Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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L'HOMME BANNI D'EDEN



DÉVELOPPEMENTS EXÉGÉTIQUES.

DE l'IMAGE DE DIEU EN L'HOMME.
(Suite)

 

V. 4. Et le serpent dit à la femme : Vous ne mourrez nullement.

Après avoir jeté le doute dans le coeur de la femme par une question captieuse, le tentateur donne maintenant un hardi démenti à la Parole de Dieu.....
De même que dans l'ordre de Dieu la certitude de la sanction est exprimée par la tournure hébraïque : Vous mourrez de mort, ou plutôt mourir vous mourrez, le tentateur exprime la certitude de sa dénégation par vous ne mourrez point de mort, vous ne mourrez certainement pas (1).

V. 6. Mais Dieu sait qu'au jour que vous en mangerez, vos yeux seront ouverts, et vous serez comme des Dieux connaissant le bien et le mal.

Le tentateur, ayant détruit dans le coeur de la femme la foi à la Parole de Dieu, lui fait une promesse. Ayant ôté sa crainte, il excite son espérance ; ayant foulé aux pieds la source de l'humilité, il s'adresse à l'orgueil.
Quelques-uns ont cru voir dans cet appel du tentateur à la toute-science de Dieu : Dieu sait, une feinte louange des perfections du Créateur par laquelle Satan aurait voulu persuader à la femme, que jamais Dieu n'eut l'intention de priver sa créature des bienfaits du fruit défendu. Mais il est plus naturel et plus en harmonie avec ce qui précède d'admettre que le tentateur veut insinuer à la femme une défiance de la bonté de Dieu qui l'aurait privée par envie du privilège de connaître, comme la divinité, le bien et le mal.
Dans ce cas on pourrait traduire : Vous serez comme Dieu (Elohim n'étant qu'un pluriel de dignité), vous aurez les mêmes privilèges que lui, II le sait et ne le veut pas.

Le nom d'Elohim étant quelquefois donné aux anges, ou à des princes, ou à des magistrats, quelques commentateurs juifs (entre autres le Targum de Jonathan) ont pensé que ce sens était dans la pensée du tentateur : « Vous serez des anges puissants ». Mais ces notions attachées plus tard au mot Elohim étaient inconnues à la femme et ne pouvaient lui être présentées. - Vos yeux seront ouverts, les yeux de votre esprit ; vous connaîtrez le bien et le mal, phrase qui, dans le style des anciens, signifie fréquemment être sage, savant, prudent. V. Odyss. XVIII, 227, 228, et XX, 309, 310. Telle était du moins la pensée que le démon voulait insinuer ; car, dans son intention, l'accomplissement de cette promesse trop bien réalisée devait Être fatal à ses victimes.

V. 6. Et la femme vit que l'arbre était bon pour la nourriture, et qu'il était agréable aux yeux, et désirable, l'arbre, pour rendre intelligent, elle en prit donc du fruit et en mangea. Puis elle en donna aussi à son mari avec elle, et il mangea.


Ce récit si simple nous laisse voir dans la femme, trois conditions de la perfection qu'elle devait chercher en Dieu, mais qui ne sont plus pour elle que trois genres de convoitise
qu'elle cherche à satisfaire hors de Dieu et en obéissant au démon : La convoitise de la chair, la convoitise des yeux, l'orgueil, l'orgueil de la vie. 1 Jean 2, 16.
Je renvoie à la Méditation sur le v. 6 pour le développement de cette idée, qui est de Meyer (2), et il ne reste qu'à expliquer les expressions mêmes du texte. - Les deux mots et sont à peu près synonymes ; le premier, formé de désirer, signifie, en bonne part, désir, souhait, Ps. 10. 17. et en mauvaise part, convoitise, mauvais désir, comme qui s'emploie des deux manières, le dernier est le part. Niphal de désirer, rechercher ; employé adjectivement il signifie désirable, aimable, précieux. L'un est un désir aux yeux (à la vue), beau à voir ; l'autre est désirable pour être intelligent, prudent, sage. Ce dernier mot est l'inf. Hiph. de agir prudemment, avec sagesse, avec ruse, ou avoir de l'intelligence, etc.

Eve entraînée par ces divers attraits, prit du fruit et en donna à son mari. Ainsi se reproduit l'histoire du péché, décrite par un apôtre : « Chacun est tenté quand il est attiré et amorcé par sa propre convoitise. Puis quand la convoitise a conçu, elle enfante le péché, et le péché étant consommé, produit la mort ». Jacques, 1, 14, 15.

V. 7. Et les yeux de tous deux furent ouverts, et ils connurent qu'ils étaient nus. Et ils cousirent des feuilles de figuier et s'en firent des ceintures.

Leurs yeux furent ouverts ; la promesse du tentateur est accomplie, mais d'une manière bien différente de ce qu'ils attendaient. Nous avons déjà dit, et il était à peine nécessaire de le dire, qu'il ne s'agit pas ici des yeux du corps. Dans le style de l'Écriture avoir les yeux ouverts, c'est connaître, voir, comprendre.
Ainsi Luc, en parlant des disciples d'Emmaüs, dit qu'au moment où ils étaient à table avec Jésus, « leurs yeux furent ouverts, en sorte qu'ils le reconnurent ». Luc, 24, 31.
Ainsi encore David fait à Dieu cette prière : « Ouvre mes yeux, afin que je voie les merveilles de ta loi ! » Ps. 119, 18.

Les yeux de nos premiers parents étant ouverts après leur péché, Ils connurent qu'ils étaient nus. Il ne s'agit pas non plus essentiellement ici de leur nudité corporelle, car ils la connaissaient auparavant ; ils n'en avaient point de honte (C. 2, 25) ; mais maintenant ils en rougissent et veulent la couvrir. Que s'est-il donc passé en eux ? Qu'ont-ils découvert ?
L'effet du péché. Il y a sous ce langage simple et enfantin une profonde connaissance du coeur humain et de ses misères, et la plus savante psychologie. Si, sur tant d'autres points de ce chapitre, les théologiens sont divisés par les opinions les plus diverses, ici il n'y a entre eux qu'une voix, depuis les plus anciens jusqu'aux plus modernes, pour reconnaître dans les paroles qui nous occupent les effets du péché sur le premier homme (les paragraphes en latin et autres langues ont été supprimés dans ce document)
Adam est dépouillé de son innocence et de sa gloire, il sent l'aiguillon du péché et le remords de la conscience sans être encore humilié. Il n'est aucun homme qui, après être tombé dans le péché, ne sente tout ce qu'Adam éprouve ; aucun qui, s'il consulte sa conscience et son coeur, ne ressente la honte de sa nudité ; aucun qui ne connaisse le mouvement, insensé si l'on veut, mais naturel, qui porte Adam à se recouvrir de feuilles de figuier. La manifestation de ce sentiment si amer et si profond peut n'être pas toujours la même, elle peut prendre diverses formes, exciter divers genres de douleur ; mais elle existe toujours, parce qu'il y a un Dieu juste dans les cieux, et elle sera pour les pécheurs non sauvés un élément éternel de misère.
Chez Adam ce sentiment se manifeste par la honte de sa nudité, peut-être, comme l'observe Calvin, parce que, ne connaissant point la profondeur de sa misère morale, il ne l'éprouve encore que in libidine venereâ. C'est par-là que sa corruption lui devint d'abord manifeste ; les sens et la matière usurpèrent l'empire qui appartenait à l'esprit ; l'harmonie fut brisée, l'image de Dieu défigurée et souillée.

