Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



RAFARAVAVY MARIE
(1808-1848)

Une Martyre Malgache sous Ranavalona 1re,



CHAPITRE VIII

Exil

Vers cette époque, M. Johns débarqua à Tamatave, venant de Maurice, afin de voir ce qu'il pourrait faire pour venir en aide aux chrétiens persécutés. C'était d'ailleurs la seconde fois qu'il tentait de leur porter secours.
Il chercha tout d'abord un moyen de faire connaître à ses amis malgaches son arrivée. Et voici comment il s'y prit. Il écrivit des lettres à la Reine, à Rainiharo, le premier ministre, et à de nombreux fonctionnaires royaux. Les aides de camp et les familiers de ces dignitaires malgaches eurent bientôt fait de raconter un peu partout cet événement.

Le chef de village qui protégeait les cinq chrétiens réfugiés au Vonizongo apprit la chose par un ami. Il en informa tout aussitôt Rafaravavy et ses compagnons. En même temps, il prit la précaution d'envoyer par un homme sûr un message à M. Johns, l'informant de la situation et lui demandant de demeurer plusieurs semaines à Tamatave, pour donner le temps aux persécutés de se rendre à la côte.

En effet, aussitôt que ceux-ci eurent appris la présence de leur missionnaire à Tamatave, ils conçurent le projet de tenter de s'y rendre. Malheureusement, Rafaralahy venait de tomber malade et ne pouvait songer à entreprendre un aussi long et aussi périlleux voyage. Il resta donc avec sa femme.
Mais Andrianilaina, Razafy, son épouse et Rafaravavy, au contraire, se disposèrent à profiter de l'occasion et à en faire bénéficier quelques amis, si possible.

Nos trois compagnons de route se mirent en chemin, mais voulurent d'abord passer par Tananarive. Andrianilaina et sa femme étaient bien mis, comme d'honnêtes bourgeois, car personne ne les connaissait en ville ; au contraire, Rafaravavy s'était vêtue d'une grossière étoffe faite en roseau, portait sur sa tête des paquets, et suivait ses amis, jouant le rôle de servante.
À leur arrivée dans la capitale, le petit groupe de chrétiens consulté décida d'envoyer tout d'abord Andrianilaina et un autre fidèle à Tamatave, afin de s'aboucher avec M. Johns, tandis que Rafaravavy et Razafy se séparaient : cette dernière pouvait aller et venir librement, tandis que Rafaravavy dut se cacher avec le plus grand soin, enfermée dans une petite pièce.

Au bout de quinze jours, pourtant, elle faillit tomber entre les mains des émissaires royaux. Un beau jour, quinze à vingt envoyés de la Reine envahirent la maison où elle se trouvait, la souveraine ayant manifesté l'intention d'acheter l'immeuble. Ils parcoururent toutes les pièces et parvinrent à la fin à celle où se cachait Rafaravavy ; ils ouvrirent la porte : Rafaravavy la referma vivement. Le propriétaire de l'immeuble devint blême de terreur. Les envoyés de la Reine s'en aperçurent et se murmurèrent l'un à l'autre. « C'est là sûrement qu'il a enfermé son idole. » Ils se retirèrent alors un instant pour permettre au propriétaire, dirent-ils, de faire sortir son amulette. Rafaravavy profita de ce court instant pour enjamber la fenêtre et le mur d'enceinte de la case. Les visiteurs revinrent jeter un coup d'oeil dans la pièce qui renfermait l'idole, mais celle-ci n'y était plus, elle s'était enfuie.

Rasoamaka, Ratsarahomba et Andrianomanana étaient toujours dans leurs bois : ils n'avaient pas tellement à redouter les espions que la famine. Ils finirent donc par revenir en ville chercher des vivres. Là, ils apprirent, eux aussi, la présence de M. Johns à Tamatave et la mission confiée à Andrianilaina : ils ne cherchèrent pas à repartir vers Ambatomanga, mais attendirent le résultat des démarches engagées.

