Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VI.

LE PASTEUR RÉFORMÉ DANS LE PAYS DE CAUX

suite

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En janvier 1807, du Pontavice visita sa famille à Fougères et profita de ce voyage pour passer quelques jours au milieu de ses amis méthodistes des environs de Caen. Nous possédons les lettres qu'il adressa, pendant cette absence, à deux des églises du pays de Caux, dont il était le pasteur. Elles nous paraissent dignes d'être conservées. On y voit avec quel soin et quelle affection ce fidèle pasteur veillait, même de loin, sur le troupeau qui lui était confié.

Voici d'abord un extrait de la lettre qu'il écrivit à ses paroissiens de Saint-Aubin (1) :

Fougères, 20 Janvier 1807.

« Oui, mes chers frères, je puis vous dire que je vous porte dans mon coeur, et que je fais pour vous des voeux et des prières. Le plus grand désir de ma vie est de vous voir heureux dans la connaissance et dans l'amour de Dieu le Père et de notre Seigneur Jésus-Christ. Je m'estime heureux d'être appelé, par les travaux du ministère évangélique, à concourir à votre bonheur. C'est ce qui fait que je demande à Dieu qu'il me remplisse des dons de son Esprit, afin que ma parole ait, parmi vous, une plus grande efficacité. Je ne vous ai annoncé que ce que je crois fermement moi-même, sur le témoignage des Saintes-Écritures, et j'ai tâché de vous parler comme de la part de Dieu, comme devant Dieu, et je pense que vous l'avez reçu de même. 0 mes chers frères, vous et moi, nous sommes sur le bord de l'immense éternité, et nous n'avons qu'un pas à faire pour y entrer ; alors nous verrons dans tout leur éclat ces biens éternels, que nous n'avons encore vus que dans un miroir obscurément ; nous verrons même la glorieuse Divinité. Ah ! que ne devons-nous pas faire pour jouir de ce bonheur inénarrable !
« Je me réjouis dans l'espoir de retourner bientôt parmi vous, pour vous représenter de nouveau combien il est important de préférer la gloire éternelle aux biens passagers de cette vie. »


Dans une lettre de même date, il disait aux anciens de l'Eglise d'Autretot (2) :

« Appréciez de plus en plus les grands privilèges que Dieu nous accorde ; le temps est court. Ah ! vivez pour Dieu, vivez pour l'éternité. De quelque côté que je tourne mes pas, partout je vois des monuments de la fragilité de l'homme. En retournant dans mon pays, je n'ai pas retrouvé tous ceux que j'y avais laissés : quelques-uns, que je connaissais, s'en sont allés par le chemin de toute la terre. Nous devrons bientôt les suivre ; ils ne nous ont devancés que de quelques pas : faisons donc provision pour ce long voyage dont on ne revient jamais. Ici-bas tout est vanité et rongement d'esprit, nous dit l'Ecclésiaste ; c'est pourquoi ne cherchons point à repaître nos âmes des choses passagères de cette vie, car elles ne les rassasieraient pas. Dieu seul peut les rassasier ; il est la source de la vie, la source de la félicité. Buvons, buvons, mes chers frères, à cette source, elle est intarissable.

« Faites savoir de mes nouvelles à tous les frères ; je désire bien me réunir avec eux, pour courir dans la glorieuse carrière qui nous est proposée, et pour nous exciter à courir de manière à remporter le prix ; c'est qu'en oubliant les choses qui sont derrière nous, nous avancions vers celles qui sont devant nous, c'est-à-dire vers le but de notre céleste vocation en Jésus-Christ. »

À cette lettre de son pasteur, l'Eglise d'Autretot fit une réponse pleine d'affection et de reconnaissance. Peu après son retour à Bolbec, du Pontavice répliqua par la lettre qui suit, où l'on voit combien son âme aimante était touchée par les moindres marques d'affection (3).

Bolbec, 11 mars 1807.

« Messieurs et très chers frères. - J'ai reçu l'honorable lettre que vous avez bien voulu m'envoyer. Je suis fort sensible aux expressions affectionnées et flatteuses dont elle est remplie ; mais en même temps je vous confesse qu'elle est bien propre à me couvrir de confusion, car je ne mérite point les éloges que vous me donnez. J'espère qu'elle réveillera le peu de zèle qui m'anime, et qu'elle sera gravée dans mon esprit, comme une instruction que le Seigneur a bien voulu me donner par votre moyen. En effet, il me semble que je sens déjà plus de zèle, plus de dévouement, et un désir plus ardent d'être entièrement au service du Seigneur, pour l'édification de vos âmes.

« L'agréable réception que j'ai eue de vous dès la première fois, et les expressions touchantes et fraternelles de votre lettre, m'encouragent, et me sont un sûr garant de votre indulgence à mon égard. C'est pourquoi je me réjouis dans l'espoir de vous revoir bientôt, et de vous revoir comme des frères bien-aimés, qui sont pleins de charité pour moi. Dimanche en huit, s'il plaît à Dieu, je me réunirai avec vous pour louer le Seigneur ; en attendant, je vous prie de recevoir, de même que tous les frères, les sentiments d'estime et d'affection avec lesquels j'ai l'honneur d'être, etc.

« Du PONTAVICE ».

