L'HOMME
BANNI D'EDEN
DÉVELOPPEMENTS
EXÉGÉTIQUES.
DE l'IMAGE DE DIEU EN L'HOMME. (Suite)
V. 4. Et le serpent dit
à la femme : Vous ne mourrez
nullement.
Après avoir jeté le doute dans
le coeur de la femme par une question captieuse, le
tentateur donne maintenant un hardi démenti
à la Parole de Dieu.....
De même que dans l'ordre de Dieu la certitude
de la sanction est
exprimée par la tournure
hébraïque : Vous mourrez de
mort, ou plutôt mourir vous mourrez,
le tentateur exprime la certitude de sa
dénégation par vous ne mourrez
point de mort, vous ne mourrez certainement pas
(1).
V. 6. Mais Dieu
sait qu'au jour que vous en mangerez, vos yeux
seront ouverts, et vous serez comme des Dieux
connaissant le bien et le mal.
Le tentateur, ayant détruit dans le coeur de
la femme la foi à la Parole de Dieu, lui
fait une promesse. Ayant ôté sa
crainte, il excite son espérance ;
ayant foulé aux pieds la source de
l'humilité, il s'adresse à
l'orgueil.
Quelques-uns ont cru voir
dans cet appel du tentateur à la
toute-science de Dieu : Dieu sait, une
feinte louange des perfections du Créateur
par laquelle Satan aurait voulu persuader à
la femme, que jamais Dieu n'eut l'intention de
priver sa créature des bienfaits du fruit
défendu. Mais il est plus naturel et plus en
harmonie avec ce qui précède
d'admettre que le tentateur veut insinuer à
la femme une défiance de la bonté de
Dieu qui l'aurait privée par envie du
privilège de connaître, comme la
divinité, le bien et le mal.
Dans ce cas on pourrait traduire : Vous
serez comme Dieu (Elohim n'étant qu'un
pluriel de dignité), vous aurez les
mêmes privilèges que lui, II le
sait et ne le veut pas.
Le nom d'Elohim étant quelquefois
donné aux anges, ou à des princes, ou
à des magistrats, quelques commentateurs
juifs (entre autres le Targum de Jonathan)
ont pensé que ce sens était dans la
pensée du tentateur : « Vous
serez des anges puissants ». Mais ces
notions attachées plus tard au mot Elohim
étaient inconnues à la femme et ne
pouvaient lui être présentées.
- Vos yeux seront ouverts, les yeux de votre
esprit ; vous connaîtrez le bien et
le mal, phrase qui, dans le style des anciens,
signifie fréquemment être sage,
savant, prudent. V. Odyss. XVIII, 227, 228,
et XX, 309, 310. Telle était du moins la
pensée que le démon voulait
insinuer ; car, dans son intention,
l'accomplissement de cette promesse trop bien
réalisée devait Être fatal
à ses victimes.
V. 6. Et la
femme vit que l'arbre était bon pour la nourriture, et qu'il
était agréable aux yeux, et
désirable, l'arbre, pour rendre intelligent,
elle en prit donc du fruit et en mangea. Puis elle
en donna aussi à son mari avec elle, et il
mangea.
Ce récit si simple nous laisse voir dans la
femme, trois conditions de la perfection qu'elle
devait chercher en Dieu, mais qui ne sont plus pour
elle que trois genres de
convoitise
qu'elle cherche à satisfaire hors de Dieu et
en obéissant au démon : La
convoitise de la chair, la convoitise des yeux,
l'orgueil, l'orgueil de la vie.
1 Jean 2, 16.
Je renvoie à la Méditation sur le
v. 6 pour le développement de cette
idée, qui est de Meyer
(2), et il ne
reste qu'à expliquer les expressions
mêmes du texte. - Les deux mots et sont à peu près
synonymes ; le premier, formé de
désirer, signifie, en bonne part,
désir, souhait,
Ps. 10. 17. et en mauvaise part,
convoitise, mauvais désir, comme qui s'emploie des deux
manières, le dernier est le part. Niphal
de désirer, rechercher ;
employé adjectivement il signifie
désirable, aimable, précieux.
L'un est un désir aux yeux
(à la vue), beau à voir ;
l'autre est désirable pour être intelligent,
prudent, sage. Ce dernier mot est l'inf.
Hiph. de agir prudemment, avec sagesse, avec
ruse, ou avoir de l'intelligence,
etc.
Eve entraînée par ces divers attraits,
prit du fruit et en donna à son mari. Ainsi
se reproduit l'histoire du péché,
décrite par un apôtre :
« Chacun est tenté quand il est
attiré et amorcé par sa propre
convoitise. Puis quand la convoitise a
conçu, elle enfante le péché,
et le péché étant
consommé, produit la mort ».
Jacques, 1, 14,
15.
V. 7. Et les yeux
de tous deux furent ouverts, et ils connurent
qu'ils étaient nus. Et ils cousirent des
feuilles de figuier et s'en firent des
ceintures.
Leurs yeux furent ouverts ; la promesse du
tentateur est accomplie, mais d'une manière
bien différente de ce qu'ils attendaient.
Nous avons déjà dit, et il
était à peine nécessaire de le
dire, qu'il ne s'agit pas ici des yeux du corps.
Dans le style de l'Écriture avoir les
yeux ouverts, c'est connaître, voir,
comprendre.
Ainsi Luc, en parlant des disciples
d'Emmaüs, dit qu'au moment où ils
étaient à table avec Jésus,
« leurs yeux furent ouverts, en sorte
qu'ils le reconnurent ».
Luc, 24, 31.
Ainsi encore David fait à Dieu cette
prière : « Ouvre mes yeux,
afin que je voie les merveilles de ta
loi ! »
Ps. 119, 18.
Les yeux de nos premiers parents étant
ouverts après leur
péché, Ils connurent qu'ils
étaient nus. Il ne s'agit pas non
plus essentiellement ici de leur nudité
corporelle, car ils la connaissaient
auparavant ; ils n'en avaient point de honte
(C. 2, 25) ; mais maintenant ils
en rougissent et veulent la couvrir. Que s'est-il
donc passé en eux ? Qu'ont-ils
découvert ?
