RAFARAVAVY
MARIE
(1808-1848)
Une
Martyre Malgache sous Ranavalona
1re,
CHAPITRE VII
Fuite et poursuites
Rafaravavy avait été menée
au marché des esclaves mais plutôt
comme signe extérieur de la condamnation
intervenue. Car Rainiharo avait obtenu de placer la
condamnée chez un de ses aides de camp,
Andrianandraina.
Il se trouva que ce dernier avait un
lien de parenté assez éloigné
avec le mari de Rafaravavy qui depuis assez
longtemps avait été envoyé
comme officier sur la côte ouest.
Andrianandraina lui fit écrire pour le
mettre au courant des
événements.
En apprenant ce qui était
arrivé, le mari de Rafaravavy demanda la
permission de monter à la capitale pour
quelques mois. Cela lui fut accordé. Il eut
de longues conversations avec Andrianandraina, puis
avec sa femme, qu'il fut extrêmement
ému de revoir.
Il avait toujours conservé une
vive affection pour elle, mais n'avait pu la suivre
dans sa conversion et avait souffert en silence de
tous les malheurs fondus sur son foyer. Il en
souffrait d'autant plus qu'il n'avait
pas la ressource de s'appuyer,
comme sa femme, sur le secours d'En-Haut.
Ses entrevues nouvelles avec Rafaravavy
le rendirent plus perplexe que jamais. Il fut
surpris de la force d'âme extraordinaire
manifestée par sa femme au milieu des
circonstances si critiques qu'elle traversait, et,
sans pouvoir aller jusqu'à adopter ses
idées, il sembla comprendre qu'il y avait en
elle quelque chose d'infiniment
respectable.
Il obtint alors d'Andrianandraina que
Rafaravavy fût traitée non comme une
esclave, mais comme une parente, au moins autant
que faire se pouvait sans attirer les
soupçons du dehors.
De fait, Rafaravavy fut laissée
à peu près libre d'aller et de venir,
en dehors de certaines heures de travail
qu'Andrianandraina dut, malgré tout, lui
imposer pour éviter tout commentaire suspect
de la part des autres domestiques.
Elle en profita pour aller à la
recherche de quelques chrétiens et put
assister deux ou trois fois à ; des
réunions chez un ami, Rafaralahy, qui
s'était largement dépensé pour
secourir les persécutés.
Malheureusement, cela ne dura pas
longtemps. À peine deux mois après
l'heureux changement dans la situation de
Rafaravavy, ce Rafaralahy fut accusé par un
de ses débiteurs qui voulait être
libéré de sa dette et pouvoir mettre
la main sur quelques-unes des nombreuses
propriétés de son créancier,
et fut mis à mort.
Après l'exécution de ce
nouveau martyr, on emprisonna sa femme, alors
enceinte, et un jeune chrétien,
Andriantsalama.
Durant plusieurs jours, ou les battit
cruellement pour leur faire dénoncer
quelques personnes, et, dans un moment de
dépression, la femme de Rafaralahy
prononça quelques noms : la plupart
avaient déjà été
indiqués par l'accusateur de son mari, mais
quelques-uns ne l'avaient pas été, et
parmi eux celui de Rafaravavy et de
Rainitsiheva.
Des amis de ces derniers comprirent que
le cas était des plus sérieux. Il n'y
aurait plus d'espoir pour les accusés
d'avoir la vie sauve, puisqu'il s'agissait, pour
Rafaravavy surtout, d'une troisième
récidive.
Ils se hâtèrent donc
d'avertir les intéressés.
Ce jour-là, Rafaravavy
était allée avec deux amies à
une certaine distance de la ville, afin de rendre
visite a un autre chrétien. Tous les quatre
causaient avec animation sur les sujets qui les
préoccupaient avant tout - la
destinée des hommes après la mort, le
salut, la force que l'Esprit peut donner à
chacun -, quand quelqu'un frappa un peu vivement
à la porte.
On ouvrit ; c'était un
inconnu qui tendit un papier portant le nom de
Rafaravavy. Elle déplia le billet et le lut
rapidement sans que son visage laissât voir
ses sentiments. Elle attendit pour parler que le
messager, dûment remercié, eût
disparu.