Dans la lettre suivante, adressée le 12 mars 1807, à son ami Cadoret, du Pontavice, après avoir parlé de quelques guerre, des tremblements de terre, etc., de lever en haut notre tête, parce que les jours de notre délivrance approchent. La considération de ces choses me remplit d'espérance et d'attente, elle augmente mon zèle. »

Dans la lettre suivante au même correspondant, du Pontavice lui ouvre son coeur tout rempli d'un unique désir, le salut des âmes et d'un unique regret, la rareté des conversions parmi ceux à qui il prêchait l'Évangile (4).

« Gloire soit à Dieu, il m'accorde son assistance, et la parole que j'annonce atteint un peu les coeurs ; mais hélas ! mes paroles ne sont encore que comme des flèches lancées par une main faible et mal assurée ; de sorte qu'elles n'entrent pas bien avant dans les coeurs des ennemis du Roi. Oh ! quand serai-je revêtu d'une force divine ? Je ne puis vous exprimer combien je souffre en voyant la vanité, la folie, l'insouciance des hommes ; combien je souffre d'être privé de ces compagnies et de ces conversations chrétiennes, qui faisaient autrefois mes délices. Oui, je puis dire que je me trouve comme dans un affreux désert. Cependant, de temps en temps je trouve encore quelques âmes qui voyagent vers la Canaan céleste, mais leur nombre est si petit, et elles sont encore si peu sûres de leur route qu'elles ne peuvent guère me parler des agréments, des difficultés et des obstacles que l'on rencontre sur la route, et vous savez que les voyageurs aiment à bien connaître toutes ces choses. Je crois, si je passe plusieurs années ici sans voir un bon nombre d'âmes se convertir, que ma vie sera remplie de chagrin et d'amertume. Je sens un grand besoin que Dieu me réveille continuellement, de peur que je ne m'endorme avec les vierges folles, et que je ne sois surpris par la venue de l'Époux. »

Le pasteur Cadoret fut, pendant ces années, l'ami de coeur de du Pontavice. Il était le seul de ses collègues réformés auquel il pût librement ouvrir son coeur et faire part de ses expériences spirituelles et pastorales. Nous insérons les lettres suivantes d'autant plus volontiers qu'elles sont riches d'édification.

Bolbec, 15 septembre 1807 (1).

« Mon très cher et bien-aimé frère en Jésus-Christ,
« Depuis le premier moment que j'ai eu l'honneur et l'avantage de vous connaître, j'ai senti pour vous une affection cordiale et de l'union d'esprit Cette affection et cette union ont été toujours en croissant, à proportion que nous avons eu plus de rapports ensemble ; et maintenant je puis vous dire que je vous aime et que je vous suis plus attaché, que je ne l'aie encore été de ma vie. Ces sentiments ne sont que les doux fruits que votre amitié, votre bonté, toutes vos attentions, et celles de votre aimable compagne, ont produits dans mon coeur. Je vous prie de les agréer comme un juste tribut d'une sincère reconnaissance. Je pense souvent à vous, cher frère, et plusieurs fois par jour j'offre des prières à l'Éternel, lui demandant qu'il vous bénisse de plus en plus, et qu'il vous remplisse de toute espèce de dons spirituels, afin que vous soyez un glorieux instrument en sa main pour amener une multitude d'âmes des ténèbres à sa merveilleuse lumière.

Lorsque vous prêchiez à Autretot, vous regardant, je pensais en moi-même que le Seigneur se servirait de vous pour faire beaucoup de bien ; en effet, il récompensera votre généreux dévouement et votre grande fidélité. Ah ! qu'il me serait agréable que nous fussions tous les deux réunis ensemble, pour travailler de concert, nous encourager et nous soutenir ! Il me semble que nous pourrions voir du succès. Oui, si nous étions ensemble et secondés par quelques autres animés du même esprit, je crois que mes jours seraient comme autant de jours de fête, au lieu que je vais encore portant ma semence en pleurant. Puisse Dieu me faire la grâce de m'en revenir avec un chant de triomphé en rapportant mes gerbes !

« J'ai lu la vie de Whitefield, et si mon coeur n'avait été si sec, j'aurais répandu une abondance de larmes, car je désirais bien de pleurer, mon coeur étant percé en voyant le peu que je fais, et même l'impossibilité présente à donner plus d'étendue au peu de zèle qui est en moi. Que je suis affligé de ne pouvoir prêcher Jésus-Christ qu'un jour sur sept ! Oui, cela m'afflige de ne pouvoir plus souvent m'entretenir de Celui que mon âme aime.

« Pardon, cher frère, de vous faire mes doléances, mais à qui les ferais-je si ce n'est à un ami et un frère en Jésus-Christ ? Dimanche dernier, j'ai prêché avec l'assistance de Dieu, et même avec une grande liberté, surtout l'après-midi. Dieu me donnait aussi beaucoup de pouvoir dans la prière ; je sentais, en parlant et en priant, que son Esprit opérait puissamment dans mon âme. Mais, hélas ! quand il me laisse à moi, je ne suis plus le même homme ; les pensées, les paroles me manquent ; je ne puis m'exprimer, et je suis honteux de ce que je dis. La prédication est un don de Dieu, ce qui me remplit d'espérance ; puisqu'il lui est aussi facile de rendre l'homme le plus simple très éloquent que l'homme le plus instruit. Mon âme est en travail pour donner des enfants à Jésus-Christ, mais ma force est petite. Seigneur, aide-moi !