L'effet du péché. Il y a sous ce
langage simple et enfantin une profonde
connaissance du coeur humain et de ses
misères, et la plus savante psychologie. Si,
sur tant d'autres points de ce chapitre, les
théologiens sont divisés par les
opinions les plus diverses, ici il n'y a entre eux
qu'une voix, depuis les plus anciens jusqu'aux plus
modernes, pour reconnaître dans les paroles
qui nous occupent les effets du péché
sur le premier homme (les
paragraphes en latin et autres langues ont
été supprimés dans ce
document)
Adam est dépouillé de son
innocence et de sa gloire, il
sent l'aiguillon du péché et le
remords de la conscience sans être encore
humilié. Il n'est aucun homme qui,
après être tombé dans le
péché, ne sente tout ce qu'Adam
éprouve ; aucun qui, s'il consulte sa
conscience et son coeur, ne ressente la honte de sa
nudité ; aucun qui ne connaisse le
mouvement, insensé si l'on veut, mais
naturel, qui porte Adam à
se recouvrir de feuilles de figuier. La
manifestation de ce sentiment si amer et si profond
peut n'être pas toujours la même, elle
peut prendre diverses formes, exciter divers genres
de douleur ; mais elle existe toujours, parce
qu'il y a un Dieu juste dans les cieux, et elle
sera pour les pécheurs non sauvés un
élément éternel de
misère.
Chez Adam ce sentiment se manifeste par la honte de
sa nudité, peut-être, comme l'observe
Calvin, parce que, ne connaissant point la
profondeur de sa misère morale, il ne
l'éprouve encore que in libidine
venereâ. C'est par-là que sa
corruption lui devint d'abord manifeste ; les
sens et la matière usurpèrent
l'empire qui appartenait à l'esprit ;
l'harmonie fut brisée, l'image de Dieu
défigurée et souillée.
V. 8-10. Et ils
entendirent la voix de l'Éternel Dieu. se
promenant dans le jardin au vent du jour. Et Adam
et sa femme se cachèrent de devant la face
de l'Éternel Dieu au milieu des arbres du
jardin. Et l'Éternel Dieu appela Adam et lui
dit : Où es-tu ? Et il dit :
J'ai entendu ta voix dans le jardin, et j'ai craint parce que je suis
nu, et je me sais
caché.
II y a dans toute la conduite d'Adam
après sa chute une sorte d'enfantillage
insensé qui ne s'explique que par le trouble
où le jetait la conscience de son crime,
sentiment le plus propre à affaiblir la voix
même du simple bon sens. C'est ce que l'on
voit chaque jour chez les criminels qui,
après avoir déployé pour
commettre leur crime toutes les ressources d'un
esprit sagace et hardi, se trahissent le plus
souvent eux-mêmes par des gaucheries qu'on
n'attribuerait pas à un petit enfant. Tel
nous apparaît Adam se couvrant d'une ceinture
de feuilles, se cachant dans les arbres du
jardin.
On a voulu conclure de là qu'il devait
être encore dans un état d'enfance et
sans connaissance des perfections de Dieu, pour
agir de la sorte. C'est à tort ; il
suffit du trouble de la conscience et de la crainte
et du tremblement qui s'était emparé
de lui pour expliquer sa conduite. - Au reste,
qu'il se cache dans les arbres du jardin en
entendant la voix de l'Éternel, cela n'aura
plus rien que de très naturel si l'on admet
qu'ici, la voix de l'Éternel,
signifie, comme dans quelques autres passages, le
tonnerre
(Ps. 29, 3, suiv.
Ps. 77, 18) ; et si, au lieu de
rendre par au vent du jour
(c'est-à-dire à la brise du matin
ou du soir), on entend par-là, ainsi que
l'ont proposé quelques interprètes,
un vent impétueux de ce jour-là, le
premier orage qui ait ébranlé la
nature et qui était chargé d'exprimer
le déplaisir de Dieu.
Cependant l'Éternel apparaît à
Adam, lui parle, l'appelle en jugement. De quelle
manière, sous quelle forme, au moyen de quel
langage, c'est ce que l'historien sacré ne
dit pas et ce qu'il nous est impossible de
savoir.
Mais ce fait ne saurait avoir la moindre
difficulté pour quiconque connaît et
croit les révélations
subséquentes de Dieu à l'homme.
Qui est-ce qui apparaissait aux patriarches sous
leurs tentes ?
Qui est-ce qui parlait à Moïse face
à face comme un homme parle à son
ami ?
Qui est-ce qui lui disait : Va, assemble
les anciens d'Israël et dit leur :
Jéhova, le Dieu de vos pères m'est
apparu ?
Et quand sur le mont Horeb le grand
législateur d'Israël demande à
l'Éternel : Quel est ton nom ?
que leur dirai-je ? qui est-ce qui lui
répond : JE SUIS CELUI QUI SUIS ?
Tu diras ainsi aux enfants d'Israël : JE
SUIS m'a envoyé. -
Comme Jésus-Christ déclare que
personne ne vit jamais Dieu, ni n'entendit sa
voix que cependant l'Être qui
apparaît aux hommes de l'Ancien-Testament
s'appelle Dieu, Jéhova, il faut conclure que
dans tous les temps, et déjà en Eden,
le Révélateur de Dieu fut
toujours le même, savoir la Parole
éternelle qui était au commencement
avec Dieu et qui était Dieu
(1).
Au moyen de cette vue éminemment biblique,
tout devient clair et facile, en Eden comme dans
tout l'Ancien-Testament.
Cette vue au reste est loin d'être
nouvelle ; elle est celle des premiers
chrétiens, de presque tous les
théologiens modernes, et même des
commentateurs juifs ; les Targumim
d'Oukclos et de Jonathan paraphrasent ainsi
notre vers. 8. « Et ils entendirent la
voix de la parole de
l'Éternel », et l'on sait
qu'ils entendent par la parole, le Dieu
révélé, le Messie. Par exemple
dans le
Ps. 110, au lieu de ces mots :
le Seigneur a dit à mon Seigneur :
assieds-toi à ma droite ; ils
traduisent : le Seigneur a dit à
LA PAROLE.
Si donc la parole a communiqué avec
Adam, comme avec Abraham, comme avec Moïse et
les prophètes, d'une manière visible
et humaine, qu'y a-t-il d'extraordinaire dans la
communication de Dieu en Eden, et en particulier
dans cette expression : la voix de
l'Éternel se promenant ou allant dans le
jardin, mot dont l'ignorance a fait souvent un
objet de pauvres railleries ?
Au reste le participe, allant,
peut se rapporter à, voix,
aussi bien qu'à
l'Éternel ; et si l'on admet que
soit le bruit du tonnerre, cette
expression désignera simplement le
retentissement de la foudre. Je
ne prétends point
justifier cette interprétation ; je la
soumets à l'examen des lecteurs attentifs de
la Bible.
V.11-13. Et
(l'Éternel)
dit : Qui t'a
montré que tu étais
nu ?
