HISTOIRE DE
LA TERRE
INTRODUCTION
Ce petit écrit porte sur son front deux
titres : Histoire de la Terre et
Révélation et Sciences physiques.
Par le premier, j'ai désigné le
sujet du livre, ou le but que je m'étais
proposé en commençant les
études spéciales qui ont abouti
à cet opuscule : j'ai voulu
connaître l'histoire passée,
présente et future de la terre, et je me
suis adressé pour cela à la Bible,
aux mythes païens, aux traditions historiques,
aux sciences physiques. Le second titre fait
présumer qu'au terme de mes travaux j'ai vu
que les deux principales sources où je
puisais mes matériaux se sont
trouvées d'accord entre elles sur les points
principaux. Cet accord, dont je
me suis convaincu après tant d'autres, est
pour moi une vérité d'un prix
immense ; mais je n'aurais pas pris la plume
pour l'établir, parce qu'elle a
été déjà plus d'une
fois démontrée beaucoup mieux que je
ne pourrais le faire. Il suffit de citer ici, pour
la France, les deux volumes de M. Marcel de
Serres : De la Cosmogonie de Moïse
comparée aux faits géologiques,
et pour l'Allemagne, l'Histoire du Monde
primitif de M. Andréas Wagner.
Je crains même, à vrai dire, de
scandaliser quelques-uns de mes lecteurs par la
franchise avec laquelle j'insiste sur les points
où les Saintes Écritures et la
géologie ne sont point encore du même
avis. L'apologète fait toujours un peu,
souvent à son insu, le métier
d'avocat.
Pour moi je crois que, d'une part, la
véracité conduit seule à la
vérité, et que, d'autre part, la
Bible est, dans un sens si plein, le Livre de Dieu,
qu'il peut se passer des petites corrections de
détail que nous lui faisons subir par
excès de zèle, par peur ou par
compassion.
Quand l'Arche de l'Éternel penche et menace
de verser, celui qui se fait un pieux devoir de la
soutenir, peut être rudement
châtié de son aveugle empressement.
Nous voyons d'ailleurs que le serpent use ses dents
et le temps sa faux contre les pages d'airain du
Livre inspiré.
Ces pages, après
vingt-cinq années d'études,
m'inspirent un tel respect que je les prends toutes
telles qu'elles sont, sans y rien changer. Je ne
courberais pas, le sachant, de l'épaisseur
d'un cheveu le texte biblique le plus contraire
à la géologie, quand bien même,
par cette légère inflexion, je
devrais obtenir le plus complet accord entre la
science et la Révélation.
Sans doute j'arrive ainsi à trouver des
contradictions où d'autres, plus heureux,
n'aperçoivent que des variantes
insignifiantes. Ils franchissent d'un bond ou
contournent les larges fossés devant
lesquels je m'arrête et recule. Mais on ne
gagne rien, en définitive, à
dire : Paix, paix, où il n'y a point
de paix, et il n'est, à mon sens, dans
une discussion, pas de meilleur moyen d'arriver
à une complète entente que de noter
avec autant de soin les points où les
opinions se heurtent de front, que ceux où
l'on s'entend déjà.
D'ailleurs nous avons vu depuis moins d'un
siècle, précisément à
propos du premier chapitre de la Genèse, les
sciences physiques s'écrier d'abord :
« Moïse n'y entend rien : la
lumière avant le soleil ! quelle
absurdité ! » puis, confesser
franchement qu'elles avaient tort et que
c'était bien le prophète de Dieu qui
avait raison.
Mais si cet opuscule n'est pas un traité
apologétique, qu'est-il donc ? Je l'ai
dit : une histoire de la
Terre, et j'ajoute : une série de
dissertations, d'essais faisant suite au Peuple
Primitif.
Je ne suis pas un théologien, qui, sur que
la Bible dit vrai, veut examiner par lui-même
si la géologie parle comme elle. Bien moins
encore suis-je un géologue, qui ne doute pas
de la vérité de ses
découvertes et veut éprouver par sa
science la divine autorité de la Bible.
Mon point de départ est l'histoire de
l'humanité ; c'est de là que je
suis arrivé à l'histoire de la Terre.
Je l'ai demandée, cette histoire, à
la Bible et à la géologie, et je les
ai étudiées toutes les deux dans la
ferme persuasion que la Bible étant le livre
de la Parole de Dieu faite chair, et la nature
étant une parole de Dieu faite
matière, il était impossible que les
hommes sérieux et sincères qui
scrutent les deux Paroles du même Dieu
arrivassent jamais à des résultats
contradictoires.