On lui annonçait ce qui venait de
se passer - la mort de Rafaralahy, l'arrestation de
sa femme et la dénonciation arrachée
à la faiblesse de cette
dernière.
Après un moment de silence, elle
lut ce qu'on lui mandait. Les deux amies qui
l'avaient accompagnée se trouvaient aussi
compromises dans l'affaire. Il
fallait aviser ait meilleur
moyen de préserver leur vie, si cela
était encore possible.
Le maître de la maison,
après quelques paroles de réconfort,
exposa à nouveau la situation, d'où
il ressortait qu'en fait, il ne pouvait songer
à les cacher. Elles seraient vite
repérées, et lui-même
englobé au nombre des victimes.
La difficulté était de
savoir où aller ? Elles se
décidèrent à quitter la maison
où elles étaient et se
dirigèrent en droite ligne vers Tananarive,
comme les brebis vont à l'abattoir. Elles ne
voyaient absolument pas le moyen de fuir. Mais
elles ne sentaient aucune terreur à
l'approche de la mort. Tout le long du chemin,
elles causèrent du Seigneur et de leur
rencontre au Ciel. Arrivées au bas de la
colline d'Ambohipotsy, qui forme l'éperon
sud de la capitale, elles s'arrêtèrent
pour prier et demander à Dieu la force de
rester fidèles à leur foi. Puis elles
se dirent adieu, comptant bien ne se revoir qu'au
ciel. Les deux compagnes de Rafaravavy se
dirigèrent à l'est d'Ainbohipotsy.
Quant à Rafaravavy, elle obliqua vers
l'ouest d'Ambohijanahary, pour gagner directement
Isovaka, où habitait Andrianandraina,
à qui elle avait été
donnée comme esclave. Elle pensait y trouver
déjà les soldats chargés de la
saisir, mais, de fait, personne n'avait paru. Il ne
restait au logis qu'une servante :
maître et maîtresse, avec tous les
autres esclaves, étaient sortis pour
moissonner le riz. Rafaravavy demanda à la
servante si quelqu'un était venu porter un
message à leur maître.
« Non, personne »,
répondit la domestique.
L'ordre de l'arrêter
n'était donc pas encore donné, car
son maître aurait été averti
d'abord, et quelqu'un serait venu s'informer de
lui.
Elle repartit, afin de remonter en
ville.
Elle passa devant la maison d'un de ses
amis, Siméon Andrianomanana. Elle ne voulait
pas y entrer de peur de lui nuire. Mais lui
l'aperçut et lui fit signe d'entrer. Il y
avait chez lui David Ratsarahomba.
Elle s'aperçut vite qu'ils
étaient au courant de tout, et elle apprit,
à sa grande émotion, que les deux
amis qui la recevaient ainsi étaient
eux-mêmes parmi les gens récemment
dénoncés. Ils avaient justement
l'intention de la chercher, tandis que d'autres
étaient partis pour amener Paul Rainitsiheva
et Andrianantoaindro eux aussi sous le coup des
mêmes poursuites. Il l'allait se concerter
sur les mesures à prendre.
Bientôt arrivèrent
Andrianinianana et Basoamaka. Les autres n'avaient
pu être rejoints.
Après un entretien sur la
situation, ces amis décidèrent que le
mieux était de chercher à fuir,
invoquant la recommandation du Seigneur
lui-même de se sauver ailleurs en cas de
persécution. Ils convinrent de s'en aller
à Fihaonana, au Vonizongo, chez Rafaralahy
Andrianizy et Andrianilaina, son neveu, tous deux
connus comme ayant été des premiers
au Vonizongo à accepter l'Évangile.