« Plusieurs m'ont demandé de vos nouvelles ; on est bien content de vous, on vous aime, on vous estime. M. Alègre m'a parlé de vous d'une manière bien avantageuse. Il a ressenti de la peine que vous ayez été si seul et que nos frères, les protestants de cette ville, ne vous aient pas été plus civils ; il était fort affligé que quelques-uns d'entre eux ne vous avaient point fait de visites. Mais consolez-vous, mon frère : ils n'agissent pas mieux envers nous ; quand le coeur est froid pour la religion, il l'est aussi pour ses ministres.

« Je lis avec plaisir les bons livres que vous m'avez prêtés : ils me consolent et m'affligent en même temps. Ils me consolent, en me transportant en esprit dans ces lieux que le Seigneur visite. Ils m'affligent par le contraste qu'ils offrent à ma situation. Je finis cependant en disant : Portons-nous vaillamment pour notre Dieu, et nous verrons sa délivrance.

« Je vous prie de faire bien mes compliments à Mme Cadoret. Si elle reçoit tout ce que je lui souhaite, il ne lui restera rien à désirer dans le temps et dans l'éternité. Que les bénédictions du Tout-Puissant soient abondamment répandues sur elle, sur vous et sur toute votre postérité ! Amen. »

Bolbec, 26 octobre 1808 (6).

... « Je sens un grand besoin d'être détaché de ce monde pervers, et d'entrer dans une disposition plus céleste. Si j'étais comme Moïse sur la montagne avec Dieu, mon âme serait participante de quelques rayons de sa gloire, et je pourrais paraître avec éclat aux yeux du peuple, et lui faire entendre la parole de l'Éternel. Mais hélas ! je suis le plus souvent au bas de la montagne ; quoique je désire aller au haut de la montagne de Sion, à la cité du Dieu vivant, à la Jérusalem céleste et aux milliers d'anges. (Héb. 12 : 22-25). Quelle belle et profonde expérience ! très cher frère, quand on y est parvenu, on est bien au-dessus de toutes les misères de la vie présente. Plus je m'efforce de me détacher du monde et d'aspirer à Dieu, plus sa paix abonde en mon âme. Il est infiniment miséricordieux à mon égard, et j'espère aussi que, par sa grâce, je ne cesserai jamais de le servir. Ses voies sont des voies agréables et ses sentiers ne sont que prospérité. Ah ! puissé-je, ayant pour chaussure les dispositions que donne l'Évangile de la paix, marcher dans les beaux sentiers de la vie éternelle ! Ils sont, je l'éprouve, parsemés de mille millions de fleurs, qui toutes répandent la bonne odeur du Christ. Brainerd (7) dit bien, dans une de ses lettres, qu'il n'est point de satisfaction solide et parfaite, si l'on n'est tout à Dieu. Je connais cette vérité par expérience : pourquoi donc ne pas donner mon coeur à Dieu sans partage ? Seigneur Jésus, prends un bien qui t'appartient.

« Je voudrais savoir comment vous êtes maintenant. Que Dieu vous accorde tout soutien et toute consolation ! Nul n'est couronné s'il n'a combattu le bon combat de la foi. Si nous trouvons beaucoup d'obstacles et de difficultés, disons, comme Job : « J'attendrai tous les jours de mon combat, jusqu'à ce qu'il m'arrive du changement ».

« Le Seigneur m'assiste à prêcher sa parole, et cependant je vois que je ne suis rien, et j'ai souvent honte de moi-même. Il est à désirer pour moi que mes auditeurs ne soient pas mécontents de moi comme je le suis moi-même ; quoi qu'il en soit, la Parole a quelque vertu ; mais hélas ! pas assez pour changer les coeurs. Souvent je pense à ce pays où la Parole opère de si grandes merveilles, et je dis à moi-même : le Seigneur peut faire la même chose dans nos contrées. Ces pensées me soutiennent et me raniment.

« J'espère que le Seigneur vous accorde aussi son puissant secours. Je voudrais pouvoir bien vous encourager. Ne vous laissez pas abattre, si vous n'agissez point comme vous souhaiteriez. Dieu connaît la sincérité de votre coeur, et le sacrifice que vous faites dans ce moment peut lui être agréable. Le Seigneur peut opérer de bien des manières. Gardons-nous de dire : il faut que je fasse ainsi pour que Dieu me bénisse. Les différentes circonstances où nous nous trouvons doivent nécessairement faire changer nos plans. Pourvu que nous ayons sincèrement en vue la gloire de Dieu, je pense qu'il ne permettra pas que nous nous égarions. »

Bolbec, 1er décembre 1808 (8).

« J'ai reçu en son temps votre lettre du mois dernier ; et j'ai vu avec peine les afflictions et les désagréments que quelques individus vous causent. C'est le sort de tout vrai serviteur de Jésus-Christ. « Le serviteur n'est pas au-dessus de son maître, et tout disciple accompli sera rendu semblable à son maître. » Quand nous sommes ainsi éprouvés, il est fort consolant de considérer ce que les apôtres ont souffert, et en particulier un saint Paul, et d'entendre ce grand apôtre dire, dans l'ardeur de son zèle et avec effusion de coeur : « Qui nous séparera de l'amour du Christ ? Sera-ce l'affliction, ou l'angoisse, ou la persécution ? Tout bien compté, dit-il ailleurs, les souffrances du temps présent ne sont point comparables à la gloire qui doit être révélée en nous... Et si nous souffrons avec Jésus-Christ, nous régnerons aussi avec lui. »

« Quand je médite en mon particulier sur ces grandes vérités, je me dis à moi-même : Oh ! quelle devrait être mon ardeur pour suivre un aussi bon Maître ! Je vous l'avoue, je suis honteux en voyant ma tiédeur, et je m'abhorre moi-même. Bien des fois j'ai pensé à vous et me suis dit que vous étiez plus fidèle que moi.

