Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



RAFARAVAVY MARIE
(1808-1848)

Une Martyre Malgache sous Ranavalona 1re,



CHAPITRE V

Première arrestation

Bientôt, Rafaravavy ne se contenta pas d'un rôle purement passif. Du sein même de sa méditation, elle entendit comme une voix qui la poussait à sortir de chez elle et de ses préoccupations personnelles et a s'en aller fortifier par l'exemple de sa foi ceux qui pouvaient être dans une phase plus critique que la sienne.

Se défiant d'ailleurs en partie d'elle-même, elle pensa qu'une bonne méthode serait d'aller chercher de l'appui auprès d'amis sûrs et connus par leur fidélité. Non loin d'elle habitaient Rainitsiheva et sa femme, tous deux chrétiens décidés. Elle alla les voir. Ils causèrent ensemble de la terrible situation où ils se trouvaient, s'encouragèrent l'un l'autre, demandèrent ensemble à Dieu le courage nécessaire et décidèrent de se mettre à la recherche de leurs compagnons pour les réunir et les aider. Peu à peu, ils rassemblèrent un bon noyau de chrétiens, et d'intimes réunions de prières s'organisèrent à tour de rôle chez Rainitsiheva et chez Rafaravavy.

Voici ce qu'a raconté à ce sujet un des chrétiens survivants de la persécution, Rasoalambo :
« Au début, nul n'avait osé se réunir pour prier mais une femme, Rafaravavy Marie, fortifiée par l'Esprit Saint, ne put supporter cette situation. Elle alla trouver Rainitsiheva, Ratsilainga, moi-même et beaucoup de nos compagnons et nous dit : « Chers frères en Christ, allons-nous cesser de prier le Seigneur ? » En même temps, elle nous montra sa Bible avec un geste à la fois triomphant et attristé. Tous nos coeurs furent saisis d'une émotion extraordinaire. Nous tombâmes à genoux ; ce fut une vraie Pentecôte. »

C'est que la parole de Rafaravavy avait une force toute particulière. Andrianimanava, un des douze jeune gens choisis par les missionnaires comme élèves-maîtres, s'était donné au Seigneur, mais, dans un moment de faiblesse et par peur, avait paru renier sa foi. Sa maison était juste au-dessus de celle de Rafaravavy. Un jour, Andrianimanava et sa famille cueillaient des épis de maïs et se plaignaient de ce que les épis avaient belle apparence, mais peu de grains. Par hasard, Rafaravavy leva la tête et les vit.

« Ce maïs est décevant, lui dit Andrianimanava s'approchant ; ses feuilles sont superbes, ses tiges merveilleuses de hauteur, ses barbes extrêmement longues, mais quand on l'épluche, il est comme vide !
- Mon frère, lui dit Rafaravavy d'un ton affectueux, mais la gorge serrée par ses larmes, puisses-tu rentrer en toi-même. Ce maïs, c'est ton image. Dieu t'a donné une grande mesure de sagesse et de savoir ; tu te dressais au milieu des autres comme une tige élevée et couverte de feuilles, mais quand le Seigneur est venu pour y cueillir du fruit, il n'a trouvé que du feuillage. »

Ces paroles étaient dures ; celui à qui elles étaient adressées aurait pu s'en scandaliser, mais au contraire, elles trouvèrent le chemin de son coeur : il baissa la tête et versa des larmes. Il revint peu après a sa ferveur première et mourut dans les chaînes, après avoir souffert toutes sortes de maux pour Christ. Andrianimanava fut, en effet, sur les douze premiers instituteurs malgaches formés par la Mission, le seul à subir le martyre.

Pendant les premiers temps de la persécution, au moins tant que cela leur fut matériellement possible, les chrétiens se réunirent presque chaque nuit pour prier ensemble. Ils allaient dans une maison du quartier d'Ambatonakanga et se trouvaient souvent 40 ou 50. Tandis que Tananarive dormait et que les veilleurs s'entre-répondaient dans le silence de la nuit, quelques chrétiens se glissaient le long des maisons, dans les ruelles désertes et tortueuses et presque impraticables, afin d'aller à la rencontre de leur Dieu.
Un de ceux qui eurent le privilège d'assister à ces réunions déclarait que jamais il ne jouit d'une telle paix et d'une telle félicité qu'à ce moment-là.

