de la loi
(Jacq. II, 10-11.). » Mais
je n'eus pas de peine à lui faire voir que
ce n'était pas le seul commandement
contre lequel il eût
péché : je lui en citai un
second, concernant lequel je lui adressai encore
quelques questions, lui laissant toujours le soin
de juger lui-même sa conduite ;
après celui-là un
troisième ; puis un autre :
toujours même résultat, avec
même évidence ; il marchait de
surprise en surprise et d'humiliation en
humiliation.
Enfin, je l'invitai à me citer à son
tour un commandement qu'il n'eût point
transgressé. Il choisit le second :
« Tu ne te feras point d'images
taillées et tu ne te prosterneras point
devant elles. »
Pour le coup, il se croyait sûr de son
innocence : assurément il ne
s'était jamais prosterné devant des
images. Mais je lui représentai qu'il y a
une idolâtrie spirituelle, dont on se rend
coupable toutes les fois qu'on détourne sur
la créature les hommages ou les sentiments
qui ne sont dus qu'au Créateur ; en
sorte que l'avare est un idolâtre, parce
qu'il se fait un Dieu de son or, et que
l'intempérant est un idolâtre, parce
qu'il s'en fait un de son ventre, selon une
pensée de St. Paul
(Eph. V, 5.
Col. III, 5.).
Ne lui était-il jamais arrivé de
préférer à Dieu et à sa
volonté, ou la fortune, ou les plaisirs des
sens, ou l'affection de la créature, ou la
gloire du monde ? Ces questions
l'amenèrent bientôt à
reconnaître qu'il n'y avait pas jusqu'au
commandement qu'il se croyait le plus
éloigné d'avoir violé, qu'il
n'eût violé mainte et mainte fois.
Enfin je lui fis observer que
« si son coeur le condamnait, »
Dieu le condamnait plus sévèrement
encore ; Dieu, qui « est plus grand
que notre coeur et qui connaît toutes choses
(1 Jean III, 20.) ; »
Dieu, qui découvre en nous tout le mal qui
nous échappe à nous-mêmes, et
qui se rappelle tout celui que nous oublions ;
et j'ajoutai qu'alors même qu'il ne se serait
pas senti coupable, « il ne serait pas
justifié pour cela, parce que celui
qui nous juge, c'est le Seigneur
(1 Cor. IV, 4.) ; » et
le Seigneur a déclaré
expressément dans sa Parole que
« tous ont péché et sont
entièrement privés de la gloire de
Dieu ; qu'il n'y a point de juste, non pas
même un seul ; qu'il n'y en a point qui
fasse le bien, non pas même un seul
(Rom. III, 10, 12,
23.). »
L'homme dont je viens de parler était
sincère : il convint avec candeur, avec
émotion, qu'il s'était fait une
illusion complète ; que sa conduite,
loin d'avoir été conforme aux
commandements de Dieu, y avait été
toute contraire, et qu'ayant si évidemment
mérité la condamnation il ne pouvait
pas mourir tranquille.
L'histoire de cet homme ne m'était
guère moins inconnue que celle d'un membre
quelconque de l'assemblée que j'ai devant
les yeux ; et tout ce que je lui avais dit,
j'aurais pu le dire à tout autre aussi bien
qu'à lui. C'est pourquoi cet entretien peut
suppléer à ceux que je voudrais
avoir, si je le pouvais, avec chacun de
vous ; avec quelques
différences dans les détails, le fond
en serait le même ; et si vous y portiez
la même candeur que lui, vous seriez conduits
inévitablement au même
résultat. Si donc vous n'avez pas d'autre
fondement à votre tranquillité que la
conformité prétendue de votre
conduite avec la loi de Dieu, vous êtes dans
l'erreur ; cette conformité n'existe
pas ; ce fondement est illusoire ; vous
ne pouvez pas mourir tranquille.
Nous pourrions, ce semble, nous arrêter ici,
et sans aller plus avant conclure que vous devez
renoncer aux espérances que vous avez
nourries jusqu'à présent et en
chercher quelqu'autre plus solide, puisqu'enfin si
votre conduite n'est point en accord avec la loi du
tribunal suprême, on ne voit pas comment il
est possible que vous échappiez à la
condamnation.