« Vous me demandez si je vois des fruits de mon ministère. Si j'étais plus spirituel et si je vivais plus près de Dieu, je crois que j'en verrais ; car le Seigneur me favorise beaucoup : il me donne de la liberté, il attire le peuple aux assemblées, la parole a de la force et de la vertu. Mais, hélas ! je vous le dis avec un coeur navré de douleur, la faute en est à moi si mes auditeurs ne se convertissent pas. Je ne suis pas assez souvent en prière pour eux ; mon âme n'est pas assez en travail pour les enfanter à Jésus-Christ, leur misère spirituelle ne me touche pas d'assez près. Mes troupeaux sont aussi si dispersés qu'il me semble que c'est un grand obstacle ; comment connaître leur état si je ne les visite, et comment pourrais-je les visiter tous ? J'ai besoin d'appuis ; la moisson est grande, et lorsqu'on est seul cela n'est pas aussi encourageant que quand on travaille de compagnie, qu'on se soutient mutuellement et qu'on se donne de doux conseils. Je souffre sous ces rapports. Ma position me porte à considérer que je devrais aspirer fortement après ma céleste patrie, où je trouverai ce que je désire tant ici-bas : la présence des fidèles, les chants de réjouissance des élus, la contemplation de la face de Dieu, qui est un rassasiement de joie.

« Cher frère, mon désir ardent est que Dieu vous soutienne de sa main puissante et paternelle ; s'il est pour vous, qui sera contre vous ? Le méchant fait une oeuvre qui le trompe, et ce que les hommes pensent en mal contre ses enfants, Dieu le pense en bien. Toutes choses concourent au bien de ceux qui l'aiment. Il est le souverain Maître de toutes choses, de toutes les circonstances et de tous les événements ; il tient en sa main les coeurs des hommes et les incline à tout ce qu'il veut ; de sorte que nous devons nous tenir dans la demeure du Souverain et nous loger à l'ombre du Tout-Puissant. Il nous couvrira de ses plumes, sa vérité nous servira de bouclier, et il donnera charge de nous à ses anges, afin qu'ils nous gardent dans toutes nos voies. »

Bolbec, 20 mars 1809 (9).

« Votre lettre du 13 janvier m'est parvenue. Je n'étais pas encore parti pour aller dans mon pays, parce qu'il m'était arrivé un accident à Autretot, dans le temps de Noël. J'étais tombé sur les genoux, et je m'étais si blessé que je fus obligé de garder la chambre presque trois semaines, ne sachant quelquefois si je me rétablirais jamais parfaitement ; mais, grâce à Dieu, il n'y paraît plus rien, et je suis de retour sans aucun accident. J'ai trouvé mes parents jouissant d'une assez bonne santé ; mais mon frère a eu du chagrin : il a perdu son beau-frère, jeune homme de 22 à 23 ans, et, deux mois après, il a perdu l'un de ses enfants ; il ne lui en reste plus qu'un à présent. Tout cela lui a fait beaucoup de peine, quoique lui et sa femme paraissent doués d'une grande résignation. Ah ! qu'est-ce que la vie ? Un enchaînement d'afflictions.

« Quand vous voudrez venir me voir à Autretot, vous me ferez beaucoup de plaisir. J'y serai le Vendredi-Saint, qui comptera pour un dimanche ; ainsi vous pouvez savoir les jours où je me rendrai dans cette Église.

« Dites-moi comment les choses vont avec vous ; si vous avez la paix au-dedans et dans vos quartiers. Notre cause est celle du Seigneur, et nous ne devons pas être épouvantés par les adversaires. Ainsi combattons vaillamment, avec un esprit de douceur et de charité ; le temps de notre combat sera bientôt écoulé, et, après le combat, combien le repos n'aura-t-il pas de douceur ! Les contrariétés, les croix, les épreuves, les afflictions de cette vie nous font journellement voir que tout n'est que vanité et rongement d'esprit ; toutes ces choses nous détachent de ce monde et nous font aspirer au séjour du repos.

« Depuis peu, la réflexion sur mes peines et la considération du bonheur que Dieu nous prépare ont fait entrer dans mon coeur ce souhait de saint Paul : Mon désir tend à déloger pour aller avec Jésus-Christ, ce qui me serait beaucoup meilleur. Loin de mes parents et de ceux qui ont la connaissance et l'amour du Seigneur, je suis absolument comme un étranger ici-bas ; et cela me fait désirer d'arriver à la fin de mon pèlerinage, pour me réunir avec mes frères, afin de pouvoir chanter avec eux le cantique de Moïse et de l'Agneau. Quel beau privilège de pouvoir mourir, de voir la fin de nos misères et le commencement de ce beau jour sans nuage qui doit reluire à jamais ! Oh ! que déjà ne luit-il ! Oui, cher frère, mon âme est prête à s'écrier avec David : Oh ! qui me donnera les ailes d'une colombe ! Il n'y aurait qu'une chose à me faire désirer de rester ici-bas : ce serait d'être utile ; et ne pouvant pas faire ce que mon coeur souhaite ardemment, je suis, pressé du désir de voir la fin de mes travaux. Toutefois je me résigne à la volonté du Seigneur, et, s'il veut prolonger ou accourcir ma vie, que sa volonté se fasse et non la mienne !