Aussitôt après la proclamation royale interdisant les pratiques chrétiennes aux Malgaches, et surtout après les confessions assez nombreuses qui eurent lieu le dimanche d'après, il y eut comme un moment d'accalmie. La Reine avait dégradé un certain nombre d'officiers et de nobles et avait distribué ensuite des amendes soit individuelles, soit collectives, qu'on s'était empressé de payer.

Les conseillers de Ranavalona ayant assisté à quelques-unes des séances plus ou moins ridicules qui avaient marqué les confessions faites par des gens qui avaient directement ou indirectement approché les chrétiens, en avaient conclu un peu rapidement que la terreur avait dompté tous les sujets de la Reine et que c'en était fini de la tentative de christianisation à peine esquissée en Imerina.

Ce répit dura environ un an, durant lequel les missionnaires anglais durent s'en aller les uns après les autres : MM. Freeman (auquel nous devons une relation des plus vivantes de toute cette période), Cameron, un de ceux qui contribuèrent le plus à la civilisation des Malgaches, auxquels il enseigna une foule d'arts utiles, et Chick, artisan habile, durent partir dès juin 1835 ; MM. Johns et Baker parvinrent, à force d'insistance, à demeurer jusqu'en juillet 1836, et employèrent tout leur temps et toute leur activité à terminer l'impression de la traduction malgache de la Bible, qu'ils purent laisser comme un témoignage et comme une consolation aux chrétiens malgaches.

Rafaravavy Marie fut une des premières à acheter un des volumes prohibés par la loi humaine, mais où elle savait devoir puiser la force nécessaire aux tribulations qui l'attendaient.

Bible malgache sauvée des persécutions

Déjà, au début de 1836, la police gouvernementale recommença à s'inquiéter des allées et venues de quelques-uns des disciples des missionnaires, et apprit que la victoire des gardiens d'idoles et des conseillers de la Reine n'était pas aussi complète qu'on l'avait cru. Une surveillance étroite s'établit. Il devint à peu près impossible aux chrétiens de se réunir en groupe un peu important, comme ils l'avaient fait jusque là.
Ils prirent tout d'abord leurs précautions pour se reconnaître entre eux et dépister les espions chargés de les rechercher et de les dénoncer. Ils convinrent d'une sorte de mot de passe, et voici la méthode à laquelle ils s'arrêtèrent. À intervalles plus ou moins réguliers, on choisit un passage de l'Écriture dont celui des deux interlocuteurs qui saluait le premier devait dire le début et le salué la fin. On prit par exemple un texte de Jérémie, chap. 38, vers. 5, commençant ainsi : « Et Jérémie répondit à Sédécias : Quand je t'aurai déclaré cela, ne me feras-tu pas mourir... », et se terminant par cette autre phrase : « Le roi Sédécias jura en secret disant : L'Éternel est vivant ! Je ne te ferai pas mourir et je ne te livrerai pas entre les mains de ceux qui cherchent ta vie. »

On décida, en second lieu, d'avoir plusieurs endroits de réunions où on n'irait qu'en petit nombre. Il y eut ainsi des séances intimes chez Rainitsiheva, chez Rasoalavavolo, chrétien très décidé, et chez Rafaravavy.
Mais on finit par s'apercevoir que même cela était assez dangereux. Les demeures de ces amis étaient trop en ville.

Un jeune chrétien, Rafaralahy Andriamazoto, qui avait eu un instant de faiblesse après la proclamation royale et avait donné un ou deux livres en sa possession aux enquêteurs gouvernementaux, s'était vite ressaisi et avait repris ses relations avec ses anciens compagnons.
Il possédait une maison à Anjanahary. C'était alors un village isolé à une certaine distance au nord de la ville qui, dans cette direction, n'allait guère au delà d'Andohalo. La maison était à peu près à l'endroit où se trouve actuellement l'hôpital militaire. Elle était fort isolée. Il l'offrit comme lieu de réunion. On accepta. Elle répondait en effet aux conditions requises.