Et pourtant je me trompe, ou la plupart de ceux
à qui je m'adresse aujourd'hui se flattent
encore d'y échapper.
Aidons-les à démêler
l'espérance qui leur reste et qu'ils
seraient peut-être embarrassés
d'expliquer eux-mêmes, tant elle est
vague et incertaine.
C'est qu'ils estiment que la loi ne sera pas
appliquée à la rigueur, mais qu'il y
sera apporté dés adoucissements et
que le juge se contentera d'une obéissance
imparfaite. « Dieu »,
pensent-ils, « n'exigera pas de sa faible
créature le parfait accomplissement de sa
loi : mais voici ce qu'il fera. Il
considérera d'un côté la
faiblesse de la nature humaine, de l'autre sa
propre sainteté ; et de ces deux
éléments
combinés équitablement entre eux, il
fera une loi mitigée, qui n'exigera de
l'homme que ce qu'il est capable de faire dans son
infirmité, et d'après laquelle ceux
qui sans avoir entièrement satisfait
à la loi, ont évité du moins
les grands péchés et rempli
honorablement les devoirs de la vie, ne seront
point condamnés. »
Voilà donc l'espérance qui vous
reste : C'est que la loi sera mitigée.
Mais d'où vous est venue cette pensée
(4) ? Me
répondrez-vous que c'est un raisonnement
tout simple qui vous l'a
suggérée ? « Ce n'est
pas moi seulement, dites-vous, ce n'est pas
seulement tel ou tel homme qui n'accomplit pas la
loi dans le sens que vous venez de
développer ; ce sont tous les hommes,
sans exception d'un seul. Il paraît de
là qu'il y a dans la nature de l'homme,
quelque chose qui fait que cette loi est
impraticable pour lui. S'il en est ainsi, Dieu, qui
ne saurait nous punir de n'avoir pas fait ce que
nous ne pouvions pas faire, ne nous appliquera pas
cette loi à la rigueur ; sa justice
exige qu'il y apporte des adoucissements qui
l'accommodent à la faiblesse de notre
nature. »
Ce raisonnement paraît concluant à
première vue : mais il n'est pas besoin
de beaucoup de réflexion pour en
démêler toute la fausseté. Et
d'abord, ne voyez-vous pas où il vous
conduit ? « Qui prouve trop ne
prouve rien », dit un
proverbe véritable. Et n'êtes-vous pas
effrayés de tout ce que prouve le
raisonnement que vous proposez ? Pourquoi vous
arrêter à moitié chemin ?
Poursuivez, poussez jusqu'au bout cette
argumentation qui vous paraît si solide.
Ce qui garantit à l'homme les adoucissements
que vous lui annoncez dans la loi de Dieu, c'est
qu'il ne peut pas, dans son état actuel, la
pratiquer exactement ; en d'autres termes,
c'est que le péché est devenu en lui
comme une seconde nature, tant il a asservi sa
volonté.
Sur ce principe, pour assurer à l'homme des
adoucissements plus considérables encore
dans la loi, il ne faudra que trouver en lui un
asservissement plus complet encore au
péché : d'adoucissement en
adoucissement, on finira par avoir droit à
une tolérance parfaite, c'est-à-dire
à l'exemption de tout jugement, quand on
sera devenu parfaitement criminel ; et si
l'homme pécheur peut compter sur
l'indulgence de Dieu, le démon, plus
favorisé, peut s'assurer de
l'impunité.
Assurément un raisonnement qui conduit
à de telles conséquences doit
renfermer quelque sophisme : et vous allez le
découvrir sans beaucoup de peine. Il y a ici
une double confusion.
Premièrement vous comprenez mal le fait que
vous affirmez. Vous affirmez que l'homme ne peut
pas obéir à la loi de Dieu :
cela est vrai ; mais vous oubliez de remarquer
en quoi consiste cette impuissance. Ce n'est point
qu'il manque absolument à la nature humaine
les forces nécessaires pour obéir, ce
qu'on ne saurait prouver ; mais
c'est qu'il lui manque la
volonté d'obéir
(5) ;
l'impuissance de l'homme est une impuissance
morale, qui loin de pouvoir le justifier, est
précisément ce qui le constitue
pécheur et coupable au jugement de Dieu.