« En allant dans mon pays, j'ai passé par Condé ; les anciens m'avaient fait inviter d'y prêcher ; les Églises des campagnes m'avaient fait la même invitation. Leur pasteur était absent, et l'on ignorait s'il reviendrait dans le pays. À Condé, j'ai prêché le matin et l'après-midi, et les quatre jours suivants dans les autres Églises. On m'a fait beaucoup d'amitiés, et l'on s'est empressé d'assister à mes sermons.

« De retour ici, on m'a reçu avec bien de l'affection, et l'on est venu en grand nombre à la prière. Ah ! que Dieu touche mes lèvres d'un charbon vif pris sur l'autel, et me rende capable de prêcher avec puissance la parole de vie ! J'ai sujet de le remercier, car je vois qu'il m'assiste ; mais il faudrait une plus grande vertu pour convertir les coeurs.

« Comment se porte Madame Cadoret ? Je ne doute pas que son âme n'avance dans la vie spirituelle ; assurez-la de mes respects. Je souhaite aussi à toute votre petite famille toute sorte de bonheur. Que le Seigneur soit pour vous tous votre sûre garde, votre asile, votre consolation ! Amen.
« Je suis, avec la plus sincère affection,
« Votre frère en Jésus-Christ,

« Du PONTAVICE. »

Bolbec, 25 octobre 1809 (10)

« Oui, mon cher frère, je m'intéresse fortement à tout ce qui peut rendre votre sort et celui de votre épouse heureux, Je m'intéresse au bonheur de la petite famille que Dieu vous a donnée, et à celui de cette autre famille plus nombreuse que le Seigneur a confiée à vos soins ; je veux dire votre troupeau. En effet, un pasteur doit être comme un père de famille au milieu de son troupeau ; et vous qui avez des enfants, vous pouvez souvent apprendre de leur conduite la manière dont vous devez agir envers ceux qui vous sont confiés. Vous savez que le caractère des enfants n'est pas le même ; à l'un il faut de la douceur, à l'autre des promesses, à quelque autre des réprimandes, des menaces, et même des châtiments. Il en est ainsi des hommes que nous avons à diriger ; leurs caractères et leurs dispositions sont bien différents, et nous pouvons bien les comparer à des enfants revêches. C'est pourquoi il faut bien prendre garde de faire comme ces pères qui, se laissant aller à leurs passions, corrigent leurs enfants avec un esprit de vengeance. Nous sommes souvent exposés à ce danger, quand nous employons les menaces et que nous dénonçons aux pécheurs les jugements du Ciel ; si nous nous laissons emporter par notre nature, notre zèle devient amer. Les châtiments que les pères infligent à leurs enfants avec aigreur sont plus propres à les endurcir qu'à les corriger ; de même, si notre zèle est amer, il ne fait qu'endurcir le pécheur. Que le spectacle d'un tendre père qui reprend ses enfants avec un esprit calme, avec bonté, avec douceur, avec toute l'effusion d'un coeur vraiment paternel, est beau et touchant ! Il me semble que, si j'agissais de cette manière au milieu de mon troupeau, avec l'aide du Seigneur, les coeurs se briseraient, et les pécheurs, étant touchés, se convertiraient à l'Éternel leur Dieu.

« Vous serez peut-être étonné, cher frère, de ma façon d'écrire et du tour que je donne à mes pensées. Ne croyez pas que je veuille vous donner des conseils ; c'est plutôt à moi d'en demander, plutôt que d'en donner. Si j'écris ainsi, c'est parce que j'écris sans art, sans artifice et de l'abondance de mon coeur. Prenant la plume pour écrire à mon ami, j'écoute ce que mon coeur me dit, et ensuite j'écris.

« Dimanche dernier, dans mes fonctions, j'ai trouvé beaucoup d'assistance après-midi, mais pas autant le matin. Oh ! qu'il est difficile de convaincre de péché, d'état de perdition, ceux qui se sont toujours flattés d'être en bon chemin, dans le chemin du ciel, parce qu'ils ont été élevés dans la doctrine évangélique, exempte des abus et des erreurs ! Il me semble que je les entends s'applaudir au fond de leurs coeurs, être fort contents d'eux-mêmes et dire qu'il ne leur reste plus rien à faire qu'à être exacts et réguliers dans leurs devoirs, et que tout est bien. Oh ! que le voile est épais sur leurs coeurs ! Et, quand nous voulons l'arracher, avec quel empressement ne s'opposent-ils pas à nos tentatives ; et même, s'ils l'osaient, nous les entendrions bientôt nous dire : Je vous défends d'y toucher ! Cela me fait gémir, et désirer que le Seigneur lui-même y mette la main.

« J'ai senti ces derniers jours le désir d'être plus au Seigneur ; lui seul est le repos de l'âme ; plus elle est concentrée en lui, plus elle est heureuse. C'est ce qui m'a toujours fait souhaiter si ardemment de vivre avec les enfants de Dieu. Leurs exemples, leurs discours, leurs prières nous ramènent à Dieu, nous attachent à lui ; au lieu que les exemples et les discours des gens du monde font le contraire. Mais ce qui fait notre assurance, c'est la parole du Seigneur : Ma grâce te suffit.

