Du Pontavice fit encore une visite à ses
parents et à ses amis de la Basse-Normandie
au commencement de 1810
(1).
Puis il se
remit au travail au milieu des Églises dont
il était le pasteur dans le pays de Caux,
avec le vif sentiment que sa vie et son
ministère touchaient à leur fin. Nous
avons déjà rencontré, dans
plusieurs de ses lettres ce pressentiment d'une
mort prochaine, qui devint de plus en plus vif dans
ses dernières lettres, adressées
à ses amis méthodistes de Beuville,
au milieu desquels il voulut finir sa vie. En
attendant, il leur écrivit des
épîtres pastorales pleines
d'affection, qui rappellent cette parole de
l'Évangile de saint Jean :
« Comme il avait aimé les siens,
il les aima jusqu'à la fin ». On
sent, en les lisant, qu'il se considérait,
depuis le départ de Mahy, comme le pasteur
de ces troupeaux qui n'avaient plus de pasteur. Il
convient de recueillir avec respect ces accents
d'une voix qui allait bientôt
s'éteindre.
À LA VEUVE ANDRÉ, A
BEUVILLE (2)
Bolbec, 15 mars 1810.
« Ma très chère soeur, -
J'ai reçu la lettre que vous m'avez
envoyée, et je vous en fais mes
remerciements. Les nouvelles
dont vous m'avez fait part m'ont causé une
grande joie et beaucoup d'attendrissement. En
effet, qui est-ce qui pourrait ne pas se
réjouir et n'être pas attendri en
apprenant le résultat heureux du voyage de
votre soeur (3), et les touchants
détails
qu'elle donne de ce bon pays où maintenant
elle habite ; de ce pays où coulent le
lait et le miel, de ce pays de
délices ? Je ne puis y penser sans
soupirer, sans gémir, et si Dieu ne me
donnait de la résignation, ma vie serait
pleine d'ennui ; car je ne me plais que parmi
les enfants de Sion.
« J'éprouve que c'est
la volonté du Seigneur que je sois ici, et,
malgré toutes mes privations, je me trouve
heureux. Solitaire dans ma demeure, je n'ai autre
chose à faire, outre mes fonctions
ministérielles, qu'à prier Dieu,
méditer sur ses divins attributs, sur les
grandes vérités de notre salut, sur
la fidélité et l'accomplissement de
ses grandes et précieuses promesses. Je sens
le désir de m'offrir en sacrifice vivant et
de dire : Me voici, ô Dieu, pour faire
ta volonté ! Quand je considère
le peu de fruit que j'ai fait jusqu'ici et les
sujets de découragement que j'ai en bien des
manières, je serais porté à
m'abattre et à être saisi de la plus
vive angoisse ; mais je veux m'efforcer pour
me mettre au-dessus de toutes ces choses. Je veux
continuer à travailler dans cette portion de
la vigne du Seigneur où j'ai
été placé, quelque
stérile qu'elle paraisse être. Je
n'attends rien de mes efforts, mais j'espère
que Dieu répandra sur moi son Esprit, et la
douce rosée de sa grâce sur le champ
qu'il m'a donné à cultiver. Je sais
que, s'il n'a pas produit plus de fruits, c'est en
partie ma faute. Oh ! que le ministère
est une oeuvre pénible, laborieuse et
terrible ! Je ne sais si jamais j'ai autant senti
mon incapacité, ma
faiblesse et mon indigence. Mais c'est assez parler
de ma chétive personne ; il faut rompre
mon discours et finir.
« Maintenant que vous
voilà sans pasteur humain, vous devez
être convaincus du besoin d'avoir un recours
continuel au pasteur divin. Celui-là est le
bon pasteur, qui a donné sa vie pour ses
brebis ; c'est le pasteur par excellence.
Suivez-le constamment ; vous entrerez et
sortirez et trouverez de la pâture pour vos
âmes. Croyez en lui de tout votre
coeur ; appliquez-vous par la foi les
mérites de sa mort. Ce bon berger vous dit
que nul ne pourra vous ravir de sa main :
croyez-le et mettez toute votre confiance en lui.
Saint Jean nous dit que son sang purifie de toute
iniquité ; allez à cette source
ouverte pour laver les souillures de son peuple, et
vous reviendrez plus blancs que la neige ; un
chant d'actions de grâce et de triomphe sera
mis dans vos bouches et une allégresse
éternelle sur vos fronts. Oh ! si nous
avions de la foi, seulement gros comme un grain de
semence de moutarde, nous transporterions toutes
les montagnes de nos péchés et de
notre corruption, dans la mer immense de ses
miséricordes ! Soyons exacts dans tous
nos devoirs ; l'infidélité
engendre l'incrédulité et nous
empêche de saisir les promesses.
« Je prie Dieu qu'il vous
bénisse tous ensemble, vous affermisse et
vous établisse.
« Du PONTAVICE. »
Aux AMIS DE BEUVILLE (4).
Bolbec, 22 mai 1810.
« J'ai reçu la lettre que vous
m'avez envoyée. Vous me dites que mes
lettres vous sont en édification ; je
souhaite qu'elles le soient encore davantage, ou
plutôt que le Seigneur vous bénisse
plus abondamment quand vous les
lisez ; car c'est de lui seul que
procède la bénédiction. Je
suis plus convaincu que jamais que je ne suis
rien ; et l'expérience m'apprend tous
les jours que je ne puis rien. Au lieu d'être
une rosée à Israël, comme vous
dites, il me semble plutôt que je suis comme
une nuée sans eau. Je ne puis dire combien
cela me navre le coeur et me dégoûte
même de la vie ; car la vie, selon moi,
ne peut être désirable qu'autant que
l'on est utile à quelque chose ; la
mienne, hélas ! se passe sans qu'il en
revienne beaucoup de profit. Je ne fais encore que
porter ma semence en pleurant, et je crains qu'il
n'en soit ainsi tous les jours de ma vie. Puisse le
Seigneur avoir pitié de moi et des pauvres
âmes confiées à mes
soins !
« Quand vous me parlez du bon
pays où l'oeuvre de Dieu prospère,
cela fait soupirer mon âme après ce
séjour fortuné ; mais ensuite je
considère que Dieu est partout, et partout
le même, et peut, par conséquent, se
trouver partout. Il est certain qu'il y a des lieux
où Dieu répand davantage la
rosée de sa grâce ; mais cela
n'empêche pas que toute âme
fidèle ne puisse en tous lieux jouir de son
agréable présence, et marcher
à la clarté de sa face. S'il y a plus
de difficultés et d'obstacles à
surmonter, sa grâce sera proportionnée
à nos besoins, et même nous pouvons
espérer une plus glorieuse couronne.