Mais ensuite, et c'est là surtout ce que
nous vous prions de remarquer, la conclusion que
vous déduisez de ce fait n'est nullement
légitime aux yeux d'une saine raison. Parce
que l'homme ne peut pas obéir, vous
concluez que Dieu ne saurait exiger de lui
l'obéissance. Mais ne voyez-vous pas que
cette conclusion n'est légitime que si Dieu
est l'auteur dé cette impuissance, et
qu'elle cesse de l'être si cette impuissance
est venue de l'homme lui-même ?
Oui, si Dieu a fait l'homme incapable
d'obéir à sa loi, si Dieu a fait
l'homme pécheur, si Dieu est auteur du
péché, vous avez raison de conclure
qu'il ne saurait exiger de l'homme
l'accomplissement de sa loi : mais comment
soutenir une telle assertion sans folie et sans
blasphème ?
Que si c'est l'homme qui s'est volontairement
abandonné au péché, comme la
Bible nous le déclare expressément,
et comme la raison et la conscience le confirment,
l'une parce qu'elle voit bien que « Dieu
qui ne peut être tenté par aucun
mal » ne peut aussi tenter personne
(Jacq. I, 13), » l'autre
parce qu'elle nous rend responsables de nos
désobéissances en nous les reprochant
intérieurement ; s'il est
vrai que « Dieu a fait
l'homme droit » et que « c'est
l'homme qui a cherché beaucoup de discours,
qui s'est séduit lui-même par de vains
raisonnements, et qui, repoussant volontairement
les lumières que Dieu lui avait
accordées, a étouffé la
vérité par l'injustice »,
et s'est rendu inexcusable », selon cette
doctrine si lumineuse de St. Paul dans le premier
chapitre de son Épître aux Romains
(Eccl. VII, 29.
Jacq. 1, 22.
Rom. I, 18, 20.) ; s'il en est
ainsi, l'impuissance de l'homme pour obéir,
loin de pouvoir lui fournir une excuse, ne peut
qu'aggraver sa condamnation parce qu'elle montre
avec quel abandon il s'est livré au
péché.
Dites tant que vous voudrez que vous ne comprenez
pas comment le péché est entré
dans le monde : mais au nom de toute
justice, comme au nom de toute
piété, reconnaissez qu'en tous cas il
ne peut pas venir du Créateur, mais qu'il
vient de la créature ; qu'il ne saurait
par conséquent la dispenser d'une
obéissance qu'elle s'est elle-même
rendue impossible ; et que tous les
raisonnements par lesquels on cherche à se
persuader que Dieu n'appliquera pas sa loi à
la rigueur, sortent, non d'une saine raison, mais
d'un coeur corrompu, et ne séduisent
à première vue le jugement de l'homme
que parce qu'il est égaré par le
péché.
Ne pouvant justifier par la raison
l'espérance que vous entretenez d être
jugés d'après une loi
mitigée, essaierez-vous de
la justifier par la Bible ?
Par la Bible ! Écoutez. Si j'ouvrais la
Bible qui est devant moi et que je lusse
ainsi : « Si vous ne pouvez pas
accomplir toute la loi, faites ce que vous pourrez,
et Dieu vous tiendra quitte du
reste. »
Si vous ne pouvez pas vous abstenir de tout
péché, gardez-vous au moins des
grands crimes ; ayez une certaine mesure de
charité, de patience, de
sainteté ; faites cela, et vous pouvez
compter alors que la loi sera adoucie autant qu'il
est nécessaire pour que vous soyez
absous, » reconnaissez-vous la Bible
à ce langage ?
Ne vous écriez-vous pas :
« Arrête ! ministre
prévaricateur ! tu ne lis pas, tu
inventes ? »
C'est que cette doctrine d'une loi mitigée
est si contraire à l'esprit de la Bible, que
si vous tentez un moment d'invoquer en sa faveur le
témoignage de ce saint livre, tous vos
sentiments, tous vos souvenirs, tout ce qu'il y a
en vous de chrétien se soulève contre
cette tentative.
