Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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MÉMOIRES D'UN PROTESTANT
CONDAMNÉ AUX GALÈRES DE FRANCE
POUR CAUSE DE RELIGION.




Suite
(p 512)

Les seigneurs et dames, ayant parcouru la galère d'un bout à l'autre sur le coursier, reviennent à la poupe, s'asseyent sur des fauteuils; et le comite, ayant reçu l'ordre du capitaine, commande l'exercice à la chiourme au son du sifflet. Au premier temps, ou coup de sifflet, chacun ôte son bonnet de dessus la tête ; au second, la casaque; au troisième, la chemise. On ne voit alors que des corps nus. Ensuite on leur fait faire ce qu'on appelle en provençal la monine ou les singes. On les fait coucher tout à coup dans leurs bancs. Alors tous ces hommes se perdent à la vue. Après on leur fait lever le doigt indice ; on ne voit que des doigts ; puis le bras; puis la tête; puis une jambe; puis les deux jambes ; ensuite tout droits sur leurs pieds : puis on leur fait à tous ouvrir la bouche; puis tousser tous ensemble, s'embrasser, se jeter l'un l'autre à bas, et encore diverses postures indécentes et ridicules, et qui, au lieu de divertir les spectateurs, font concevoir aux honnêtes gens de l'horreur pour cet exercice, où l'on traite des hommes, et qui plus est, des hommes chrétiens, comme s'ils étaient des bêtes brutes.

Ces sortes d'exercices, comme j'ai dit, arrivent très fréquemment dans l'hiver comme dans l'été. Voilà donc l'occupation de la chiourme pendant le cours de l'hiver. Lorsque le mois de mars vient, ces occupations se multiplient chaque jour, par de nouvelles fatigues. On ôte du fonds de cale toute la saure; c'est le lest ou ballast de la galère, qui est tout de petits cailloux gros comme des oeufs de pigeon. Tous ces cailloux se montent du fond de cale en haut par les écoutilles, dans des mannequins d'osier, lesquels on passe de main en main remplis de ces cailloux jusque sur le quai devant la galère, où deux hommes sont commandés par banc, avec des seaux pour puiser de l'eau de la mer à force, pour laver cet affreux monceau de cailloux , et les rendre nets comme des perles. Quand ils sont secs, on les rentre dans la galère. Cette fatigue dure sept à huit jours, y compris le temps qu'on emploie, pendant que la saure est à terre, à caréner la galère, pour la radouber et calfater ; ce qui occasionne aussi une grande fatigue aux galériens. La galère étant redressée, chaque jour jusques à ce qu'on l'arme, produit nouvelle occupation.

Premièrement, on visite les câbles des ancres dans la galère ; ensuite tout le cordage neuf s'approprie, et on le passe ou tiraille autour de la galère à force de bras pour le rendre souple et plus maniable. Cette occupation dure plusieurs jours. Vient ensuite la visite des voiles; et, s'il en faut faire de neuves, c'est le maître comite qui les coupe, et les forçats les cousent ; car il n'y a point de voilier sur les galères. Il faut aussi coudre les tentes neuves, raccommoder les vieilles, de même que les pavillons de rambade, et ceux qui servent aux lits des officiers, et enfin tant d'autres ouvrages, qu'il m'est impossible de les tous particulariser. Cela dure jusqu'au commencement d'avril, qui est d'ordinaire le temps, où la cour envoie ses ordres pour armer les galères.

Cet armement commence par espalmer les galères. Pour cet effet on renverse une galère sur une autre qui la soutient, tant que la quille ou carène de cette galère renversée se découvre hors de l'eau. Alors on frotte tout ce côté de la galère depuis la quille jusqu'en haut, de suif fondu; après quoi on la renverse de l'autre côté, et on la frotte de même. Voilà ce qu'on appelle l'espalmage, qui est la plus rude de toutes les fatigues à la vogue près. Ensuite on arme la galère de son artillerie, mâts, ancres, cordages, vivres et munitions; et tout ce rude ouvrage se fait par la chiourme, qui s'en trouve si harassée, qu'on est obligé souvent d'attendre quelques jours pour mettre en mer, afin de lui donner le temps de se refaire.

De quelle utilité sont les galères pour un État par opposition aux navires de guerre.
Il est avéré que les galères sont d'une grande charge à un État, soit républicain ou monarchique, par l'excessive dépense requise à leur entretien. Il est facile de le comprendre, si l'on se rappelle que les galères sont toujours entretenues soit en paix soit en guerre, en hiver désarmées comme en été armées. Leurs nombreux équipages, tant officiers, soldats que mariniers, reçoivent toujours la même paye, qui est beaucoup plus forte que celle des équipages des navires de guerre ; au lieu que ces derniers, en temps de paix, ou lorsqu'ils sont désarmés, ne demandent d'autre entretien, que celui des officiers majors.
Je reconnais, que les galères des républiques d'Italie ne coûtent pas à beaucoup près autant que les galères de France, par le ménagement que ces républiques y apportent. Tout le monde sait, que diverses galères de ces républiques appartiennent à de puissants particuliers, sous la protection de leurs États; et que,lorsque ces mêmes États en ont besoin, ils payent un subside à ces particuliers ; ce qui occasionne un grand ménagement. D'ailleurs ces États d'Italie retirent de l'utilité des galères, soit en ce qu'elles gardent leurs côtes des irruptions des barbares, à quoi elles sont toujours exposées, soit en ce qu'elles vont en course continuellement contre ces barbares, dont elles retirent même du profit par les esclaves qu'elles font; ce qui compense en quelque manière les dépenses qu'elles coûtent. Il n'en est pas ainsi des galères de France. Elles ne sont point occupées à garder les côtes de l'irruption des infidèles. Ces côtes y sont beaucoup moins exposées par leur situation; et la France par sa puissance, sait bien réprimer l'insolence et la piraterie des écumeurs de mer, sans être obligée de mettre ses galères à leurs trousses. De quelle utilité sont donc les galères de France par rapport à l'État ?
Je réponds suivant mes petites lumières, et par l'expérience que j'en ai eue, pendant douze ans que j'ai été sur ces bâtiments dans la mer Océane. Les galères y ont eu plus de succès dans ce temps-là, qu'elles n'en ont eu durant un siècle dans la Méditerranée; et tous ces succès pourtant aboutissent à deux ou trois vaisseaux de guerre ennemis, qu'elles y ont pris, et pas un navire marchand, quoique la mer en fût couverte. Je ne parle pas ici des alarmes continuelles qu'elles donnaient aux côtes d'Angleterre, mais dans un bien petit espace dans la Manche, et sans aucun autre effet que de tirer des volées de canons dans le sable des dunes, sans jamais y avoir fait ni tenté aucune descente, excepté celle de Harwich, qui fut manquée.
On me demandera, quelle vue pouvait donc avoir la France, d'entretenir sous le règne de Louis XIV quarante galères, avec des dépenses si immenses? Je n'y en vois que celles-ci. Premièrement, pour faire voir sa grande puissance ; en second lieu, pour entretenir un grand nombre de gentilshommes, la plupart cadets de famille, qui n'ont guère tiré de leur patrimoine que l'éducation. La plus grande partie étant chevaliers de Malte, ce qui ne leur procure que peu ou point de revenu, sont réduits, pour soutenir leur état et leur noblesse, aux bienfaits du Roi, qui les avance suivant leur mérite et leur naissance : et l'entretien d'un si grand nombre de galères en fournit l'occasion; car presque tous les officiers majors des galères sont chevaliers de Malte.
Troisième raison: Le royaume de France étant fort grand et fort peuplé, il ne se peut qu'il ne s'y trouve beaucoup de malfaiteurs de toute espèce ; et pour les réprimer et punir leurs crimes, un si grand nombre de galères étaient nécessaires. Outre que dans ce temps là on condamnait aux galères les déserteurs des troupes., ce qui peuplait abondamment les chiourmes.