Peu à peu, d'ailleurs, on s'habitua à se rencontrer la nuit. On fermait hermétiquement les portes et les fenêtres ; ou allumait une modeste chandelle à demi cachée dans un coin de la pièce, de façon que la lumière n'en pût filtrer au dehors. Si le temps était beau et qu'on pût craindre l'indiscrétion de passants éventuels, on se contentait de lectures et de prières ; on ne chantait pas de cantiques. Parfois, un des assistants jouait l'air d'un hymne religieux sur la valiha et les auditeurs se remémoraient mentalement les paroles.
Si la pluie faisait rage, on pouvait être assuré d'être à l'abri et on entonnait à haute voix les chants sacrés qui contribuaient à entretenir l'enthousiasme commun.

Rafaravavy eut la joie, pendant cette période, d'amener à ses idées quelques membres de sa tribu.
Ces succès l'enhardirent. Elle osa parler du Dieu unique à des gens de sa famille et à une ou deux des servantes de sa maison. C'était peut-être aller un peu loin. En tout cas, elle fut rapidement victime de son zèle.

Au début de juillet 1836, elle était allée rendre visite pour la dernière fois à M. Johns. Elle était venue le soir par des sentiers détournés, en s'arrêtant fréquemment pour ne pas être vue par quelque espion. Elle portait d'ailleurs une corbeille avec du riz, comme si elle allait simplement vendre cette denrée à l'Européen. Elle savait que le missionnaire allait partir, quelques jours après, avec son ami, M. Baker, que désormais les chrétiens malgaches n'auraient plus aucun appui européen et qu'il leur faudrait compter uniquement sur eux-mêmes et sur le secours de Dieu.

Dès l'aube, le lendemain, elle repartit pour aller voir les siens. Elle avait prié une partie de la nuit et était toute remplie de l'idée de sa responsabilité, en tant que disciple du Christ, vis-à-vis de tous ceux qui l'entouraient.
Arrivée chez ses parents, elle s'assit dans un coin de la chambre et prit en mains un Nouveau Testament, don du missionnaire qu'elle était allée voir. Elle en lut d'abord silencieusement quelques passages. À un moment donné, une des servantes, qu'elle connaissait de longue date, entra dans la pièce. Elle l'appela et se mit à lui lire des paroles de Jésus-Christ, puis, avec instance, lui parla de son âme, du péché et du seul chemin vers la vérité.
Surprise, la servante ne savait que dire. Dans l'après-midi, elle ne put s'empêcher de parler de la scène et de l'excitation de sa maîtresse à des compagnes de service.

Pendant la semaine, trois de ces dernières se concertèrent : il leur semblait qu'elles pourraient profiter de la circonstance pour obtenir certains avantages de part des conseillers de la Reine. Et le dimanche 17 juillet, elles se rendirent auprès d'un d'entre eux, Rajery, le propre frère de Rainiharo, premier ministre et époux de la Reine, afin d'accuser leur maîtresse.
On ne les laissa pas entrer dans la maison du juge. Elles transmirent à un aide de camp de Rajery le message qu'elles désiraient apporter. Elles racontèrent ce qui s'était passé dans la maison des parents de Rafaravavy. Elles ajoutèrent un autre détail important, qu'elles avaient appris par l'indiscrétion de quelque autre serviteur : à savoir que leur maîtresse avait la coutume, quand elle était en ville, de se réunir à neuf autres compagnons, principalement le dimanche, afin de lire les livres interdits par la Reine, et de prier les ancêtres des Européens.
« Si vous ne nous croyez pas, ajoutèrent les esclaves, vous n'avez qu'à aller chez elle, dans le quartier d'Ambatonakanga, et vous pourrez, au début de la nuit, les surprendre. »

L'aide de camp qui avait reçu l'accusation ne se pressa pas de la faire parvenir à son chef. Dans le fond de son coeur, il trouvait les mesures prises contre les chrétiens à la fois peu conformes aux coutumes judiciaires d'autrefois et beaucoup trop sévères.
Il répondit aux servantes qu'on ferait une enquête. Et, de fait, il se rendit à la maison indiquée. Ce soir-là, Rafaravavy était seule. D'ailleurs, nous avons déjà dit qu'elle commençait à se méfier et que les réunions chez elle-même se faisaient plus rares. Elle avait passé une partie de la soirée à lire, puis, fatiguée, s'était retirée dans une autre pièce.