Mais voici que je lis et n'invente plus,
Épître aux
Galates, chapitre troisième,
verset dixième :
« Tous ceux qui sont des oeuvres de la
loi, sont sous la malédiction ;
car il est écrit : Maudit est quiconque
ne persévère pas dans toutes les
choses qui sont écrites au livre de la loi
pour les faire ; » et encore,
Épître de
Saint Jacques, chapitre second, verset
dixième :
« Quiconque aura gardé toute la
loi, s'il vient à pécher en un
seul point, il est coupable de
tous » ; et encore,
Épître aux
Galates, chapitre cinquième,
verset
troisième :
« Je proteste à tout homme qui se
fait circoncire (voulant être justifié
par ses oeuvres) qu'il est obligé
d'accomplir toute la loi. »
Que dirai-je encore ? « C'est une
chose terrible que de tomber entre les mains du
Dieu vivant
(Hébr. X, 31) ; notre
Dieu est un feu consumant
(Hébr. XII, 29) ; ses
yeux sont trop purs pour voir le mal
(Habac. I, 13) ; il ne tiendra
point le coupable pour innocent
(Exod, XXXIV, 7) » ;
et mille autres endroits semblables.
Qu'en dites-vous ?
Vous semble-t-il que ce soit là le langage
d'un Dieu disposé à fléchir sa
loi pour l'accommoder à la faiblesse de
l'homme pécheur ? et si votre loi
mitigée ne peut subsister devant une raison
raisonnable, que fera-t-elle devant la
Bible ?
Mais lui chercherez-vous enfin un dernier refuge
à l'ombre de la croix de
Jésus-Christ ?
Direz-vous : « II est vrai que la
loi devait d'abord être appliquée
à la rigueur. mais Dieu consent à la
fléchir en considération du sacrifice
de son Fils ; et la rédemption de
Jésus-Christ nous a mérité
cette faveur que Dieu n'exige plus de nous une
sainteté parfaite, et qu'il se contentera si
nous ajoutons à cette rédemption une
certaine mesure
d'obéissance » ?
C'est ici, mes frères, c'est ici que je ne
puis contenir le sentiment qui m'anime ! Grand
Dieu, où en sommes-nous, si dans une
Église chrétienne,
si dans une Église protestante on substitue
à la bienheureuse et sainte doctrine de
l'expiation du péché par le sang de
Christ, la doctrine renfermée dans les
discours que nous venons de rapporter, et qui vous
le savez ne sont point sortis de mon cerveau, mais
que vous avez pu entendre souvent comme moi, si
vous ne les avez proférés
vous-mêmes ?
Doctrine cependant, dont celle du salut par
Jésus-Christ est aussi
éloignée que le ciel est
éloigné de la terre, dirai-je ?
ou de l'enfer ; doctrine, qui n'emprunte
quelques mots de la Bible que pour mieux voiler le
renversement de ce qu'il y a de plus fondamental
dans ses enseignements ; doctrine, qui non
contente d'accuser Dieu d'accommodement avec le
péché, fait encore
Jésus-Christ complice de cette
prévarication ; doctrine enfin, qui ne
fait descendre le Fils sur la terre que pour
proclamer devant les anges indignés que la
justice du Père n'est point intraitable, et
qui fait couler le pur sang du Fils de Dieu pour
effacer quoi ? les péchés de la
créature ? non, mais la sainteté
du Créateur !
Ah ! plutôt il faut dire que si
jusqu'alors vous aviez pu entretenir l'espoir que
la loi sera fléchie, il faudrait
l'abandonner en présence de la croix de
Jésus-Christ ; parce que nulle part
Dieu n'a proclamé son dessein
arrêté de ne pas fléchir sa
loi, d'une manière aussi publique et aussi
éclatante que sur cette croix.
Et que déclare en effet le spectacle que
Dieu y donne aux hommes et aux
anges, si ce n'est que Dieu, placé dans
cette alternative, ou de fléchir sa loi ou
de frapper son Fils unique et bien-aimé,
frappe son Fils unique et bien-aimé ?
Tant il lui est impossible de porter aucune
atteinte aux saintes rigueurs de sa loi ! et
tant cette loi mitigée que vous avez
imaginée pour vous mettre à l'abri
des frayeurs du jugement, déjà
condamnée par la raison, puis
repoussée par la Bible, achève
d'être foudroyée par la croix de
Jésus-Christ !