« Ah ! si je
n'étais qu'à dix ou douze lieues de
vos contrées, j'irais de temps en temps vous
visiter, pour nous consoler et nous encourager
mutuellement dans notre pèlerinage. Je viens
de recevoir une lettre du Docteur
(5), avec
lequel
j'ai tant voyagé. Il me marque que l'oeuvre
de Dieu prospère beaucoup parmi eux, et,
d'après le récit qu'il m'en fait, il
paraît que le nombre des âmes qui servent le
Seigneur a
presque
doublé depuis que j'ai quitté ce
pays-là. N'y aura-t-il point aussi une
bénédiction pour nous ? Oui, je
l'espère. Dieu passera par-dessus notre
indignité, et répandra la
rosée de sa grâce sur notre
Israël. « Le désert et le
lieu aride se réjouiront ; la solitude
sera dans l'allégresse, et fleurira comme
une rose. Elle fleurira et sera dans
l'allégresse ; elle poussera des cris
de joie et des chants de triomphe ; la gloire
du Liban et la magnificence de Carmel et de Saron
lui seront données ; ils verront la
gloire de l'Éternel et la magnificence de
notre Dieu »
(Esaïe,
XXXV). Priez pour
l'accomplissement de ces glorieux temps. Priez Dieu
que je sois fidèle et qu'il me donne du
succès. Que le Seigneur vous fasse la
grâce d'être bénis de toutes
sortes de bénédictions spirituelles
dans les cieux célestes en
Jésus-Christ !
« Du PONTAVICE. »
Aux AMIS DE BEUVILLE (6).
Bolbec, 24 juillet, 1810
« La grâce du Seigneur peut tout
surmonter. C'est là ce qui me soutient dans
ma faiblesse ; j'éprouve que son Esprit
ne s'est pas retiré de moi. Ces derniers
jours, j'ai même trouvé plus de force
pour lui donner mon coeur. Oh ! que l'on est
heureux quand il nous possède sans aucun
rival ! Quelle profonde paix, quelle vive
allégresse, quelle joie ineffable, quel
délicieux amour ! « Amour
plus fort que la mort, que beaucoup d'eaux ne
pourraient éteindre, et quand quelqu'un
donnerait tous les biens de sa maison pour cet
amour-là, certainement on n'en tiendrait
aucun compte. » C'est ce trésor
caché, cette perle de grand prix, pour
laquelle nous devons renoncer à toute chose
ici-bas.
« Faisons tous de nouveaux
efforts, afin que nous puissions nous revoir, si le
Seigneur le permet, remplis du parfait amour de
Dieu. La perfection à laquelle nous devons
tendre, comme dit saint Paul (Héb., VI),
consiste à aimer Dieu de tout notre coeur.
Il me semble que je vais faire de nouveaux efforts
pour l'aimer ainsi. J'en vois une grande
nécessité pour être
véritablement heureux. De plus, je
considère qu'il ne me reste pas beaucoup de
temps à vivre sur la terre, et qu'ainsi il
est pressant pour moi de mettre mon temps à
profit. Et même, qui pourrait nous assurer
que nous verrons la fin de cette
année ? Tout nous convie à
racheter le temps et à nous préparer
pour une vie bienheureuse. J'espère que
c'est là ce qui fait vos occupations
intérieures et journalières.
« Si nos soeurs voulaient me
faire connaître un peu leurs
expériences, chacune en peu de mots, dans
une lettre commune, elles me feraient beaucoup de
bien et de plaisir. Je suis assuré que cela
nous serait à tous profitable. Puisque nous
ne pouvons nous voir ni jouir de la conversation
les uns des autres, pour nous exciter à la
vigilance, employons les moyens dont nous pouvons
nous servir. Quand les chrétiens vivent
isolés sans fréquentation, et sans
communion spirituelle, ils sont très
exposés à perdre de leur zèle
et de leur ferveur, et à se laisser aller au
relâchement. Soyons donc sur nos gardes, et
tâchons d'assurer notre vocation et notre
élection.
« Quand vous écrirez
à nos amis Bisson, vous leur ferez bien mes
amitiés. Ils ont perdu en M. Dever un bien
respectable chrétien ; c'est une grande
perte pour le pays. Il est maintenant entré
dans le repos du Seigneur, après avoir
été affligé pendant bien des
années, comme le juste Lot, par les
méchantes actions et conversations des
hommes impies de son temps et de ses lieux.
Conformément au désir exprimé par du Pontavice dans la lettre qui précède, les amies méthodistes de Beuville lui envoyèrent chacune quelques lignes pour lui faire part de leurs expériences chrétiennes, et, dans sa réponse qu'on va lire, il adressa à chacune d'elles un message en rapport avec son état et ses besoins. Ce fut, par écrit, une de ces réunions de classe, comme celles dont il avait tant joui et tant profité à l'époque où il était au milieu des méthodistes. On y remarquera aussi, comme dans la précédente lettre, avec quelle énergie il affirme sa foi à la doctrine de l'entière sanctification, qui lui devenait plus précieuse que jamais, maintenant qu'il approchait de sa fin.
Aux AMIS DE BEUVILLE (7).
Bolbec, 16 août 1810.
« Votre lettre du 5 août m'est
parvenue, et je vois avec une bien grande
satisfaction que vous n'avez point abandonné
le Rocher des siècles, d'où
jaillissent ces eaux qui désaltèrent
tous ceux qui en ont soif, et je suis bien
persuadé que vous ne l'abandonnerez
jamais ; que ni la mort, ni la vie, ni les
choses présentes, ni les choses à
venir, etc., ne vous sépareront jamais de
l'amour que Dieu vous a montré en
Jésus-Christ notre Seigneur. En effet, quand
on a goûté combien le Seigneur est
bon, qu'on a joui pendant plusieurs années
des délices de son sanctuaire, les choses du
monde deviennent si fades, si insipides, qu'on ne
peut plus y trouver aucun plaisir.
« L'état de privation
où vous vous trouvez, en fait de la
prédication de l'Évangile, est sans
doute une grande épreuve, puisque cette
divine parole est plus douce que le miel,
même que ce qui distille des rayons de
miel ; mais vous
n'êtes pas encore privées de tous
moyens ; vous avez encore de beaux et grands
privilèges ; vous jouissez du plus
grand, puisque Jésus-Christ, le souverain
sacrificateur de votre profession, est au milieu de
vous pour vous instruire et vous bénir.