Nous pouvons mal comprendre les Écritures,
mal comprendre le livre de la Terre, dont les
feuillets sont des couches de rochers : la
théologie et la géologie
se contrediront souvent ; la Bible
et la Terre, jamais.
Avec cette foi, je devais sans doute chercher
à retrouver dans la géologie les
vérités scripturales, dans les
Écritures les vérités
géologiques, et l'on me dira que qui cherche
trouve ce qu'il veut. Mais je pouvais tout aussi
bien dire, dans chaque cas
particulier : Si je ne trouve pas, c'est que
j'interprète mal le Livre saint, ou que la
géologie n'a pas achevé ses
recherches de détail et anticipe ses
conclusions définitives. Aussi je
déclare que l'aveu d'une discordance
complète ne me cause pas le moindre
embarras, et que si je ne l'ai pas
répété plus souvent dans ces
pages, c'est que j'ai cru en conscience voir
à peu près partout une pleine
harmonie.
Voici donc, à mon sens, les mutuelles
relations de la géologie et de la foi. Elles
poursuivent toutes les deux la
vérité ; mais les sources
où elles la puisent et leurs méthodes
sont toutes différentes.
L'une interroge les fossiles et les roches, l'autre
la Parole écrite de Dieu.
L'une, par l'analyse, s'élève de
l'infinie multiplicité des détails
aux vues d'ensemble ; l'autre reçoit
d'emblée ces vues synthétiques et
générales, d'où elle descend
avec peine vers les détails.
Mais elles doivent se prêter, sans sortir
toutefois de leur sphère respective, un
mutuel secours : la foi sans la
géologie ne comprendra jamais toutes les
richesses d'idées qui sont cachées
dans la Vision Génésiaque, et sans la
foi, la géologie n'embrassera jamais d'un
regard clair et sûr les phases de la
création depuis le chaos à l'homme.
Elles se complètent donc par ce que chacune
d'elles possède seule ; c'est assez
dire que la foi qui n'est point
appelée à étudier les
coquilles et les ossements, ne doit pas intervenir
dans les déductions que le savant tire
logiquement d'observations bien faites. Mais aussi
les géologues ne doivent pas, comme le font
maintenant certains naturalistes allemands, nier le
Dieu de la Bible, parce qu'ils n'ont pas
trouvé sur le grès ou dans l'argile
les traces des pieds ou le crâne de l'Esprit
Éternel.
Je disais donc que cet opuscule est bien moins un
traité d'apologie qu'un traité de
simple science. J'insiste là-dessus parce
que je redoute les malentendus : il ne faut
pas que quelques-uns de mes lecteurs cherchent ici
plus et mieux que ce que je puis leur offrir. Pour
expliquer en plein ma pensée, je raconterai
ici en peu de mots comment j'ai été
conduit à composer ce livre.
Dès ma première enfance, un attrait
irrésistible m'entraînait vers
l'étude de l'histoire. À
l'université, où je devais me
préparer, par le droit, aux emplois publics,
l'histoire remplissait toutes les heures que
n'occupaient pas les cours de jurisprudence. M.
Karl Ritter m'y ouvrit des horizons tout nouveaux
dans ces leçons où, en nous
dévoilant le plan de Dieu dans la formation
des continents, il nous faisait lire dans leur
structure les principaux traits de l'histoire
des nations. J'étais
à peine de retour dans ma ville natale que,
par un concours de circonstances
particulières, je me vis appelé
à composer pour notre collège,
d'après la méthode de Ritter, des
manuels de géographie, qui ont
été tous traduits en allemand. De
l'état présent de la terre, je voulus
remonter à ses états
antérieurs ; car je sentais que
l'humanité a ses racines dans la nature, et
que les crises diverses qu'a subies notre
planète depuis l'apparition de l'homme,
avaient exercé, exerçaient encore une
grande influence sur nos destinées. Je me
mis d'abord à étudier dans la Bible
l'histoire de la Terre.
Cependant on venait d'appeler à
Neuchâtel un jeune professeur de
géologie, qui devait en peu d'années
remplir de son nom l'Ancien Monde et le Nouveau. M.