V. 8-10. Et ils entendirent la voix de l'Éternel Dieu. se promenant dans le jardin au vent du jour. Et Adam et sa femme se cachèrent de devant la face de l'Éternel Dieu au milieu des arbres du jardin. Et l'Éternel Dieu appela Adam et lui dit : Où es-tu ? Et il dit : J'ai entendu ta voix dans le jardin, et j'ai craint parce que je suis nu, et je me sais caché.

II y a dans toute la conduite d'Adam après sa chute une sorte d'enfantillage insensé qui ne s'explique que par le trouble où le jetait la conscience de son crime, sentiment le plus propre à affaiblir la voix même du simple bon sens. C'est ce que l'on voit chaque jour chez les criminels qui, après avoir déployé pour commettre leur crime toutes les ressources d'un esprit sagace et hardi, se trahissent le plus souvent eux-mêmes par des gaucheries qu'on n'attribuerait pas à un petit enfant. Tel nous apparaît Adam se couvrant d'une ceinture de feuilles, se cachant dans les arbres du jardin.
On a voulu conclure de là qu'il devait être encore dans un état d'enfance et sans connaissance des perfections de Dieu, pour agir de la sorte. C'est à tort ; il suffit du trouble de la conscience et de la crainte et du tremblement qui s'était emparé de lui pour expliquer sa conduite. - Au reste, qu'il se cache dans les arbres du jardin en entendant la voix de l'Éternel, cela n'aura plus rien que de très naturel si l'on admet qu'ici, la voix de l'Éternel, signifie, comme dans quelques autres passages, le tonnerre (Ps. 29, 3, suiv. Ps. 77, 18) ; et si, au lieu de rendre par au vent du jour (c'est-à-dire à la brise du matin ou du soir), on entend par-là, ainsi que l'ont proposé quelques interprètes, un vent impétueux de ce jour-là, le premier orage qui ait ébranlé la nature et qui était chargé d'exprimer le déplaisir de Dieu.
Cependant l'Éternel apparaît à Adam, lui parle, l'appelle en jugement. De quelle manière, sous quelle forme, au moyen de quel langage, c'est ce que l'historien sacré ne dit pas et ce qu'il nous est impossible de savoir.
Mais ce fait ne saurait avoir la moindre difficulté pour quiconque connaît et croit les révélations subséquentes de Dieu à l'homme.
Qui est-ce qui apparaissait aux patriarches sous leurs tentes ?
Qui est-ce qui parlait à Moïse face à face comme un homme parle à son ami ?
Qui est-ce qui lui disait : Va, assemble les anciens d'Israël et dit leur : Jéhova, le Dieu de vos pères m'est apparu ?
Et quand sur le mont Horeb le grand législateur d'Israël demande à l'Éternel : Quel est ton nom ? que leur dirai-je ? qui est-ce qui lui répond : JE SUIS CELUI QUI SUIS ? Tu diras ainsi aux enfants d'Israël : JE SUIS m'a envoyé. -

Comme Jésus-Christ déclare que personne ne vit jamais Dieu, ni n'entendit sa voix que cependant l'Être qui apparaît aux hommes de l'Ancien-Testament s'appelle Dieu, Jéhova, il faut conclure que dans tous les temps, et déjà en Eden, le Révélateur de Dieu fut toujours le même, savoir la Parole éternelle qui était au commencement avec Dieu et qui était Dieu (1).
Au moyen de cette vue éminemment biblique, tout devient clair et facile, en Eden comme dans tout l'Ancien-Testament.
Cette vue au reste est loin d'être nouvelle ; elle est celle des premiers chrétiens, de presque tous les théologiens modernes, et même des commentateurs juifs ; les Targumim d'Oukclos et de Jonathan paraphrasent ainsi notre vers. 8. « Et ils entendirent la voix de la parole de l'Éternel », et l'on sait qu'ils entendent par la parole, le Dieu révélé, le Messie. Par exemple dans le Ps. 110, au lieu de ces mots : le Seigneur a dit à mon Seigneur : assieds-toi à ma droite ; ils traduisent : le Seigneur a dit à LA PAROLE.
Si donc la parole a communiqué avec Adam, comme avec Abraham, comme avec Moïse et les prophètes, d'une manière visible et humaine, qu'y a-t-il d'extraordinaire dans la communication de Dieu en Eden, et en particulier dans cette expression : la voix de l'Éternel se promenant ou allant dans le jardin, mot dont l'ignorance a fait souvent un objet de pauvres railleries ?

Au reste le participe, allant, peut se rapporter à, voix, aussi bien qu'à l'Éternel ; et si l'on admet que soit le bruit du tonnerre, cette expression désignera simplement le retentissement de la foudre. Je ne prétends point justifier cette interprétation ; je la soumets à l'examen des lecteurs attentifs de la Bible.

V.11-13. Et (l'Éternel) dit : Qui t'a montré que tu étais nu ? L'arbre dont je t'avais ordonné de ne pas manger, n'en as-tu pas mangé ? Et l'homme dit : La femme que tu m'as donnée pour être avec moi, Elle m'a donné du fruit de l'arbre, et j'ai mangé. Et l'Éternel Dieu dit à ta femme : Comment as-tu fait cela ! Et la femme dit : Le serpent m'a séduite, et j'ai mangé.