Écoutez-le donc attentivement ; ayez
sans cesse recours à son grand sacrifice. Il
nous faut mourir à tout ici-bas :
à nos parents, à nos amis, et
même aux douces consolations que l'on
éprouve quand on jouit de la
prédication régulière de
l'Évangile. Il ne faut pas sans doute tomber
dans une espèce d'indifférence
à l'égard de ces grands avantages,
car plus notre âme possède la vie de
Dieu, plus ils nous paraissent grands ; mais
quand le Seigneur nous les ôte, nous devons
nous charger de notre croix et suivre l'Agneau
quelque part qu'il nous conduise. Je pense qu'il
n'est point sur la terre de situation où
tous nos désirs soient satisfaits : il
nous manque toujours quelque chose. C'est ce qui
fait qu'il y a tant de personnes, et quelquefois
parmi les enfants de Dieu, qui voudraient bien
changer de situation. Si le Seigneur leur accordait
ce qu'ils désirent, ils trouveraient encore
après cela qu'il manque quelque autre chose.
Ainsi la sagesse consiste à être
content de toutes les dispensations de la
Providence, sachant que tout contribue au bien de
ceux qui aiment Dieu.
« C'est là une
leçon que je cherche à apprendre
journellement, prenant bien garde que les
désagréments que je crois aussi
trouver dans ma situation présente, ne
m'empêchent d'apercevoir les avantages
multipliés dont le Seigneur me
favorise.
« Je remercie nos soeurs de
m'avoir marqué l'état de leurs
âmes. Je vais tâcher de leur
répondre par ordre.
« À notre soeur Anne
Lucas, de Périers.
« La vue de nos imperfections
est pénible ; mais elle est très
salutaire pour nous conserver dans
l'humilité et pour nous
porter à supporter les défauts des
autres. C'est ce qui fait que plus on se
connaît soi-même, plus on est humble et
rempli de charité pour le prochain, et plus
on est convaincu que tout le salut est du Seigneur,
qu'il est notre Alpha et notre Oméga, notre
sagesse, notre justice, notre sanctification, notre
rédemption. Se donner tout à lui,
c'est quitter le monde pour venir vivre sur les
bords du paradis.
« À notre soeur Anne
Gautier.
« Quand nous éprouvons
que le Seigneur continue à nous bénir
malgré nos infidélités
spirituelles, nous devons redoubler d'amour pour
lui ; cela nous fait voir aussi qu'il est un
Sauveur débonnaire. Les avant-goûts
qu'il nous donne de la gloire à venir, et de
la félicité céleste, sont un
cordial pour nous fortifier dans nos combats, et
pour nous faire mourir aux plaisirs de la vie. Plus
nous penserons à Jésus, nous reposant
sur ses mérites, plus il nous fera boire de
ce cordial céleste ; croire de tout son
coeur en Jésus, c'est boire à la
coupe du salut.
« À notre soeur Anne
Paisant.
« Soit que nous mettions le
temps à profit ou non, notre vie
s'écoule : c'est comme un torrent qui
passe avec une grande rapidité, et dont
bientôt il ne reste plus rien. C'est pourquoi
profitez du jour du salut. Le moyen de n'avoir
point son âme combattue, c'est de renoncer
à soi-même, de prendre Dieu pour sa
haute retraite. Là nos ennemis spirituels ne
nous peuvent rien : hors de Dieu nous sommes
assaillis d'une foule d'ennemis qui nous pressent
de toutes parts. La prière est l'arme que
Dieu a donnée au fidèle pour
repousser ses ennemis : une âme qui ne
prie point est comme une sentinelle
endormie.
« À notre soeur
Rachel Paisant.
« Il n'y a en nous rien que
faiblesse. Jésus seul est notre force : nous
devons
donc nous reposer sur ce divin crucifié,
nous laver dans son sang, nous envelopper de sa
justice, nous parer de toutes ses vertus ; et
l'âme fait toutes ces choses quand elle ne
repose l'espoir de son salut que sur ses
souffrances, sur sa mort, et lorsqu'elle prend
exemple sur lui. Cherchons à vivre comme
Jésus-Christ a vécu, et cet adorable
Sauveur viendra nous aider et nous fortifier par
son Esprit. La vraie piété, la seule
qui puisse nous ouvrir la porte des cieux, c'est
celle qui nous rend conformes à notre divin
modèle.
« À notre soeur
Marie-Anne André.
« Quand nous sentons notre
pauvreté, notre insuffisance pour glorifier
Dieu, il faut nous enfoncer, nous perdre en lui qui
est un abîme de miséricorde, et tenir
nos âmes devant lui dans un respectueux
silence. Il faut chercher à devenir un
même esprit avec lui, par la foi en
Jésus-Christ, afin d'être
revêtus de sa force, et pour sentir en nous
le développement de sa puissance. Alors
l'âme sent qu'elle n'est plus rien, qu'elle
est perdue en Dieu qui est en elle tout en tout, et
que c'est par lui qu'elle pense, qu'elle agit,
qu'elle opère : c'est là
être rempli de la plénitude de
Dieu.
« À notre soeur Anne
Lucas, de Beuville.
« Si nous étions
toujours remplis de Dieu, nous jouirions
continuellement de sa divine présence. Dans
cet état la vie n'est que délices.
C'est se nourrir du pain des anges ; c'est se
désaltérer à la source des
eaux vives. Les desseins de Dieu sont que nous
jouissions de ce bonheur, et le moyen d'y parvenir,
c'est de ne point se creuser de citernes
crevées qui ne peuvent contenir les eaux, ou
bien, en d'autres termes, c'est chercher son
bonheur uniquement en Dieu. Quand nos âmes se
vident des créatures, Dieu vient les remplir
de son Esprit, de sa félicité : vivre en Dieu
et pour Dieu,
c'est vraiment jouir des glorieux privilèges
de notre existence.
« À notre soeur
Madeleine Martin.
« Le sentiment de notre
incapacité, joint avec la vue de la
majesté infinie de l'Être
suprême, peut nous faire tomber dans une
espèce de langueur spirituelle ; il
faut alors chercher du soutien. Reposons-nous donc
sur le céleste Époux de nos
âmes, comme l'épouse, dans le Cantique
des cantiques, le fait en sortant du désert.
Alors, en notre langueur nous trouverons mille
douceurs. Jésus nous fera part de sa myrrhe
et de ses drogues aromatiques ; il nous
donnera de son miel, de son lait, de son vin. Nous
devons aussi chercher que Jésus ne soit pas
comme un ami qui passe, et qui nous visite de temps
en temps. Tâchons de le retenir chez
nous ; et pour cela il faut sans cesse faire
attention à lui, autrement il
s'échappe bientôt et
disparaît.
« À notre soeur
Françoise Martin.