Pour ce qui regarde l'utilité, que l'État en retire, elle est de peu de conséquence. En temps de paix, les galères ne servent qu'à transporter quelquefois, des personnes de distinction à Rome ou autres États de l'Italie, comme cardinaux, ambassadeurs, et autres, par ordre du Roi. En ce cas, une ou deux galères sont commandées. Hors de là, les galères restent dans le port de Marseille sans rien faire; ou si on en arme une escadre de cinq ou six, ce n'est que pour aller sur les côtes d'Italie pour se faire voir et faire respecter le pavillon, ou pour exercer les chiourmes et les équipages.

Reste donc à demander, à quoi les galères sont utiles en temps de guerre? Je réponds comme ci-dessus, qu'elles sont de très peu d'utilité, principalement dans la mer Océane, où les galères ne peuvent naviguer qu'avec beaucoup de peine, à cause du flux et du reflux, qui se fait sentir plus violemment aux côtes qu'en pleine mer. Or la construction des galères ne leur permet pas de s'y engouffrer, ni d'abandonner la côte de vue; et lorsqu'elles se trouvent dans la nécessité de le faire, pour faire route d'un port à un autre un peu éloigné, elles prennent de grandes précautions, et observent de prendre pour cela un temps fort calme, et où la mer soit fort unie; ce qui arrivant peu souvent dans l'Océan, elles se morfondent des temps infinis dans le port pour attendre quelque occasion pareille. Par les mêmes raisons, les galères ne sont pas propres à aller en course contre l'ennemi ; et il leur est très rare de trouver l'occasion de le combattre ; puisqu'elles ne peuvent s'éloigner que de fort peu de distance de la côte pour aller chercher les vaisseaux ennemis soit de guerre ou marchands, qui ne naviguent jamais mieux qu'en haute mer. D'ailleurs elles ont une autre très grande difficulté pour le combat ; c'est que les galères ne peuvent absolument en livrer aucun, qu'en temps calme. C'est là leur fort ; car pour lors elles ont le choix d'attaquer les plus formidables navires, ou de les éviter; et elles peuvent se retirer impunément, après avoir attaqué et maltraité de tels navires; mais s'il fait assez de vent pour que les navires puissent faire servir leur voiles, dix galères n'oseraient attaquer la moindre frégate: mais elles se retirent incessamment dans leur port; car si le vent est assez fort, une telle frégate, faisant force de voile sur les galères, leur passerait facilement sur le corps, et les coulerait à fond, à cause de la construction basse et légère de cette sorte de bâtiments.

Il reste à voir, si les galères sont utiles à seconder une armée navale dans un combat ? Elles le seraient effectivement, si le temps et le lieu du combat se trouvaient leur être favorables ? En ce cas, les galères peuvent servir très utilement pour remorquer et retirer hors du combat les navires démâtés et endommagés, et en remorquer quelque autre à la place. Mais pour cela il leur faut un temps calme, et tout à fait sans vent, pour les raisons dites ci-dessus. Mais la grande difficulté pour les galères, c'est de se trouver en pareil combat naval ; parce qu'une armée, qui cherche l'ennemi, n'a pas le choix du lieu pour l'attaquer, et qu'il faut presque toujours le chercher en haute mer; et les galères n'osent pas se trouver vingt-quatre heures hors de la vue de terre.
Outre cela les vaisseaux de guerre ne peuvent naviguer qu'avec un vent assez fort, pour chercher à combattre l'ennemi, et les galères ne peuvent supporter un tel vent; si bien qu'il est comme impossible, que les galères se trouvent à un combat naval. Tout ce que les galères peuvent faire de plus utile, ce serait de faire quelque descente en terre d'ennemi, pour piller et brûler quelque village; et ces descentes ne peuvent être que de peu de conséquence, parce que les galères ne peuvent prendre à leur bord que fort peu de troupes de renfort, n'y ayant pas de place; car les cinq cents hommes, qui forment l'équipage et la chiourme d'une galère, la remplissent totalement: et de ces cinq cents hommes on ne peut mettre à terre qu'environ cinquante ou soixante hommes par galère; le reste devant n'en pas bouger pour y garder trois cents hommes de chiourme, qui sont plus à craindre pour eux que l'ennemi de dehors. Aussi les galères de Dunkerque, pendant douze ans qu'elles y furent, n'entreprirent jamais de descentes, soit à la côte de Hollande, ou à celles d'Angleterre. De tout ceci on peut aisément conclure, que les galères dans la mer Océane ne sont que de peu d'utilité.

Dans la mer Méditerranée, les galères y naviguent avec plus de facilité, tant à cause que dans cette mer là, il n'y a point de flux et reflux, que parce que la bonace ou calme y règne incomparablement plus que dans l'Océan. Mais les mêmes difficultés se trouvent pour que les galères puissent s'y joindre à une armée navale, qui cherche l'ennemi pour le combattre; car les navires de guerre ont besoin d'un vent fort, pour naviguer; et les galères, par leur construction, ne peuvent y tenir sans s'exposer à périr.
Tout l'avantage donc qu'on peut espérer des galères dans la Méditerranée, c'est que, comme le calme y règne souvent, il peut s'y trouver des navires ennemis, soit de guerre ou marchands, qui soient surpris par la bonace. Pour lors les galères, qui rencontrent quelque navire dans cet état, l'ont belle pour s'en rendre maîtres, ou le couler à fond, s'il est trop fort pour le pouvoir prendre à l'abordage. C'est presque l'unique utilité qu'on peut se proposer des galères dans la Méditerranée; car pour des descentes à la côte, soit de l'Italie ou de Catalogne, qui se trouvent dans ces mers là, elles ne l'entreprennent jamais par la raison que j'ai dite plus haut.
Il peut aussi arriver un combat d'une escadre de galères contre une autre des ennemis. Mais ces rencontres ont rarement lieu; parce que de tels combats ne décident de rien de conséquence, et qu'en un mot il n'y a que des coups à gagner: car quand l'ennemi s'est engagé au combat, s'il voit qu'il a du dessous, il a le même avantage pour fuir que son ennemi trouve à le poursuivre. Comme il ne s'agit que de ramer, et non de faire voile, que des galères ayant le dessus ou le dessous du vent, cela leur est tout un. Et ce que je dis est tellement vrai, qu'on n'a jamais vu prendre des galères sur l'ennemi par d'autres galères. On n'a même de mémoire de tels combats donnés de galère contre galère, que dans la guerre, qui précéda la paix des Pyrénées. Alors une escadre des galères de France en rencontra une des galères d'Espagne dans la mer Méditerranée; et l'action fut fort sanglante.