Une rue de
Tananarive (Quartier bas d'Isotry)
Il fallait partir la nuit même. Mais,
avant de se mettre en route, Andrianomanana,
Ratsarahomba et Rasoamaka voulurent mettre en ordre
les marchandises qu'ils avaient chez eux :
esclaves de Rainiharo,
ils avaient reçu de lui une
certaine somme à faire fructifier dans le
commerce : ils réunirent les
différents objets bien empaquetés et
écrivirent dessus : « A
remettre à Rainiharo ». Ces
paquets restèrent ainsi trois mois avant que
quelqu'un ne les découvrît. On trouva
au dedans l'argent produit par la vente, ainsi que
le compte exact de la recette et de la
dépense, y compris le montant des, dettes de
certains acheteurs à crédit, et une
somme de soixante centimes « pour frais
de route ». Grand fut l'étonnement
de Rainiharo de constater la scrupuleuse
honnêteté de ces
chrétiens.
Vers minuit, les compagnons se
levèrent : leur coeur était
profondément angoissé, d'autant plus
que, par suite de la maladie de sa femme,
Andrianomanana devait rester en ville. D'autre
part, Rainitsiheva et Andrianantoandro, qu'on avait
fait chercher, ne parurent point. Ils ne furent que
cinq au départ : Rafaravavy,
Andrianimanana, Rasoamaka, Ratsarahomba et sa
femme.
Au moment de se mettre en route, une
autre difficulté vint les
préoccuper : le riz vakiambiaty se
trouvait mûr, et par crainte des voleurs, les
gens surveillaient étroitement leur
récolte. Comment traverser toute la plaine
du Betsimitatatra (1)
sans être surpris ?
Mais Dieu même avait préparé
leur chemin : à peine avaient-ils
franchi le seuil qu'ils virent arriver
derrière eux toute une
troupe de gens s'en allant chercher du bois dans la
forêt. Ils se mêlèrent à
eux, sans exciter la curiosité des gardiens
de rizières. Le surlendemain, ils arrivaient
sains et saufs à Fihaonana.
Ils reçurent de leurs hôtes
(à savoir : Rafaralahy Andrianizy et
Ramanjaka sa femme, Andrianilaina et Sarah Razafy
sa femme) un accueil des plus chaleureux. Les
recevoir, c'était pourtant faire preuve d'un
grand esprit de sacrifice. Ce n'étaient pas,
en effet, des hôtes ordinaires,
c'étaient des chrétiens, et l'on se
rappelle la sévérité des
ordres royaux à ce sujet :
« Quiconque recèlera un
baptisé sera traité comme la feuille
d'arum enveloppant un mets quelconque et qu'attend
un sort commun. » Les maîtres de la
maison connaissaient tout cela et savaient
au-devant de quels dangers ils allaient ; mais
ils n'hésitèrent pas. De fait, ils
furent cruellement persécutés dans la
suite pour l'aide qu'ils avaient apportée
aux chrétiens.
Revenons à Tananarive. Le
lendemain du départ de nos amis, des soldats
arrivèrent à Isovaka pour s'emparer
de Rafaravavy ; ne la trouvant pas, ils la
cherchèrent par toute la ville.
On avait donné ordre à ces
soldats de tuer Rafaravavy aussitôt
trouvée. C'était la seconde fois que
cette chrétienne était l'objet de la
part de la Reine d'un arrêt de mort et la
seconde fois qu'elle échappait à
cette condamnation. La première fois, ce fut
l'incendie d'une partie de Tananarive qui la
sauva ; cette fois-ci, Dieu
même la déroba à la vue de ses
bourreaux. Ce jour-là, pourtant, on s'empara
de Rainitsiheva. Sa femme voulut le suivre, mais,
il l'en empêcha, pensant qu'on la tuerait
aussi si elle venait. « Attends
patiemment ton heure, lui dit-il ; la mienne
est proche. » On arrêta aussi
Andrianantoandro, qu'on enchaîna
étroitement, aussi bien que
Rainitsiheva ; on les mit tous deux au secret,
et leurs parents furent persuadés qu'on les
avait exécutés.
En réalité, on voulait
arrêter d'abord Rafaravavy et Andrianimanava,
afin de faire mourir ces quatre chrétiens
ensemble. On pensait qu'une exécution de
quatre coupables à la fois produirait une
impression de terreur bien plus vive.