Andrianilaina put rencontrer M. Johns et, après avoir tenu conseil, ils décidèrent de faire remonter à Tananarive l'autre chrétien descendu avec Andrianilaina, de façon à faire descendre ceux qui pourraient venir. Andrianilaina, pendant ce temps, se réfugia chez un certain Ramiandrahasina, chrétien natif d'Ilafy, et l'un des principaux fonctionnaires hova de Tamatave.

Après l'arrivée à Tananarive de l'envoyé dont il vient d'être question, une nuit de la fin de septembre 1838, un petit groupe de chrétiens se réunit dans la maison de l'un d'eux, afin de faire leurs adieux à ceux qui partaient : Rafaravavy Marie, Sarah Razafy, femme d'Andrianilaina, David Ratsarahomba, Siméon Andrianomanana et Joseph Rasoamaka.
Raminahy, femme de Ratsarahomba, Razanaka, femme d'Andrianomanana et Rasoa, femme de Rasoamaka n'eurent pas la force de partir, n'étant pas encore probablement sur la liste des proscrits. Pourtant, Raminahy mourut martyr le 9 juillet 1840.

Avant le départ et vers minuit, Rafaravavy fit les plus grands efforts pour pénétrer dans la maison où l'on avait enfermé Andrianantoandro, afin de lui dire adieu, car ils étaient cousins germains. Elle parvint à entrer, mais Andrianantoandro dormait, et elle n'osait pas le réveiller, de peur d'exciter l'attention des gardiens. Elle se contenta de lui baiser la main, puis se sauva. Grand fut le désappointement du pauvre prisonnier, le lendemain matin, quand il apprit la visite de sa cousine : il eût tant désiré contempler son visage. Ils ne se revirent plus sur la terre. Voici comment Rafaravavy nota dans son carnet la nouvelle de la mort de son cousin :
« Londres, 20 Adalo 1839 : Aujourd'hui, j'ai appris le départ d'Andrianantoandro de Madagascar pour la vie à venir. »

Les paquets terminés, ils se mirent tous à genoux et se firent des adieux mêlés de larmes. Cette séparation était bien dure pour ceux qui restaient et bien amère pour ceux qui partaient. Quitter sa patrie, sa femme, ses enfants, toute sa parenté, que c'était cruel ! D'autant plus que c'était une séparation sans revoir : Basoamaka fut le seul qui revint en 1861. Comment avoir la force de dire adieu à une femme bien-aimée, à de jeunes enfants en pleurs, dans de pareilles circonstances ? Qu'il dut être terrible pour Rafaravavy de jeter un dernier regard sur sa fille, son unique enfant !

Il faisait déjà presque jour quand ou fut enfin prêt à partir. Arrivés à Ambohitsiroa, les fugitifs firent un détour pour passer chez un ami, Rasoalavavolo, afin de lui demander une lanterne. Voici quel était l'ordre de leur marche : en avant, à une certaine distance, marchait un éclaireur ; un autre fermait la marche à quelques pas derrière le dernier du groupe principal. En cas d'alerte, l'éclaireur de devant devait crier : « Dépêchez-vous, vous de là-bas », et celui de derrière : « Attendez un peu ». À l'ouïe de ces appels, toute la bande devait se jeter dans un chemin de traverse et se cacher.

Au lever du jour, les fugitifs étaient à environ seize kilomètres de la capitale et hésitèrent un instant à se cacher pour le reste de la journée. Mais, ne, trouvant pas de place convenable, ils poursuivirent leur route.
Quelques kilomètres plus loin, ils rencontrèrent un homme qui reconnut Rasoamaka et le regarda avec insistance. Ils quittèrent alors le sentier généralement suivi et se dirigèrent ostensiblement vers le nord, pour dépister ceux qui auraient eu l'idée de se mettre à leur poursuite, puis revinrent par un chemin très détourné vers la route.
Quand ils avaient à traverser un village, ils se séparaient et le franchissaient deux par deux. Ils s'arrangeaient, d'ailleurs, pour ne se trouver dans les endroits vraiment habités que la nuit. Ils passaient alors un par un, en cachant leur lanterne sous leur lamba et sans faire aucun bruit.