Agassiz, tant par ses cours publics et ses cours
académiques que par ses ouvrages,
éveilla parmi nous le plus vif
intérêt pour sa science. Je me fis son
écolier, et suivis pendant plusieurs
années ses leçons. C'est de ce temps
que datent plusieurs des vues
générales consignées dans le
présent livre. Elles se trouvent
déjà indiquées dans une
brochure publiée en 1841. Mais je ne lisais
la Genèse que dans les traductions, et je me
trouvais sans cesse à la merci
d'étrangers qui m'inspiraient peu de
confiance ; l'hébreu seul pouvait
donner une base solide à
mes études bibliques, tant pour l'histoire
de la Terre que pour celle du peuple Primitif, et
je pris pour guide dans ce noviciat un excellent
ami, qui avait été mon
précepteur, l'auteur bien connu de la
traduction la plus récente de l'Ancien
Testament, M. Perret-Gentil.
Je recommençai à nouveaux frais
l'étude de la Genèse, et enfin,
après avoir à plusieurs reprises
laissé de côté et repris mon
manuscrit, je l'ai livré au public.
Cet opuscule, si je ne fais erreur, contient pour
la première fois une traduction
minutieusement exacte (mais fort peu
élégante) des deux premiers chapitres
de la Genèse. Je ne sais si d'autres, avant
moi, ont reconnu dans l'oeuvre des Six Jours une
vision, et tenté de l'expliquer
d'après les règles de
l'interprétation des Livres
prophétiques.
Un lecteur impartial me tiendra peut-être
aussi bon compte des efforts contraires que j'ai
faits pour saisir, d'une part, dans leur sublime
grandeur, les vues des prophètes sur
l'histoire passée, présente et future
de notre terre, et de l'autre, dans leur rigoureuse
vérité, les moindres détails
de ces vastes tableaux qu'ils déroulent
devant nos yeux. C'est là ce qu'il y a de
plus neuf dans ce livre. J'avertis d'ailleurs qu'on
y trouvera indiqués, en passant, plusieurs
aperçus symboliques et typiques,
qui trouveront leurs
développements dans un livre spécial
des Deux Cités.
Les vues d'ensemble sur les destinées de
notre planète, ou les grandes
périodes de l'histoire de la Terre, ne
pouvaient m'être fournies que par la Sainte
Écriture, qui seule nous
révèle les premières origines
et le sort futur de la Création.
J'ai complété ces tableaux avec le
secours des mythes des païens, des traditions
antiques et des renseignements historiques, et
surtout avec celui de la géologie, de la
géographie des animaux, et, pour les
épidémies, des écrits des
médecins. Tous ces éléments
hétérogènes sont
peut-être fort surpris de se trouver
réunis dans un même corps ; mais
ils témoignent tous ensemble du même
Dieu qui a créé la terre, et qui la
gouverne de période en période,
d'après un plan unique et immuable.
Ce plan, la Bible nous le révèle, et
je pouvais donc logiquement tenter de reconstruire,
avec toutes ces parcelles de la
vérité, l'histoire de la Terre, sans
laquelle mon histoire de l'humanité aurait
été comme suspendue en l'air.
Il est d'ailleurs évident que c'est la
géologie qui devait me fournir les plus
abondants matériaux. L'usage que j'en ai
fait était déterminé à
l'avance par le fait historique de la
palingénésie de la terre au temps
du Déluge, tel que ce fait ressort et des
traditions des deux mondes (1),
et du texte de la Genèse.
Le Déluge de Noé étant la
dernière révolution universelle de
notre planète, doit nécessairement
correspondre au diluvium des
géologues ; et l'on verra qu'en effet
les caractères de l'un conviennent
exactement à l'autre. C'est là que
réside toute la force ou toute la faiblesse
de l'accord que j'ai établi entre la
série de faits géologiques et celle
des témoignages bibliques relatifs aux temps
antédiluviens et aux temps
cosmogoniques ; c'est aussi en ce point que je
m'écarte le plus de l'opinion qui
prévaut actuellement. Mais cette question
est historique bien plus que géologique, et
jusqu'ici l'on n'a pas opposé aux livres
huitième et neuvième de mon Peuple
Primitif un seul argument qui ait
ébranlé en quoi que ce soit ma
conviction.
Au reste, nul ne sent plus vivement que moi les
imperfections de ce petit livre. Ce qui m'enhardit
à le publier, c'est la pensée que des
questions souvent discutées
déjà, y sont présentées
sous un jour nouveau, et que d'autres, d'un
intérêt incontestable, y sont
abordées pour la première fois ;
c'est le sentiment que j'ai cherché mon
point d'appui dans la Bible, qui est de quelques
mille ans plus vieille que notre rationalisme
superficiel et moqueur ; c'est enfin l'espoir
que mes lecteurs, pour être justes envers
moi, chercheront ici non un système qu'on
leur impose, mais des vues d'ensemble ou de
détail qu'on leur propose.
Au Valentin 1er Novembre 1855
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