Les cinq fugitifs arrivés
à Fihaonana passèrent une partie de
la nuit à raconter à leurs
hôtes ce qu'ils savaient et aussi à
étudier le meilleur moyen de ne pas
être surpris. Il était évident
qu'ils ne pouvaient rester tous les cinq sous le
même toit. L'attention des voisins en
eût été trop vite
éveillée. Il fallait se
séparer et chercher des endroits aussi
sûrs que possible. Les uns parlaient de
s'enfuir chez les Sakalava. Mais on se rendit
compte que, si cette région lointaine
était bien faite pour dérober les
fugitifs aux recherches des agents du gouvernement,
elle serait beaucoup moins bonne pour y vivre
longtemps. On n'y avait point d'amis ; on
risquait d'y mourir de faim ou d'y être
massacré par les habitants.
À la fin, Rasoamaka se
décida à aller chercher un refuge
chez un de ses amis qui avait une
propriété
près de la forêt de
l'est. Les autres pensèrent à se
diriger au contraire davantage vers l'ouest.
Rasoamaka les accompagna pendant deux à
trois kilomètres, puis se remit en route
vers la capitale.
Il n'avait pas fait un kilomètre
qu'il rencontra précisément l'ami
auquel il songeait et qui avait fait soixante
kilomètres à sa recherche. Ils virent
tous deux dans ce fait une précieuse marque
de la protection divine.
L'ami offrit de cacher aussi David
Ratsarahomba. Les trois autres restèrent
alors environ une semaine chez leurs premiers
hôtes.
Rafaravavy, au bout de ce temps,
reçut de nouvelles informations de
Tananarive. Les amis veillaient attentivement sur
tout ce qui pouvait la concerner et étaient
prêts à l'avertir chaque fois qu'on
envoyait des émissaires à sa
recherche. Elle finit par se convaincre que, pour
quelque temps du moins, il lui fallait rester
là où elle était.
Toutefois, pour éviter tout ennui
à ceux qui voulaient bien l'héberger,
elle ne passait chez eux que la nuit. Et chaque
matin au chant du coq, elle se glissait hors de la
maison et allait se réfugier dans une
excavation taillée dans la montagne
d'Ambohitriniandriana, un peu au nord de Fihaonana.
On voit encore aujourd'hui l'espèce de
grotte où elle passait ses journées,
la plupart du temps avec Sarah Razafy qui lui
était très attachée. Quand
arriva la saison des pluies, l'abri n'était
guère satisfaisant : certains jours,
les deux pauvres femmes rentraient le soir
absolument trempées.
Un jour Rafaravavy, qui cette fois
était seule et qui se sentait toute transie,
voulut essayer de revenir avant la nuit
tombée. Mal lui en prit : car ce fut la
source d'une assez grosse complication. Elle fut
aperçue par une petite esclave
envoyée à la recherche d'un boeuf
à ramener à l'étable. En
rentrant, l'esclave raconta ce qu'elle avait vu,
ajoutant que probablement c'était une
esclave en rupture de ban.
À l'époque, quiconque
ramenait un esclave fugitif touchait deux piastres
et demie de récompense.
Le maître de la petite servante
s'en alla chercher Rafaralatitiasoa, chez qui
justement Rafaravavy était cachée. Il
lui rapporta les dires de sa servante et lui
dévoila son intention de gagner la prime
d'usage.
Mais Rafaralahy se mit assez
véhémentement à le dissuader
de son dessein et l'affaire en resta
là.
Seulement un jeune homme,
secrètement chrétien, quoique n'ayant
jamais osé le déclarer,
soupçonna que la soi-disant esclave fugitive
était une chrétienne
recherchée par la police. Il s'en ouvrit
plus tard à Rafaralahy qui lui avoua ce qui
en était. Il réussit à avoir
des entretiens avec Rafaravavy, et en jouit
personnellement beaucoup.
Malheureusement il commit l'imprudence
d'y faire allusion devant un ami bien moins
sûr que lui. Et ce dernier, ayant ainsi
appris le lieu de retraite de Rafaravavy, s'en alla
tout droit en faire part à Rainiharo, le
ministre de la Reine, afin de se bien faire venir
de lui.