Ils arrivèrent sans encombre à la première forêt. Le chemin, à partir de là, descend avec rapidité jusqu'à la grande plaine, au pied de la montagne d'Angavo.
Avant de sortir de cette forêt, ils attendirent le soir. Mais, alors, la pluie se mit à tomber avec violence, et la dernière descente devint dangereuse, le sol étant extrêmement glissant et le moindre faux-pas pouvant entraîner une chute fatale.
Au bout de la descente, ils aperçurent, à quelque distance, comme unie lumière tremblotante. Ils pensèrent que c'était la lanterne d'un groupe de porteurs employés par le gouvernement pour transmettre les messages entre Tananarive et la côte. Ils éteignirent alors leur propre fanal et se jetèrent un instant hors de la route, pour laisser passer le courrier ou ce qu'ils crurent être tel.

Vers minuit, ils cherchèrent un endroit abrité sous quelques pierres pour essayer de prendre un peu de repos. Ils ne purent dormir, tant à cause de leur anxiété que du froid et de l'humidité.
Avant l'aube, ils se levèrent de nouveau pour reprendre leur marche en avant. Mais, voyant de nombreuses traces de pas très rapprochés les uns des autres, ils s'informèrent adroitement auprès d'un jeune garçon rencontré, afin de savoir ce que c'était. À leur grande terreur, ils apprirent qu'il s'agissait de toute une troupe de soldats, deux à trois cents, allant eux aussi vers la côte, conduits par deux ou trois aides de camp de Rainiharo. Assurément, un certain nombre de ces soldats, et particulièrement leurs chefs, ne manqueraient pas de reconnaître Rafaravavy ou quelque autre des fugitifs.

Rester où ils étaient sans avancer n'était rien moins que sûr, car ils se feraient remarquer et arrêter. Essayer de se lancer dans un chemin de traverse était dangereux, car le sol était tellement accidenté qu'on risquait de se perdre ou de tomber dans quelque précipice. Mieux valait avancer et passer rapidement près du camp des soldats situé, leur avait-on dit, à cinq ou six kilomètres plus loin. On pouvait espérer que le froid aurait retenu les soldats sous la tente.

Ils traversèrent donc en premier lieu le village d'Ambodinangaro, au delà duquel on leur avait dit que les soldats avaient établi leur camp. Mais les soldats, pressés, au contraire, pour une raison connue a eux seuls, avaient quitté, leur campement et s'étaient mis rapidement en marche.

Vers neuf heures du matin, ce jour-là, les fugitifs voulurent se reposer quelques instants et s'écartèrent du sentier. Mais, à ce moment, la servante qui marchait à l'arrière fit le signal indiquant un danger possible. Tous se jetèrent dans les buissons. De fait, une troupe d'hommes, semblant à la recherche de quelqu'un, passa peu après à côté de leur cachette, heureusement sans les voir.

Ils arrivèrent ainsi jusqu'au Mangoro, le grand fleuve qui, coulant du nord au sud, barre la route, il peu près à mi-chemin, entre Tananarive et la côte Ce passage du fleuve présentait une très grosse difficulté. On ne pouvait le franchir à la nage, à cause des crocodiles. D'autre part, le passeur avait l'ordre de s'informer de la qualité des gens qui demandaient à traverser. Il faisait à peu près nuit quand ils arrivèrent. Les servantes se présentèrent d'abord et dirent qu'elles accompagnaient les soldats qui venaient de passer et qu'il y avait d'autres gens derrière qui, eux aussi, avaient affaire aux soldats. Le passeur, fatigué d'avoir été pendant une bonne partie du jour employé au transport de la troupe, cria aux compagnons des deux servantes de se dépêcher. Tous les fugitifs arrivèrent alors et purent juste tenir dans le canot. On ne leur fit aucune autre question indiscrète.
Ils profitèrent ensuite de la nuit pour dépasser les soldats campés, de nouveau, de l'autre côté de la rivière.