Adam venait de dire qu'il avait craint parce qu'il était nu ; la première question de son Juge doit le convaincre qu'il ne tremble pas à sa voix parce qu'il est nu, mais parce qu'il est pécheur.
Cette question signifie : Qu'est-ce qui te fait rougir maintenant de cette nudité dont naguère tu n'avais point de honte ?
La première faute en Eden fut suivie d'un mensonge qui devait la couvrir (et qui n'a réalisé dans sa vie cette triste histoire ?) ; il faut dont démasquer le menteur pour démasquer le pécheur ; tel est le but de la première question.
Pour enfoncer le trait de la conviction plus avant dans le coeur du pécheur, l'Éternel lui nomme et lui montre l'objet de son commandement et l'objet de la désobéissance : l'arbre ; pour remettre sous les yeux de l'homme sa responsabilité et la grandeur de son crime, l'Éternel nomme ensuite son commandement : Je t'avais ordonné ; enfin, pour l'amener à une confession de son péché, l'Éternel lui fait une seconde question qui doit l'accabler du poids de son crime.
Qui n'a entendu dans son coeur cet interrogatoire en voyant l'objet de son péché, en se rappelant la loi divine violée, en prêtant l'oreille aux questions de la conscience ? (Voir, pour les diverses leçons morales qui ressortent de cette question, la méditation sur ce verset.) -, ordonner, commander, donner charge, ne se trouve pas ailleurs, que je sache, employé dans le sens négatif, défendre, prohiber. Mais ce verbe signifie aussi établir, arrêter, décréter. Ps. 68, 29. Ps. 111, 9. Tel peut être ici le sens de ce mot quoique négativement. L'Éternel avait établi cet ordre, cette alliance que l'homme a rompue. Il y a encore plus d'étendue et d'énergie dans cette acception.

Au lieu de prendre sur lui la faute de son péché, Adam la rejette sur sa femme, et celle-ci sur le serpent. Ce fait encore dévoile un coin mystérieux du coeur humain (voir la médit.). - II y a dans la tournure hébraïque une force particulière, au moyen de laquelle Adam prétend se disculper entièrement en accusant sa femme. « La femme que tu m'as donnée,, elle, celle-là m'a donné, etc. - avec moi ou pour être avec moi, détermine le sens du même mot, avec elle, au v. 6, d'où l'on a voulu conclure qu'Adam était présent avec Eve lors de la tentation ; l'un et l'autre de ces mots désignent leur union matrimoniale et non leur position près l'un de l'autre.

La parole de l'Éternel à la femme est plutôt une exclamation : Comment as-tu fait une telle chose ! qu'une interrogation.

V. 14. Et l'Éternel Dieu. dit au serpent : Parce que tu as fait cela, maudis sois-tu entre tout le bétail et entre toutes les bêtes des champs. Tu ramperas sur ton ventre et tu mangeras la poussière tous les jours de ta vie.

J'ai déjà répondu (médit, sur v. 14, 15) à la question qui s'élève naturellement ici : Pourquoi Dieu punit-il l'instrument aveugle et innocent du péché ? C'est, en deux mots, pour inspirer au premier homme l'horreur de son crime et pour le punir lui-même en lui faisant trouver un ennemi dans un Être qui, comme tous les autres, avait été créé pour sa jouissance.
Maintenant, qu'importe cette première partie de la malédiction prononcée contre le serpent ? D'abord, qu'il serait un objet d'horreur, non-seulement pour l'homme, mais pour toute la nature. Toute la création, tous les animaux ont participé à la malédiction et a la désorganisation que le péché a apportées sur la terre (voy. v. 17-19 de notre chapitre, et Rom., 8, 20, 21) ; mais le serpent est maudit d'une façon spéciale ; il trouve un ennemi dans tout être vivant, et il porte dans son genre de vie une marque distinctive de malédiction. Peut-être même peut-on considérer les expressions du texte (maudit entre tout le bétail, entre tous les animaux des champs) comme un superlatif et traduire : le plus maudit entre, etc. C'est du moins exactement la même tournure
que celle du v. 1,, le plus fin de tous les animaux des champs.
En second lieu, le serpent devait marcher ou ramper sur son ventre. Ici se divisent les opinions des commentateurs, les uns, concluant de ces paroles qu'il y a eu un changement dans la conformation de cet animal, et qu'avant la chute, il marchait au moyen de pieds et verticalement ; ainsi pensent la plupart des interprètes juifs, plusieurs des anciens théologiens, entre autres Luther, et entre les modernes Hengstenberg, les commentateurs anglais, etc. ; les autres, comme Calvin, voient dans cette malédiction simplement Dieu réduisant cet animal à son état d'abjection primitive d'où il s'était élevé en servant d'instrument à la tentation ; d'autres encore pensent que le serpent, sans être doué de pieds, marchait la partie antérieure du corps élevée comme le basilic, espèce de lézard des Indes. II est certain que si l'on ne considère que simplement le texte, cette clause de la malédiction paraît bien plus favorable
À la première de ces opinions qu'aux deux autres. Que le serpent ait eu des pieds, il n'y a rien là d'absurde ni de contraire A l'histoire naturelle. Pline, dans son Hist. nat., I. II, c. 47 mentionne une espèce de ces animaux marchant la tête élevée et sur deux pattes. On trouve aussi dans les poètes anciens, Ovide (Metam., 1. 3, v. 43) et Virgile (Géorg.), des passages où sont décrits des serpents qui marchent sublato pectore ou erectus in auras.

« J'ai vérifié un fait curieux, écrit M. de Rougemont, quant au serpent et à la malédiction prononcée contre lui : la géologie a retrouvé dans les formations antérieures à la dernière, un grand nombre de reptiles de la famille des tortues ou chéloniens, de celle des sauriens et de celle des batraciens, pas un seul de la famille des ophidiens (serpents) qui n'a donc pas existé avant l'homme. Or les tortues, les ichtyosaures, les plésiosaures, les crocodiles, les salamandres sont tous des reptiles qui ont des pieds ; aucun ne rampait sur la terre et n'en mangeait la poussière comme sont nos serpents actuels.
D'un autre côté, l'absence ou la présence de pieds n'est point un caractère important dans la classe des reptiles ; un des sauriens, l'orvet, n'a pas de pieds, et le boa, qui a des rudiments de pattes près de la queue, est ophidien. Ainsi, si vous supposez que le serpent avait été créé avec des pattes, comme tous les animaux vertébrés, dont aucune autre famille n'est privée d'organes spéciaux de locomotion, et que, par la malédiction prononcée contre lui, il a pris sa forme actuelle, la géologie et l'histoire naturelle, loin d'avoir le droit de contester la vérité de votre hypothèse, l'appuieront d'une manière indirecte ; la première, en reconnaissant la non-existence de serpents dans les créations antérieures à celle de l'homme, la seconde, en signalant la bizarrerie d'une famille de vertébrés sans membres locomoteurs, et en retrouvant dans une de ses espèces, les boas, la trace d'un temps où les autres espèces avaient des pieds ».

Enfin, quant à la troisième clause de la malédiction : tu mangeras la poussière, etc., on peut dire qu'elle n'est qu'une conséquence de la précédente. Si en effet l'on admet qu'il y a eu un changement dans la conformation du serpent, ceci me paraît être un argument en faveur de l'hypothèse qu'on vient de discuter.
En effet le serpent ne se nourrit pas de terre seulement, ni même en grande partie ; comment donc la malédiction est-elle accomplie ?
D'abord en ce que le serpent, depuis sa nouvelle conformation, se mouvant avec plus de difficulté, est souvent contraint, faute d'une proie meilleure, de manger de la terre ; ensuite en rampant dans la poudre il lui est impossible d'en dégager ses aliments qui en sont toujours mélangés. En un mot, ramper et manger de la terre sont deux marques distinctives d'une abjection à laquelle le serpent ne paraît pas d'abord avoir été destiné par la beauté de ses formes et de ses couleurs.