L'arbre dont je
t'avais ordonné de ne pas manger, n'en as-tu
pas mangé ? Et l'homme dit : La femme que
tu m'as donnée pour être avec moi,
Elle
m'a donné du
fruit de l'arbre, et j'ai mangé. Et
l'Éternel Dieu dit à ta femme :
Comment as-tu fait cela ! Et la femme
dit : Le serpent m'a séduite, et j'ai
mangé.
Adam venait de dire qu'il avait craint parce qu'il
était nu ; la première question
de son Juge doit le convaincre qu'il ne tremble pas
à sa voix parce qu'il est nu, mais parce
qu'il est pécheur.
Cette question signifie : Qu'est-ce qui te
fait rougir maintenant de cette
nudité dont naguère tu n'avais point
de honte ?
La première faute en Eden fut suivie d'un
mensonge qui devait la couvrir (et qui n'a
réalisé dans sa vie cette triste
histoire ?) ; il faut dont
démasquer le menteur pour démasquer
le pécheur ; tel est le but de la
première question.
Pour enfoncer le trait de la conviction plus avant
dans le coeur du pécheur, l'Éternel
lui nomme et lui montre l'objet de son commandement
et l'objet de la désobéissance :
l'arbre ; pour remettre sous les yeux
de l'homme sa responsabilité et la grandeur
de son crime, l'Éternel nomme ensuite son
commandement : Je t'avais
ordonné ; enfin, pour l'amener
à une confession de son péché,
l'Éternel lui fait une seconde question qui
doit l'accabler du poids de son crime.
Qui n'a entendu dans son coeur cet interrogatoire
en voyant l'objet de son péché, en se
rappelant la loi divine violée, en
prêtant l'oreille aux questions de la
conscience ? (Voir, pour les diverses
leçons morales qui ressortent de cette
question, la méditation sur ce
verset.) -, ordonner, commander, donner
charge, ne se trouve pas ailleurs, que je
sache, employé dans le sens négatif,
défendre, prohiber. Mais ce verbe
signifie aussi établir, arrêter,
décréter.
Ps. 68, 29.
Ps. 111, 9. Tel peut
être ici le sens de ce mot quoique
négativement. L'Éternel avait
établi cet ordre, cette alliance que l'homme
a rompue. Il y a encore plus d'étendue et
d'énergie dans cette acception.
Au lieu de prendre sur lui la faute de son
péché, Adam la rejette sur sa femme,
et celle-ci sur le serpent. Ce fait encore
dévoile un coin mystérieux du coeur
humain (voir la médit.). - II y a dans la
tournure hébraïque une force
particulière, au moyen de laquelle Adam
prétend se disculper entièrement en
accusant sa femme. « La femme que tu m'as
donnée,, elle, celle-là m'a
donné, etc. - avec moi
ou pour être avec moi, détermine
le sens du même mot, avec elle,
au v. 6, d'où l'on a voulu conclure
qu'Adam était présent avec Eve lors
de la tentation ; l'un et l'autre de ces mots
désignent leur union matrimoniale et non
leur position près l'un de l'autre.
La parole de l'Éternel à la femme est
plutôt une exclamation : Comment
as-tu fait une telle chose ! qu'une
interrogation.
V. 14.
Et l'Éternel
Dieu. dit au serpent : Parce que tu as fait
cela, maudis sois-tu entre tout le bétail et
entre toutes les bêtes des champs. Tu
ramperas sur ton ventre et tu mangeras la
poussière tous les jours de ta
vie.
J'ai déjà répondu
(médit, sur v. 14, 15) à la question
qui s'élève naturellement ici :
Pourquoi Dieu punit-il l'instrument aveugle et
innocent du péché ? C'est, en
deux mots, pour inspirer au premier homme l'horreur
de son crime et pour le punir lui-même en lui
faisant trouver un ennemi dans un Être qui,
comme tous les autres, avait été
créé pour sa jouissance.
Maintenant, qu'importe cette première partie
de la malédiction prononcée contre le
serpent ? D'abord, qu'il serait un objet
d'horreur, non-seulement pour l'homme, mais pour
toute la nature. Toute la création, tous les
animaux ont participé à la
malédiction et a la désorganisation
que le péché a apportées sur
la terre (voy.
v. 17-19 de notre chapitre, et
Rom., 8, 20, 21) ; mais le
serpent est maudit d'une façon
spéciale ; il trouve un ennemi dans
tout être vivant, et il porte dans son genre
de vie une marque distinctive de
malédiction. Peut-être même
peut-on considérer les expressions du texte
(maudit entre tout le
bétail, entre tous les animaux des champs)
comme un superlatif et traduire : le
plus maudit entre, etc. C'est du moins
exactement la même tournure
que celle du v. 1,, le plus fin
de tous les animaux des champs.
En second lieu, le serpent devait marcher ou
ramper sur son ventre. Ici se divisent les
opinions des commentateurs, les uns, concluant de
ces paroles qu'il y a eu un changement dans la
conformation de cet animal, et qu'avant la chute,
il marchait au moyen de pieds et
verticalement ; ainsi pensent la plupart des
interprètes juifs, plusieurs des anciens
théologiens, entre autres Luther, et entre
les modernes Hengstenberg, les commentateurs
anglais, etc. ; les autres, comme Calvin,
voient dans cette malédiction simplement
Dieu réduisant cet animal à son
état d'abjection primitive d'où il
s'était élevé en servant
d'instrument à la tentation ; d'autres
encore pensent que le serpent, sans être doué de pieds,
marchait la partie antérieure du corps
élevée comme le basilic,
espèce de lézard des Indes. II est
certain que si l'on ne considère que
simplement le texte, cette clause de la
malédiction paraît bien plus
favorable
À la première de ces opinions qu'aux
deux autres. Que le serpent ait eu des pieds, il
n'y a rien là d'absurde ni de contraire A
l'histoire naturelle. Pline, dans son Hist.
nat., I. II, c. 47 mentionne une
espèce de ces animaux marchant la tête
élevée et sur deux pattes. On trouve
aussi dans les poètes anciens, Ovide
(Metam., 1. 3, v. 43) et Virgile
(Géorg.), des passages où sont
décrits des serpents qui marchent sublato
pectore ou erectus in auras.
« J'ai vérifié un fait
curieux, écrit M. de Rougemont, quant au
serpent et à la malédiction
prononcée contre lui : la
géologie a retrouvé dans les
formations antérieures à la
dernière, un grand nombre de reptiles de la
famille des tortues ou chéloniens, de celle
des sauriens et de celle des batraciens, pas un
seul de la famille des ophidiens (serpents) qui n'a
donc pas existé avant l'homme. Or les
tortues, les ichtyosaures, les plésiosaures,
les crocodiles, les salamandres sont tous des
reptiles qui ont des pieds ; aucun ne rampait
sur la terre et n'en mangeait la poussière
comme sont nos serpents actuels.