Malheureusement, ils se perdirent, errèrent longtemps avant de retrouver le sentier qui aboutissait à une rivière très encaissée et profonde. Pour la traverser, il n'y avait qu'une poutre étroite, pliant sous le poids. Les femmes hésitaient à se lancer sur ce morceau de bois, mais il n'y avait aucun autre moyen de continuer la route. Aidées des hommes, elles finirent par franchir ce difficile passage.
On parvint enfin à la lisière de la grande forêt de l'est. Là, il fallut songer à de nouvelles précautions. Il n'y avait, en effet, qu'un seul sentier étroit, à peine tracé, permettant de la traverser, et l'on était sûr de rencontrer tous ceux qui remontaient de la côte.

Sarah Razafy mit sur elle ses plus beaux atours, afin de paraître la femme d'un officier hova allant rejoindre son mari. Rafaravavy, au contraire, fut habillée comme une servante, avec un grand chapeau de paille, lui cachant une partie du visage. Elle portait sur sa tête quelques paquets.

Un soir, se trouvant dans la région la plus difficile de la forêt, et se sentant terriblement fatigués, les fugitifs s'écartèrent vers un taillis pour essayer de dormir. À peine étaient-ils installés que tout un groupe de soldats portant des torches passa près d'eux, leur causant de nouvelles frayeurs.

Le lendemain matin, ils virent venir des gens qu'ils reconnurent comme des habitants de maisons voisines de celle de Rafaravavy et qui devaient avoir aussi rencontré les autres fugitifs. Ils eurent alors l'idée de se cacher le visage avec leur vêtement de dessus. On les crut malades de la petite vérole et tout le monde s'empressa de les dépasser en courant sans les regarder.
Un peu plus loin, il leur arriva un autre incident. Andrianomanana était par hasard un peu en avance ; du haut d'un petit repli de terrain, il vit non loin de lui un groupe de marchands. Il fit aussitôt signe à ses compagnons qui se cachèrent. Lui-même ne put que s'avancer hardiment. On le reconnut. La servante qui servait d'avant-garde aux fugitifs et qui était alors tout près d'Andrianomanana fit semblant de ne pas le connaître et se mêla au groupe des marchands pour savoir ce qu'ils disaient. L'un d'eux s'écria : « Tiens, mais c'est Andrianomanana, l'un des chrétiens placés comme esclaves chez Rainiharo ; où peut-il donc, aller ? » Un autre répondit « Il est probable que son maître l'emploie pour faire du commerce. »
La servante rejoignit alors les autres fugitifs, qui attendirent le départ des marchands, et put ainsi les rassurer.

Pendant une autre partie de la route, depuis Boforona jusqu'à Andovakinimenarana (c'est-à-dire pendant environ 3 jours), ils se sentirent suivis par des gens qui avaient l'air de les observer, qui s'arrêtaient en même temps qu'eux et repartaient de même, parfois les dépassaient, puis les attendaient.

Au moment d'atteindre le village d'Ambatoharanana, nos fugitifs voulurent attendre la tombée de la nuit, afin de traverser la place sans s'y arrêter et sans y être aperçus, d'autant plus qu'en cet endroit habitait un officier qui les connaissait. Mais les deux hommes en question les rattrapèrent et leur demandèrent à brûle pourpoint dans quelle maison ils allaient loger. Ils répondirent qu'ils ne savaient pas.
Sans insister, les deux hommes pénétrèrent dans le village. À la nuit, Rafaravavy et ses compagnons entrèrent doucement, prétendant franchir le village pour continuer leur route. Mais ils furent presque immédiatement arrêtés par une question lancée à haute voix : « Pourquoi ne demeurez-vous pas ici, et où voulez-vous aller dans une pareille obscurité ? N'y a-t-il pas de maison ici pour vous recevoir ? »

Force leur fut de s'arrêter pour ne pas avoir l'air de fuir. On les fit entrer dans une case toute proche de celle habitée par l'officier qui avait plusieurs fois rencontré Rafaravavy chez son maître, à Tananarive.
Quelques minutes après, les deux hommes, qui n'avaient cessé de les suivre, pénétrèrent à leur tour dans la même case et y déposèrent des paquets.
Tout cela les confirma dans l'idée qu'ils étaient découverts et que les deux hommes étaient des espions : ils allaient revenir avec des soldats et ce serait la mort sans rémission. Il se sentaient tous au bord de l'abîme sans pouvoir ni avancer ni reculer.