L'aide de camp écouta assez longtemps, mais n'entendit rien. Il était extrêmement embarrassé. Ne rien dire à Rajery, c'était risquer gros, car les servantes ne se taisaient pas, et tout finirait par se savoir quand même. Il pouvait, heureusement, déclarer n'avoir personnellement rien vu de suspect. Par précaution, il fit prévenir un ami de Rafaravavy de ce qui s'était passé.
D'ailleurs, on se serait sans cela douté de quelque chose chez cette dernière, ou du moins chez ses parents. Car les trois esclaves n'osèrent pas rentrer chez leurs maîtres, mais restèrent chez Rajery.

Rafaravavy, à la première information, courut de nouveau chez M. Johns, qu'elle n'avait plus pensé revoir. Elle avait besoin de conseils et d'exhortations ; de plus, elle voulait déposer en lieu sûr quelques-uns de ses livres.
Le lendemain matin, l'aide de camp, découvrant parmi les servantes de Rajery la présence des esclaves d'Andrianjaza se rendit compte qu'il ne pouvait plus tarder à transmettre à son chef ce qu'il avait appris.

Rajery était, vis-à-vis des chrétiens, d'un tout autre sentiment que son subordonné, et, malgré la façon dont ce dernier lui rapporta l'affaire, et malgré le résultat négatif de la visite faite au domicile de Rafaravavy, il décida d'agir immédiatement. Les ordres donnés par la Reine étaient trop formels, et les circonstances trop critiques pour qu'on pût tergiverser.
L'aide de camp essaya encore de détourner de la tête de Rafaravavy le coup qui la menaçait.
« Faut-il, hasarda-t-il timidement, faire tellement attention à cela ? Car, en somme, ce ne sont que des paroles d'esclaves que nous avons aujourd'hui. »

D'après les règles édictées par Andrianampoinimerina, une accusation d'esclave était en effet irrecevable. Très peu de temps auparavant, un certain Ratsimanina, dénoncé par ses domestiques comme concussionnaire, n'avait pas été inquiété et n'avait été l'objet d'aucune enquête, la Reine ayant ordonné d'exécuter sur le champ les esclaves qui avaient osé se poser en accusateurs de leur maître. Mais tout cela n'empêcha pas Rajery d'accepter l'accusation portée contre Rafaravavy par ses esclaves. On fit appeler Andrianjaza, son père.
« Votre fille, lui dit-on, continue, parait-il, à prier et cela en compagnie de neuf autres personnes ; il vaut mieux qu'elle s'accuse elle-même, plutôt que de se voir dénoncée par d'autres. Qu'elle indique aussi le nom de ses compagnons, si elle veut avoir la vie sauve. »

Rafaravavy apprit le jour même l'accusation dont elle avait été l'objet, et grande fut son émotion. Il lui fallait choisir entre la mort ou le reniement de son Maître.
Elle s'en alla dans un endroit retiré, afin de voir clair en son âme. Elle implora le secours d'en haut, et il lui sembla distinctement entendre en son coeur résonner la parole de Jésus : « Quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai devant mon Père qui est dans les cieux ». Durant toute la nuit qui suivit, elle continua à prier avec ferveur, demandant avec instance à Dieu de lui donner la force de supporter toutes les épreuves qu'il Lui plairait de lui envoyer.