D'un autre côté, l'absence ou la
présence de pieds n'est point un
caractère important dans la classe des
reptiles ; un des sauriens, l'orvet, n'a pas
de pieds, et le boa, qui a des rudiments de pattes
près de la queue, est ophidien. Ainsi, si
vous supposez que le serpent avait
été créé avec des
pattes, comme tous les animaux
vertébrés, dont aucune autre famille
n'est privée d'organes spéciaux
de locomotion, et que, par la
malédiction prononcée contre lui, il
a pris sa forme actuelle, la géologie et
l'histoire naturelle, loin d'avoir le droit de
contester la vérité de votre
hypothèse, l'appuieront d'une manière
indirecte ; la première, en
reconnaissant la non-existence de serpents dans les
créations antérieures à celle
de l'homme, la seconde, en signalant la bizarrerie
d'une famille de vertébrés sans
membres locomoteurs, et en retrouvant dans une de
ses espèces, les boas, la trace d'un temps
où les autres espèces avaient des
pieds ».
Enfin, quant à la troisième clause de
la malédiction : tu mangeras la
poussière, etc., on peut dire qu'elle
n'est qu'une conséquence de la
précédente. Si en effet l'on admet
qu'il y a eu un changement dans la conformation du
serpent, ceci me paraît être un
argument en faveur de l'hypothèse qu'on
vient de discuter.
En effet le serpent ne se nourrit pas de terre
seulement, ni même en grande partie ;
comment donc la malédiction est-elle
accomplie ?
D'abord en ce que le serpent, depuis sa nouvelle
conformation, se mouvant avec plus de
difficulté, est souvent contraint, faute
d'une proie meilleure, de manger de la terre ;
ensuite en rampant dans la poudre il lui est
impossible d'en dégager ses aliments qui en
sont toujours mélangés. En un mot,
ramper et manger de la terre sont deux marques
distinctives d'une abjection à laquelle le
serpent ne paraît pas d'abord avoir
été destiné par la
beauté de ses formes et de ses couleurs.
V. 15. Et je
mettrai inimitié entre toi et la femme, et
entre ta postérité et la
sienne ; elle te blessera la tête et tu
lui blesseras le talon.
En tant que ce verset se rapporte encore au
serpent, il indique, comme le comportent les
termes, cette haine mortelle et constante qui
existe entre la nature humaine et la nature du
serpent. À la vue d'un serpent on sent
d'ordinaire un frisson courir dans ses veines,
alors même qu'il lui est
impossible de nuire. Cette inimitié est
universelle et est passée en proverbe chez
toutes les nations. Quelques naturalistes anciens
prétendent que le serpent ne peut pas
supporter la vue d'un homme nu. - On sait que le
seul moyen de tuer un serpent c'est de lui
écraser la tête, et qu'un instinct
remarquable porte cet animal à prendre de
singulières précautions pour
préserver cette partie de son corps, comme
de se coucher en spirale en cachant sa tête
au centre de ses cercles nombreux. De son
côté la position rampante du serpent
ne lui permet pas d'attaquer l'homme au-dessus du
pied ou du talon, ce qui explique les
dernières paroles de ce verset.
Maintenant, après avoir rapporté tout
ce qui précède au serpent, on se
demande si cette malédiction, en frappant
l'instrument de la tentation, ne doit pas atteindre
surtout le véritable auteur du mal, le
démon ? Et puisqu'il est établi
par les témoignages irrécusables de
l'Écriture que cet esprit de
ténèbres a été actif
dans la séduction, bien que Moïse ne le
mentionne pas, ne doit-on pas s'attendre à
le voir participer à la
peine du péché ? Cet oracle
promet à nos premiers parents la victoire
sur l'instrument de leur chute qui devait
être pour eux comme le représentant du
mal ; or il semble évident que la
promesse doit renfermer le triomphe de la
postérité de la femme sur le mal
même et sur celui qui en a été
l'auteur. Peut-être même la promesse
qui leur fut faite était-elle beaucoup plus
explicite que nous ne trouvons ici ; quoi
qu'il en soit, c'est ainsi que la plupart des
commentateurs juifs l'ont comprise, disant
expressément qu'un remède, pour
être appliqué aux blessures faites par
le serpent, serait préparé aux
jours du roi Messie (Targ. de Jonathan et celui
de Jérusalem).
Presque tous les théologiens
chrétiens ont vu aussi dans ce passage la
promesse de la réparation du
péché par le Messie. À cela on
objecte que si le démon a établi sur
la terre un empire de ténèbres qui
renferme sa postérité,
c'est-à-dire ceux dont il est
spirituellement le père
(Jean, 8, 44) les méchants
(4), on ne peut
guère entendre par la
postérité de la femme un seul
individu, le Messie. - Aussi est-ce à tort
qu'on l'a fait.
Le profond Calvin avait déjà compris
qu'on ne peut restreindre à un individu le
mot postérité, semence (). « J'entends donc par
semence, dit-il, généralement
la postérité, mais comme
l'expérience nous apprend qu'il s'en faut de
beaucoup que les enfants d'Adam se soient par
eux-mêmes montrés victorieux du
diable, il faut en venir à un chef
afin de voir à qui appartiendra la
victoire. C'est ainsi que Paul nous conduit de la
semence d'Abraham à Christ.... Tel est donc,
selon moi, le sens du passage : La race
humaine, que Satan s'est efforcé de
réduire sous son empire, sera cependant
victorieuse ; mais il faut faire attention au
moyen de vaincre que l'Écriture
enseigne.
Satan a conduit captifs à
travers les siècles les enfants des hommes
au moyen de leurs passions, et il continue encore
son superbe triomphe ; c'est pourquoi il est
appelé prince de ce monde. Mais comme un
plus puissant que lui
(Jean, 12, 31) est descendu du ciel
pour le subjuguer, toute l'Église, sous la
conduite de son chef, peut à son tour
l'insulter avec mépris. C'est à quoi
Paul fait allusion en disant
(Rom., 16, 20) : Le Dieu de paix
brisera bientôt Satan sous vos pieds
(Comment, in Gen. in h.
/oc.) ».
D'après cette interprétation
qu'adopte Hengstenberg, les paroles qui,
appliquées au serpent, peuvent s'entendre au
propre (cette semence t'attaquera ta tête
et tu lui attaqueras le talon), signifient dans
un sens figuré, appliquées au
démon : « II est vrai que tu
as infligé à la femme une blessure
profonde, et tes enfants continueront à
attaquer sa postérité ; mais
malgré ton plaisir à faire le mal, tu
n'infligeras, toi et ton royaume, à la race
humaine, que des blessures qui pourront être
guéries, tandis que la
postérité de la femme triomphera un
jour de toi et te fera sentir « toute ton
impuissance. (Hengst. Christol., I,
42) ».