J'ai connu un vieux turc, esclave sur notre galère, qui s'était trouvé à ce combat. Il disait, que les galères d'Espagne s'accrochèrent aux galères de France à l'abordage, et que ces dernières auraient eu du dessous, n'eût été qu'on s'avisa de donner dans chaque banc aux galériens une corbeille pleine de cailloux pour repousser les Espagnols, promettant aux dits galériens leur liberté, si les Espagnols étaient repoussés; à quoi ils réussirent; car par cette grêle de cailloux les Espagnols furent dans l'obligation de lâcher prise ; mais pas une galère de part et d'autre n'y périt. Cependant on ne tint pas parole aux galériens français, et ce fut comme dit le proverbe italien : passala la festa, gabato il santo; qui veut dire, la fête passée on trompe le saint. Depuis ce temps-là, on n'a plus vu de tel combat; car comme il est facile au parti le plus faible d'éviter d'en venir aux mains, cela ne manque jamais d'arriver dans les occasions.

Les galères ont une autre grande incommodité, lorsqu'il se présente quelque occasion de se battre contre les navires de guerre. Car trois cents hommes, qui composent la chiourme, sont autant d'ennemis, qui veillent continuellement à se procurer leur liberté, soit à force ouverte, ou autrement; et pour empêcher leur révolte, on est obligé de prendre contre eux autant et plus de précautions que contre l'ennemi même qu'on va attaquer. Aussi l'on met les menottes aux mains des forçats; on braque deux pièces de canon à la poupe, chargées à mitraille, l'une pointée sur la droite, et l'autre sur la gauche de la galère, pour les décharger sur la chiourme en cas du moindre mouvement. Outre cela, de cent soldats qu'il y a sur une galère, cinquante sont ordonnés pour la garde de la chiourme, et ont toujours sur elle le fusil bandé et couché en joue en cas de révolte. Et malgré toutes ces précautions, les officiers ne sont pas peu intrigués, et ont toujours plus de peur des chiourmes que de l'ennemi : car s'il arrivait, que les chiourmes fissent le moindre mouvement, il en faudrait venir au remède extrême, qui est d'en tuer la plus grande partie; ce qui serait pire que le mal; car la chiourme étant les jambes de la galère, sa perte par là se trouverait inévitable.

Voilà ce que j'ai pu remarquer des galères en général, par rapport à leur fort et à leur faible, par opposition aux navires de guerre, qui n'ont pas à beaucoup près tant de difficultés ni d'incommodités pour combattre les galères, comme ces dernières en ont pour combattre les navires. De tout ceci on peut conclure, que la dépense pour l'entretien des galères est très grande, et leur utilité très petite. Aussi la France en a-t-elle bien connu la conséquence, par la réforme des trois quarts de ses galères, qu'elle fit pendant la régence et la minorité de Louis XV, qui règne si glorieusement aujourd'hui.

Après avoir fini ces mémoires, je me suis aperçu, que j'avais oublié de marquer à sa place, à la suite de l'histoire du combat et de la prise de la frégate anglaise, le Rossignol, la destinée du capitaine Smit de détestable mémoire. Il reçut peu de temps après le digne loyer de sa trahison par l'événement que voici.
On a vu plus haut, que la Reine Anne d'Angleterre avait confié en l'année mil sept cent huit le commandement d'un navire de haut- bord, garde-côte, au capitaine Smit, bon soldat et bon homme de mer; mais papiste caché, et qui nourrissait dans son coeur une haine implacable contre sa patrie, comme il le fit bientôt paraître. Car ayant, comme je l'ai dit, vendu son navire à Gottenburg en Suède, et congédié l'équipage, il fut présenter ses services militaires au Roi de France contre l'Angleterre sa patrie. J'ai dit aussi, que ce monarque le reçut bien, et qu'il lui promit de lui donner la première place vacante de capitaine de haut-bord, et qu'en attendant il fut servir comme volontaire sur la galère du chevalier de Langeron, à Dunkerque.
On n'a jamais vu un homme si animé contre les Anglais, que cet infâme traître l'était. Sitôt que quelque corsaire de Dunkerque faisait quelque prise sur les Anglais, comme il arrivait souvent, cet ennemi irréconciliable de ses compatriotes ne manquait jamais d'aller aux prisons, où on tenait les équipages de ces prises: il les injuriait, et leur aurait arraché les yeux, s'il lui eût été permis. Il donnait de l'argent au geôlier, et aux sentinelles, qui gardaient ces pauvres prisonniers, afin qu'ils les empêchassent de recevoir les charités des bonnes âmes; et si nous autres cinq protestants, qui étions sur la galère du chevalier de Langeron, où il était aussi, n'avions pas eu ce chevalier pour ami, il n'aurait pas manqué chaque jour de nous faire rosser à coups de corde, comme il le conseillait à tout moment à ce commandant, parce que nous étions de la religion des Anglais ses ennemis. Ce traître était si acharné contre sa patrie, qu'il ne faisait que former projet sur projet pour nuire à l'Angleterre. Et comme il en connaissait parfaitement toutes les côtes, et qu'outre cela il avait de l'esprit et de l'expérience dans la guerre, ces projets plaisaient beaucoup aux bons Français, qui n'estimaient cependant guère sa personne. Enfin il fit celui d'aller piller et brûler la petite ville d'Harwich, sur les côtes de la Tamise; projet qu'il envoya en cour de France, et qui fut approuvé, comme je l'ai dit; et manqué, comme on l'a vu, par le combat que nous eûmes à l'embouchure de cette rivière.

De retour de cette expédition dans le port de Dunkerque, Smit voulait à cor et à cri, que nous allassions avec les six galères recommencer la même entreprise. Mais notre commandant n'y voulait pas consentir, alléguant qu'outre la saison, qui n'était plus propre pour la navigation des galères, elles se trouvaient par ce dernier combat hors d'état de mettre en mer, non seulement par la ruine des équipages, dont une grande partie avait été tuée ou blessée; mais aussi par la perte et la destruction des mâtures et des agrès, dont les magasins du Roi étaient alors fort dépourvus. Tout cela n'empêchait pas le capitaine Smit de blâmer la nonchalance du commandant et des officiers des galères. Il en écrivit en cour. Notre commandant y envoya de son côté un procès-verbal, où il alléguait les raisons susdites, qui le mettaient hors d'état de rien entreprendre. Tout cela attira la jalousie ou plutôt la haine de nos officiers au susdit Smit, et lui causa sa perte, comme on le va voir.

Le capitaine Smit ne se rebutant pas du refus que la cour lui faisait de lui confier les six galères pour son expédition, fit un autre projet, et demanda qu'on lui accordât deux navires de guerre à ses ordres. Ces deux navires étaient armés, et dans le port de Dunkerque; l'un de quarante pièces de canon, et l'autre, une petite frégate, fabrique anglaise, de vingt-quatre pièces. Il prétendait, qu'avec ces deux navires il brûlerait Harwich, comme il aurait pu faire avec les six galères. La cour accepta son projet avec ordre de l'exécuter incessamment; mais ne lui laissa que le commandement de l'entreprise, et non celui des deux navires. Un capitaine de galère monta le plus gros comme amiral, et un lieutenant, aussi des galères, comme capitaine de la frégate; et Smit comme commandant à la descente de Harwich.
Les deux navires mirent en mer au mois d'octobre mil sept cent huit et firent route pour la Tamise. Mais à la vue de cette côte, ils aperçurent un navire de guerre anglais, garde-côte, de septante pièces de canon. Cette vue les intrigua, et l'amiral ayant tenu conseil avec le capitaine Smit, il fut conclu d'aller croiser quelques jours au Nord pour distraire le garde-côte de leur dessein, et de revenir lorsqu'il n'y serait plus; ce qu'ils firent en effet. Mais au bout de deux ou trois jours, étant revenus, ils aperçurent soit le même garde-côte, ou un autre de la même force. Inquiets de ce contre-temps, ils tinrent de nouveau conseil de guerre. Smit soutenait fort et ferme que leurs deux navires étant extraordinairement bien armés, ils étaient capables d'aborder et de prendre le garde-côte, tout formidable qu'il était. L'amiral et le capitaine de la frégate n'étaient pas de ce sentiment; mais Smit s'opiniâtra si fort à tenter cette fortune, qu'il fit pencher la balance de son côté. On stipula seulement qu'il monterait sur la petite frégate, comme étant un navire léger, et qu'il irait reconnaître le garde-côte; qu'après en avoir examiné le fort et le faible, il ferait signal au navire amiral pour se joindre à lui et tenter l'entreprise; mais qu'il ne s'approcherait pas trop près du garde-côte et qu'il éviterait sa bordée, de peur d'être coulé à fond.