Église commémorative construite par la Mission de Londres au sommet de la falaise d'AmbohipoIsy

Le lendemain matin, elle partit pour aller au bas de Faravohitra (un des quartiers au nord de la ville), dans une maison appartenant à ses parents, afin d'y attendre la mort. Elle avait peine à se faire à l'idée d'être tuée à Ambohipotsy (1).
En chemin, elle rencontra des chrétiens qui la ramenèrent chez elle, lui persuadant que c'était mieux et plus digne, puisqu'elle n'avait pas l'intention de fuir.

Elle était à peine revenue, qu'arriva son père qui venait de voir Rajery.
« Eh bien, qu'entends-je, on me dit que tu continues à prier !
- C'est vrai, père, oui, je prie toujours. »

La colère et la douleur se peignirent à la fois sur les traits du pauvre père :
« Comment peux-tu m'avouer une chose pareille sans même que les muscles de ton visage tressaillent ? »
- Que veux-tu : c'est un fait que je prie, pourquoi le nierais-je ?
- Les bras m'en tombent, continua le père. Comment, tout le peuple d'Imerina réuni a eu toutes les peines du monde à obtenir grâce pour la première fois, et toi seule tu prétends t'opposer aux ordres de la Reine ! Dis-moi quels sont tes compagnons.
- Demande-le à ceux qui m'ont dénoncée, répondit la jeune femme, car il m'est impossible de les dévoiler.
- Mais vraiment recherches-tu la mort, pour manifester une semblable obstination ? »

Rafaravavy sentait ses forces diminuer au milieu de ce douloureux entretien, et, cherchant à le terminer, elle dit brusquement :
« Mais enfin, qui donc désire-t-on me faire accuser ? 
- Tu le sais bien, ceux qui viennent chez toi, reprit le père.
- Ceux qui viennent chez moi ? Mais vous seriez les premiers à être dans la liste, car qui vient ici plus souvent que vous ?
- Mais non, car nous, nous n'y venons pas pour prier ceux que la Reine ne veut pas qu'on prie. »

La conversation en resta là car, juste à ce moment, un envoyé de Rajery se présenta. Il entendit les derniers mots de l'entretien.
« C'est inutile d'insister, dit-il ; je n'ai jamais vu plus entêté que ces faiseurs de baptêmes. Vous couperiez votre fille en morceaux que cela ne changerait en rien sa résolution. Mieux vaut vous hâter de faire ce que vous pourrez pour elle. »

C'était évidemment un surcroît de douleur pour Rafaravavy que de se trouver obligée de résister de cette manière à ses parents. Mais elle ne pouvait faire autrement : la vérité devait passer avant toute autre chose.

Andrianjaza se dépêcha donc d'aller frapper à la porte de Rajery, et, à peine entré, s'écria :
« Nous venons, Seigneur, nous accuser humblement nous-mêmes, comprenant la gravité de nos actes, et implorant à genoux la miséricorde de notre souveraine à laquelle nous promettons obéissance complète. »

Rajery interrogea le malheureux père sur les véritables sentiments de sa fille. Andrianjaza dut reconnaître qu'au moins sur ce point, il n'avait rien pu obtenir ; il n'y avait pas eu moyen de lui faire prononcer le nom d'aucun de ses complices.
Rajery fit alors un rapport à la Reine. Celle-ci fut extrêmement irritée.
« Est-il possible, s'écria-t-elle, qu'il y ait ainsi parmi mes sujets des individus si audacieux, osant ainsi me braver ? Est-il possible surtout de voir pareille attitude chez une femme ? C'en est trop ! Qu'on la mette à mort ! »

Toutefois Rajery, qui avait vu la douleur d'Andrianjaza, ainsi qu'une femme de haut rang très influente auprès de la Reine, Rasendrasoa, intervinrent en sa faveur, rappelèrent les grands services rendus par Andrianjaza, ainsi que par le frère de Rafaravavy, ex-général dans l'armée, rétrogradé de dix honneurs quatre après l'édit royal pour avoir suivi sa soeur à une réunion religieuse. Rainiharo lui-même prêcha la clémence à son auguste épouse.