« Si nous voulons n'être
jamais dans la disette, que l'Éternel soit
continuellement notre berger ; il nous fera
reposer dans des parcs herbeux, et nous
mènera le long des eaux tranquilles :
gardons-nous de quitter sa houlette et les lieux
où il fait reposer ses brebis. Notre nature
corrompue quelquefois nous emporte et nous
empêche d'écouter la voix du divin
berger, de Jésus-Christ le grand Pasteur de
nos âmes ; il faut donc que nous
résistions à cette nature corrompue,
en mortifiant les affections de la chair par
l'Esprit : plus nous serons morts à
nous-mêmes, plus nous trouverons de bonheur
à obéir à Jésus. Ce qui
nous empêche de faire des progrès dans
la vie divine, c'est que nous résistons
à l'Esprit qui veut nous conduire à
cette mort.
« À notre soeur
femme André.
« De quelque côté
que nous portions nos regards, tout nous annonce,
dans la
nature
comme dans la grâce, que la bonté du
Seigneur est sans bornes ; par
conséquent, il doit être un bon
maître et doux à servir : aussi
est-ce le témoignage que nous en ont rendu
ses plus fidèles serviteurs. Si ensuite nous
parcourons tous les rangs de la
société, nous voyons que c'est en
vain que l'homme est comblé d'honneurs ou de
richesses, ou qu'il se livre aux plaisirs mondains,
tout cela ne saurait hors de Dieu le rendre
heureux. Et le pauvre, ou l'homme dans la
médiocrité, riche en son Dieu,
mène une vie de délices. Toutes les
choses terrestres ne sont que comme une ombre qui
passe. Dieu seul est notre bien réel,
substantiel, permanent, éternel.
« J'espère que nos
soeurs ne prendront pas mal les petites
réflexions que j'ai faites sur leurs
expériences, et qu'elles voudront bien
continuer à me faire part de leur
état ; cela me fera beaucoup de
plaisir. Quant à ce que vous me marquez
aussi par rapport à vous, voici ce que je
pense. Pour bien juger de notre état
spirituel, il faut non seulement considérer
les grâces que nous ressentons, mais encore
examiner si nous connaissons bien la profondeur de
la corruption qui est en nous ; si nous en
gémissons ; si elle nous est
insupportable ; si nous en cherchons la
délivrance uniquement par la foi dans
l'efficacité du sang de Jésus-Christ,
et en même temps en faisant tous nos efforts
pour produire tous les fruits de sainteté et
de justice en notre pouvoir.
« Quand on est dans cet
état, on n'est pas loin du royaume des
cieux : le règne de Dieu n'est pas loin
d'être établi dans toute sa puissance,
sa gloire et sa beauté. Les ennemis de Dieu
sont près d'être entièrement
bannis du coeur. Dieu est sur le point de prendre
une entière possession de l'âme, en
lui accordant une délivrance parfaite, en la
rendant capable de le servir en toute justice et
sainteté. Quant à cette parfaite
délivrance, voyez Luc
1, 71, 74, 75 ; I
Thess., V, 23 ; Matt.
V, 8. Une entière
sanctification est offerte à tous ; il
n'y a point de présomption à chercher
à l'obtenir ; c'est même notre
devoir.
Si la plupart de ceux qui aiment Dieu
passent presque toute leur vie sans l'obtenir,
c'est parce que les uns ne la recherchent point,
d'autres ne le font point avec assez d'ardeur,
d'autres encore ne croient pas pouvoir l'obtenir,
ou s'ils l'obtenaient, ils croient qu'ils ne
pourraient la conserver. Cette grâce est sans
contredit incompatible avec la présomption,
puisqu'elle détruit entièrement
l'orgueil dans le coeur : et c'est même
une sûre marque que nous sommes
sanctifiés entièrement, quand nous
apercevons qu'il n'y a plus d'orgueil en nous.
Cette grâce inestimable est donnée
à qui croit de tout son coeur que le sang de
Jésus-Christ purifie de tout
péché.
Voilà ce que la parole de Dieu
m'apprend à ce sujet, ce que j'ai entendu de
la bouche de ses serviteurs qui vivent sous cette
glorieuse dispensation et ce que j'en ai ressenti
moi-même en goûtant les premiers fruits
de ce don céleste. Que je désirerais
de revoir et d'entendre ceux que je connais, qui
vivent dans une étroite communion avec
Dieu ! (8)
Mais il y a entre eux et nous une grande
barrière ; je ne sais quand elle sera
levée : toutefois, je me résigne
à la volonté du Seigneur.
« Du PONTAVICE ».
Cette lettre du 16 août devait être
la dernière de ces épîtres
vraiment pastorales, au moyen desquelles du
Pontavice continuait son oeuvre au milieu de ses
amis de Beuville. Il ne tarda pas en effet à
comprendre, par la diminution rapide de ses forces,
que sa vie approchait de son terme.
« Depuis longtemps, raconte son
collègue Alègre, il se plaignait d'un
mal à la gorge, et il négligeait
toujours de faire quelques remèdes. Il avait
même été rassuré
à cet égard par un médecin de
Fougères. Cependant cette
indisposition s'était fort aggravée,
et à cela s'était joint un
dérangement d'estomac également
invétéré, et que nous avons
ignoré longtemps. Enfin, pendant une
réunion de quelques pasteurs à
Luneray, il se trouva insensiblement plus mal et,
je l'avoue, sans que cela nous tirât de notre
sécurité. Mais, à son retour,
il déclara qu'il se sentait bien mal ;
il fit encore une prédication à
Saint-Antoine, et ce fut la dernière. Sa
faiblesse ne lui permit plus de fonctionner. Mais,
au milieu des vives inquiétudes de ses amis,
il conserva la même
sérénité
(9). »
Il écrivit aux anciens de
l'Eglise réformée d'Autretot, vers la
fin du mois de septembre, ce qui
suit :
« Il y a longtemps que ma
santé est altérée, ce que vous
devez avoir aperçu vous-mêmes par le
grand changement qui s'est fait en moi. Mais comme
mes forces n'étaient pas encore
épuisées, je continuais toujours
à travailler. Aujourd'hui je me trouve
obligé de m'arrêter, ma santé
ayant été en empirant d'une
manière étonnante depuis une douzaine
de jours ; ainsi je ne prévois pas
pouvoir me rendre au milieu de vous au commencement
d'octobre. Il me faut absolument du repos et
prendre des remèdes pour ma guérison,
si toutefois il est encore temps. La volonté
du Seigneur soit faite ! je désire le
glorifier soit par ma vie, soit par ma mort :
il sait ce qui m'est le meilleur et je me remets
entre ses mains. »
Pressentant sa mort prochaine, du
Pontavice voulut finir sa vie dans un milieu
où il pût être entouré de
la sympathie et des prières de personnes
vraiment pieuses. Il n'eût pas trouvé
un tel milieu dans sa famille catholique à
Fougères, où sa mort, qu'il voulait
conforme à sa vie, eût peut-être
fait scandale. Il ne l'eût pas trouvé
complètement non plus à Bolbec,
où sa piété était plus
admirée que comprise. Il
se décida à demander à ses
amis de Beuville leur hospitalité pour sa
vie, si elle se prolongeait encore quelque temps,
ou pour sa mort, si, comme tout l'annonçait,
elle devait être prochaine.