Suivant cette résolution, l'amiral se tint en panne, et Smit à force de voile fut, avec sa petite frégate, reconnaître le navire anglais qui, par mépris d'un objet si peu capable de l'émouvoir, se tenait en panne. Smit, contre l'avis des officiers de sa frégate, avança si proche du garde-côte, et eut l'imprudence de se mettre si fort à portée de recevoir sa bordée, que l'Anglais, en effet, la lui lâcha toute de la manière la plus furieuse. Cette bordée fit l'effet de démâter la frégate de tous ses mâts et la mit hors d'état de se sauver du péril inévitable d'être prise ou coulée à fond. L'amiral français voyant ce désastre, bien loin de venir secourir sa conserve, comme il l'avait promis, en cas d'accident, fit force de voile vers Dunkerque, où il arriva pour porter la nouvelle de la perte du capitaine Smit et de la frégate.

D'abord que le garde-côte vit le vaisseau ennemi démâté et hors d'état de lui échapper, il lui cria de son bord d'amener le pavillon et de se rendre ; sans quoi il allait couler à fond. Smit n'en voulait rien faire, aimant mieux périr les armes à la main que par celles du bourreau de Londres. Mais il n'était pas le plus fort sur son bord : car officiers, soldats et matelots le menacèrent de le jeter à la mer, s'il ne consentait à se rendre. Il fut donc obligé à y consentir: mais il imagina un moyen de se soustraire à la main du bourreau. Il prend une mèche allumée, qu'il cachait dans sa manche, et voulut descendre à la soute à poudre pour y mettre le feu et faire par là sauter la frégate en l'air.
La sentinelle de la soute à poudre l'arrêta, et ayant crié à ses camarades que Smit voulait mettre le feu à la frégate, on se jeta sur ce misérable; et l'ayant attaché bras et jambes au tronçon du grand mât, ils amenèrent le pavillon et crièrent au garde-côte qu'ils se rendaient à discrétion. L'Anglais envoya ses chaloupes bien armées et commandées par un officier de son bord, pour prendre possession de sa prise. Y étant entrés sans la moindre opposition, car tout l'équipage criait: quartier; les Anglais aperçurent d'abord le capitaine Smit lié et garrotté au pied du mât. Il fut aussitôt reconnu et conduit à bord du garde-côte, qui fit une décharge de tous ses canons en réjouissance, bien plutôt de ce qu'ils tenaient cet insigne traître, que du gain de la prime de mille livres sterling, qui était sur sa tête. Il fut d'abord conduit à Londres, où son procès lui fut bientôt fait: et quoiqu'il offrît lâchement de se faire protestant pour obtenir sa grâce, il fut condamné à être écartelé tout vif, ce qui s'exécuta de la manière qu'on fait aux traîtres en Angleterre, en leur frappant le visage de leur cœur palpitant. Et j'ai vu l'année mil sept cent treize, que je fus à Londres, les quartiers de son corps exposés le long de la Tamise. Grande leçon pour ceux qui, comme lui, s'abandonnent à leur passion jusqu'à cet excès, que de trahir leur propre patrie!

FIN.


PIÈGES JUSTIFICATIVES.

I. Les Caumont-Laforce.

La famille des Caumont-Laforce, de la plus illustre noblesse de Guyenne, a dû sa célébrité et sa grandeur aux guerres de religion qui déchirèrent la France au seizième siècle. Elle nous offre le dramatique tableau des destinées les plus glorieuses et les plus lamentables, d'une piété fervente et d'une triste apostasie, d'une fortune, dont la grandeur ne fut dépassée que par la profondeur de la chute.
Un de ses membres, par ses romanesques aventures, a fourni à un peintre célèbre sa plus touchante inspiration; son chef vénérable a légué à la postérité des mémoires qui ne sont pas indignes de figurer à côté de ceux d'Agrippa d'Aubigné; une femme a jeté sur son écusson militaire le lustre délicat de la grâce et de l'esprit. La France lui doit quelques-uns de ses plus excellents officiers, l'Église réformée quelques-uns de ses plus dévoués défenseurs.
Charles II de Caumont, seigneur de Castelnaut et de Montpouillant, et qui vivait dans les premières années du seizième siècle, eut six fils; tous embrassèrent la Réforme. L'un d'eux, Geoffroy, abbé de Clairac, se convertit, en 1562, à la foi évangélique; son fils mourut quelques années après lui.
François, l'aîné, joua un certain rôle dans les guerres de religion.
François de Castelnaut, né en 1524, marié, en 1554, à la veuve de la Châtaigneraye, suivit à contre-coeur Jeanne d'Albret à Paris pour le mariage de Henri de Navarre, et périt quelques heures après l'amiral, le 24 août 1572, ainsi que son fils aîné. Son jeune fils, Jacques Nonpar (né le 30 octobre 1558), par une soudaine inspiration du ciel, s'étendit à côté de son père, en s'écriant: «Je suis mort!» bien qu'il n'eût reçu aucune blessure, et, par cette ruse, sauva sa vie. A la chute du jour, quand tout fut rentré dans un sinistre silence, il se fit connaître à un pauvre marqueur du jeu de paume, et put, enfin, après huit jours d'angoisses mortelles, traqué de près, et menacé par la rage aveugle des persécuteurs, trouver un sûr asile auprès d'un de ses oncles, à Castelnaut des Mirandes. Sa vie héroïque et aventureuse mérite d'être résumée en quelques mots.

Le proscrit de la Saint-Barthélemy entra bientôt au service du roi de Navarre, et occupa rapidement une place importante dans l'affection de son maître. Nommé au gouvernement de Sainte-Foy, il contribua, par ses sages avis, à une réconciliation sincère du Béarnais et de Henri III, et prit part à toutes les guerres de la Ligue. Nous le voyons faire lever, en 1586, le siège de Castex, défendre Marans avec succès, se distinguer, en 1587, à Anthogny, avoir, en 1589, deux chevaux tués sous lui à Arques.
Accouru du fond de la Guyenne, pour prendre part à la bataille d'Ivry, il dirigea successivement les opérations des sièges de Paris, 1590, Noyon, 1591, Rouen, 1592.
Pendant deux années, il se concilia, par son administration sage et modérée, l'affection des Béarnais. L'ouverture des hostilités contre l'Espagne le trouva prêt à reprendre les armes.
L'un des héros du combat de Fontaine-Française, en 1595, il sut unir la sagesse de l'homme d'État aux talents de l'homme de guerre, et prit part aux travaux de l'assemblée des notables de Rouen, 1597.