Ce n'est donc pas sans raison que l'Église a
donné à cette promesse, si consolante
et si glorieuse, bien qu'encore obscure parce
qu'elle n'est que le crépuscule du grand
jour des révélations du salut, le nom
de Protevangelium, premier Évangile,
première bonne nouvelle.
Quoique nous nous soyons déjà fort
étendu sur ces deux versets, nous ne
passerons pas outre sans signaler encore, comme
l'une des plus curieuses aberrations de l'esprit
humain en fait de critique, la polémique
obstinée des catholiques romains pour
maintenir la leçon de leur Vulgate, ILLA
conteret caput, elle t'attaquera la
tête, prétendant qu'au lieu de, il, pronom masculin
qui se rapporte évidemment à , la semence, il doit y avoir
, elle, pronom féminin
qui se rapporterait à la femme. Et
pourquoi donc tenir tant à ce petit
mot-là, dira-t-on ? Il faut apprendre
à ceux qui ne seraient pas initiés
dans le secret de ce grand principe,
l'intérêt dogmatique auquel on
sacrifie tout, jusqu'à la
vérité, que ce point si peu important
une fois gagné, on aurait elle se
rapportant à la femme ; ce serait la
femme qui devait briser la tête du serpent,
accomplir l'oeuvre de la Rédemption ;
mais cette femme qui serait-ce sinon la vierge
Marie ? Y êtes-vous
maintenant ?
Eh bien ! pour maintenir cette position il
faut enjamber courageusement par-dessus des
difficultés dont voici
quelques-unes :
1° le texte hébreu est tel que nous
l'avons dans tous les manuscrits,
c'est-à-dire ayant, II, qui se rapporte à
semence, masculin en
hébreu ;
2° bien que cette leçon eût
été déjà introduite
dans la Vulgate au temps d'Auguste, jamais elle n'y
fut universellement reçue ;
3° la version Italique citée par
Cyprien (Adv. Jud., 1. II, c. 8) porte ipse, il,
rendant littéralement , que l'on
rapportait au Messie plutôt qu'au mot, semence ;
4° la version grecque des LXX porte, il ;
5° Jérôme lui-même,
à qui les catholiques attribuent la
traduction vulgate, dit, en citant notre
verset dans ses Quaest. hebr.
in Gen., IPSE conteret caput, Il te
brisera la tête ;
6° le texte hébreu samaritain a
notre pronom masculin ;
7° tous les commentateurs rabbiniques ont
le même pronom ;
8° les massorètes, en mettant les
points du pronom masculin, ne mentionnent
pas même comme variante un pronom
féminin ;
9° les versions syriaque et arabe ont le
pronom masculin ;
10° outre les deux Pères de
l'Église, Jérôme et Cyprien
déjà cités,
Irénée, Chrysostôme, le pape
Léon 1er, et plusieurs de ses successeurs,
citent notre verset comme nous l'avons ;
11° la preuve intrinsèque est à
elle seule sans réplique : si le pronom
est féminin, il faudra aussi
féminiser le verbe et le reste de la
phrase ; il faudra écrire au lieu de et
féminiser aussi la désinence
du second verbe.
En vérité il faut, pour se
battre contre de tels témoignages et
recevoir une leçon sans le moindre
fondement, avoir grande envie d'un verset pour la
Vierge !
V. 16. À la
femme il dit ; Je multiplierai beaucoup les
maux de ta grossesse ; dans la douleur tu
enfanteras des fils. Tes désirs seront
à ton mari, et il dominera sur
toi.
La femme ayant péché d'abord est
condamnée la première aux maux
temporels et physiques qui sont la première
conséquence visible de la chute.
En traduisant j'augmenterai les maux, on
donne une idée fausse du texte ;
augmenter suppose que la chose existe
déjà et qu'on ne fait qu'y ajouter.
Mais le verbe, être beaucoup,
signifie, à la forme hiphil, faire
ou rendre beaucoup, sans supposer que la
chose existe déjà. En effet, la femme
devait accoucher sans douleur puisque les douleurs
actuelles de l'enfantement sont l'effet d'une
condamnation. Et ici l'analogie de la nature est
toute en faveur de cette vérité. Les
plus anciens naturalistes ont remarqué
qu'aucun des animaux n'est soumis, pour la
reproduction de son espèce, à des
douleurs qui puissent même être
comparée avec celles de la femme (Arist.,
Hist. animal., I. 7, c. 9) ; il faut donc
qu'un grand changement ait eu lieu dans le corps
humain.
De nouveau ici nous trouvons la tournure
hébraïque, les deux verbes
multiplier, je multiplierai (voyez les
remarques sur le v. 4) qui expriment, non-seulement
le grand nombre et l'intensité des douleurs,
mais aussi la certitude de la condamnation. -
Tes maux et ta grossesse () signifient les maux de la
grossesse, nommés ici comme distincts
des maux de l'accouchement.
La troisième clause de cette condamnation
emporte la sujétion de la femme à son
mari. de, désirer, signifie
les désirs en général
qui, comme mobiles de nos actions, demandent la
liberté pour être satisfaits et qui
indiquent la servitude quand ils sont à
ou se rapportent à quelque autre
qu'à celui qui les forme.
V. 17-19 -
Et d'Adam il
dit : Parce que tu as obéi à la
voix de ta femme, et que tu as mangé du
fruit de l'arbre dont je t'avais ordonné
disant : tu n'en mangeras point, maudite soit
la terre à cause de toi ; en douleur tu
en mangeras les fruits tous tes jours de ta
vie ; des épines et des chardons elle
fera germer pour toi, et tu mangeras l'herbe des
champs. À la sueur de ton
visage
tu mangeras ton
pain jusqu'à ce que tu retournes dans la
terre d'où, tu as été pris,
car tu es poudre et en poudre tu
retourneras.
Après avoir donné à l'homme
pécheur les considérants de la
sentence qu'il va prononcer, l'Éternel
frappe l'homme dans sa demeure ; la terre est
maudite, et de cette malédiction
résultent toutes les clauses de cette
condamnation qui se rapportent directement à
l'homme : le travail pénible, la
douleur, etc.
Dieu, après avoir créé la
terre, la bénit, c'est-à-dire
la rendit fertile, « et Dieu vit
que cela était bon ».