Mais après avoir renversé
successivement tous les appuis que vous essayez de
donner à votre loi mitigée,
voulez-vous qu'à mon tour je vous explique
d'où cette espérance vous est
venue ?
Cela ne me sera pas très difficile ; et
en voyant où elle a pris son origine, vous
achèverez de comprendre aussi quelle
créance elle mérite.
C'est que vous avez senti que vous en aviez
absolument besoin pour vous rassurer contre le
juste jugement de Dieu. D'une part en effet vous
étiez forcé de reconnaître, car
la chose est trop évidente, que pour que
vous puissiez comparaître avec assurance en
jugement il faut qu'il y ait accord entre la loi de
Dieu et votre conduite ; mais en même
temps vous ne pouviez pas vous dissimuler, averti
par un instinct de conscience qui a
précédé tous mes raisonnements
et que vous eussiez vainement cherché
à étouffer par les vôtres, que
votre conduite n'est pas conforme à la
loi.
Que vous restait-il après cela, que
pouvait-il vous rester pour échapper
à l'attente d'une condamnation
certaine, sinon que la loi
fût rendue conforme à votre conduite,
c'est-à-dire qu'elle fût
mitigée ?
Et là-dessus vous avez admis sans autre
preuve qu'elle sera mitigée en effet, parce
qu'il fallait, ou qu'il en fût ainsi, ou que
vous fussiez condamné, ce que vous ne
vouliez pas absolument vous avouer. En sorte que
l'invention même d'une loi mitigée,
à laquelle vous recourez comme à une
dernière ressource pour échapper aux
frayeurs du jugement, achève de
démontrer combien vous avez sujet de le
redouter !
Mais prenez-y garde. En concevant cette
espérance illusoire, vous ne faites pas
seulement une chose inutile quant à vous,
mais vous commettez une grave offense contre Dieu.
Car sur qui comptez-vous pour mitiger la loi, si ce
n'est sur le législateur
lui-même ?
C'est-à-dire que vous vous figurez Dieu sous
l'image d'un père faible, pour ne pas dire
d'un vieillard débile, dont on peut tout
obtenir par les larmes ; que des
circonstances, qu'il n'a pas prévues
sans doute, font changer de dessein ; et qui,
selon ce mot bien connu, « n'aura pas le
courage de damner » ; un Dieu qui
rétracte ses menaces, qui compose avec la
corruption de l'homme, et qui n'ose apporter
à son tribunal qu'une loi accommodée
aux péchés de sa
créature !
J'ai vu, sous un ciel étranger, à la
porte d'une église, une petite statue de
bois peinte en rouge, qui figurait un vieillard
avec une longue barbe tenant dans les mains un
crucifix, et qui était surmontée
d'une planche triangulaire : c'était le
Père éternel,
couvert de l'emblème de la Trinité,
qui présentait le Fils aux hommes... Vous
frémissez - ah ! réservez
plutôt voire indignation pour
vous-mêmes ! Car après tout ces
adorateurs aveugles n'avaient prêté
à Dieu que le corps et la forme de l'homme,
et n'avaient mérité que ce
reproche : « À qui ferez-vous
ressembler le Dieu fort
(Esaïe
XL,18.) » ? mais vous lui avez
prêté les pensées même de
l'homme, ses faiblesses, sa connivence pour le
péché, et vous avez
mérité ce reproche plus accablant
encore : « Tu as estimé que
que j'étais comme toi
(Psaume L, 21.) », pour
pouvoir dire, en regardant ce Dieu
dépouillé de sa sainteté, et
cette loi mitigée que vous lui avez mise
dans la main : « Je puis mourir
tranquille, car j'ai accompli cette loi
là ».
À la bonne heure, je le veux, vous l'avez
accomplie. Mais prenez-y garde, au nom de Dieu, au
nom de votre âme, au nom du jugement,
prenez-y garde, mon frère
égaré : cette loi que vous avez
accomplie, ce n'est pas la loi de Dieu, ce n'est
pas la loi par laquelle vous serez jugé au
dernier jour.