La nuit, toutefois, se passa sans incident, et, bien avant l'aube, ils s'étaient remis en route. Ils avaient dépassé Ranomafana et s'apprêtaient à prendre un léger repas, un peu à l'écart du chemin, quand, de nouveau, se présentèrent à eux leurs deux suiveurs : ils leur offrirent, selon l'usage, de partager leur collation, mais ces deux hommes refusèrent, ce qui leur parut de plus en plus un signe de leurs mauvaises intentions. Dans la même journée, ils virent ces deux soi-disant espions mettre en travers du chemin une feuille d'arbre. Était-ce un signal pour des soldats venant derrière eux ?

Une des deux servantes enleva la feuille. Ils arrivèrent enfin, le coeur serré d'appréhension, à Ambohibohazo, où ils purent cependant se reposer un peu, le village étant à peu près désert, par suite du départ des hommes appelés pour une corvée lointaine. Le lendemain, ils cherchèrent à louer un canot pour descendre la rivière jusqu'à Andevoranto. Mais on leur demanda trop cher et ils durent continuer par terre, en dépit de leur fatigue grandissante.
Après Andevoranto, ils suivirent autant que possible le bord de la mer, malgré la difficulté de marcher dans le sable. Ils pensaient ainsi rencontrer moins de monde.
Mais, de nouveau, ils aperçurent les deux hommes qui n'avaient cessé de leur causer une grande frayeur.
Ils n'en pouvaient plus, et leur marche se ralentissait de plus en plus. Les femmes avaient les pieds en sang et ne se maintenaient que par l'énergie du désespoir.

Le neuvième jour après leur départ de la capitale, ils parvinrent enfin à quelques kilomètres de Tamatave.
Ils envoyèrent les deux servantes en avant-garde chez l'ami qui devait aider à leur embarquement. Elles eurent de la peine à le trouver et ne revinrent qu'au bout de vingt-quatre heures, apportant une lettre qui renfermait toutes les indications nécessaires pour leur abri durant les quelques jours d'attente avant l'arrivée du bateau qui devait les emmener. L'ami leur envoyait en même temps des provisions, qui furent les bienvenues, car ils n'avaient absolument plus rien et commençaient à souffrir douloureusement de la faim, n'avant pour ainsi dire rien mangé depuis trois jours.

Vers le coucher du soleil, ils se levèrent pour se rendre à l'endroit de refuge qu'on leur avait indiqué. Arrivant au bord d'une rivière, ils s'assirent un instant. Un canot aborda : ils crurent qu'on venait les aider à traverser, et, dans leur joie, commencèrent il causer avec le pagayeur. Celui-ci ne put réprimer son étonnement et sa suspicion. Rafaravavy eut la présence d'esprit de partir d'un éclat de rire un peu forcé, mais qui donna le change, et d'offrir à l'homme un peu de manioc, lui disant qu'ils étaient simplement en une sorte de pique-nique. L'homme s'éloigna ; heureusement, quelques minutes après, un autre canot, sur lequel se trouvait l'une des servantes envoyée aux nouvelles arriva et put les emmener loin de ce lieu un peu dangereux pour eux et les conduire enfin en sûreté.
Leur ami leur annonça qu'on attendait le bateau qui devait les prendre dans une dizaine de jours.

Une erreur faite par un domestique de leur hôte faillit un jour tout perdre. On l'avait envoyé chercher quelques objets dans la case où les, fugitifs avaient trouvé un refuge. Il comprit qu'il fallait amener ceux-ci avec lui ! Voilà donc toute la bande en route. Juste avant d'arriver à la ville, une forte averse les trempa. Leur ami fut effrayé de les voir et leur conseilla de retourner, car, dans la ville, ils seraient vite reconnus et saisis. Pour plus de sûreté, il les accompagna. Ils furent arrêtés par la garde. L'ami seul parla : il avait de l'influence ; les soldats n'insistèrent pas. Si la petite bande avait pu passer en allant, c'était uniquement à cause de la chute violente de pluie qui avait un instant fait rentrer les gardes dans leur case.
Après cette alerte, ils ne bougèrent plus de leur cachette.