Maintenant la malédiction prononcée a
l'effet opposé ; la terre produira
des épines et des ronces, sera
stérile, à moins qu'elle ne soit
cultivée par l'homme à la sueur de
son front. Les durs travaux auxquels l'homme est
condamné sont aussi mis en opposition avec
les douces occupations d'Eden qu'il devait cultiver
et garder.
C. 2. 15.
Malgré les travaux de l'homme, une immense
proportion du globe est couverte d'épines
et de chardons - Ces lieux déserts de la
terre portent tellement la marque de la
malédiction, que les Juifs les
considéraient comme les analogues du monde
physique, qui correspondent au mal dans le monde
moral. Ils croyaient, d'après ce
rapprochement, que les déserts arides
étaient la demeure des esprits
méchants (5),
et Jésus-Christ semble
confirmer celte idée ou du moins rattacher
à ce qu'elle a de vrai une parabole fort
instructive. Matt. 12, 43 et suiv.
Les autres clauses de cette condamnation sont
développées dans la méditation
sur ces versets ; mais il en est une, la
dernière et la plus terrible, dont il nous
reste à dire un mot : Tu es poudre
et tu retourneras en poudre. Que la mort
corporelle soit ici infligée comme peine du
péché, c'est ce qu'aucun homme soumis
à la Parole de Dieu ne saurait
révoquer en doute. Cette doctrine est
clairement enseignée par
Saint Paul.
Rom. 5, 12.
c. 6, 23. I Cor. 15, 22. Toutes les
spéculations sur ce sujet ne sauraient
ébranler une vérité ainsi
exprimée : « Par un seul
homme le péché est entré dans
le monde, et, par le péché, la
mort ».
Cette croyance était populaire chez les
Juifs ; les écrits des paraphrastes et
des talmudistes en sont remplis, en sorte que pour
les Juifs de son temps il ne pouvait pas y avoir de
doute sur ce que Paul voulait dire. Les livres
apocryphes renferment aussi cette doctrine. Sap.
2, 23, 24. Ecclésiastique 25, 32.
« Le commencement du péché
est venu par la femme, et c'est par elle
() que nous mourons tous ».
Les Pères de l'Église orthodoxe sont
unanimes sur ce point.
Au reste, pour quiconque a examiné les
paroles de Jésus-Christ dans saint Jean, il
est clair que Dieu étant la source de la vie
même, si l'homme était resté
uni à son Dieu, il n'eût jamais
goûté la mort, qui est une
désorganisation de l'oeuvre de Dieu, un
accident, une puissance de destruction
étrangère à la nature
primitive de l'homme. Là où est Dieu
et son Esprit, là est la vie ; mais la
séparation d'avec Dieu est la mort
même, dans tous les sens de ce mot, je veux
dire mort corporelle et mort spirituelle.
En effet, Dieu rappelle ici à l'homme qu'il
est tiré de la terre pour lui faire
comprendre cette vérité :
« Je t'avais pris d'une vile
poussière ; je t'avais formé un
corps glorieux, une urne vivante ornée de
mon image ; tu étais uni avec moi, tu
puisais la vie à sa source. Mais maintenant
tu as perdu mon image ; tu as brisé les
liens qui t'unissaient à
moi ; dès que tu es souillé mon
esprit se retire de toi ; tu n'es plus que
poudre, tu retourneras en poudre ! »
Le frémissement que nous fait
éprouver la vue de la mort nous
répète la malédiction de Dieu,
et il est impossible de ne pas voir sur ce front
livide et sur ces traits décomposés
le cachet du péché.
On fait à cette doctrine diverses
objections : « II est de la nature
de la matière d'être dissoluble, et
par conséquent
périssable ». - Oui, si le corps
primitif de l'homme avait été tel
qu'il est actuellement. Mais si vous ne pouvez pas
concevoir un corps indissoluble et éternel,
comment croirez-vous à l'état des
corps ressuscités et à la vie
éternelle ?
« Si l'homme n'était pas mort,
objecte-t-on encore, comment la terre aurait-elle
pu contenir tous ses habitants, quand une seule de
ces générations qui se
succèdent sur la terre suffit pour la
peupler ? » - D'abord nous ne savons
point quels étaient les desseins primitifs
de Dieu à cet égard ; ensuite on
a fait a cette objection une réponse qui,
bien que simple hypothèse, nous paraît
assez plausible, c'est que l'homme aurait
passé sans séparation de l'âme
et du corps dans l'état de la plus haute
perfection que nous appelons le ciel
(6).
Toutes ces peines du péché,
prononcées ici contre le premier homme sont
temporelles, et tel est le triste
héritage que nous avons reçu de lui.
Nous voyons dans l'homme actuel l'exécution
rigoureuse de toutes les clauses de la
condamnation. Quant aux peines spirituelles,
éternelles que mérite le
péché, elles ne nous viennent pas par
Adam, ni en Adam, ni à cause
d'Adam ; mais par nos propres
péchés. Rom. 5, 12. Car si
nous naissons dans l'état où
était Adam après sa chute,
séparés de Dieu, portés au
mal ; si nous portons aussi la peine
temporelle de son péché, nous
avons comme lui et mieux que lui
le remède à côté du mal,
la Rédemption à côté de
la chute, Golgotha à côté
d'Éden fermé.
V. 20. Et l'homme
appela le nom de sa femme Eve (Chava) ; car elle devait être la
mère de tous les vivants.
Quelques interprètes pensent qu'il faudrait
traduire par le plus-que-parfait :
avait appelé (avant sa chute), et
qu'il lui avait donné le nom de
mère des vivants avant que le nom
sinistre de la mort fût parvenu à son
oreille. Mais c'est à tort ; car Adam
avait alors appelé sa femme Ischah,
hommesse. Et l'ensemble de la narration montre
que ce nouveau nom qu'il donne à sa femme
est l'effet d'un élan de reconnaissance et
de joie de ce que sa vie était
épargnée. Calvin mentionne
déjà cette idée.
On diffère aussi sur la question de savoir
à qui on doit attribuer ces mots :
car elle a été ou sera la
mère, etc. Les uns prétendent que
ces mots sont prononcés par Adam au moment
où il donne à sa femme un nouveau
nom, et dans ce cas il faut traduire : car
ou parce qu'elle sera, etc. ; d'autres
pensent que c'est là une réflexion de
Moïse, expliquant pourquoi Adam donne ce nom
à sa femme, et dans ce cas il faut
traduire : elle a été ou
devait être.
Nous préférons le premier sens,
parce qu'il est plus en harmonie avec les autres
exemples que nous trouvons dans l'Écriture
de noms ainsi changés dans de grandes
circonstances et expliqués par ceux qui les
donnent.