V. 15. Et je mettrai inimitié entre toi et la femme, et entre ta postérité et la sienne ; elle te blessera la tête et tu lui blesseras le talon.

En tant que ce verset se rapporte encore au serpent, il indique, comme le comportent les termes, cette haine mortelle et constante qui existe entre la nature humaine et la nature du serpent. À la vue d'un serpent on sent d'ordinaire un frisson courir dans ses veines, alors même qu'il lui est impossible de nuire. Cette inimitié est universelle et est passée en proverbe chez toutes les nations. Quelques naturalistes anciens prétendent que le serpent ne peut pas supporter la vue d'un homme nu. - On sait que le seul moyen de tuer un serpent c'est de lui écraser la tête, et qu'un instinct remarquable porte cet animal à prendre de singulières précautions pour préserver cette partie de son corps, comme de se coucher en spirale en cachant sa tête au centre de ses cercles nombreux. De son côté la position rampante du serpent ne lui permet pas d'attaquer l'homme au-dessus du pied ou du talon, ce qui explique les dernières paroles de ce verset.

Maintenant, après avoir rapporté tout ce qui précède au serpent, on se demande si cette malédiction, en frappant l'instrument de la tentation, ne doit pas atteindre surtout le véritable auteur du mal, le démon ? Et puisqu'il est établi par les témoignages irrécusables de l'Écriture que cet esprit de ténèbres a été actif dans la séduction, bien que Moïse ne le mentionne pas, ne doit-on pas s'attendre à le voir participer à la peine du péché ? Cet oracle promet à nos premiers parents la victoire sur l'instrument de leur chute qui devait être pour eux comme le représentant du mal ; or il semble évident que la promesse doit renfermer le triomphe de la postérité de la femme sur le mal même et sur celui qui en a été l'auteur. Peut-être même la promesse qui leur fut faite était-elle beaucoup plus explicite que nous ne trouvons ici ; quoi qu'il en soit, c'est ainsi que la plupart des commentateurs juifs l'ont comprise, disant expressément qu'un remède, pour être appliqué aux blessures faites par le serpent, serait préparé aux jours du roi Messie (Targ. de Jonathan et celui de Jérusalem).
Presque tous les théologiens chrétiens ont vu aussi dans ce passage la promesse de la réparation du péché par le Messie. À cela on objecte que si le démon a établi sur la terre un empire de ténèbres qui renferme sa postérité, c'est-à-dire ceux dont il est spirituellement le père (Jean, 8, 44) les méchants (4), on ne peut guère entendre par la postérité de la femme un seul individu, le Messie. - Aussi est-ce à tort qu'on l'a fait.
Le profond Calvin avait déjà compris qu'on ne peut restreindre à un individu le mot postérité, semence (). « J'entends donc par semence, dit-il, généralement la postérité, mais comme l'expérience nous apprend qu'il s'en faut de beaucoup que les enfants d'Adam se soient par eux-mêmes montrés victorieux du diable, il faut en venir à un chef afin de voir à qui appartiendra la victoire. C'est ainsi que Paul nous conduit de la semence d'Abraham à Christ.... Tel est donc, selon moi, le sens du passage : La race humaine, que Satan s'est efforcé de réduire sous son empire, sera cependant victorieuse ; mais il faut faire attention au moyen de vaincre que l'Écriture enseigne.
Satan a conduit captifs à travers les siècles les enfants des hommes au moyen de leurs passions, et il continue encore son superbe triomphe ; c'est pourquoi il est appelé prince de ce monde. Mais comme un plus puissant que lui (Jean, 12, 31) est descendu du ciel pour le subjuguer, toute l'Église, sous la conduite de son chef, peut à son tour l'insulter avec mépris. C'est à quoi Paul fait allusion en disant (Rom., 16, 20) : Le Dieu de paix brisera bientôt Satan sous vos pieds (Comment, in Gen. in h. /oc.) ».

D'après cette interprétation qu'adopte Hengstenberg, les paroles qui, appliquées au serpent, peuvent s'entendre au propre (cette semence t'attaquera ta tête et tu lui attaqueras le talon), signifient dans un sens figuré, appliquées au démon : « II est vrai que tu as infligé à la femme une blessure profonde, et tes enfants continueront à attaquer sa postérité ; mais malgré ton plaisir à faire le mal, tu n'infligeras, toi et ton royaume, à la race humaine, que des blessures qui pourront être guéries, tandis que la postérité de la femme triomphera un jour de toi et te fera sentir « toute ton impuissance. (Hengst. Christol., I, 42) ».

Ce n'est donc pas sans raison que l'Église a donné à cette promesse, si consolante et si glorieuse, bien qu'encore obscure parce qu'elle n'est que le crépuscule du grand jour des révélations du salut, le nom de Protevangelium, premier Évangile, première bonne nouvelle.
Quoique nous nous soyons déjà fort étendu sur ces deux versets, nous ne passerons pas outre sans signaler encore, comme l'une des plus curieuses aberrations de l'esprit humain en fait de critique, la polémique obstinée des catholiques romains pour maintenir la leçon de leur Vulgate, ILLA conteret caput, elle t'attaquera la tête, prétendant qu'au lieu de, il, pronom masculin qui se rapporte évidemment à , la semence, il doit y avoir , elle, pronom féminin qui se rapporterait à la femme. Et pourquoi donc tenir tant à ce petit mot-là, dira-t-on ? Il faut apprendre à ceux qui ne seraient pas initiés dans le secret de ce grand principe, l'intérêt dogmatique auquel on sacrifie tout, jusqu'à la vérité, que ce point si peu important une fois gagné, on aurait elle se rapportant à la femme ; ce serait la femme qui devait briser la tête du serpent, accomplir l'oeuvre de la Rédemption ; mais cette femme qui serait-ce sinon la vierge Marie ? Y êtes-vous maintenant ?
Eh bien ! pour maintenir cette position il faut enjamber courageusement par-dessus des difficultés dont voici quelques-unes :
1° le texte hébreu est tel que nous l'avons dans tous les manuscrits, c'est-à-dire ayant, II, qui se rapporte à semence, masculin en hébreu ;
2° bien que cette leçon eût été déjà introduite dans la Vulgate au temps d'Auguste, jamais elle n'y fut universellement reçue ;
3° la version Italique citée par Cyprien (Adv. Jud., 1. II, c. 8) porte ipse, il, rendant littéralement , que l'on rapportait au Messie plutôt qu'au mot, semence ;
4° la version grecque des LXX porte, il ;
Jérôme lui-même, à qui les catholiques attribuent la traduction vulgate, dit, en citant notre verset dans ses Quaest. hebr. in Gen., IPSE conteret caput, Il te brisera la tête ;
6° le texte hébreu samaritain a notre pronom masculin ;
7° tous les commentateurs rabbiniques ont le même pronom ;
8° les massorètes, en mettant les points du pronom masculin, ne mentionnent pas même comme variante un pronom féminin ;
9° les versions syriaque et arabe ont le pronom masculin ;
10° outre les deux Pères de l'Église, Jérôme et Cyprien déjà cités, Irénée, Chrysostôme, le pape Léon 1er, et plusieurs de ses successeurs, citent notre verset comme nous l'avons ;
11° la preuve intrinsèque est à elle seule sans réplique : si le pronom est féminin, il faudra aussi féminiser le verbe et le reste de la phrase ; il faudra écrire au lieu de et féminiser aussi la désinence du second verbe.