Voici la lettre qu'il leur
écrivit :
À MADEMOISELLE HOUEL, A BEUVILLE
(10).
Bolbec, 2 octobre 1810.
« J'ai reçu votre lettre, avec
les expériences de nos soeurs ; mais je
n'y répondrai point cette fois, car j'ai le
projet d'aller vous faire une visite la semaine
prochaine, s'il m'est possible. Cette nouvelle va
vous causer à toutes de la joie ; mais
cette joie sera bien courte, quand vous saurez que
le mauvais état de ma santé me fera
entreprendre ce voyage, si les forces me le
permettent. Je voudrais bien, si vous voulez me
supporter dans mes infirmités, aller
chercher la vie spirituelle et corporelle au milieu
de vous, ou y mourir, si telle est la
volonté de Dieu.
« Voici ma maladie. Depuis
bientôt deux ans, je me suis senti
indisposé par un rhume, qui tomba sur la
poitrine, et qui m'a donné ce qu'on appelle
un catarrhe. Je me suis négligé,
m'exposant continuellement à la fatigue et
à toutes les intempéries de l'air. Je
tousse fort peu, et le plus ordinairement quand je
suis couché. La poitrine n'est point
attaquée, mais seulement affaiblie, et, pour
me guérir, il faudrait en détourner
l'humeur ou fortifier la poitrine. Ici il y a un
excellent médecin qui me traite depuis huit
jours, et je pourrais, avec l'assistance de Dieu, y
trouver la guérison, si je n'avais encore
une autre sorte de mal, qui est toujours mortel,
quand on ne lui applique pas le seul et vrai
remède qui y convient, et voici quel est ce
mal.
« Né avec une
extrême sensibilité, crainte de faire
de la peine aux autres, j'aime mieux souffrir et
concentrer en moi mon chagrin. Je vous ai
quelquefois fait part des épreuves de ma
situation, qui sont plus nombreuses que je ne
pourrais vous le dire dans une lettre. Ces
épreuves ont tellement navré et
rongé mon coeur, qu'elles ont amené
un dépérissement. Je me suis fait
violence, j'ai fait mes efforts pour me
résigner, mais, malgré tout cela, la
douleur était toujours en mon coeur. Si
j'eusse eu à Bolbec des personnes selon mon
coeur, avec lesquelles j'eusse pu me réjouir
en notre Seigneur ; si j'eusse eu le
succès que je désirais dans mon
ministère, voyant les âmes en grand
nombre se convertir au Seigneur ; si je
n'eusse point eu les mains liées à
bien des égards, je suis porté
à croire que je ne serais pas dans
l'état où je suis. Au lieu d'avoir
quelque sujet de consolation autour de moi, tout me
causait de la peine.
« Il me faut du repos
maintenant, et je sens le besoin de rompre tous mes
liens et de chercher ce que mon coeur
désire. Il me faut des amis en
Jésus-Christ, avec lesquels je puisse
épanouir mon coeur si longtemps
flétri par la contrainte et le chagrin. Et
si ce remède ne me guérit pas, mon
mal est incurable, il me faudra bientôt
déloger ; car il m'est impossible de
vous dépeindre le chagrin que
j'éprouve de n'être pas au milieu de
ceux qui connaissent le Seigneur.
« Si vous voulez donc me
supporter dans mes infirmités, j'irai tenter
ce remède au milieu de vous.
Répondez-moi au plus tôt.
Peut-être que je partirai cependant avant
d'avoir reçu votre réponse ;
mais vous serez du moins prévenue du sujet
de mon voyage. Quant aux frais que je pourrai
occasionner, vous devez être tranquille
à ce sujet. Je vous enseignerai le
régime que je dois garder et qui est
très simple. J'ai déjà eu une
longue atteinte de cette dernière maladie,
lorsque j'étais dans mon pays, et dont le Seigneur
m'avait fort
bien
rétabli, en usant du même
remède ; il est vrai que je n'avais pas
cette affection catarrhale. Je vais et je viens
comme à mon ordinaire ; je dors assez
bien, l'appétit est à peu près
le même ; seulement une petite
fièvre lente, causée par le
chagrin.
« Du reste, mes très
chères soeurs, je sens en moi de la
résignation ; je ne refuse point de
mourir, et j'espère que le Seigneur sera
glorifié en moi, soit par la vie, soit par
la mort. Il me semble que je ne crains pas de
mourir et que la mort a perdu son
aiguillon. »
Dans cette lettre, du Pontavice, en
général si réservé,
ouvrait son coeur et disait la cause de la douleur
qui remplissait son âme et allait creuser
prématurément sa tombe. Il avait
essayé de communiquer aux Églises de
Normandie le feu sacré qui le consumait, et
il s'était heurté à une
indifférence polie, mais glaciale. Les temps
n'étaient pas mûrs pour le
réveil, et les Français,
enivrés par l'épopée
napoléonienne, n'avaient ni le goût ni
le temps de songer au salut de leurs âmes.
Ils eussent dit volontiers, comme les
Athéniens, parlant de Paul :
« Que nous veut ce discoureur ? Il
semble annoncer des divinités
étrangères. » Quelques
années plus tard, du Pontavice eût
trouvé des âmes amollies par les
désastres qui mirent fin à l'Empire.
Mais pour le moment, la France semblait n'avoir
d'autre dieu que Napoléon, et d'autre
Évangile que ses bulletins de victoire. Les
protestants n'étaient pas les moins fervents
parmi les adorateurs de l'idole, et les
prédicateurs brûlaient à ses
pieds l'encens de leur rhétorique, au lieu
de prêcher Christ crucifié.
Et voilà pourquoi Pierre du
Pontavice, à peine âgé de
quarante ans, s'en allait mourir à
Beuville.