V. 21. Et l'Éternel Dieu fit
à Adam et à sa femme des robes de
peau et les en revêtit.
Il est presque inutile de dire que ces mots,
Dieu. fit, signifient qu'il indiqua à
Adam et à sa compagne les moyens de se
revêtir et de cacher ainsi la honte de leur
nudité. Nous avons essayé d'exposer
un sens plus profond de ce passage. (V. la
Médit, sur ce v.)
V. 22-23. Et
l'Éternel Dieu dit : Voici l'homme qui
était comme l'un de nous pour
connaître le bien et le mal. Mais maintenant,
de peur qu'il n'avance sa main et qu'il ne prenne
aussi de l'arbre de vie, et qu'il n'en mange et ne
vive à toujours. ... Alors l'Éternel
Dieu le chassa hors du jardin d'Éden, pour
labourer la terre d'où il avait
été pris.
Nous ne répéterons pas ici
l'exposition des trois manières diverses
d'expliquer le v. 22. ( v. Méd. sur ces
vers., au commencement ). L'opinion si
généralement admise que ces
mots : Voici, l'homme est devenu comme l'un
de nous, sont une ironie par laquelle Dieu veut
humilier l'homme, en lui rappelant en ces
termes : connaissant le bien et le mal,
sa folle et orgueilleuse ambition. Cette
opinion nous paraît fausse, non-seulement
parce que le moment où les paroles que l'on
veut ainsi interpréter sont
prononcées est trop sérieux et trop
terrible pour attendre une ironie, mais encore
parce que cette interprétation a la
grammaire contre elle. En effet il n'y a pas dans
l'hébreu connaissant le bien et le mal,
mais pour connaître, ou afin de
connaître, ou destiné à
connaître.
La seconde de ces opinions, celle de Meyer, est si
ingénieuse, si belle ; elle montre dans
les desseins de miséricorde du Seigneur tant
de bonté et de profondeur, elle est si bien
en accord avec le langage du texte, et avec ce qui
suit (Dieu empêchant l'homme de vivre d
toujours sur la terre après lui avoir
réservé une si glorieuse
destinée), que nous l'aurions adoptée
sans hésiter si elle ne présentait,
je dirai trop d'Évangile, trop de
clarté sur les destinées de l'homme
sous la nouvelle alliance.
La troisième interprétation à
laquelle nous nous sommes arrêté parce
qu'elle nous a paru la plus naturelle et la plus
simple, consiste à traduire
littéralement ce verset : Voici,
l'homme était comme l'un de nous, pour
connaître ou destiné à
connaître le bien et le mal par
l'obéissance et le perfectionnement moral,
destination qu'il a si misérablement
anticipée. Maintenant donc de peur
qu'il n'avance sa main, etc. (suit l'exclusion
de l'accès à l'arbre de vie et du
jardin d'Eden). Celte interprétation a pour
elle la grammaire et l'ensemble du texte, et se
présente tout naturellement à
l'esprit en lisant l'original. Après l'avoir
admise avec quelque hésitation je l'ai
retrouvée dans les Comm. du docteur
Gill dont l'opinion a confirmé la
mienne.
Pour les difficultés que l'on a
trouvées dans ces mots : l'un de
nous, voyez ce qui a été dit sur
ch. I. 26. à l'occasion du
verbe et du pron. pluriel faisons l'homme
à notre image.
C'est ici le lieu de dire un mot de l'arbre de
vie. Knapp (Glaubenslehre, I, 311) et plusieurs
autres théologiens admettent que l'arbre de
vie possédait la propriété de
maintenir la santé et la vie qui
n'étaient pas en l'homme essentielles
à sa nature, mais un don que Dieu lui
préservait par le moyen de l'arbre. Nous
avons déjà vu que l'on supposait
aussi, et probablement à tort, que l'arbre
de la connaissance du bien et du mal avait la
propriété opposée,
c'est-à-dire de nuire à la
santé, de produire la mort. Les Juifs
paraissent aussi avoir entretenu cette opinion
touchant l'arbre de vie, du moins on l'a conclu de
ce qu'ils appellent arbre de vie ou de
santé les plantes
médicinales.
Mais nous ne voyons pas dans le récit de
Moïse ni dans les autres passages bibliques
qui parlent d'un arbre de vie, le moindre
fondement sur lequel puisse s'appuyer
l'idée, d'ailleurs peu rationnelle et peu
conforme à l'esprit des
révélations et des voies de Dieu
envers l'homme, qu'un arbre dût avoir
matériellement la propriété de
maintenir en l'homme une immortalité qu'il
possédait par le fait seul de son union avec
Dieu. Je sais bien qu'on a voulu trouver un
argument en faveur de cette opinion dans le
v. 22 : De peur qu'il
ne prenne de l'arbre de vie
et n'en mange et ne vive à toujours,
comme si l'homme, malgré sa
séparation d'avec Dieu, avait pu, en
mangeant du fruit de l'arbre de vie, vivre à
toujours en dépit de la sentence qui le
condamnait à la mort. Mais nous allons voir
tout à l'heure que cette parole ne signifie
rien de pareil, pour ne pas dire qu'une telle
supposition est indigne de la puissance de Dieu qui
pouvait tout aussi bien ôter à l'arbre
sa prétendue propriété,
qu'à l'homme son immortalité.
Nous admettons donc que l'arbre de vie était
un arbre réel, visible, accessible à
l'homme, mais purement et simplement symbolique,
c'est-à-dire que Dieu l'avait
donné à l'homme non comme un moyen
de vie, mais comme un signe, ou gage
visible de la vie ou de l'immortalité
dont Dieu l'avait mis en possession et qu'il devait
puiser en Dieu seul
(7),
Voici donc le but de ce symbole :
« Dieu voulait que toutes les fois que
l'homme goûterait du fruit de cet arbre, il
lui fût remis en mémoire de qui il
tenait la vie ; qu'il reconnût qu'il ne
vivait pas par sa propre vertu, mais par un
bienfait de Dieu, bienfait qui n'était pas
en lui (intrinsecum bonum), mais qui
lui venait chaque jour de Dieu seul. En un mot cet
arbre était un témoignage visible de
cette vérité : c'est en Dieu
que nous avons la vie, le mouvement et
l'être ». Calvin.
Ainsi nous pouvons faire un rapprochement entre la
signification et le but de l'arbre de vie,
et la signification et le but de la Cène
du Seigneur. L'un et l'autre est un symbole, un
signe, un gage assuré de la vie spirituelle,
pourvu que celui qui en jouit soit en effet uni
avec la source de la vie ; mais qui
devient nul si l'homme est
éloigné de Dieu. On peut donc, sans
entrer dans un système d'allégorie
trop forcée, admettre avec quelques
Pères de l'Église que l'arbre de vie
était un symbole de la vie de Christ, car
nous devons nous souvenir que Jean dit de la Parole
qui était au commencement avec Dieu et qui
était Dieu : En elle était la
vie, et la vie était la lumière des
hommes.