« Prenons bon courage, et soyons comme Caleb, qui, restant fidèle, s'appuyant sur son Dieu, disait au peuple d'Israël : Montons hardiment, et possédons ce pays-là, car certainement nous y serons les plus forts.

« Du PONTAVICE. »

La lettre qu'on vient de lire est l'une des dernières que du Pontavice ait adressées à Laurent Cadoret. Il semble, résulter de nos documents que ce pasteur fut le seul de ses collègues de l'Eglise réformée avec qui du Pontavice ait pu entretenir une vraie communion spirituelle. Ils furent, avec quelques autres, les précurseurs du Réveil, qui ne se produisit d'une manière générale, qu'après la chute de l'Empire.

Il y avait entre Pierre du Pontavice et Laurent Cadoret avant tout une conformité de foi et d'expériences chrétiennes qui devait les rapprocher ; ils avaient passé l'un et l'autre par la crise de la conversion et y étaient parvenus dans des circonstances analogues. On lira avec intérêt quelques détails sur la vie de ce pasteur (11).

Laurent Cadoret était né à la Havane le 30 juin 1770, la même année où du Pontavice naissait à Fougères. Quoique le troisième de trois jumeaux, il survécut à ses deux frères et atteignit l'âge de 90 ans. Son père, riche armateur breton, et sa mère irlandaise, l'élevèrent dans les pratiques de la dévotion romaine. Envoyé à Nantes, dès l'âge de sept ans, pour son éducation, il perdit son père quelques années plus tard, et, à quatorze ans, entra dans la marine. Il rendit souvent grâce à Dieu d'avoir été gardé au milieu des tentations auxquelles il fut expose parmi des compagnons profanes et au milieu des périls de son existence aventureuse : naufrages, abordages, etc. Il avait dès lors des besoins religieux, que ne satisfaisait pas le culte pompeux et formaliste de l'Eglise romaine. Ce fut pendant un séjour à la Havane qu'il fut amené à rompre avec cette Église, bien qu'alors il ne connût aucune forme religieuse meilleure.

Fait prisonnier par un navire anglais, il fut conduit à Plymouth et interné dans le cantonnement d'Ashburton. Ayant l'autorisation de se promener par la ville, il entra dans une chapelle dissidente et fut tellement frappé de ce qu'il y entendit qu'il continua à la fréquenter. Une dame pieuse, remarquant son assiduité, l'invita chez elle, et lui donna le Nouveau Testament et des livres religieux, dont la lecture acheva de l'éclairer. Un peu plus tard, il fit la connaissance du révérend David Bogue, fondateur et directeur de l'École de théologie de Gosport, qui fut pour lui un guide spirituel, plein de sagesse et d'affection. Après un court séjour en France, où il épousa Périne Sorel, il retourna en Angleterre avec sa femme et passa trois ans dans le séminaire théologique du docteur Bogue. Revenu en France, il fut successivement pasteur à Condé-sur-Noireau, Luneray et Amiens. Il exerça les fonctions pastorales jusqu'à l'âge de 78 ans et s'éteignit, en 1861, à Mens, auprès de trois de ses enfants.

Mais revenons à du Pontavice. Sa sollicitude pastorale se partageait entre les troupeaux du pays de Caux, qui lui étaient spécialement confiés et les sociétés méthodistes des environs de Caen et de Condé, qu'il visitait une fois par an et auxquelles il écrivait de touchantes lettres. Citons d'abord deux lettres adressées à l'Eglise d'Autretot, l'une des sections de sa vaste paroisse.

AUX ANCIENS D'AUTRETOT,

Fougères, 8 février 1809 (12)

« Quoique je sois absent de corps, je suis présent avec vous en esprit, me rappelant avec un doux souvenir toutes les marques que vous m'avez données de votre attachement pour moi. Je puis aussi vous dire que mon affection pour vous est sincère et cordiale. Sans cesse je forme des voeux pour votre bonheur, et je m'estimerais heureux si je pouvais y contribuer. Que tous nos frères suivent les conseils que je leur ai donnés de la part du Seigneur, et je me flatte qu'ils goûteront ce bonheur, qui doit être tant désiré et si soigneusement recherché. Combien de fois ne me suis-je pas réjoui en voyant votre assiduité et votre attention pour écouter les enseignements du Seigneur. Vous savez qu'ils réjouissent le coeur, qu'ils sont plus désirables que l'or, même que beaucoup de fin or, et plus doux que le miel, même que ce qui distille des rayons de miel ; et qu'il y a un grand salaire à les observer.
Or, mes frères, si déjà nous trouvons tant de bonheur au service de Dieu, quoique nous soyons assujettis à mille infirmités, afflictions et misères, que sera-ce lorsque nous serons délivrés de tous les maux de la mortalité, et que nous jouirons de toute la plénitude du bonheur dont nous avons eu les avant-goûts dans ce monde ? C'est pour ce bonheur que vous avez été créés, et comme il ne se trouve qu'en Dieu, Dieu doit être notre fin. Oh ! quelle belle et quelle glorieuse fin ! Puis-je trop vous la recommander ? Non, mes très chers frères. Mes discours et mes lettres sont toujours au-dessous du sujet, et je ne fais que balbutier quand je veux en parler. Mais cependant, comme il est de mon devoir de vous en dire quelque chose, et que vous voulez bien m'écouter, je me propose, avec l'assistance du Seigneur, de vous en entretenir lorsqu'il me conduira chez vous. Puisse-t-il me donner des sentiments tout célestes, afin que je vous parle, non comme un habitant du monde, mais comme un citoyen des cieux. Et puissiez-vous donner votre attention aux choses magnifiques que nous devons vous apprendre de la cité de Dieu !