C'est une loi que votre coeur corrompu et votre
conscience angoissée ont enfantée
ensemble ; une loi que vous avez dictée
vous-même à votre juge ; une loi
qui le déshonore, une loi qu'il repousse,
une loi qu'il rejettera avec indignation sur ses
auteurs comme la plus grave de toutes leurs
offenses contre sa majesté sainte.
Arrière donc, arrière
cette coupable doctrine d'une loi
mitigée ! arrière cette
espérance qui ne rassure l'homme qu'au
mépris de Dieu !
La loi de Dieu ne sera point adoucie.
La loi de Dieu est une, immuable, absolue,
éternelle.
La loi de Dieu est comme l'acier : on la
rompt, mais on ne la fléchit pas. Si donc
vous n'avez pas d'autre fondement a votre
tranquillité que l'espérance
d'être jugé d'après une loi
mitigée, vous vous séduisez
vous-même : cette loi mitigée est
une chimère ; ce fondement est
illusoire ; vous ne pouvez pas mourir
tranquille.
Je ne me flatte pas toutefois de vous avoir
entièrement convaincus. Je sais trop combien
cette doctrine d'une loi mitigée est
profondément enracinée dans le coeur
de l'homme pécheur. Je crois vous
entendre : « Non, vous ne me
persuaderez jamais que l'homme ne sera pas
jugé d'après une loi mitigée.
Je ne sais rien contre les arguments que vous venez
de nous présenter : mais j'en crois un
sentiment intérieur plus fort que tous vos
discours. »
Cette loi mitigée qui vous indigne tant est
après tout une nécessité, une
justice, une vérité enfin ; je
le sens, je le sais, j'en suis sur ».
Eh bien, soit : j'admets pour un moment
l'inadmissible doctrine d'une loi
mitigée ; je veux supposer que les
choses se passeront exactement comme vous
l'imaginez : vous n'y aurez rien
gagné ; même alors vous ne pouvez
pas être assuré que vous ne serez pas
condamné.
La loi de Dieu est devenue tolérante, selon
vous ; mais vous ne pensez
pas qu'elle soit devenue indifférente.
Résultat d'une combinaison de la
sainteté de Dieu avec la faiblesse de
l'homme, la loi mitigée a un
élément de condescendance qui tient
à la faiblesse de l'homme, mais elle a aussi
un élément de
sévérité qui tient à la
sainteté dé Dieu. Elle autorise une
certaine mesure de relâchement et admet dans
le royaume de Dieu des hommes qui n'ont pas
accompli toute sa volonté ; mais elle
n'autorise pas tous les vices et n'admet pas
indistinctement dans le royaume de Dieu tous les
hommes, jusqu'aux plus vils
scélérats : vous n'oseriez le
penser. Si elle n'exige pas que vous ayez
gardé tous les commandements de Dieu, elle
exige du moins que vous en ayez observé.....
quoi ?
Sans doute ce que l'homme en peut observer dans son
état actuel. Ici je pourrais vous
arrêter et vous demander si vous avez fait
seulement ce que vous avez pu, je dis ce que vous
avez pu dans votre état actuel ; si
vous n'avez pas négligé le bien que
vous auriez pu faire tel que vous êtes, ou
fait le mal que vous auriez pu ne pas faire tel que
vous êtes ; et si par conséquent
vous n'avez pas transgressé jusqu'à
la loi mitigée, mitigée par
vous-même ?
Je pourrais vous demander s'il y a un seul homme au
monde qui puisse dire : « J'ai fait
ce que j'ai pu » ; un seul homme qui
n'ait pas transgressé jusqu'à la loi
mitigée, mitigée par l'homme
lui-même ?
À ce point de vue, la question qui nous
occupe serait tranchée en
deux mots : car si vous n'avez pas même
gardé la loi mitigée, si nul homme ne
l'a gardée, comment pourrait-elle vous
rassurer, ou rassurer qui que ce soit à
l'heure de la mort ?
Mais laissons cela : je n'ai pas besoin de
vous convaincre d'avoir viole votre loi
mitigée ; il me suffit de vous montrer
que vous ne pourrez jamais être certain de
l'avoir observée, c'en est assez pour que
vous ne puissiez pas mourir tranquille.
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