Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Notre Père




Avant-propos

Ce sont là quelques prédications prononcées à Lyon, au cours de l'automne 1942, en pleine bagarre. C'était la chasse aux Juifs, la honte des premières déportations et le commencement de la terreur policière. Elles ont été reprises dans la paix d'une retraite à Presinges, en octobre 1944.
Elles ont voulu n'être rien d'autre que la ration hebdomadaire de ceux qui faisaient leurs premiers pas dans le combat de la foi et de la prière. Plusieurs ont demandé de pouvoir s'y nourrir encore. C'est pourquoi nous les laissons publier.

R. P.



Notre Père qui es aux Cieux

EN abordant l'étude du Notre Père, nous songeons qu'il est de tous les textes chrétiens le plus connu et le plus rabâché, mais sans doute aussi le plus incompris et le plus souvent prononcé en vain. Il est effrayant de penser avec quelle inconscience, la plupart du temps, nous répétons cette prière qui, pourtant, contient toute notre vie chrétienne, et dont chaque mot est porteur de notre destinée d'enfant de Dieu. C'est qu'en effet elle n'est pas une parole jaillissant de notre coeur, elle est la Parole que Dieu lui-même a mise dans notre bouche pour que nous la lui adressions.

Il nous faut commencer par l'entendre comme une prédication de la Parole de Dieu pour qu'elle devienne alors, par le miracle du Saint-Esprit, l'expression de notre réalité humaine la plus totale et la plus intime, pour que, descendue du ciel en nous, elle remonte vers Dieu comme une supplication où nous soyons vraiment tout entiers avec toute notre vie, avec la vie de nos frères, avec la vie de notre Église, avec la vie du monde perdu, et de tous les êtres accablés qui nous entourent.

Combien il est merveilleux déjà de savoir que c'est le Seigneur lui-même qui place dans notre bouche une telle prière, que c'est le Saint-Esprit, esprit de supplication et de prière, qui la profère en nous, et qui nous fait vivre en elle. Ainsi nous n'avons qu'à suivre, nous n'avons pas à chercher une prière qui corresponde à notre vie, qui traduise notre réalité, car cette prière-ci est vraie, infiniment vraie, seule réelle, et c'est notre vie qui doit lui correspondre et traduire sa réalité. Nous n'avons qu'à suivre. Nous n'avons qu'à être seulement celui qui vraiment prononce la prière dite pour nous par le Seigneur. Car Dieu, en Jésus-Christ, ne fait pas que nous enseigner cette prière, il la prie aussi ; il est devenu Celui dont la vie correspond exactement à cette prière. Il est la Parole de Dieu faite chair. Il est la prière faite chair. Si je crois en lui, alors je suis l'homme qui prononce le « Notre Père » et dont la vie l'exprime.

Et voici pour commencer le titre que Dieu se donne pour nous : celui de Père. Dieu lui-même a mis ce nom de Père dans notre bouche. Il veut que nous nous adressions à Lui comme un enfant le fait à son père, avec la même crainte, la même affection, la même confiance. Non point que ce soit là une vérité naturelle et normale, comme s'il allait de soi que nous fussions les enfants de Dieu. Mais Dieu veut qu'au seuil de notre prière nous tenions compte du miracle de la réconciliation, Dieu veut que notre prière soit une réponse à la bonne nouvelle de notre adoption. Car nous nous étions perdus, et en nous perdant nous avions justement perdu notre Père. Dans notre incrédulité, dans notre injustice, dans notre égoïsme, nous sommes des orphelins, nous n'avons plus de Père, et ce mot de Père dans notre bouche n'est qu'un mensonge en dehors de la bonne nouvelle de la réconciliation ; ce n'est plus qu'un lieu commun de la sentimentalité religieuse des hommes, mais en aucune manière l'expression de la réalité, et, Jésus ne se gênera pas pour répondre aux Juifs qui affirment avoir Dieu pour Père : « Le Père dont vous êtes issus, c'est le Diable. »