Maintenant il nous reste à voir si le sens
que nous venons de donner à l'arbre de vie
peut s'accorder avec les autres endroits de la
Bible où il en est parlé.
Prov. 3, 18. Il est dit que la
sagesse est l'arbre de vie à ceux qui
l'embrassent, et tous ceux qui la tiennent sont
rendus bienheureux. « Elle est ce
qu'aurait été l'arbre de vie à
l'homme innocent », dit Martin dans une
de ses notes. Et si l'on identifie la Sagesse
par laquelle Dieu a fondé la terre,
v. 19, avec la Parole, par
laquelle toutes choses ont été
faites,
Jean 1. 3, et avec le Fils par
lequel Dieu. a fait les siècles
Hébr. 1. 2
(8) de
combien de vérité et de beauté
ne se revêtira pas l'idée des
Pères de l'Église que je viens de
mentionner !
La sagesse est donc ici la chose signifiée
par l'arbre de vie, d'après notre
interprétation. -
Prov. 13. 12, et
15, 4. L'arbre de vie signifie
simplement une chose agréable ou salutaire,
selon l'idée des Juifs, qui, comme nous
l'avons vu, nommaient ainsi les plantes
médicinales propres à faire du bien
à la santé. Ces deux passages n'ont
qu'un rapport indirect avec le sujet qui nous
occupe.
Dans
Apoc. 2, 7.
c. 22. 2, il est parlé de
l'arbre dé vie d'une manière
évidemment symbolique. Le premier nomme
l'arbre de vie qui est au milieu du Paradis de
Dieu ( comp.
Gen. 2. 9.), et la jouissance de cet
arbre, c'est-à-dire le recouvrement des
prérogatives de l'homme innocent, est
promise à celui qui vaincra. Or ici
il ne peut pas être
question des fruits matériels de l'arbre
qu'on suppose faussement avoir renfermé en
eux-mêmes une vertu propre a communiquer la
vie, mais bien de la chose signifiée par le
symbole. On peut tirer la même conclusion de
Apoc. 22. 2. où le Paradis
spirituel nous est représenté
comme la demeure des rachetés, au lieu
d'Éden qui leur fut fermé. L'arbre
de vie portant son fruit et rendant son fruit
chaque mois est évidemment le symbole de
la vie éternelle et toujours fraîche
et renaissante, dont Dieu est la source, comme il
devait l'être en Eden.
Cependant dès que l'homme s'est
séparé de la source de la vie, Dieu
lui en ôte le symbole pour l'empêcher
de se bercer d'une vaine espérance contraire
à la sentence qui le condamne. Les paroles
du
v. 22 : maintenant de
peur qu'il n'avance sa main etc., ne signifient
donc pas que l'homme aurait pu vivre encore s'il
avait eu accès à l'arbre de vie. Il
avait perdu la chose, de quoi lui aurait servi le
signe ? Il n'avait plus la
réalité, à quoi bon le
symbole ?
Mettre l'homme hors du jardin d'Eden
était, de la part de Dieu, l'exclure de
sa présence, de son mode primitif
d'existence, et le réduire à
l'état actuel, conformément à
la condamnation prononcée contre lui. Tout
être privé de sainteté et de la
vie de Dieu ne saurait subsister en sa
présence.
V. 24. Ainsi il chassa l'homme et il mit
à l'orient du jardin d'Eden, des
Chérubins avec une épée
flamboyante qui se tournait ça et là
afin de garder le chemin de L'arbre de vie.
Le sens moral de ce passage est, sans aucun doute,
que Dieu voulait faire
comprendre à l'homme qu'il n'y avait plus
pour lui d'espérance d'être admis dans
sa première demeure, dans ses
premières prérogatives.
L'Éternel mit sous ses yeux un
témoignage visible de sa chute et de la
justice divine qui ferme au pécheur
l'accès de la communion de son Dieu, tant
qu'il ne s'est pas réconcilié avec
lui, comme l'épée flamboyante ferme
l'accès à l'arbre de vie.
Mais quant au sens historique de ce verset,
je confesse mon ignorance. La Bible ne nous
l'explique pas, et quant aux hommes,
« autant de têtes autant de
sentiments ». Depuis ceux qui croient que
l'épée flamboyante était la
Zone Torride, où ils placent Eden,
jusqu'à ceux qui soutiennent que c'est le
feu du purgatoire, l'espace est grand et cependant
il est rempli d'opinions diverses.
On est assez généralement convenu
d'entendre par les Chérubins des anges
auxquels Dieu aurait confié la garde d'Eden.
Mais sur quel fondement ? Tous les passages de
l'Écriture où il est fait mention de
ces Êtres mystérieux sont plus ou
moins obscurs, et il n'en est aucun d'où
l'on puisse conclure que ce soient des anges.
Dans
Ezéch. ch. I. 10,
ch. 10. 2. les Chérubins sont
des animaux symboliques à la figure la plus
bizarre. Les Chérubins du propitiatoire
(Exod. 25. 18) sont aussi des figures
symboliques, qui ne jettent aucune lumière
sur notre passage. Il est dit souvent que Dieu
habite ou siège entre les
Chérubins, Ps. 80. 1.
Ps. 99. 1, etc. ; mais cette
image est prise de la forme du propitiatoire
où Dieu parlait du milieu des
Chérubins.
Nomb. 7. 89. De ces passages
réunis et comparés
à Ps. 18, 10 :
« Il était monté sur un
Chérubin et il volait, et il était
porté sur les ailes du vent »,
quelques auteurs ont conclu que ce mot est le
symbole des manifestations de la puissance divine,
tant dans le monde moral que dans le monde
physique, et que notre passage pourrait
désigner une violente tempête,
accompagnée des éclairs de la foudre,
figurés par l'épée
flamboyante. (Il y a dans l'Hébreu une
flamme d'épée qui
se tournait, etc., que l'on a rendu par
épée flamboyante. Luther, tout
en admettant que les Chérubins sont des
anges, pense aussi que cette flamme était
les éclats de la foudre. Ce qu'il y a de
plus probable en effet, c'est que les expressions
de ce verset doivent donner l'idée de
quelque phénomène naturel
extraordinaire par lequel Dieu voulait inspirer
à l'homme de la crainte, et perpétuer
dans sa conscience le sentiment de son crime
(9).
FIN.
|