Les amies de Beuville, auxquelles du
Pontavice demandait l'hospitalité pour les
dernières semaines de sa vie, furent
heureuses de donner cette suprême marque de respect
et d'amour à
l'homme qu'elles considéraient comme un
saint. Il partit donc aussitôt de Bolbec,
accompagné jusqu'à Honfleur par son
collègue Alègre. Le voyage fut
heureux, et l'accueil qui lui fut fait à
Beuville fut cordial et empressé. On le
trouva, presque méconnaissable, tellement la
maladie l'avait amaigri. On montre encore, dans cet
humble village, la maison et la chambre qui furent
son dernier logis ici-bas. Pendant la
première quinzaine, il put encore sortir de
la maison, mais, sa faiblesse augmentant, il dut
ensuite garder la chambre, qu'il ne quitta plus que
pour aller au tombeau. Dans une courte lettre au
pasteur Alègre, il disait que les
remèdes n'avaient plus aucun effet et que la
maladie suivait son cours. Puis il
ajoutait :
« Quant à la situation
de mon esprit, elle est toujours la même.
Résigné, soumis à la
volonté de mon Père céleste,
attendant avec calme le résultat de ma
maladie, et me réjouissant dans la glorieuse
espérance de m'en aller avec Lui, si son bon
plaisir est de terminer mes travaux. Je sais que je
ne mérite que châtiments et que, si
Dieu voulait entrer avec moi en compte, sur mille
articles je ne pourrais répondre sur un
seul. Mais Jésus est mon garant ;
Jésus, qui est mort pour moi, est mon unique
espérance
(11). »
Peu de jours après, il
reçut la visite de son collègue
Laurent Cadoret, venu de Luneray pour le voir une
dernière fois. Nous avons sur cette entrevue
les détails suivants, donnés par ce
pasteur lui-même :
« Un frère, à la
visite duquel il ne s'attendait pas, se
présente à lui, non à son lit,
mais dans sa chambre de mort. Il le trouve assis
près de son feu, un livre à la main.
« Je suis fâché, lui dit-il,
que vous vous soyez dérangé pour venir
me voir de si loin. La compagnie, même celle
de mes amis, me gêne ; j'aime à
être seul avec Dieu. » Telle
était en effet la disposition de son coeur
et de son esprit : lui et son Dieu. Ne voulant
pas le contrarier à cet égard et les
secours humains ne lui manquant pas, l'ami dont je
parle ne put parler longtemps. À sa
dernière visite pour lui dire adieu, il le
trouva encore près du feu ;
c'était, je pense, huit jours avant sa mort.
La conversation fut courte ; très
affaibli qu'il était déjà, il
dit peu de paroles. Après un peu de silence,
il se leva, alla en chancelant à son
secrétaire, revint et s'assit. Un moment
après, il tendit le bras, un petit rouleau
dans sa main : « Tenez »,
dit-il. Tout absorbé en Dieu, lui, si bien
élevé et si délicat en toutes
choses, ne savait plus faire des embarras, encore
moins de la politesse.
« Tenez »,
répéta-t-il. Son ami
résistant, il insista :
« Prenez cela », lui dit-il,
« prenez, prenez, c'est de mes
épargnes ; je ne fais point de tort
à ma famille, elle n'en a pas besoin. Vous
avez des enfants ; je connais votre
position. » Son ami, continuant à
hésiter d'accepter, il finit par lui
dire : « Eh bien ! c'est comme
si je vous le prêtais ; si je me
rétablis, vous me le
rendrez ! » Le rouleau contenait
cinquante louis
(12).
En quittant, pour ne plus le revoir, son
ami Cadoret, du Pontavice lui remit une lettre qui
était un adieu à son troupeau. Elle
était adressée à M. et Mme
Hérubel, de Saint-Antoine :
« Je vous écris deux
mots pour vous faire mes derniers adieux et
à tous les amis. Ma faiblesse est telle, que
probablement mon corps tout chancelant tombera dans
le sépulcre en fort peu de temps. Je suis
entièrement soumis à la volonté de
Dieu, et je me dis à moi-même :
si je n'avais pas cherché à servir le
Seigneur, que mon état serait
déplorable ! Mais j'éprouve en
ce moment toute la bonté de ses promesses.
Je sens que Dieu est avec moi, qu'il me soutient,
qu'il me console et qu'il me remplit de joie, dans
l'espérance qu'il va me retirer dans son
royaume. Ainsi, chers amis, ne plaignez pas mon
sort, car je trouve qu'il est désirable.
Préparez-vous à venir me rencontrer
dans le séjour du bonheur, en vous attachant
à vos devoirs, renonçant à
toutes mauvaises oeuvres, profanation du jour du
sabbat, et en vous repentant sincèrement, et
mettant l'espoir de votre salut en
Jésus-Christ. Ce sont les voeux de votre
pasteur mourant.
« Adieu, adieu, chers
frères et amis !
« Du PONTAVICE (13). »
Il écrivit encore une lettre, qui fut
probablement la dernière qu'il ait
écrite, à son collègue le
pasteur Alègre, de Bolbec :
« Regardez cette lettre
finalement comme celle de mes derniers adieux. Je
suis d'une grande faiblesse, et qui augmente tous
les jours. Je ne crois pas pouvoir vivre longtemps
désormais, et je m'attends à mourir
dans peu... Le Seigneur est avec moi d'une
manière bien gracieuse et bien
sensible : il comble mon âme de ses plus
précieuses bénédictions, me
réjouit, me soutient, m'encourage et me
remplit de l'espoir glorieux de
l'immortalité. Oh ! que je me
réjouis maintenant d'avoir cherché
à le servir, quoique je l'aie mal servi. Il
veut bien passer par-dessus mes défauts et
me pardonner. Et à présent que
j'approche de l'éternité, il me donne
une ferme foi en ses grandes compassions et remplit
mon coeur d'assurance, en m'accordant une vive foi
en
l'efficacité infinie du sacrifice de notre
Seigneur Jésus-Christ...
« Adieu, adieu, cher
frère ! C'est ici la dernière
lettre que vous recevrez de moi. Mes Églises
ne doivent pas en attendre non plus. Il faut que je
me prépare pour
l'éternité.
« Adieu, adieu !
« Que la
bénédiction toute puissante de
l'Éternel s'étende puissamment sur
vous, Monsieur Alègre, et tous vos
enfants ! Je suis votre frère en
Christ.
« Du PONTAVICE (14) »
En publiant cette lettre, huit ans après,
dans la notice qu'il consacra à du
Pontavice, Alègre l'appelle « un
précieux monument, souvent baigné de
mes larmes. » Dès qu'il
l'eût reçue, il se mit en route pour
se rendre auprès de son collègue
mourant. Mais il apprit sa mort en arrivant
à Rouen.
Nous possédons heureusement sur
la fin de du Pontavice une lettre pleine de
détails touchants, écrite à
Mme Mahy, alors à Guernesey, par Mlle Houel,
sa soeur, qui soigna, avec un grand
dévouement, le cher malade :
Beuville, 30 décembre 1810 (15).