La prétention de l'homme naturel d'avoir Dieu pour Père est la marque d'un aveuglement et d'un orgueil diaboliques, car Jésus seul est Fils de Dieu par nature, et seul il peut dire à Dieu tout naturellement : « Mon Père ». C'est à cause de Lui, c'est en son nom, que le mot de Père peut n'être pas un mensonge présomptueux dans notre bouche, c'est parce qu'il nous a fait obtenir l'adoption filiale : « Vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Jésus-Christ. » Ce qui ne pouvait pas être est devenu possible grâce à lui. Il nous a donné sa place de fils unique ; il a partagé avec nous son héritage. Tout ce que Dieu, ce Père éternel et tout-puissant, était pour lui, il a voulu qu'il le soit aussi pour nous, et tout ce qu'il était pour Dieu, ce fils unique et bien-aimé, il nous l'a donné, il nous a donné sa place de fils unique du Père Éternel. C'est pour cette raison et pour nulle autre que ce mot de Père peut être mis dans notre bouche. La paternité de Dieu n'est pas une vérité courante et un fait naturel. Elle est le grand miracle de la grâce qui nous est faite en Jésus-Christ. Elle est la bonne nouvelle de la Croix où Jésus nous a transmis son droit de fils, à nous qui n'étions que des ennemis et des enfants morts.

Il faut bien rappeler cela avec quelque rigueur pour qu'aucun de nous ne demeure dans des illusions mortelles, et ne soit dispensé de la foi en Jésus-Christ grâce au sentiment douillet que Dieu est un Père. Car si l'homme charnel, incrédule, que nous sommes, peut se rassurer avec l'idée du Père, et rentrer chez lui réconforté, il n'en reste pas moins qu'une prédication quelle qu'elle soit qui n'est pas un appel à la foi en Jésus-Christ est un poison mortel, un opium qui endort, au lieu d'un cri qui réveille. Ainsi ne crois pas que Dieu soit ton Père, du moins de cette manière directe, mais crois au Seigneur Jésus, et Dieu alors sera ton Père, le Père qu'il est pour Jésus-Christ, et alors seulement tu pourras entrer dans cette prière, et contempler avec émerveillement, avec une paix qui surpasse toute intelligence, les trésors du coeur de Dieu grand ouvert à ses enfants. Non, Dieu n'est pas le Père des incrédules, il est vraiment, il est miraculeusement le Père de tous ceux qui croient en Jésus-Christ et sont résolument avec lui, d'où qu'ils viennent, et quels qu'ils soient. Il n'est pas une créature au monde qui ne soit appelée à devenir son enfant par la foi. Jésus-Christ a ouvert la porte de la maison paternelle.

C'est pourquoi, devant le Père, nous ne pouvons être seuls. Nous ne pouvons être son enfant sans l'être avec tous nos frères. Nous ne pouvons pas lui parler sans le faire dans l'Eglise. Nous ne disons pas : « Mon père ». Mais : « Notre Père », de sorte qu'en nous adressant à Lui de la manière la plus personnelle et la plus intime, nous sommes cependant environnés de tous les membres de la Famille de Dieu, nous sommes dans la communion des Saints.

C'est avec la pensée de tous ceux dont il est le Père, c'est avec la pensée de tous les orphelins du monde que nous nous adressons à lui. Nous ne sommes pas son enfant sans tous les autres qui déjà le sont, ou sont appelés à le devenir. C'est toute la présence de l'Eglise et c'est toute la présence du monde qui est dans Notre Père. C'est l'intercession qui envahit dès l'abord notre demande, c'est le monde entier qui se tient devant nous, qui se faufile avec nous, et qui veut avoir accès par nous au trône de la grâce et de la tendresse du Père. Dieu nous a fait sacrificateurs. Nous le sommes quand nous prononçons chacun des « Notre » de l'oraison dominicale : Notre Père, notre pain, nos offenses, notre délivrance. Nous nous tenons devant le Père au nom de tous ceux qui ne savent ni ne peuvent encore lui parler ainsi. Nous sommes solidaires du monde, de cet immense et pitoyable orphelinat qu'est le monde sans son Seigneur, comme Jésus lui-même, pour être son Sauveur, s'est déclaré solidaire du monde qui le crucifiait.

Notre Père, père de tous les membres du corps de Jésus-Christ et de toutes les créatures vers lesquelles il nous envoie pour leur dire qu'elles ont un Père. Notre Père ! Ce mot retentit avec une puissance étrange dans le monde où l'on fabrique les orphelins en interminables séries, sur les champs de bataille, dans les camps d'internement, par les travaux forcés et la déportation. Notre Père ! Nous ne pouvons prononcer ce mot sans penser à toutes les familles dispersées, à la honte sans nom de cet ordre nouveau qui, pour mieux exterminer tout ce qui touche à la Révélation biblique et à la volonté de Dieu, brise à plaisir les liens des époux, les liens des parents et des enfants, liens qui souvent font obstacle eux aussi à notre obéissance chrétienne, mais liens qui pourtant demeurent l'image de nos rapports avec Dieu.