Fidèle à la foi, que son père martyr avait scellée de son sang, il refusa toutes les offres séduisantes d'un roi apostat, et sut concilier sa loyauté envers son roi à sa fidélité envers son Dieu. Aussi Henri IV, rendant hommage à sa loyauté et à sa droiture, ne craignit pas de lui confier, en 1599, l'oeuvre difficile de la pacification du Béarn. Il eut, en 1600, l'honneur de présenter à la cour le vénérable Théodore de Bèze, et lors de l'assassinat du roi par les jésuites, 1610, la reine régente jeta les yeux sur lui, pour calmer les justes alarmes des protestants, et le délégua à l'assemblée de Saumur.
Laforce, aussi modéré que brave, refusa de prendre part au premier soulèvement de Condé; éclairé par Duplessis-Mornay, il ne voulut pas compromettre la cause de l'Évangile au service de brouillons et d'ambitieux, qui ne reculaient pas devant l'intervention étrangère, et tendaient à former un État dans l'État. Mais il fut lui-même entraîné dans le mouvement, qui devait se terminer par la prise de La Rochelle, fruit déplorable de cette funeste alliance en France du calvinisme et de la noblesse, et qui a tant contribué à rendre notre noble cause si peu populaire.
Député de la Basse-Guyenne auprès de l'assemblée de Grenoble, Caumont-Laforce tenta le projet hardi de s'emparer du roi dans sa marche sur Bordeaux ; trahi par un subalterne, il reçut bientôt sa grâce, et se retira dans le Béarn, l'un des centres de la révolte, et qui se vit contraint de rétablir le catholicisme, et de rendre aux prêtres leurs propriétés confisquées pour le bien public, malgré la protestation solennelle des États, qui revendiquèrent leurs franchises. Louis XIII entra en conquérant dans la ville de Pau, le 15 octobre 1620, et la dépouilla de ses priviléges.
L'assemblée de La Rochelle, indignée des tendances catholiques du gouvernement, divisa l'Église de France en huit circonscriptions, et se réserva le droit de lever, sous l'assentiment du roi, des impôts et des troupes. La guerre devenait inévitable; signalé aux vengeances des catholiques, Laforce se réfugia en Guyenne; mais de toutes ses places fortes, Clairac et Nérac seules opposèrent quelque résistance aux royalistes, et, pendant que ses fils cherchaient un asile à La Rochelle, Laforce gagna Montauban, et réussit, grâce au concours loyal du ministre Charnier, à surmonter les préjugés populaires. Assiégée par le maréchal de Thémines, à la tête de 20,000 hommes, Montauban opposa, du 27 août au 20 novembre, une résistance héroïque; 8,000 royaux et le duc de Mayenne, frappé par Castelnaut-Laforce, succombèrent, et le siège fut levé.

La marquise de Laforce, digne d'être comparée aux héroïnes des premiers temps de la Réforme, sut, par son héroïsme et sa beauté, soutenir l'enthousiasme des huguenots. Laforce fit lever le siège des places de Gensac et Laforce, s'empara de Tonneins, et se vit condamné à mort par le parlement de Bordeaux (15 novembre 1621).
Le protestantisme français allait bientôt expier cruellement la faute impardonnable d'avoir associé les intrigues politiques et les brigues aristocratiques à la cause de l'Évangile; d'avoir, en un mot, foulé aux pieds la grande parole du Christ : Mon royaume n'est pas de ce monde.
Tous ces seigneurs, qui avaient vu dans la Réforme un moyen de parvenir, l'abandonnèrent pour ces misérables faveurs temporelles, qu'elle n'avait pu leur donner; Lesdiguières fut récompensé de son apostasie par le bâton de connétable ; Châtillon, petit-fils de Coligny, se vendit pour quelques écus; Laforce fit sa paix, sans renier sa foi, et reçut le bâton de maréchal de France. Seul, Rohan, ferme et incorruptible, se montra digne des Coligny et des Duplessis- Mornay.

La carrière du héros protestant est terminée; la victime échappée au 24 août 1572, l'illustre compagnon de Henri IV, le défenseur de la foi rentre dans la foule des courtisans et le train du monde, toujours vivant dans les camps; et comptant ses années par ses services.

En 1625, il couvre la Picardie contre les efforts des Espagnols, ne prend aucune part aux opérations de La Rochelle, et oublie la honte de sa chute dans les dangers de la guerre d'Italie.
En 1630, il force Pignerol, prend Saluces, débloque Casai. Un ennemi peu formidable, le faible et imbécile Gaston d'Orléans, vient de tenter une nouvelle révolte ; Laforce le défait à Florenville (Champagne), investit Nancy, et réduit le duc de Lorraine à capituler, poursuit Gaston en Languedoc, le défait à Pont-Saint-Esprit, et s'empare de Nîmes, dans laquelle les protestants étaient pour le roi. Deux mois après la prise de Lunel, il reparaît en Lorraine, assiège Nancy, et force les ennemis à repasser le Rhin. Il occupe Coblentz, Haguenau (31 janvier 1634), Saverne, investit Lunéville, Philippsbourg, et fait lever le siège de Heidelberg.

En 1635, il force Jean de Werth à repasser le Rhin, et délivre la Lorraine. Nommé duc et pair en 1637, il signale sa dernière campagne par la défaite de Piccolomini, et consacre ses dernières années à la rédaction de ses mémoires. Il mourut, le 10 mai 1652, à l'âge de quatre-vingt- quatorze ans.

Peu de vies ont été aussi bien remplies et aussi accidentées. De la Saint-Barthélemy à la Fronde, il assista aux événements de tout un siècle, guerres civiles et religieuses, intrigues et cabales, chute du protestantisme politique, affermissement de l'unité royale, gloire extérieure de la France.
Ce serait un des grands noms de la seconde génération protestante, s'il n'était effacé par Duplessis-Mornay et Rohan. Il eut huit fils et deux filles; il vit servir sous ses ordres trois de ses fils et deux de ses petits-fils, dont quelques-uns atteignirent une haute fortune militaire.
Son fils, Henri Nonpar (né en 1582), devint maréchal de camp en 1638; les fils de son fils, Pierre, marquis de Cugnac, et Armand, marquis de Montpouillant, obtinrent le même grade, le premier, en 1648, le second, en 1651.
Un autre de ses fils, Jean de Montpouillant, mourut, en 1620, d'une blessure reçue au siège de Tonneins. Armand, marquis de Montpouillant, resté fidèle à la foi de ses pères, émigra de France, en 1686, se retira en Hollande, et mourut, en 1701, lieutenant général, et comblé des faveurs du prince d'Orange.
Sa plus jeune soeur, Henriette de Caumont-Laforce, fut enfermée dans un couvent en 1686; à sa mort, le clergé fit courir le bruit qu'elle avait abjuré l'hérésie calviniste; mais la noble et malheureuse jeune fille, qui avait su, par sa douceur et sa résignation, se concilier la faveur de sa supérieure, lui avait remis une cassette de prix, dans laquelle on retrouva plus tard une confession vivante et touchante de sa pure foi évangélique.
Sa cousine germaine, Charlotte-Rose de Castelmoron (1650-1724), que l'on croit être morte catholique, se distingua par ses talents littéraires et par plusieurs romans historiques assez goûtés des contemporains.