Rainiharo envoya huit hommes. Deux
d'entre eux se
détachèrent du groupe pour aller
épier leur victime au pied d'une colline
où elle se rendait à peu près
quotidiennement. Ce jour-là, par hasard,
Rafaravavy n'y vint pas à cause du froid
trop vif. Nos émissaires se rendirent alors
chez Rafaralahy. Rafaravavy paraissait prise, mais
la main de Dieu la protégea de nouveau. Du
riz séchait dans la cour : des corbeaux
cherchaient à le picorer. À
l'arrivée des soldats, ils s'enfuirent en
croassant. En les entendant, Razafy sortit pour
chasser les corbeaux. Elle aperçut les
soldats, toussa légèrement pour
avertir Rafaravavy qui se glissa dans une natte
sous le lit.
Les soldats entrèrent. Il n'y
avait dans la pièce qu'Andrianilaina et sa
femme en train de faire cuire leur dîner
près du foyer. Rafaralahy et sa femme
étaient allés visiter un parent
malade. La maison était petite et
étroite ; elle ne se composait que
d'une pièce, sans cloison ni étage.
En une minute les soldats eurent terminé
leur inspection ; ils jetèrent un
regard dans le réduit au-dessus du foyer,
dans le grenier à riz, sur le lit ; ils
n'oublièrent qu'une chose, cette natte
roulée sous le lit. Ils interrogèrent
les deux occupants, mais ceux-ci firent mine de ne
pas comprendre. Les soldats s'installèrent
dans la maison pendant une heure et demie, afin de
cuire leur riz et de manger : ils se mirent
à causer parlant de la fureur de la Reine
contre Rafaravavy et du châtiment terrible
qui l'attendait. Rafaravavy entendit tout et
pouvait même voir les soldats par les fentes
de la natte. Au début elle tremblait comme
une feuille, mais peu à peu le calme lui
revint. Elle se rappela la
parole de l'Écriture Sainte disant :
- « Ne crains point la terreur
soudaine
- Ni la ruine causée par les
méchants,
- Car Jéhovah est ton refuge
- Il gardera ton pied de tout
piège. »
Les
bûchers de Faravohitra
Quelques chrétiens du lieu apprirent
soudain l'arrivée des soldats chez
Andrianilaina et se précipitèrent
chez lui pour lui venir en aide. Andrianilaina leur
devait une petite somme, et ils firent semblant de
venir la lui réclamer. Andrianilaina et
Razafy sa femme venaient de finir leur dîner.
Razafy sortit et vit venir ses amis. Elle rentra
chez elle et dit à son mari :
« T'es créanciers sont là,
mais ils refusent la piastre que tu leur a
donnée, et veulent que tu la
changes.
- Je n'en ai pas d'autres, dit
Andrianilaina.
- Montrez-nous cette pièce,
dirent les soldats ; mais elle est très
bonne, pourquoi ne la reçoit-on
pas ?
- Je t'en prie, va toi-même,
reprit Razafy, ils ne me croient
pas. »
Andrianilaina sortit de la maison, et
voici qu'arriva Andrianomanana, fuyant Tananarive
où il ne trouvait plus à se cacher.
Quel ne fut pas l'effroi d'Andrianilaina en le
voyant ! Et quelles complications ! D'un
côté Rafaravavy cachée chez lui
dans le plus grand danger d'être
découverte, et de l'autre Andrianomanana
venant se jeter dans la gueule du loup.
Andrianilaina le mit rapidement au courant de ce
qui se passait ; il partit et s'en alla
rejoindre Rasoamaka et
Ratsarahomba. Sans cette sortie
d'Andrianilaina, c'en était fait
d'Andrianomanana.
Andrianilaina alla se cacher de son
côté. Ne le voyant pas revenir, les
soldats s'imaginèrent qu'il était
parti, afin d'aider Rafaravavy à
échapper à leurs poursuites, et ils
se mirent à sa recherche. Quand
Andrianilaina, de sa cachette, les eût vus
s'éloigner suffisamment, il rentra
prévenir les deux femmes restées chez
lui.
Ils partirent alors tous les trois, mais
chacun par une route différente.
Andrianilaina, qui avait pris sa Bible,
descendit dans une excavation non loin de la
maison. Razafy, sa femme, se rendit chez sa
belle-mère qui n'habitait pas bien loin.