« Je fléchis les genoux devant le Père », dit saint Paul, « duquel toute famille tire son nom dans les cieux et sur la terre. » Voici donc qu'au moment même où il s'agenouille pour dire à Dieu « Père », la prière de l'apôtre est envahie par la pensée de toutes les familles de la terre, de tous ces liens de parents à enfants qui n'existent que parce que Dieu est le Père Éternel de Jésus-Christ, et pour être un terme de comparaison de l'amour qui unit le Père avec le Fils. Toutes les familles de la terre sont bénies dans ce Notre Père, de même qu'elles sont maudites et se dissolvent loin de lui.

Qu'aucune illusion ne demeure ! Le lien familial lui-même perdra toute résistance là où le Père de Jésus-Christ ne sera pas reconnu comme seul Seigneur et Père de toutes les créatures, et comme source de toute paternité réelle. Oui, ce dernier refuge de l'ordre social, cette dernière possibilité d'épanouissement pour les créatures que constitue malgré tout la famille, sera balayé par la puissance des idoles qui sont en train de prendre possession du monde. Loin du Père de Jésus-Christ, les hommes se verront privés de leurs parents humains, ils ne seront plus que les enfants d'un État tout-puissant, tête anonyme enfantée par le mensonge et pour le mensonge. On ne néglige pas impunément cette vérité bienheureuse : le Père de Jésus-Christ est le seul Dieu et Père de tous les peuples, Celui dont toute famille tire son nom. Nous privons finalement les enfants de leur père et de leur mère, si nous ne leur apprenons pas à dire : « Notre Père » au Père de Jésus-Christ.

Je dirai pourtant : « Ne crains pas, petit troupeau du Père, Église de Jésus-Christ ». Il a plu à Dieu d'être ton Père, et tout ce que les hommes pourront inventer pour détruire la famille de Dieu, et même les familles naturelles, ne nous séparera jamais de l'amour du Père. Le monde ne pourra jamais faire plus qu'il n'a fait le jour où il a arraché le Fils unique aux mains de son Père, pour le précipiter dans la mort. Mais à Pâques, Dieu a retrouvé son Fils, après l'avoir abandonné « pour un instant » ; il est redevenu son Père. Les hommes peuvent faire ce qu'ils veulent pour nous prouver que Dieu n'est pas un père et qu'il ne s'occupe pas de nous, ils ne pourront empêcher que Dieu ne se montre à jamais comme notre Père en nous ressuscitant avec son Fils.

« Rien ne nous séparera de l'amour du Père. » Peut-on mesurer cette joie ? Rien ne pourra nous empêcher de dire : Notre Père puisque la certitude et la valeur de cette appellation sont fondées sur la Résurrection de Jésus-Christ, puisque c'est le nouveau-né, le baptisé, l'homme qui s'est réveillé d'entre les morts qui appelle Dieu son Père. Jamais nous ne descendrons plus bas que ce fossé d'où Dieu nous a tirés pour nous revêtir de la robe de noces, et nous adopter comme son enfant. Ni l'affliction, ni le péril, ni l'épée, ni la faim, ni la prison, ni rien au monde, sinon le péché, sinon la complicité avec les persécuteurs, sinon le consentement à l'infamie, ne nous séparera de Notre Père.

Qui es aux cieux.

Les cieux, ce n'est pas un lieu élevé où un vieillard à barbe blanche est installé dans les nuages. « Qui es aux cieux » veut nous rappeler que Notre Père, c'est Dieu, et non pas un homme. Dieu est au ciel et toi tu es sur la terre. Ce ciel, c'est l'éternité, c'est la divinité, c'est la souveraineté, c'est la gloire de notre Père ; c'est son indépendance, et sa liberté absolue ; c'est le mystère de sa Présence auprès de chacun de nous et de son regard aussi, et de la distance infinie qui le sépare de nous. Il n'est pas quelque très haute valeur de ce monde, qui pourrait crouler avec le monde. Il est au ciel, il est Dieu. Il est le commencement et la fin de tout. Il est Celui de qui procède toute grâce excellente, et il donne la vie aux morts. Aucune des entreprises et des révoltes du monde ne peuvent l'atteindre.

Seule la prière de la foi, la prière des enfants de Dieu, peut parvenir jusqu'à lui et le toucher. Il est bon qu'au moment où Dieu est ramené pour nous aux dimensions d'un Père, Il garde en même temps toute sa dimension de Dieu. Notre Père est vraiment dans les cieux.



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