L'arrière-petit-fils de Jacques Nonpar de Caumont-Laforce, le héros de la Réforme, et qui portait le même nom, fut l'une des victimes de la révocation de l'édit de Nantes et de l'infâme despotisme de celui que la postérité a appelé le Grand. Il avait à l'origine joué dans l'Église réformée le même rôle que ses ancêtres, et fut nommé, en 1660, député de la Basse-Guyenne au synode de Loudun.
Son Église se vit privée du droit de fief, en 1682, et lui-même fut conduit comme hérétique à la Bastille, le 29 juin 1689. Le Mercure galant rapporta bientôt sa conversion, celle de ses quatre fils, et ajouta que Sa Majesté avait daigné parler au duc sur sa conversion. Le Mercure, journal officiel, ment, puisqu'il raconte la conversion du duc en mai 1686, et que nous voyons le duc à la Bastille pour cause de religion en 1689.

La persécution remontait plus loin; le roi écrit lui-même au duc le 80 juin 1686 (Bulletin de l'histoire du protestantisme français, 1.1, 67); le 23 février, il lui dépêche le coadjuteur de Rouen pour triompher de son hérésie; tous les moyens lui sont bons dans l'intérêt de la sainte cause : rapt des enfants confiés aux jésuites, modeste pension assignée dans les couvents aux demoiselles de Caumont, et «qu'il faut régler au plus juste prix.»
Le jour où l'on conduisait le duc à la Bastille, un exempt conduisait la duchesse à Angers. Le 16 juillet, tous les papiers de la famille sont livrés à la police ; on prive le duc de ses domestiques enfermés dans la prison de Pont-de-l'Arche, et on les remplace par des catholiques. Le 14 septembre, le roi accorde comme une grande faveur à Mme de Caumont la permission de se promener pendant une heure sur la terrasse du château, et au duc, la grâce de voir, en présence de témoins, son médecin, s'il tombe malade.

Le 28 avril 1691, le duc fut transporté au couvent de Saint-Magloire ; les mauvais traitements finirent par ébranler sa constance. Ses domestiques, humbles serviteurs de Christ, restèrent fidèles jusqu'à la fin; mais le duc et pair succomba. Sa conversion ne fut pas bien profonde, puisqu'on crut devoir le garder à vue jusqu'à sa mort, arrivée le 16 avril 1699.

Sa fille aînée du premier lit, Jeanne, qui avait épousé, en 1682, le marquis de Courtaumer, apostasia la première, et entraîna, par son mauvais exemple, sa soeur Louise, que le roi lui avait personnellement confiée. Ses quatre soeurs du second lit furent religieuses.
Des fils, deux restèrent dans l'ombre ; l'aîné, Henri, duc de Laforce, né en 1675, et, qui fut converti à la foi catholique à l'âge de treize ans se montra le digne élève des jésuites, et se signala par sa rage aveugle contre ses anciens coreligionnaires. Il s'était marié, en 1697, à l'âge de vingt-deux ans ; mais à cette époque, sa foi était assez tiède, puisque le roi dut lui envoyer, pour la raffermir, un plus habile jésuite. Sans doute que les illustres souvenirs de sa famille, les portraits de ses aïeux tous morts au service de la bonne cause, les souvenirs religieux de l'enfance avaient sur lui quelque pouvoir. Mais que ne peuvent la cour, ses plaisirs, ses promesses, sur une âme vaine et ambitieuse!
En 1700, nous le voyons, pour faire sa cour au grand roi, et faire oublier un glorieux passé, gagner à prix d'argent ses paysans à la messe, et recevoir une gratification de 100,000 livres de rentes.
En 1701, il parcourt la Guyenne, à la tête de ses dragons et suivi de quatre jésuites; la force brutale, l'astuce et l'apostasie firent en quelques mois une ample moisson de victimes et de martyrs.

Nous empruntons à l'excellent recueil publié par M. Ch. Read, à ce Bulletin du Protestantisme qui sauve tous les jours de l'oubli quelques-uns des souvenirs du passé de notre Église, une des lettres que le noble élève des jésuites écrivait à M. de Pontchartrain, chancelier et garde des sceaux de France, pour se faire honneur auprès du roi Louis XIV des conversions au catholicisme qu'il s'efforçait d'opérer dans toute l'étendue de ses domaines. Cette lettre confirme pleinement le récit de Jean Marteilhe, et sert à montrer les moyens qu'on employait alors pour convertir.

A la Force, 15 octobre 1699.

« Monsieur,
«Les révérends pères jésuites commencèrent dimanche dernier à faire leur instruction dans l'une des chambres du château de la Force. La chapelle, comme j'ai eu l'honneur de vous le mander, n'étant pas encore en état, il s'y trouva environ trois ou quatre cents nouveaux convertis; mais, à la réserve de deux ou trois des principaux, il n'y avait que des paysans, quoique j'eusse régulièrement fait avertir tout le monde, comme vous avez vu, Monsieur, par la lettre que j'ai écrite aux curés.

Et voyant que les plus aisés des paroisses négligeaient de s'y trouver, je leur envoyai, lundi dernier, à chacun un billet pour leur dire de me venir parler: ils y sont venus presque tous; et lorsque je leur ai représenté que l'intention du roi était qu'ils s'instruisissent, et que Sa Majesté voulait qu'ils assistassent aux explications qui se font ici, j'en ai trouvé très peu de dociles, et quoique le nombre de ces principaux monte à plus de cent, il ne s'y en est trouvé mardi que dix ou douze.
Je ne compte point les paysans: car si cette centaine faisait son devoir, il est certain que tous les autres suivraient leur exemple, et que les églises, qui sont présentement désertes, se trouveraient remplies. J'ai déjà eu l'honneur de vous dire, Monsieur, dans une de mes lettres, que le voisinage de Bergerac et de Sainte-Foy est d'un grand obstacle pour les conversions ; je l'ai expérimenté dans cette dernière rencontre; car plusieurs, qui se disent bourgeois de Bergerac, et qui sont pourtant établis depuis longtemps dans le duché, quand on les presse de se faire instruire, vont y demeurer et se croient là, comme dans une ville de sûreté, à l'abri de toutes les instructions contre lesquelles ils sont fort en garde.
Mardi même, en ayant envoyé chercher sept ou huit devant que la conférence commençât, et leur ayant dit que le roi voulait qu'ils y assistassent, il y en eut quelques-uns qui balancèrent sur ce qu'ils avaient à faire; mais un d'entre eux, nommé Cheissac, sieur de Fongrave, qui demeure depuis douze ans dans le duché de la Force, prit la parole pour tous, en disant: «Nous sommes bourgeois de Bergerac, et quand le roi nous donnera ses ordres à Bergerac, nous verrons ce que nous aurons à faire. »
Cette parole, dite d'un air de mutinerie, acheva de déterminer tous les autres. Il s'en alla et ils le suivirent, quoiqu'un père jésuite fit tout ce qu'il put pour les faire entrer. La conférence commença ensuite, et, après une lecture de l'Écriture sainte et une prière en français, le père Dubois expliqua un point de controverse qui était celui de la perpétuité de l'Église, et demanda ensuite à tous les nouveaux catholiques, chacun en particulier, s'ils avaient quelques difficultés à proposer, et de ceux qui avouèrent être convaincus on en fit un état en forme de procès-verbal dont je vous envoie la copie.