En vérité il faut, pour se battre contre de tels témoignages et recevoir une leçon sans le moindre fondement, avoir grande envie d'un verset pour la Vierge !

V. 16. À la femme il dit ; Je multiplierai beaucoup les maux de ta grossesse ; dans la douleur tu enfanteras des fils. Tes désirs seront à ton mari, et il dominera sur toi.

La femme ayant péché d'abord est condamnée la première aux maux temporels et physiques qui sont la première conséquence visible de la chute.
En traduisant j'augmenterai les maux, on donne une idée fausse du texte ; augmenter suppose que la chose existe déjà et qu'on ne fait qu'y ajouter. Mais le verbe, être beaucoup, signifie, à la forme hiphil, faire ou rendre beaucoup, sans supposer que la chose existe déjà. En effet, la femme devait accoucher sans douleur puisque les douleurs actuelles de l'enfantement sont l'effet d'une condamnation. Et ici l'analogie de la nature est toute en faveur de cette vérité. Les plus anciens naturalistes ont remarqué qu'aucun des animaux n'est soumis, pour la reproduction de son espèce, à des douleurs qui puissent même être comparée avec celles de la femme (Arist., Hist. animal., I. 7, c. 9) ; il faut donc qu'un grand changement ait eu lieu dans le corps humain.
De nouveau ici nous trouvons la tournure hébraïque, les deux verbes multiplier, je multiplierai (voyez les remarques sur le v. 4) qui expriment, non-seulement le grand nombre et l'intensité des douleurs, mais aussi la certitude de la condamnation. - Tes maux et ta grossesse () signifient les maux de la grossesse, nommés ici comme distincts des maux de l'accouchement.

La troisième clause de cette condamnation emporte la sujétion de la femme à son mari. de, désirer, signifie les désirs en général qui, comme mobiles de nos actions, demandent la liberté pour être satisfaits et qui indiquent la servitude quand ils sont à ou se rapportent à quelque autre qu'à celui qui les forme.

V. 17-19 - Et d'Adam il dit : Parce que tu as obéi à la voix de ta femme, et que tu as mangé du fruit de l'arbre dont je t'avais ordonné disant : tu n'en mangeras point, maudite soit la terre à cause de toi ; en douleur tu en mangeras les fruits tous tes jours de ta vie ; des épines et des chardons elle fera germer pour toi, et tu mangeras l'herbe des champs. À la sueur de ton visage tu mangeras ton pain jusqu'à ce que tu retournes dans la terre d'où, tu as été pris, car tu es poudre et en poudre tu retourneras.

Après avoir donné à l'homme pécheur les considérants de la sentence qu'il va prononcer, l'Éternel frappe l'homme dans sa demeure ; la terre est maudite, et de cette malédiction résultent toutes les clauses de cette condamnation qui se rapportent directement à l'homme : le travail pénible, la douleur, etc.
Dieu, après avoir créé la terre, la bénit, c'est-à-dire la rendit fertile, « et Dieu vit que cela était bon ».

Maintenant la malédiction prononcée a l'effet opposé ; la terre produira des épines et des ronces, sera stérile, à moins qu'elle ne soit cultivée par l'homme à la sueur de son front. Les durs travaux auxquels l'homme est condamné sont aussi mis en opposition avec les douces occupations d'Eden qu'il devait cultiver et garder. C. 2. 15.
Malgré les travaux de l'homme, une immense proportion du globe est couverte d'épines et de chardons - Ces lieux déserts de la terre portent tellement la marque de la malédiction, que les Juifs les considéraient comme les analogues du monde physique, qui correspondent au mal dans le monde moral. Ils croyaient, d'après ce rapprochement, que les déserts arides étaient la demeure des esprits méchants (5), et Jésus-Christ semble confirmer celte idée ou du moins rattacher à ce qu'elle a de vrai une parabole fort instructive. Matt. 12, 43 et suiv.
Les autres clauses de cette condamnation sont développées dans la méditation sur ces versets ; mais il en est une, la dernière et la plus terrible, dont il nous reste à dire un mot : Tu es poudre et tu retourneras en poudre. Que la mort corporelle soit ici infligée comme peine du péché, c'est ce qu'aucun homme soumis à la Parole de Dieu ne saurait révoquer en doute. Cette doctrine est clairement enseignée par Saint Paul. Rom. 5, 12. c. 6, 23. I Cor. 15, 22. Toutes les spéculations sur ce sujet ne sauraient ébranler une vérité ainsi exprimée : « Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et, par le péché, la mort ».
Cette croyance était populaire chez les Juifs ; les écrits des paraphrastes et des talmudistes en sont remplis, en sorte que pour les Juifs de son temps il ne pouvait pas y avoir de doute sur ce que Paul voulait dire. Les livres apocryphes renferment aussi cette doctrine. Sap. 2, 23, 24. Ecclésiastique 25, 32. « Le commencement du péché est venu par la femme, et c'est par elle () que nous mourons tous ». Les Pères de l'Église orthodoxe sont unanimes sur ce point.
Au reste, pour quiconque a examiné les paroles de Jésus-Christ dans saint Jean, il est clair que Dieu étant la source de la vie même, si l'homme était resté uni à son Dieu, il n'eût jamais goûté la mort, qui est une désorganisation de l'oeuvre de Dieu, un accident, une puissance de destruction étrangère à la nature primitive de l'homme. Là où est Dieu et son Esprit, là est la vie ; mais la séparation d'avec Dieu est la mort même, dans tous les sens de ce mot, je veux dire mort corporelle et mort spirituelle.
En effet, Dieu rappelle ici à l'homme qu'il est tiré de la terre pour lui faire comprendre cette vérité : « Je t'avais pris d'une vile poussière ; je t'avais formé un corps glorieux, une urne vivante ornée de mon image ; tu étais uni avec moi, tu puisais la vie à sa source. Mais maintenant tu as perdu mon image ; tu as brisé les liens qui t'unissaient à moi ; dès que tu es souillé mon esprit se retire de toi ; tu n'es plus que poudre, tu retourneras en poudre ! » Le frémissement que nous fait éprouver la vue de la mort nous répète la malédiction de Dieu, et il est impossible de ne pas voir sur ce front livide et sur ces traits décomposés le cachet du péché.