Elle pensait que Rafaravavy s'y réfugierait
aussi. Toutefois elle l'attendit en vain jusqu'au
soir. Son mari, arrivant dans l'après-midi,
fut aussi anxieux qu'elle de ne pas trouver leur
amie. Ils se mirent à sa recherche et furent
assez heureux pour la découvrir dans un
village non loin de là.
Elle leur raconta ce qui lui
était survenu.
En quittant la maison, le matin, elle
avait assez longuement hésité sur la
direction à suivre et sur l'endroit
où finalement elle chercherait un
refuge.
Toutefois, elle prit soin de
s'écarter autant que possible de la colline
où on l'avait une fois
aperçue.
Elle marcha lentement, cherchant
à prendre une démarche aussi
naturelle que possible pour ne faire naître
aucun soupçon chez ceux qu'elle pouvait
croiser en chemin.
À un moment donné, elle
aperçut, au détour d'une route, les
deux soldats partis à sa recherche. Elle
s'avança alors en redoublant de
précaution, parvint à
disparaître derrière un monticule et
prit alors ses jambes à son cou pour courir
dans le village où on l'avait enfin
découverte.
La nuit était noire, le chemin
glissant, l'herbe, très haute,
dépassait parfois la taille d'un homme.
Plusieurs fois elle dut s'arrêter haletante
et s'accroupir sous les herbes, en entendant des
pas. Elle dut elle-même faire peur à
plusieurs passants. Dans le village où elle
arriva enfin, Rafaralatitiasoa se trouvait
déjà avec sa femme, et peu
après Andrianilaina et Razafy se joignirent
à eux.
Cette même nuit, les soldats
revinrent fouiller la maison qu'ils avaient
quittée si récemment à
Fihaonana. Ils y découvrirent dans une
caisse, une Bible. Aussi, quelques jours
après, la Reine fit faire dans tout le
Vonizongo une proclamation déclarant
Rafaralahy et Andrianilaina hors la loi, ordonnant
à qui que ce fût de les arrêter
et de les tuer en cas de résistance.
Il fallait donc se cacher de plus en
plus et même songer peut-être à
changer de région. Rafaralahy était
très partagé. Il ne voulait pas
abandonner sa femme, et celle-ci, ayant encore de
tout jeunes enfants, ne pouvait l'accompagner.
Toutefois il fut décidé qu'ils s'en
iraient tous dans un village plus
éloigné.
Les autres chrétiens poursuivis
trouvèrent tout d'abord un abri non loin de
l'endroit où Rafaravavy
avait failli être prise,
chez un ami des plus dévoués qui
voulait absolument continuer à les cacher.
Mais bientôt ils se rendirent compte qu'ils
ne sauraient échapper longtemps aux
recherches en restant là.
Ils quittèrent donc de nouveau ce
refuge provisoire et, marchant toute une nuit,
allèrent demander l'hospitalité
à un autre chrétien habitant beaucoup
plus au nord. Ils y demeurèrent quelques
jours. Mais ils pensèrent qu'il fallait
résolument se retirer en pays sakalava, les
hommes allant d'un côté et les femmes
de l'autre.
Il était en effet temps de s'en
aller : car plus de cent émissaires de
la Reine, aidés de toute la population,
fouillaient le Vonizongo jusque dans ses moindres
recoins, battant les rizières et les champs
de manioc, pénétrant dans les
grottes, sondant les rochers près de la
berge des cours d'eau et inspectant jusqu'aux
tombeaux.
Avant de partir, il fallait toutefois
s'assurer de quelques vivres et de quelque argent.
Andrianilaina partit en chercher jusqu'à
Tananarive. Rafaralahy en recueillit de son
côté. Pendant ce temps, Sarah et
Rafaravavy firent une ou deux visites. En revenant
de l'une d'elles elles durent longer un petit
hameau. Il faisait déjà nuit. Elles
entendirent du bruit, une discussion, et
distinguèrent une voix irritée
criant : « Cela ne peut durer
longtemps ainsi. Il nous les faut, sinon on nous
arrêtera tous en bloc. » Les deux
femmes comprirent vite qu'il s'agissait des
chrétiens et leur angoisse redoubla.