« Après avoir essuyé des temps durs et difficiles, je suis arrivé au sein de ma famille, sans aucun accident. Je bénis le Seigneur de ce qu'il a bien voulu me conserver, et je le prie de m'accorder la santé pour travailler à sa vigne ; car je ne souhaite vivre que pour sa gloire et pour le salut de mes frères ; mais je m'afflige en voyant le peu de fruits que je fais. Si donc vous avez de l'affection pour moi, réjouissez mon coeur, mes très chers frères, en me faisant voir que je ne travaille pas en vain au milieu de vous. Puisse le Ciel bénir tellement mon ministère pour le salut de toutes vos âmes, que je sois au dernier jour votre couronne de joie devant le Seigneur, et que vous soyez ma couronne de gloire ! Recevez les sentiments de l'affection la plus cordiale, avec lesquels je suis, mes très chers frères,
« Votre tout dévoué serviteur,

« Du PONTAVICE. »

AUX ANCIENS D'AUTRETOT.

Fougères, 22 janvier 1810 (13).

« La bonne Providence m'a donné le temps le plus agréable pour me rendre au milieu de ma famille, que j'ai trouvée en bonne santé. Mon voyage ne m'a point incommodé ni fatigué, j'en remercie le Seigneur et je vous en remercie aussi, car je suis sûr que vous avez fait des voeux pour ma conservation. J'en fais aussi pour la vôtre, désirant vous retrouver tous en parfaite santé, pour vous entretenir de Celui que nous aimons ; car je sais que vous et moi nous aimons Jésus notre Sauveur. Il est vrai que nous ne l'aimons encore que très peu, en comparaison de ce qu'il mérite d'être aimé ; mais cependant rendons grâce à Dieu pour cette portion d'amour qu'il a mise dans notre coeur, et faisons des efforts pour en obtenir davantage. Le moyen d'y parvenir, c'est de faire comme saint Paul, qui considérait toutes choses comme du fumier en comparaison de l'excellence de la connaissance de Jésus-Christ. Jamais homme ne fut plus sage que ce grand apôtre ; jamais homme ne sut mieux que lui en quoi consistait le vrai bonheur et quels étaient les moyens d'y parvenir. Je vous l'offre, mes très chers frères comme modèle et je vous engage à marcher sur ses traces. Son amour pour Jésus-Christ était si grand qu'il était tout à son divin service, et qu'il pouvait dire : Ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi.

« Quoique nous ne soyons pas appelés à être apôtres, cependant nous sommes appelés, chacun dans notre situation, à nous consacrer au Seigneur ; car nous ne sommes pas à nous-mêmes, ayant été rachetés à grand prix par le sang de Jésus-Christ. Et soit que nous vivions, soit que nous mourrions, nous sommes au Seigneur.
C'est là, mes très chers frères, ce que je vous ai souvent dit et ce que je désire vous répéter encore ; car c'est en lui que consiste tout notre bonheur, c'est en lui qu'est notre unique espérance. Donnons-nous tout à lui, et il se donnera à nous ; alors, nous jouirons d'un bonheur solide et réel. Ce sera le paradis sur la terre.

« Combien de fois n'ai-je pas gémi de ne vous avoir pas parlé d'une manière plus évangélique et plus persuasive de ce devoir et de ce bonheur ! Combien de fois n'ai-je pas désiré que mon coeur fût rempli de l'amour de Dieu, afin que mes paroles fussent comme des étincelles de feu pour allumer une flamme sacrée dans vos coeurs ! Je vais maintenant chercher, par la grâce divine, à n'être plus ni froid, ni tiède, si le Seigneur permet que je retourne au milieu de vous. Ah ! puisse-t-il toucher mes lèvres d'un charbon vif pris sur son autel et faire de moi son messager ! Puissé-je, en retournant parmi vous, vous apporter la paix, la joie, le bonheur ! Ce sont là les voeux ardents de celui qui est avec affection, etc...

« Du PONTAVICE ».

Voici maintenant quelques extraits de sa correspondance avec sa seconde paroisse, Beuville, qui avait la première place dans son coeur.

À LA VEUVE ANDRÉ, A BEUVILLE (14).

Bolbec, 20 mars 1809.

« ... Les circonstances où je me trouvai, il y a quinze jours, me firent quitter votre pays même sans vous faire mes adieux. Je savais le chagrin que mon départ vous causerait, et cela me faisait beaucoup de peine. Ce départ subit et imprévu ne doit point être mal interprété, car je suis parti dans la vive persuasion que je devais agir ainsi. Vous devez bien croire, après m'avoir vu quitter ceux qui sont chers à mon coeur (15) pour venir passer quelque temps avec vous, combien il m'aurait été agréable d'y rester plus longtemps, et qu'il n'y a eu que des raisons pressantes qui ont hâté mon départ. Il faut espérer que, si Dieu nous conserve, nous pourrons, dans un autre temps, passer plus de jours ensemble ; même espérons, pour notre consolation, de passer ensemble une glorieuse éternité dans le royaume des cieux.