On fait à cette doctrine diverses objections : « II est de la nature de la matière d'être dissoluble, et par conséquent périssable ». - Oui, si le corps primitif de l'homme avait été tel qu'il est actuellement. Mais si vous ne pouvez pas concevoir un corps indissoluble et éternel, comment croirez-vous à l'état des corps ressuscités et à la vie éternelle ?
« Si l'homme n'était pas mort, objecte-t-on encore, comment la terre aurait-elle pu contenir tous ses habitants, quand une seule de ces générations qui se succèdent sur la terre suffit pour la peupler ? » - D'abord nous ne savons point quels étaient les desseins primitifs de Dieu à cet égard ; ensuite on a fait a cette objection une réponse qui, bien que simple hypothèse, nous paraît assez plausible, c'est que l'homme aurait passé sans séparation de l'âme et du corps dans l'état de la plus haute perfection que nous appelons le ciel (6).
Toutes ces peines du péché, prononcées ici contre le premier homme sont temporelles, et tel est le triste héritage que nous avons reçu de lui. Nous voyons dans l'homme actuel l'exécution rigoureuse de toutes les clauses de la condamnation. Quant aux peines spirituelles, éternelles que mérite le péché, elles ne nous viennent pas par Adam, ni en Adam, ni à cause d'Adam ; mais par nos propres péchés. Rom. 5, 12. Car si nous naissons dans l'état où était Adam après sa chute, séparés de Dieu, portés au mal ; si nous portons aussi la peine temporelle de son péché, nous avons comme lui et mieux que lui le remède à côté du mal, la Rédemption à côté de la chute, Golgotha à côté d'Éden fermé.

V. 20. Et l'homme appela le nom de sa femme Eve (Chava) ; car elle devait être la mère de tous les vivants.

Quelques interprètes pensent qu'il faudrait traduire par le plus-que-parfait : avait appelé (avant sa chute), et qu'il lui avait donné le nom de mère des vivants avant que le nom sinistre de la mort fût parvenu à son oreille. Mais c'est à tort ; car Adam avait alors appelé sa femme Ischah, hommesse. Et l'ensemble de la narration montre que ce nouveau nom qu'il donne à sa femme est l'effet d'un élan de reconnaissance et de joie de ce que sa vie était épargnée. Calvin mentionne déjà cette idée.
On diffère aussi sur la question de savoir à qui on doit attribuer ces mots : car elle a été ou sera la mère, etc. Les uns prétendent que ces mots sont prononcés par Adam au moment où il donne à sa femme un nouveau nom, et dans ce cas il faut traduire : car ou parce qu'elle sera, etc. ; d'autres pensent que c'est là une réflexion de Moïse, expliquant pourquoi Adam donne ce nom à sa femme, et dans ce cas il faut traduire : elle a été ou devait être.
Nous préférons le premier sens, parce qu'il est plus en harmonie avec les autres exemples que nous trouvons dans l'Écriture de noms ainsi changés dans de grandes circonstances et expliqués par ceux qui les donnent.


V. 21. Et l'Éternel Dieu fit à Adam et à sa femme des robes de peau et les en revêtit.

Il est presque inutile de dire que ces mots, Dieu. fit, signifient qu'il indiqua à Adam et à sa compagne les moyens de se revêtir et de cacher ainsi la honte de leur nudité. Nous avons essayé d'exposer un sens plus profond de ce passage. (V. la Médit, sur ce v.)


V. 22-23. Et l'Éternel Dieu dit : Voici l'homme qui était comme l'un de nous pour connaître le bien et le mal. Mais maintenant, de peur qu'il n'avance sa main et qu'il ne prenne aussi de l'arbre de vie, et qu'il n'en mange et ne vive à toujours. ... Alors l'Éternel Dieu le chassa hors du jardin d'Éden, pour labourer la terre d'où il avait été pris.

Nous ne répéterons pas ici l'exposition des trois manières diverses d'expliquer le v. 22. ( v. Méd. sur ces vers., au commencement ). L'opinion si généralement admise que ces mots : Voici, l'homme est devenu comme l'un de nous, sont une ironie par laquelle Dieu veut humilier l'homme, en lui rappelant en ces termes : connaissant le bien et le mal, sa folle et orgueilleuse ambition. Cette opinion nous paraît fausse, non-seulement parce que le moment où les paroles que l'on veut ainsi interpréter sont prononcées est trop sérieux et trop terrible pour attendre une ironie, mais encore parce que cette interprétation a la grammaire contre elle. En effet il n'y a pas dans l'hébreu connaissant le bien et le mal, mais pour connaître, ou afin de connaître, ou destiné à connaître.

La seconde de ces opinions, celle de Meyer, est si ingénieuse, si belle ; elle montre dans les desseins de miséricorde du Seigneur tant de bonté et de profondeur, elle est si bien en accord avec le langage du texte, et avec ce qui suit (Dieu empêchant l'homme de vivre d toujours sur la terre après lui avoir réservé une si glorieuse destinée), que nous l'aurions adoptée sans hésiter si elle ne présentait, je dirai trop d'Évangile, trop de clarté sur les destinées de l'homme sous la nouvelle alliance.

La troisième interprétation à laquelle nous nous sommes arrêté parce qu'elle nous a paru la plus naturelle et la plus simple, consiste à traduire littéralement ce verset : Voici, l'homme était comme l'un de nous, pour connaître ou destiné à connaître le bien et le mal par l'obéissance et le perfectionnement moral, destination qu'il a si misérablement anticipée. Maintenant donc de peur qu'il n'avance sa main, etc. (suit l'exclusion de l'accès à l'arbre de vie et du jardin d'Eden). Celte interprétation a pour elle la grammaire et l'ensemble du texte, et se présente tout naturellement à l'esprit en lisant l'original. Après l'avoir admise avec quelque hésitation je l'ai retrouvée dans les Comm. du docteur Gill dont l'opinion a confirmé la mienne.

Pour les difficultés que l'on a trouvées dans ces mots : l'un de nous, voyez ce qui a été dit sur ch. I. 26. à l'occasion du verbe et du pron. pluriel faisons l'homme à notre image.