La Reine consentit alors à prendre quelques heures de réflexion et arrêta l'envoyé qui allait porter l'ordre fatal.
Rafaravavy pendant ce temps attendait chez elle, sûre de voir arriver les émissaires royaux dépêchés pour l'emmener à la mort. Parmi les petits traités qu'elle avait gardés sur elle, le jour où elle était allé déposer ses livres chez le missionnaire, s'en trouvait un sur le Saint-Esprit. Elle le lut avec attention et y trouva un vrai réconfort.

Le soir passa toutefois sans incident pour elle. Elle ne dormit guère cette nuit-là. Elle se rappela soudain que c'était ce jour-là que MM. Johns et Baker devaient quitter la capitale pour s'en aller définitivement.

À trois heures elle fut sur pied, se glissa dehors et arriva à la maison où les voyageurs, éveillés eux-mêmes par leurs derniers préparatifs et l'agitation causée par la solennité de l'heure, s'unissaient dans une prière ardente pour le petit troupeau chrétien qu'ils étaient forcés de laisser en pleine tempête. L'apparition de Rafaravavy, sur laquelle planait la menace d'une mort imminente, augmenta singulièrement l'émotion de tous.

On trouve dans une lettre écrite peu de jours après par Madame Johns, une allusion à cette rencontre.
« Je n'oublierai jamais, dit-elle, la sérénité et la douceur avec lesquelles elle nous assura de sa confiance dans les promesses divines. En nous quittant, sûre que bientôt elle aurait à confirmer son témoignage par le martyre, elle nous pria de transmettre ses voeux aux chrétiens d'Europe et de leur demander d'intercéder en faveur des pauvres brebis malgaches dispersées. »

Ce jour-là même, la Reine se décida à commuer la peine prononcée précédemment. Elle envoya dire à Rafaravavy par quelques-uns des aides de camp de Rajery, qu'en raison des hauts services rendus au gouvernement par son père et son frère, elle voulait bien cette fois user de bienveillance, mais qu'elle la condamnait à la perte d'une partie de ses biens. Il lui fallait payer comme amende une somme équivalente à la moitié du prix d'une esclave, à savoir sept piastres, plus la moitié de tout ce qu'elle possédait en espèces ou en biens fonciers. Johns lui envoya lui-même douze piastres pour l'aider en cette circonstance.
Les envoyés royaux ajoutèrent qu'en cas de récidive, elle ne pourrait plus compter sur la clémence royale.
Les esclaves qui l'avaient dénoncée avaient espéré, soit obtenir la liberté, soit être largement récompensées. Elles avaient compté sans le mépris profond de Rajery pour elles, et sans le ressentiment d'Andrianjaza.

Une fois la question de sa fille réglée, ce dernier revint chez Rajery, et s'entendit avec lui pour qu'on lui renvoyât les trois servantes qui s'étaient en somme échappées de sa demeure. Il les fit ensuite mettre aux fers. Rafaravavy l'apprit et n'eut de cesse jusqu'à ce qu'elle les eût fait délivrer. Cet acte de générosité fit une impression profonde surtout sur l'une d'entre elles qui demanda à être spécialement attachée à celle qui lui avait si entièrement pardonné. Elle finit, sous l'influence de sa maîtresse, par devenir à son tour une chrétienne décidée.

À partir du jour de cette première condamnation. Rafaravavy fut étroitement surveillée par son père et ses amis. Il lui devint à peu près impossible de se rencontrer de nouveau avec ses coreligionnaires.
Elle finit par prendre la résolution de vendre sa maison d'Ambatonakanga et d'en acheter une autre aux confins de la ville. Elle put alors y recevoir de temps à autre certains amis, en particulier quelques chrétiens venant du Vonizongo, province située de 60 à 100 kilomètres au nord-ouest et qui fournit un grand nombre de confesseurs de la foi.


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(1) Quartier au sud de Tananarive, à l'extrémité duquel se trouve un éperon de rochers dominant une grande plaine ; on y exécutait certains criminels. Ambohipotsy signifie d'ailleurs la colline blanchie (par les ossements).

 

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