Faites-moi l'honneur, Monsieur, de me mander ce que je ferai de l'original. Je fis ensuite appeler par mon secrétaire tous ceux à qui j'avais écrit de s'y rendre, pour savoir ceux qui ne s'y étaient pas trouvés, et j'ai ordonné au juge d'ici d'aller chez ceux-là et de leur demander s'ils refusent d'aller aux conférences, la raison pourquoi, et de dresser un procès-verbal de leurs réponses, dont j'aurai l'honneur de vous envoyer copie par le premier ordinaire. Mais je vous supplie, Monsieur, de me faire savoir comment le roi veut qu'on en use à l'égard de ceux qui refuseront absolument de s'y trouver, et encore à l'égard de ceux qui, ne se contentant pas de n'y pas venir, empêchent les autres de s'y rendre ou les raillent et leur disent des injures quand ils y ont été, les traitant de papistes et de renégats; car il est certain que l'exemple de ceux-là, qui sont les principaux et les chefs, attirera toute la populace, et qu'aussi, s'ils ne viennent pas, ceux même qui y assistent présentement discontinueront de le faire.

J'avais déjà eu l'honneur de vous proposer, Monsieur, deux moyens pour cela: l'un que le roi leur imposât quelque amende pécuniaire qui allât toujours en augmentant, applicable au rétablissement des églises détruites; l'autre, que Sa Majesté leur envoyât quelques cavaliers en garnison de ceux qui sont à Bergerac; car je puis vous assurer, Monsieur, qu'aussitôt qu'on aura réduit ces principaux, il ne restera plus ici de vestiges de l'hérésie.
De plus, si le roi voulait avoir la bonté de me donner dans chaque paroisse 200 ou 300 fr. de taille pour pouvoir soulager ceux qui font bien leur devoir, et la rejeter sur ceux qui ne le font point du tout, cela serait d'une grande efficace et le roi n'y perdrait rien; car, comme ils sont presque tous ici de la religion, les syndics et les collecteurs se soulagent les uns et les autres par l'espérance de la représaille.

J'attends sur tout cela les ordres du roi. Cependant, Monsieur, je continuerai trois fois la semaine à faire faire des instructions, y ferai venir ceux que je pourrai, ferai signer chaque point de controverse qu'on aura traité, à ceux qui assisteront et n'auront rien à dire contre, et, enfin généralement tout ce que je croirai pouvoir contribuer à les fortifier dans la religion catholique, apostolique et romaine.
Je suis toujours très sincèrement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
«Le duc De La Force.»

(Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme français, VIIIe année, page 144.)

II. Les Galériens protestants.

Nos filles dans les monastères,
Nos prisonniers dans les cachots,
Nos martyrs dont le sang se répand à grands flots,
Nos confesseurs sur les galères,
Nos malades persécutés,
Nos mourants exposés à plus d'une furie,
Nos morts traînés à la voirie,
Te disent (ô Dieu!) nos calamités.

Ton courroux veut-il nous éteindre,
Nous nous retirons dans ton sein,
De nous exterminer formes-tu le dessein,
Nous formons celui de te craindre,
Malgré nos maux, malgré la mort,
Nous bénirons les traits, que ta main sous appreste,
Ce sont les coups d'une tempête,
Mais ils ramènent dans le port.

Ces vers admirables de profondeur héroïque et de conviction chrétienne, que M. le pasteur Melon a retrouvés dans une vieille bible de famille, et qui datent de 1698, résument en quelques traits éloquents et l'inébranlable constance de nos martyrs, et la rage aveugle de leurs persécuteurs. Les livres d'écrou des galères du roi très chrétien renferment les plus beaux titres de noblesse de nos églises, l'immortel et glorieux héritage, que nous devons transmettre avec un soin religieux à nos enfants comme un modèle et un exemple. Élie Benoît a résumé en une phrase éloquente le caractère de la piété de nos ancêtres! La simplicité même des moins éclairés, nous dit-il, avait quelque chose de noble, et comme la plupart n'avaient rien appris que dans l'école de la piété, il était aisé de voir qu'elle l'emporte sur tous les maîtres de l'éloquence.

Quel tableau douloureux nous présente l'Eglise sous la croix pendant ces années de deuil et d'opprobre, qui resteront comme une flétrissure ineffaçable sur le blason du grand roi.
Les assemblées surprises et dispersées, la parole inspirée de Dieu foulée aux pieds, les confesseurs de la foi exposés aux plus affreux supplices, les femmes victimes des outrages d'une soldatesque effrénée, les tendres vierges enfermées dans les couvents, ou ensevelies toutes vivantes dans les affreux cachots de la tour de Constance, les ministres du Seigneur chargés de fers et livrés aux flammes des bûchers, les vieillards, les enfants, les nobles, les humbles confesseurs de la vérité confondus et attachés sur le banc d'infamie des galères, tout ce sang innocent répandu au nom de Dieu, s'élève aujourd'hui encore en témoignage contre une église dégradée et avilie, un souverain voluptueux et adultère qui cachaient sous les plus belles apparences tant de corruptions et d'ignominies.
Les troupes exilées de la patrie, dont leur coeur conserva un si vivant et si profond souvenir, accueillies avec amour par les cités évangéliques de la Suisse et de la Hollande, pleurant au souvenir de leur Église désolée, se plaisaient à répéter avec le prophète : Si je t'oublie, Jérusalem, que ma droite s'oublie, et s'appliquaient ces beaux vers de l'Esther de Racine:

Sacrés monts, fertiles vallées,
Par nos ancêtres habitées,
Du doux pays de nos aïeux
Serons-nous toujours exilées!


Mais, tout en conservant au fond du coeur un sentiment généreux et instructif de dégoût et de mépris pour une église, pour un monarque capables d'aussi grands forfaits, inspirons-nous des pieux sentiments de nos martyrs, qui avaient placé en Dieu leur espoir et leur consolation, qui ne voyaient dans les épreuves que Dieu jugeait bon de.leur envoyer qu'une nouvelle marque de son amour, et répétaient à l'exemple du Sauveur du monde, aussi longtemps que la rage des bourreaux leur laissait un souffle de vie: Mon Père, pardonne- leur, car ils ne savent ce qu'ils font. (Lettre de Baptiste Blanchard, galérien, du 10 décembre 1700.)

Qu'il nous suffise, pour résumer l'esprit du système, et les sentiments d'une époque réputée la plus civilisée de notre histoire, de reproduire cette lettre de Seignelay au directeur général des galères en date du 18 avril 1668:
«Comme rien ne peut tant contribuer à rendre traictables les forçats qui sont encore huguenots, et n'ont pas voulu se faire instruire, que la fatigue qu'ils auraient pendant une campagne, ne manquez pas de les mettre sur les galères, qui iront à Alger!»

Des amis dévoués de la vérité ont dressé le glorieux martyrologe de nos églises. Les chiffres sont éloquents, et ces pages muettes justifient la pensée du psalmiste que la mémoire de l'homme de bien est immortelle.
Nous voyons dans l'espace de soixante années (1686-1746) plus de trois cents assemblées du désert dispersées et surprises par les armées du roi, quarante-huit ministres de Jésus-Christ livrés au dernier supplice, de 1685 à 1752, 7,370 protestants envoyés aux galères.

L'année de la révocation de l'édit de Nantes, les dernières et sinistres années du vieux roi frappé de la main de Dieu, les plus déplorables années du règne honteux de Louis XV sont par la logique même des faits les plus fécondes en martyrs. Tous les rangs, toutes les conditions, tous les âges sont confondus devant le supplice comme ils sont égaux devant Dieu.
Le vieillard, qui a blanchi au service de Dieu, le fidèle ministre arrêté au moment où il annonçait à des âmes altérées de sainteté et de justice la bonne nouvelle du salut, voient assis à leurs côtés, et attachés à la même chaîne d'infamie de pauvres paysans, de jeunes hommes dans la fleur de l'âge, qui n'ont commis d'autre crime, comme le déclarait avec une constance héroïque une jeune femme déportée en Amérique, que de ne point avoir voulu adorer la beste, et se prosterner devant les images.