C'est ici le lieu de dire un mot de l'arbre de vie. Knapp (Glaubenslehre, I, 311) et plusieurs autres théologiens admettent que l'arbre de vie possédait la propriété de maintenir la santé et la vie qui n'étaient pas en l'homme essentielles à sa nature, mais un don que Dieu lui préservait par le moyen de l'arbre. Nous avons déjà vu que l'on supposait aussi, et probablement à tort, que l'arbre de la connaissance du bien et du mal avait la propriété opposée, c'est-à-dire de nuire à la santé, de produire la mort. Les Juifs paraissent aussi avoir entretenu cette opinion touchant l'arbre de vie, du moins on l'a conclu de ce qu'ils appellent arbre de vie ou de santé les plantes médicinales.
Mais nous ne voyons pas dans le récit de Moïse ni dans les autres passages bibliques qui parlent d'un arbre de vie, le moindre fondement sur lequel puisse s'appuyer l'idée, d'ailleurs peu rationnelle et peu conforme à l'esprit des révélations et des voies de Dieu envers l'homme, qu'un arbre dût avoir matériellement la propriété de maintenir en l'homme une immortalité qu'il possédait par le fait seul de son union avec Dieu. Je sais bien qu'on a voulu trouver un argument en faveur de cette opinion dans le v. 22 : De peur qu'il ne prenne de l'arbre de vie et n'en mange et ne vive à toujours, comme si l'homme, malgré sa séparation d'avec Dieu, avait pu, en mangeant du fruit de l'arbre de vie, vivre à toujours en dépit de la sentence qui le condamnait à la mort. Mais nous allons voir tout à l'heure que cette parole ne signifie rien de pareil, pour ne pas dire qu'une telle supposition est indigne de la puissance de Dieu qui pouvait tout aussi bien ôter à l'arbre sa prétendue propriété, qu'à l'homme son immortalité.
Nous admettons donc que l'arbre de vie était un arbre réel, visible, accessible à l'homme, mais purement et simplement symbolique, c'est-à-dire que Dieu l'avait donné à l'homme non comme un moyen de vie, mais comme un signe, ou gage visible de la vie ou de l'immortalité dont Dieu l'avait mis en possession et qu'il devait puiser en Dieu seul (7),
Voici donc le but de ce symbole : « Dieu voulait que toutes les fois que l'homme goûterait du fruit de cet arbre, il lui fût remis en mémoire de qui il tenait la vie ; qu'il reconnût qu'il ne vivait pas par sa propre vertu, mais par un bienfait de Dieu, bienfait qui n'était pas en lui (intrinsecum bonum), mais qui lui venait chaque jour de Dieu seul. En un mot cet arbre était un témoignage visible de cette vérité : c'est en Dieu que nous avons la vie, le mouvement et l'être ». Calvin.
Ainsi nous pouvons faire un rapprochement entre la signification et le but de l'arbre de vie, et la signification et le but de la Cène du Seigneur. L'un et l'autre est un symbole, un signe, un gage assuré de la vie spirituelle, pourvu que celui qui en jouit soit en effet uni avec la source de la vie ; mais qui devient nul si l'homme est éloigné de Dieu. On peut donc, sans entrer dans un système d'allégorie trop forcée, admettre avec quelques Pères de l'Église que l'arbre de vie était un symbole de la vie de Christ, car nous devons nous souvenir que Jean dit de la Parole qui était au commencement avec Dieu et qui était Dieu : En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes.

Maintenant il nous reste à voir si le sens que nous venons de donner à l'arbre de vie peut s'accorder avec les autres endroits de la Bible où il en est parlé.
Prov. 3, 18. Il est dit que la sagesse est l'arbre de vie à ceux qui l'embrassent, et tous ceux qui la tiennent sont rendus bienheureux. « Elle est ce qu'aurait été l'arbre de vie à l'homme innocent », dit Martin dans une de ses notes. Et si l'on identifie la Sagesse par laquelle Dieu a fondé la terre, v. 19, avec la Parole, par laquelle toutes choses ont été faites, Jean 1. 3, et avec le Fils par lequel Dieu. a fait les siècles Hébr. 1. 2 (8) de combien de vérité et de beauté ne se revêtira pas l'idée des Pères de l'Église que je viens de mentionner !

La sagesse est donc ici la chose signifiée par l'arbre de vie, d'après notre interprétation. - Prov. 13. 12, et 15, 4. L'arbre de vie signifie simplement une chose agréable ou salutaire, selon l'idée des Juifs, qui, comme nous l'avons vu, nommaient ainsi les plantes médicinales propres à faire du bien à la santé. Ces deux passages n'ont qu'un rapport indirect avec le sujet qui nous occupe.
Dans Apoc. 2, 7. c. 22. 2, il est parlé de l'arbre dé vie d'une manière évidemment symbolique. Le premier nomme l'arbre de vie qui est au milieu du Paradis de Dieu ( comp. Gen. 2. 9.), et la jouissance de cet arbre, c'est-à-dire le recouvrement des prérogatives de l'homme innocent, est promise à celui qui vaincra. Or ici il ne peut pas être question des fruits matériels de l'arbre qu'on suppose faussement avoir renfermé en eux-mêmes une vertu propre a communiquer la vie, mais bien de la chose signifiée par le symbole. On peut tirer la même conclusion de Apoc. 22. 2. où le Paradis spirituel nous est représenté comme la demeure des rachetés, au lieu d'Éden qui leur fut fermé. L'arbre de vie portant son fruit et rendant son fruit chaque mois est évidemment le symbole de la vie éternelle et toujours fraîche et renaissante, dont Dieu est la source, comme il devait l'être en Eden.

Cependant dès que l'homme s'est séparé de la source de la vie, Dieu lui en ôte le symbole pour l'empêcher de se bercer d'une vaine espérance contraire à la sentence qui le condamne. Les paroles du v. 22 : maintenant de peur qu'il n'avance sa main etc., ne signifient donc pas que l'homme aurait pu vivre encore s'il avait eu accès à l'arbre de vie. Il avait perdu la chose, de quoi lui aurait servi le signe ? Il n'avait plus la réalité, à quoi bon le symbole ?
Mettre l'homme hors du jardin d'Eden était, de la part de Dieu, l'exclure de sa présence, de son mode primitif d'existence, et le réduire à l'état actuel, conformément à la condamnation prononcée contre lui. Tout être privé de sainteté et de la vie de Dieu ne saurait subsister en sa présence.

V. 24. Ainsi il chassa l'homme et il mit à l'orient du jardin d'Eden, des Chérubins avec une épée flamboyante qui se tournait ça et là afin de garder le chemin de L'arbre de vie.

Le sens moral de ce passage est, sans aucun doute, que Dieu voulait faire comprendre à l'homme qu'il n'y avait plus pour lui d'espérance d'être admis dans sa première demeure, dans ses premières prérogatives.
L'Éternel mit sous ses yeux un témoignage visible de sa chute et de la justice divine qui ferme au pécheur l'accès de la communion de son Dieu, tant qu'il ne s'est pas réconcilié avec lui, comme l'épée flamboyante ferme l'accès à l'arbre de vie.
Mais quant au sens historique de ce verset, je confesse mon ignorance. La Bible ne nous l'explique pas, et quant aux hommes, « autant de têtes autant de sentiments ». Depuis ceux qui croient que l'épée flamboyante était la Zone Torride, où ils placent Eden, jusqu'à ceux qui soutiennent que c'est le feu du purgatoire, l'espace est grand et cependant il est rempli d'opinions diverses.