« Notre cher ami du Pontavice a
terminé sa glorieuse carrière ;
son âme triomphante est entrée dans le
séjour de l'immortalité.
« Il y a deux ans qu'il fut
attaqué d'un catarrhe, accompagné
d'une fièvre lente, à laquelle son
grand zèle à travailler au salut des
âmes ne lui permit pas d'abord de faire
attention ; mais enfin le progrès de sa
maladie devenant plus sensible et plus rapide, il
se vit dans la nécessité d'avoir
recours au médecin, et, se trouvant alors incapable
de faire ses
fonctions
ordinaires, il lui vint au coeur de se rendre ici,
pour y tenter sa guérison ou pour y mourir,
si c'était la volonté de Dieu :
telle fut sa manière de s'exprimer dans la
lettre qu'alors il nous écrivit.
« Les progrès de sa
maladie furent si rapides qu'à peine il lui
restait assez de force pour supporter le voyage en
voiture, et quand il arriva ici, il était
presque méconnaissable, il était
comme un squelette. Quinze jours après, il
fut obligé de garder entièrement sa
chambre, d'où il n'est descendu que pour
aller au tombeau. Quelques semaines avant son
décès, il choisit d'être
enterré dans la sépulture de notre
famille, et c'est ce que nous avons fait ; son
convoi funèbre fut suivi d'un grand nombre
de personnes des deux paroisses et
précédé du Rev. M.
Sabonnadière. On peut dire que ses amis, ses
troupeaux et la génération
entière font une grande perte en sa
personne. Les voies de Dieu ne sont pas nos voies,
ni ses pensées nos pensées.
« Je n'ai pas besoin de dire
combien cette séparation a été
pénible pour nous tous. Combien de fois,
pendant le cours de sa maladie, avons-nous
passé de l'espoir de sa guérison
à la crainte de son délogement, dont
l'idée nous désolait ! Quant
à lui, dès qu'il sentit le grand
dépérissement de sa santé, il
fut remplit d'une joyeuse et parfaite
résignation à la volonté de
Dieu, vie ou mort.
« Oh ! comme il a
glorieusement triomphé de ce dernier
ennemi ! avec quel courage, avec quelle sainte
joie il envisageait la mort ! Il ne pouvait
admettre de conversations que celles qui roulaient
sur Dieu et sur les choses célestes. Il
était tout absorbé dans l'amour de
Dieu. « Je ne puis, disait-il souvent,
douter un seul moment de mon bonheur
éternel ; mon âme est heureuse en
Dieu. Oh ! qu'il est bon ! qu'il est
bon ! Il me fait goûter les fruits
délicieux de l'arbre de vie. »
D'autres fois, il disait avec une sainte
confiance : « J'ai combattu le bon
combat, j'ai achevé ma
course, j'ai gardé la foi ; quant au
reste, la couronne de vie m'est
réservée. »
« Quelquefois ses sensations
spirituelles étaient si fortes que son corps
en était prêt à tomber en
défaillance : « Ce sont,
disait-il, des rafraîchissements que le
Seigneur me donne de temps en temps. Oh !
qu'il est bon ! » Quand les amis
venaient le voir et lui demandaient comment il se
trouvait, il répondait :
« Comme à l'ordinaire, comme un
homme qui va vers la céleste
patrie. »
D'autres fois, il disait :
« Je ne suis plus de ce monde ; je
m'en vais à la maison de mon Père
céleste. » Et quand, à la
vue du triste vide qu'il laisserait après
lui, il nous échappait de profonds soupirs,
suivis d'une abondance de larmes, il nous reprenait
doucement en nous disant :
« Ah ! ne faites pas ainsi ; ne
vous affligez point de mon bonheur ; aidez-moi
plutôt à me réjouir en mon
Dieu ; parlez-moi de la mort, parlez-moi du
paradis ; je ne veux plus m'occuper que de mon
Dieu. Mon désir tend à
déloger ; toutefois je trouve une
profonde résignation à sa sainte
volonté ; je sais qu'il peut me
rétablir, si c'est son bon plaisir :
toutes choses lui sont possibles... Toutefois,
ajoutait-il, je regarderais cela comme une
espèce de miracle. »
« Il est à remarquer
qu'il ne parlait que très difficilement,
parce que le catarrhe lui occasionnait un
très grand mal de gorge, de manière
qu'il ne parlait qu'à voix basse, et le plus
rarement possible, car cela le faisait beaucoup
souffrir par une cruelle toux qui
l'excédait. La fièvre diminua
graduellement ; les deux dernières
semaines de sa vie, il en sentit très peu.
Sa faiblesse corporelle était si grande
qu'il ne pouvait lire ; mais il nous faisait
lire auprès de lui tous les jours, car il
témoignait que cela lui faisait un sensible
plaisir. « Cela, nous disait-il, nourrit
mon âme et contribue à l'accroissement
de mon bonheur. Oh ! que je suis heureux en
Dieu ! »
« Environ quinze jours avant
sa mort, il me dit, entre autres
choses, qu'il était entièrement
persuadé que sa dissolution était
proche, et que cette pensée le remplissait
d'un bonheur inexprimable ; qu'il trouvait
avec Dieu son Sauveur une union délicieuse.
« La nuit, quand je suis couché,
continua-t-il, je prie et m'entretiens
continuellement avec Lui. Je ne puis
périr ; mon bonheur est assuré
pour l'éternité. Que je suis heureux
d'avoir servi le Seigneur ! Où en
serais-je à présent, si j'avais suivi
le monde ? Seigneur, que tu es bon de m'avoir
ainsi recherché dans le temps que je ne
pensais pas à toi ! Seigneur,
assiste-moi, bénis-moi ; tu l'as
toujours fait et tu le feras jusqu'au
bout. » C'est ainsi qu'il triomphait en
Christ, et qu'il régnait avec lui dès
ici-bas.
« Il n'a gardé le lit
que huit jours ; alors on lui faisait toutes
les attentions possibles ; deux personnes le
veillaient toutes les nuits. Toutes ses paroles
étaient pour la gloire de Dieu et pour notre
édification. Les deux derniers jours, il
parlait avec beaucoup plus d'aisance qu'à
l'ordinaire. Il eut encore de fortes sensations
spirituelles et de fervents entretiens avec Dieu.
Il était comblé de joie, il en
était comme inondé :
c'était un fleuve dont les flots
étaient si rapides que ses paroles en
étaient souvent interrompues.