Sur les registres des galères, que la générosité du pieux amiral Baudin a légués à la Société de l'histoire du protestantisme français, nous trouvons parmi les galériens à vie quatre jeunes gens de quinze, seize, dix-huit et dix-neuf ans. (Sur l'une des colonnes, on lit cette remarque à la marge : Galérien condamné pour avoir, étant âgé de plus de douze ans, accompagné son père et sa mère au prêche.)
L'imagination recule épouvantée à la seule pensée de ces héros de la foi associés aux plus vils criminels, exposés sans défense aux intempéries des saisons, aux fatigues d'une rude traversée, au feu des flottes ennemies, privés de nourriture, de sommeil, meurtris par le fouet, des bourreaux, accablés d'injures, expirant de douleur et d'angoisse.
Et quelle céleste résignation, quelle inébranlable assurance, quelle douceur divine dans ces âmes, qui ont tout quitté pour le service de Dieu, et qui veulent lui demeurer fidèles jusqu'à la mort. «M. René Barraud (sieur de la Cantonière, natif de Talmond en Bas-Poitou, condamné en 1686 aux galères), écrit un témoin oculaire, a supporté tous ses maux, avec une patience et une douceur, qui a frappé tous ses ennemis, et qui sert d'exemple à ceux qui sont appelés à suivre le chemin étroit, qu'il a tenu. Sa maladie fut pressante et le troubla, (mais) ces vives élévations qu'il fit à Dieu son protecteur et son Sauveur faisaient bien voir que l'esprit de vie était en lui. Le 13 juin 1693 son esprit fut mis en la liberté des enfants de Dieu. »
Dans une lettre collective que les malheureux galériens de Marseille adressèrent dans leur détresse le 10 décembre 1700 à l'église de Bâle, qui leur envoya ses généreux secours et ses ferventes prières en leur faveur, nous les voyons parler avec joie de la fermeté que leurs compagnons de martyre, qui les ont précédés dans la gloire, ont déployée jusqu'à la fin. « Ils ont été fermes et constants, écrivent-ils, de sorte que la douceur ni la rigueur n'ont pas été capables de les ébranler dans la résolution qu'ils avaient prise d'être fidèles à leur Dieu et de mourir pour son service. Il y a des motifs de joie et de consolation dans leur magnanimité chrétienne.»

Les femmes de la Réforme se montraient les dignes compagnes de ces héroïques témoins de la vérité, et justifiaient cette belle pensée du livre des Proverbes: La grâce trompe, et la beauté s'évanouit, mais la femme, qui craint l'Éternel sera celle qui recevra la louange.

Un des proscrits, victimes des fureurs de Louis XIV, rencontra sur un navire, qui les transportait en Amérique, des femmes déportées pour avoir confessé Jésus-Christ. Plus de quatre-vingts femmes étaient là couchées sur des grabats infects, en proie aux horreurs de la maladie et ,de la misère. «Au lieu de les consoler, écrit-il à sa mère, elles me consolaient, et ne pouvant parler, elles me disaient d'une commune voix: Nous mettons le doigt sur nos lèvres, et nous disons que toutes choses viennent de celui qui est le Roi des rois ; c'est en celui-là que nous mettons notre espérance.»

Ces glorieux disciples de Jésus-Christ, parmi lesquels on comptait les hommes les plus distingués du royaume, un Isaac Lefèvre, avocat de Chastelchinon, un Louis de Marolles, avocat de Saint-Ménehould, et dont les souffrances nous ont été racontées dans un récit touchant, ne se contentaient pas de prêcher l'Évangile par leur exemple, leur constance, leur héroïsme, ils fortifiaient et consolaient ceux qui n'avaient pas encore passé par l'épreuve.
«N'oubliez jamais, leur répétaient-ils (lettre datée de la tour de Constance, 12 février 1687), n'oubliez jamais de si grands bienfaits, si vous voulez que Dieu continue ses bénédictions et ses grâces sur vous et sur les vôtres. Priez continuellement pour la liberté de Sion, pour les prisonniers de Jésus-Christ. Vous avez glorieusement commencé,
mais tout cela, n'est rien, si vous ne persévérez jusqu'à la fin. »

Ainsi parlaient et agissaient au sein de l'affliction nos pères en la foi, justifiant la belle pensée de Tertullien que le sang des martyrs est une semence féconde de chrétiens.

Nous voyons se succéder sur les bancs des galères plusieurs générations de la même famille: en 1687 Pierre Albert, en 1688 Louis Albert, en 1689 Jacob Albert, âgé de vingt-neuf ans.
En 1745 quatre Bérard de Chateaudouble. Si le Languedoc, le Dauphiné et la Provence occupent une place d'honneur dans ce triste et glorieux tableau, la Normandie, la Champagne, la Picardie, le Poitou, la Bretagne elle-même comptent de nombreux représentants.

Telle est la puissance de la vérité et du dévouement sur les âmes les moins bien disposées que nous voyons les galériens huguenots faire des prosélytes jusque sur les bancs des galères. «Nicolas Daubigny, écrit un martyr, un papiste, a embrassé notre religion en galère, et l'évêque de Marseille, répétant, par un élan irrésistible de conviction, la parole du centurion : «Assurément cet homme était «juste,» ému, touché, en présence de tant de courage, d'héroïsme, disait, par une impulsion soudaine de son coeur, à un galérien, M. Ducros : «Monsieur, si votre religion est bonne, il faut que «j'avoue que vous êtes un saint.»

Le 4 août 1775, il y a quatre-vingt-neuf ans, et quelques-uns de ceux qui vivent au milieu de nous auraient pu en être les témoins, il y a quatre-vingt- neuf ans, la seconde année du règne réparateur de Louis XVI, gémissaient sur les pontons de Marseille deux galériens, derniers et glorieux témoins de l'Église sous la croix, Antoine Riaille et Paul Achard, tous les deux du diocèse de Die, condamnés, les 9 et 26 février 1745, par le parlement de Grenoble, aux galères à vie. Court de Gébelin ne put obtenir leur grâce qu'après une année de démarches infructueuses, et bientôt il ne resta plus des iniquités d'un autre âge que le souvenir.

Parmi ces martyrs ont figuré bien des ancêtres de nos familles protestantes; à ceux qui nous demanderaient : «Vos pères, où sont-ils?» rappelons, en ce siècle de tiédeur et d'engourdissement moral, le souvenir de leurs mâles vertus; retrempons dans ces glorieuses annales, trop longtemps restées dans l'oubli, notre foi, qu'une longue sécurité et le dangereux contact du siècle ont allanguie, notre mémoire trop ingrate, notre piété vacillante; ne craignons pas surtout de rappeler, dans un siècle de tolérance, quel esprit animait, il y a quatre-vingt- neuf ans à peine, une Église redoutable, qui nous supporte par impuissance bien moins qu'elle ne nous accueille comme des frères, et conservons fidèlement un dépôt scellé d'un sang si précieux, et que nous devons transmettre à nos enfants pur, sans souillure et sans tache; à nos concitoyens, comme la source intarissable, à laquelle seule ils pourront puiser la conscience du devoir, le respect des lois, l'intelligence de la liberté, le sens exquis des grandes choses.

Albert Paumier.


 


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