On est assez généralement convenu d'entendre par les Chérubins des anges auxquels Dieu aurait confié la garde d'Eden. Mais sur quel fondement ? Tous les passages de l'Écriture où il est fait mention de ces Êtres mystérieux sont plus ou moins obscurs, et il n'en est aucun d'où l'on puisse conclure que ce soient des anges.
Dans Ezéch. ch. I. 10, ch. 10. 2. les Chérubins sont des animaux symboliques à la figure la plus bizarre. Les Chérubins du propitiatoire (Exod. 25. 18) sont aussi des figures symboliques, qui ne jettent aucune lumière sur notre passage. Il est dit souvent que Dieu habite ou siège entre les Chérubins, Ps. 80. 1. Ps. 99. 1, etc. ; mais cette image est prise de la forme du propitiatoire où Dieu parlait du milieu des Chérubins. Nomb. 7. 89. De ces passages réunis et comparés à Ps. 18, 10 : « Il était monté sur un Chérubin et il volait, et il était porté sur les ailes du vent », quelques auteurs ont conclu que ce mot est le symbole des manifestations de la puissance divine, tant dans le monde moral que dans le monde physique, et que notre passage pourrait désigner une violente tempête, accompagnée des éclairs de la foudre, figurés par l'épée flamboyante. (Il y a dans l'Hébreu une flamme d'épée qui se tournait, etc., que l'on a rendu par épée flamboyante. Luther, tout en admettant que les Chérubins sont des anges, pense aussi que cette flamme était les éclats de la foudre. Ce qu'il y a de plus probable en effet, c'est que les expressions de ce verset doivent donner l'idée de quelque phénomène naturel extraordinaire par lequel Dieu voulait inspirer à l'homme de la crainte, et perpétuer dans sa conscience le sentiment de son crime (9).

 

FIN.

Table des matières


(1) II faut faire attention à cette tournure si fréquente chez les Hébreux et dont souvent nos traductions ne tiennent aucun compte. L'infinitif placé devant le verbe fini comme dans Gen. 2,17., mourir, vous mourrez, n'est jamais sans intention ; il tend à donner de la force, de l'énergie à l'action du verbe, ou en indique la certitude. On trouve même cette tournure répétée deux fois de suite dans 1 Rois, 2, 37., savoir sache, que mourir tu mourras, sache avec certitude que tu mourras certainement.
Jacob, en voyant la robe de son fils Joseph et voulant exprimer avec force la douloureuse pensée qu'une bête l'a dévoré, se sert de cette expression :, déchirer a été déchiré Joseph. - Cette tournure indique aussi la continuation, la durée de l'action, 1 Rois, 20, 37, ou quelque nuance délicate de la pensée qu'on n'exprimerait point autrement. Gen. 43, 7. pouvions-nous donc savoir ? - Ch. 37, 8., régneras-tu donc sur nous ? Voyez Gesenius Hebraeische Grammatik, § 100, p. 198., 8e édit., ou CELLÉRIER fils, Éléments de la Grammaire hébraïque, p 226, 2e édit.

Quelques commentateurs rabbiniques ont prétendu que, dans notre passage Gen. 2, 17, le double verbe devait indiquer la mort du corps et de l'âme, au cas qu'Adam violât l'ordre de Dieu.
 

(2) « Eve a désobéi au commandement de Dieu et est tombée sous la puissance de Satan ; elle a succombé à une tentation qui réunissait les trois séductions de la sensualité, de la curiosité et de l'orgueil (1 Jean 2, 16) qui se retrouvent dans la tentation de Jésus-Christ. Mais elle a été séduite, non par de mauvaises pensées qui se fussent formées en elle, mais par celles que Satan lui a suggérées, et auxquelles elle a donné accès dans son âme. C'est là le trait caractéristique de la chute, qu'elle est venue du dehors.
L'homme n'a pas créé le mal comme Satan l'a fait (Jean 8, 44), mais il n'a pas su le repousser. Ce point de vue est d'une grande importance pour la Rédemption qui, je crois, n'eût pas été possible si l'homme eût tiré le mal de son propre fonds, car elle vient détruire l'oeuvre du démon, restaurer l'homme dans son premier état, puis l'élever « à un plus haut degré. » M. F. de Rougemont.
(3) Voir les notes sur v. 1 au commencement, et les Comm. là cités.

(4) Ils sont appelés dans l'Écriture,, Matt. 3, 7 (race de vipères) ;, 1 Jean, 3, 10 (les enfants du diable).

(5) Tobit 8, 3. Bar. 4, 35. Et dans les livres inspirés le désert est constamment considéré comme la demeure des êtres les plus réprouvés de la nature et même comme celle des démons. Es. 13, 21. c. 34, 14. Apoc. 18, 2. - Réduire en désert exprime toujours une malédiction.
(6) Ainsi Calvin, Luther, Morus, Knapp, etc., etc. Glaubenslehre, I. 328.

(7) Cette opinion a pour elle les traditions des divers peuples qui ont évidemment leur origine dans le récit mosaïque qui nous occupe, comme l'arbre de la sagesse chez les Indiens ; la racine d'immortalité dans les religions du Thibet ; la source de la vie éternelle, chez les Perses, autant de dénominations d'une seule et même chose, dans lesquelles ces nations ne voient sûrement qu'un symbole.

(8) L'identité de la Sagesse dans les Proverbes et de la Parole () dans saint Jean est établie d'une manière évidente par Olshausen et Tholuck. - Voy. leurs Com, sur Jean I, 1.

(9) Le nom même de Chérubin () ne peut point servir à indiquer la nature de ces êtres, parce que l'étymologie en est douteuse. Quelques-uns le composent du de similarité et du mot chaldaïque, enfant, jeune homme, et pensent que les Chérubins avaient la figure d'un enfant. Ainsi Calvin et d'autres auteurs. - D'un autre côté la plupart des pères de l'Église, Clément d'Al., Origène, Athanase, Augustin, Chrysostome, etc., croient que le mot signifie une grande science, et ils en cherchent l'étymologie dans les deux mots, savoir, connaître, et, beaucoup. Enfin, d'autres encore composent ce mot de ce même verbe et du de similarité et le font signifier savant, sage, magister, homme de distinction.
On peut juger par la diversité d'opinions qui règne, tant sur les passages de l'Écriture où le mot Chérubin est employé, que sur l'étymologie même de ce mot, combien est grande l'incertitude de sa vraie signification.

 

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