Aussi, le jour suivant, elles se
cachèrent dans un ancien silo à riz
dont l'ouverture était dissimulée
sous des épines et des bruyères.
Elles y restèrent serrées l'une
contre l'autre, n'ayant pas la place de remuer,
pendant trente-six heures. Après cela elles
passèrent deux ou trois jours dans un champ
de manioc appartenant à la brave femme chez
qui elles étaient d'abord allées.
Tombeau
Pendant plusieurs nuits, elles couchèrent
sur de grandes pierres près d'une
rivière ; puis elles élurent
domicile sur le haut d'un
tombeau, entre les dalles duquel une herbe assez
épaisse avait poussé, les cachant
ainsi à la vue des passants.
Un matin, la femme qui les avait ainsi
nourries et en partie hébergées
pendant une douzaine de jours vint les avertir que
les soldats étaient au village
voisin.
Elles s'enfuirent donc de nouveau sous
la conduite d'un jeune garçon qui devait les
conduire chez une autre amie. Le guide avait
reçu l'ordre de faire un signe convenu
à la moindre apparence suspecte. En
approchant d'un marché, le jeune homme monta
sur une petite éminence ; de là
il aperçut une vingtaine de soldats se
dirigeant vers eux.
Il fit aussitôt le signal
indiqué. Sarah et la femme de Rafaralahy qui
l'accompagnait se sauvèrent à toutes
jambes et furent bientôt hors de vue.
Rafaravavy ne put les suivre, et ne trouva d'autre
moyen d'échapper que de se jeter dans un
marais, non loin de la route, et de se cacher dans
la vase et les roseaux.
Elle était enfoncée dans
l'eau jusqu'à la bouche, et demeura sans
bouger jusqu'à ce que les soldats
lancés à sa recherche fussent
passés.
Mais alors elle se sentit si
profondément enfoncée dans la vase
qu'il lui fut impossible d'en sortir. Heureusement
ses compagnes vinrent à sa recherche et la
tirèrent de là. Mais ses habits. et,
ce qui lui fit plus de peine encore, sa Bible,
n'étaient plus qu'un paquet de boue
gluante.
Il leur fallut ensuite marcher aussi
vite qu'elles le pouvaient
pendant toute la soirée et une bonne partie
de la nuit. À un certain moment, elles
virent quatre hommes qui semblaient se mettre
à leur poursuite et elles se
cachèrent de nouveau dans les
buissons.
Tard dans la soirée, elles
parvinrent à ce qu'elles croyaient
être le but de leur fuite... Mais là,
elles trouvèrent précisément
un messager envoyé à leur recherche
par Rafaralahy et Andrianilaina qui
désiraient s'entendre avec elles sur la
conduite à tenir, car ils avaient enfin
réuni ce qui était nécessaire
pour partir.
Les pauvres femmes, malgré leur
état d'épuisement, suivirent le
messager et firent encore plus d'une heure de
marche avant de pouvoir enfin se reposer. Le reste
de la nuit se passa à discuter des plans de
fuite.
À l'aube, ils partirent tous,
afin d'aller avertir un homme important de la
région qu'ils savaient très favorable
aux chrétiens. Il les reçut à
bras ouverts et les prit chez lui pendant toute une
journée, afin qu'ils pussent se
reposer.
Il les dissuada de continuer leur voyage
chez les Sakalava et leur fit dresser une tente
dans une plantation dont les tiges
dépassaient le toit assez bas de cette
demeure improvisée. Il mit dans sa
plantation un « Kiady »,
c'est-à-dire une sorte de poteau
sacré, qui écarta toute visite
éventuelle. Il avait d'ailleurs une grande
autorité dans le pays et il fit
défense à qui que ce soit d'entrer
dans son champ.
Les fugitifs demeurèrent
là trois mois, sans que
personne dans le pays
soupçonnât leur existence,
merveilleusement soignés par leur excellent
ami.
Au bout de ce temps, les soldats,
découragés de ne rien trouver,
retournèrent à la capitale.
Passage d'une
rivière en pirogue.
|