Quand le navire fut en vue, leur ami, Ramiandrahasina, les prévint et leur dit de couper leurs cheveux et de suivre le guide envoyé jusqu'au port. Ils demeurèrent d'abord cachés derrière des buissons : là, on leur apporta des vêtements de marins qu'ils revêtirent.
Quelques matelots du bateau amusèrent les gardes du port tandis que les fugitifs étaient amenés un par un à bord. Ce fut une opération très périlleuse.

Dès le lendemain matin, le bateau leva l'ancre en route pour Maurice, où il arriva le dimanche 14 octobre 1838.
Ce départ finit par transpirer. On eut des soupçons sur le rôle joué dans l'histoire par Ramiandrahasina, qui crut plus prudent, un mois après, de se sauver à son tour à Maurice avec son neveu.

Pendant quelques semaines, les sept rescapés de la persécution se remirent de leurs fatigues et de leurs émotions. Ils eurent presque tous d'assez violents accès de fièvre.
Leurs amis européens songèrent ensuite à les envoyer, si possible, en Angleterre, afin d'exciter l'intérêt des chrétiens de ce pays, et aussi afin de leur procurer le moyen de se développer intellectuellement. On réunit, à cet effet, les sommes nécessaires parmi quelques hautes personnalités de Maurice.

Les exilés de 1838

En fait, ils ne s'embarquèrent pas tous les sept pour ce long voyage. Andrianilaina crut de son devoir de demeurer à Maurice avec Ramiandrahasina, dans l'espoir de pouvoir être utiles à leurs coreligionnaires persécutes, et aussi à la petite Église malgache formée parmi les milliers d'esclaves et de fugitifs venus de la grande île et employés, pour la plupart, dans les plantations de Maurice.

Razafy, femme d'Andrianilaina, consentit à se séparer de son mari pour accompagner Rafaravavy qui, sans cela, se serait trouvée seule de son sexe. Malheureusement, les deux époux ne furent jamais plus réunis, car Razafy mourut en Angleterre en 1841.

Le 2 décembre 1838, un bateau emmena Rafaravavy et sa compagne, ainsi qu'Andrianomanana, Rasoamaka, Ratsarahomba et Andrianisa (ce dernier, neveu de Ramiandrahasina). Ils mouillèrent dans la baie d'Algoa, le 23 du même mois, et demeurèrent quinze jours à Port-Elisabeth.

Là, ils rencontrèrent des chrétiens hottentots, qui eurent le plus grand désir de converser avec eux et de parler des tribulations par lesquelles ils étaient passés. Ils essayèrent d'abord de prendre un interprète et s'adressèrent à un jeune Malgache qui vivait depuis quelque temps au sud de l'Afrique et avait acquis une certaine connaissance du hollandais. Cela ne réussit que très insuffisamment. D'abord, la science linguistique de l'interprète était assez limitée, et, en second lieu, comme il ignorait totalement tout ce qui concernait les sujets religieux, il n'arrivait ni à saisir les pensées de ceux qui l'employaient, ni à trouver les mots correspondants.
Ils imaginèrent alors un tout autre mode de communication. Ils prirent chacun leur Bible et, grâce à l'usage constant qu'ils en avaient fait journellement, ils purent découvrir dans les pages de ce livre sacré des passages correspondant assez exactement à ce qu'ils voulaient exprimer, et pendant plusieurs jours, soutinrent une conversation suivie à coups de textes scripturaires.

Au moment du départ du bateau, les Hottentots accompagnèrent leurs nouveaux amis et ne voulurent les quitter qu'à la dernière minute. Ils leur remirent une somme assez importante qu'ils avaient recueillie entre eux, afin de les aider dans leur voyage.
Au Cap, le bateau demeura plus de six semaines. Rafaravavy et ses compagnons y rencontrèrent quelques Malgaches amenés là par les marchands d'esclaves et essayèrent d'en convertir quelques-uns.
Le voyage se poursuivit ensuite sans incident mémorable. Ils débarquèrent en Angleterre dans les derniers jours de mai 1839. Leur arrivée excita un grand intérêt. Il y eut des foules pour écouter le récit de leurs souffrances et de leur fuite. Rafaravavy et Razafy demeurèrent une grande partie du temps chez le missionnaire Johns, dans la petite ville de Walthamstow. Ils se mirent tous à l'étude de l'anglais et parvinrent assez bien à se faire comprendre.