« Oh ! reprenait-il ensuite, quel
bonheur ! et pour toute
l'éternité ! »
« Le dernier jour de sa vie,
il me dit, en mangeant :
« J'ai plus d'appétit
qu'à l'ordinaire ; c'est le signe d'un
rétablissement ou d'une dissolution
prochaine : la volonté du Seigneur soit
faite ! » Le soir, il soupa fort
peu, la fièvre se fit ressentir et augmenta
jusqu'à minuit ; alors elle fut
très violente, non qu'elle lui fît
perdre la connaissance ou qu'elle occasionnât
aucune torture convulsive, mais seulement une
chaleur très grande. Sur les cinq heures, la
fièvre cessa, mais ce fut pour faire place
à une disposition convulsive ; le pouls
sautait par intervalles, ensuite il
frémissait ou s'agitait violemment. Alors ce cher
pasteur nous dit avec
une
grande fermeté, ou plutôt avec une
grande joie, que l'heure de son délogement
était venue. Il fit ses adieux à sa
famille (16),
ensuite à tous ses amis. Je lui dis qu'il
était bien heureux, qu'il allait
bientôt être avec Jésus-Christ
en sa gloire. Il me répondit :
« Oui, oui ; mais je crains que ce
ne soit pas tout à l'heure, que ce ne soit
qu'à un jour ou deux d'ici. Après
quoi, il nous sembla qu'il s'entretenait avec les
intelligences célestes, en les sollicitant
de le transporter au sein de la
Béatitude.
Après un moment de silence, je
lui demandai si son âme était toujours
aussi heureuse. Il répondit :
« Oui, je suis heureux, mais je
souffre ; - et quand on souffre, on ne peut
s'exprimer avec tant de
facilité. » En effet, il
était facile de voir qu'il souffrait,
puisqu'il était déjà couvert
d'une sueur agonisante ; toutefois ses paroles
étaient toujours l'effusion d'une joie
concentrée ; sa bouche ne s'ouvrait que
pour prononcer des bénédictions, des
louanges et des actions de grâces. Quand il
eut perdu la parole, après environ trois
quarts d'heure de repos, il rouvrit les yeux, leva
sa main droite vers le ciel, y porta ses regards
mourants, avec un sourire angélique, qui
exprima sur tous ses traits la paix et le bonheur
dont son âme était
comblée ; et bientôt,
après il s'endormit si doucement que nous ne
pûmes percevoir son dernier
soupir. »
C'était le samedi, 1er
décembre 1810, à huit heures du
matin. Le lundi suivant, son corps fut
déposé dans la tombe, à
l'endroit qu'il avait choisi. Le cortège
funèbre, à la tête duquel
marchait le pasteur de Caen, se composait surtout
des protestants de Beuville et de Périers.
Les protestants de cette contrée n'avaient
pas encore de cimetières et enterraient
leurs morts dans leurs champs et leurs jardins. Le
lieu où
reposent les restes du pieux du Pontavice est en
harmonie avec la simplicité de son
caractère : placé au fond d'un
jardin, son tombeau semble se cacher aux regards
indiscrets, comme sa vie, cachée avec Christ
en Dieu, se dérobait à la vue
superficielle des mondains. Ses amis ont
marqué l'endroit où il repose au
moyen d'une pierre tombale, sur l'un des
côtés de laquelle se lit cette
inscription :
Ici repose le corps du
Révérend M.
Pierre-Thomas-Euzèbe du Pontavice-Vaugarny,
fidèle ministre de N.-S.
Jésus-Christ, en l'Eglise consistoriale de
Bolbec, lié à Fougères le 21
mai 1770, mort à Beuville, le 1er
décembre 1810.
De l'autre côté de la
pierre se trouvait un texte qui paraît
être : La mort des bien-aimés de
l'Éternel est précieuse devant ses
yeux, mais qui est presque complètement
effacé
(17).
Deux hommages d'ordre
ecclésiastique furent rendus à la
mémoire de Pierre du Pontavice. Le premier
est consigné en ces termes dans les
registres du consistoire de Bolbec, en date du 11
décembre 1810 :
« L'Assemblée,
entretenue par son Président de la maladie
et du décès du digne pasteur, M. du
Pontavice-Vaugarny, de Fougères, a
délibéré de faire mention sur
ses registres de ce qui suit :
« 1° Du départ de
ce pasteur pour cause de maladie et dans le dessein
de changer d'air en allant à Beuville,
près de Caen, et de la visite que les
anciens lui ont faite avant son départ pour
lui témoigner les voeux faits pour sa
santé ;
« 2° De
l'édification toute particulière des
lettres d'adieu que ce pasteur, sentant approcher
sa fin, à écrites à ses
Églises et à notre pasteur, son
ami ;
« 3° De la formule qui a
été ajoutée. aux
prières dans tout l'arrondissement
consistorial pour que Dieu daigne conserver ce
pasteur ;
« 4° De la
déclaration que la Compagnie fait comme un
hommage rendu à la vérité, que
la vie et la mort de ce pasteur, qui sera longtemps
regretté, ont rappelé la vie et la
mort d'un juste et d'un élu ;
« 5° De la communication
qui a été donnée au ministre
des cultes et aux autorités
compétentes du décès de ce
pasteur, qui a eu lieu à Beuville,
près de Caen, le 1er de ce mois
(18). »
L'autre hommage rendu à la
mémoire de du Pontavice, le fut par la
Conférence méthodiste de 1811, sous
la forme d'une notice biographique, comme elle en
consacre une à tous ses pasteurs
décédés
(19).
On en
lira la traduction à l'Appendice, et l'on
remarquera l'amour, la confiance et l'admiration
avec lesquels les membres de la Conférence
parlent de ce pasteur, qu'ils comptaient toujours
comme l'un des leurs et qui lui-même avait
gardé un vif attachement et une profonde
reconnaissance pour la société
religieuse au sein de laquelle il était
né à la vie spirituelle et avait fait
des expériences bénies.
Pasteur officiel de l'Église
réformée et missionnaire
méthodiste en France, du Pontavice ne crut
jamais que ces deux qualités fussent
incompatibles, et il demeura fidèle
jusqu'à sa fin à ces deux
associations, qui l'une et l'autre, comme on vient
de
le
voir, surent apprécier son noble
caractère et ses fidèles services
(20).
(20) Jusqu'en 1809,
la
Conférence britannique fit figurer le nom de
Pierre du Pontavice à Jersey, dans la liste
de ses stations. L'état de guerre entre la
France et l'Angleterre ne permettait pas une
désignation plus précise. Mais en
1810, elle modifia cette désignation et
inscrivit, dans ses Minutes, la mention
suivante : « Pierre du Pontavice est
maintenant en mission à
l'étranger. » Enfin, en 1811, elle
enregistrait sa mort, en lui consacrant la notice
qu'on lira à l'Appendice.
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