Ils eurent quelques nouvelles de leurs amis de Madagascar. La persécution continuait plus violente. Bien souvent, ils apprenaient la mort violente d'un de leurs anciens compagnons.
Peu de temps après leur arrivée en Angleterre, ils surent que la femme de l'un d'eux, Ratsarahomba, avait été arrêtée, puis s'était sauvée, mais devait vivre misérablement dans des endroits déserts.
La Reine avait ordonné de mettre à mort les fugitifs aussitôt découverts ; on devait leur faire creuser leur fosse, les y précipiter, leur verser de l'eau bouillante sur le corps, et combler ensuite la fosse suivant la méthode employée par certains sorciers.
On avait fait boire le poison ordalique à six cents personnes soupçonnées d'avoir accepté les nouvelles doctrines, et plus de cinq cents en étaient mortes.
Rafaravavy et ses compagnons leur envoyèrent des messages de consolation ; entre autres, une fort longue lettre imprimée sous forme d'une petite brochure qu'on parvint avec de très grandes difficultés à répandre parmi les persécutés.

En 1842, ils revinrent à Maurice, sauf Razafy, morte un an auparavant. Pendant six ans, Rafaravavy, espérant toujours pouvoir revenir dans son pays, ne cessa de se dépenser pour le bien de ses compatriotes.
Mais soudain, elle s'affaiblit. On la soigna pendant un certain temps. Mais la maladie prit bientôt un caractère alarmant et l'on sentit que c'était la fin.

« Depuis quelque temps, rapporte le missionnaire J. Le Brun, elle paraissait s'affaiblir graduellement. Elle pensait pourtant demeurer encore quelque temps sur la terre, quand soit Maître vint soudain la chercher. Depuis qu'elle nous a quittés, nous en sommes tout attristés.

« Le samedi, ma femme vint encore lui rendre visite et lui parla de sa mort prochaine. Rafaravavy lui répondit qu'elle voyait venir son départ d'ici-bas avec calme et sans aucune appréhension.

« Pendant la nuit qui suivit, Rafaravavy ne dormit point, elle passa tout soit temps en prière. C'était d'ailleurs un peu son habitude, et à ceux qui affectueusement lui en faisaient reproche, elle répondait qu'elle dormait bien assez, et qu'on pouvait bien lui permettre de prier le reste du temps.

« Le dimanche matin, elle se mit à tousser avec violence et cracha du sang. Elle en fut tout émue et vint nous trouver, nos deux maisons étant fort proches l'une de l'autre. Nous fûmes un peu effrayés de la voir, d'autant plus que le sang continuait à couler de sa bouche. L'effort l'avait fatiguée et elle serait tombée sans le secours que lui prêta ma femme. « Ne craignez rien, Marie, lui dit cette dernière, nous allons prier ensemble. » Elle consentit et appuya sa tête sur la poitrine de ma femme. Mais voici tout ce qu'elle put dire : « ô Madame » et elle rendit l'âme. »

C'était un certain 23 avril, probablement celui de l'année 1849, d'autres disent 1848.
Ainsi se termina, dans l'île Maurice, à l'âge de quarante ans, l'existence singulièrement agitée et dramatique de cette femme malgache, qui mérite d'occuper une place éminente dans la longue série des témoins dont parle l'épître aux Hébreux : « Étrangers et voyageurs sur la terre..., morts dans la foi sans avoir obtenu ce qui leur avait été promis..., cherchant une patrie..., non celle d'où ils étaient sortis, mais une meilleure, la céleste. C'est pourquoi Dieu n'a pas honte d'être appelé leur Dieu, car il leur a préparé une cité. » (Hébr. XI, 13-16).


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