« Hier, je prêchai sur ces paroles de saint Paul : Mon désir tend à déloger pour être avec Jésus-Christ, ce qui me serait beaucoup meilleur. Les privations, les croix, les épreuves et les afflictions de ma vie font que ce désir vient s'enraciner dans mon coeur. Je ne sais si j'ai jamais eu aussi peu d'envie de vivre qu'à présent ; je me trouve surtout dégoûté de la vie quand je pense que je ne suis guère utile ici-bas, et je prends plus que jamais plaisir à lire des livres qui parlent du bonheur du ciel.

« Vous avez aussi vos épreuves et des afflictions, et je sais qu'à quelques égards elles sont grandes. Je vous invite à les faire servir à vous détacher de cette vie, qui n'est qu'une vallée de larmes, et dans laquelle plus nous avançons et plus nous participons aux misères humaines. Si, pendant les jours de votre pèlerinage, les secours humains vous manquent, rappelez-vous que Dieu n'a pas besoin de l'homme pour vous bénir. Cessez de vous reposer sur le bras de la chair : attendez-vous à Dieu, tout à Dieu ; et vous éprouverez que, quand le coeur est sincère et droit, les difficultés, loin de nous arrêter dans notre course, ne font au contraire que nous encourager à presser le pas, pour arriver promptement et heureusement au bout de notre carrière, pour jouir du repos que Dieu a préparé pour son peuple. Ne vous affligez point de ce que je ne suis pas resté plus longtemps avec vous. Si j'avais demeuré le temps que je m'étais proposé, voilà déjà une semaine qu'il serait passé ; et le temps une fois passé n'est plus rien ; mettons-le donc à profit comme il s'envole. Il me tarde bien de recevoir de vos nouvelles, et je voudrais bien apprendre que vous vous réjouissez toutes dans le Seigneur.

« Comme vos afflictions abondent, puissent aussi les consolations divines abonder en vos coeurs ! Quand je lis les écrits sacrés, je vois que les maux des justes sont en grand nombre ; qu'ils ont été, dans tous les temps, éprouvés par une multitude d'afflictions. Il ne faut donc pas espérer que nous en serons exempts. Cette terre n'est pas le séjour de notre repos, et trop souvent nous l'y cherchons encore ; c'est pour cela que Dieu nous envoie des croix et des peines. Jésus fut un homme de douleur, et sachant ce que c'était que la langueur. Il nous faut boire à sa coupe amère et nous trouverons la coupe du salut qu'il nous présente plus remplie de douceur. Attachez-vous à méditer sur ce qu'il a fait et souffert, et surtout à le contempler expirant sur la croix pour vous ; ce sera comme un cordial au milieu de l'affliction. Appliquez-vous sa mort, enveloppez-vous de sa justice ; ne doutez nullement ; plus vous croirez, plus il sera glorifié par vous. Revêtez-vous de toutes ses armes, de sa patience, de sa douceur, de sa charité. Revêtez-vous enfin du Seigneur Jésus, et Satan sera brisé sous vos pieds. Combattez d'un même courage pour la foi de l'Évangile, n'étant en rien épouvantés par les adversaires. Le Seigneur saura garantir sa cause ; plus l'ennemi fait d'efforts, plus vous devez vivre près du Seigneur Jésus, qui est le Pasteur de vos âmes ; étant à l'ombre de sa houlette, l'ennemi ne vous pourra rien.

« Du PONTAVICE. »

Au moment où du Pontavice écrivait la lettre qui précède, William Mahy était encore à Beuville, où il exerçait son humble ministère, autant que le lui permettait sa santé déjà très affaiblie. Nous possédons les trois fragments qui suivent des lettres que lui adressa du Pontavice, au cours de l'année 1809. Dans une lettre en date du 18 février, après lui avoir donné quelques détails sur la visite qu'il venait de faire au Bocage, il ajoutait (16) :

« Tous les anciens amis qui m'ont parlé se sont informés de votre santé et m'ont prié de vous faire leurs compliments. Les amis recherchent le Seigneur, et je me suis réjoui un moment avec eux. Oh ! quand viendra le temps où toutes les peines, les traverses et les contrariétés de la vie auront pris fin ? Quand viendra le temps où nous serons délivrés de tous les maux qui nous affligent ? O temps heureux et que nous devons désirer ! Les afflictions auxquelles nous sommes exposés sont pour moi comme autant d'aiguillons pour me presser de courir vers le but, et j'éprouve que ce n'est qu'en courant la course qui nous est proposée que nous pouvons trouver le doux repos pour nos âmes ; car hors de Dieu tout n'est que rongement d'esprit ».

Dans une autre lettre, dont la date est perdue, il demandait à Mahy des nouvelles d'un ami de Guernesey, qui, depuis 1803, était en France, comme prisonnier de guerre (17).
« Ce cher frère Marche, écrit-il, son épreuve est bien dure et bien longue ! Il est vrai que le Seigneur y a pourvu, en lui accordant une multitude de consolations. Quelle joie pour lui quand il reverra sa patrie et ses frères ! Mais quelle joie ce sera pour nous quand nous reverrons, non seulement nos frères en Jésus-Christ ici-bas, mais encore ceux qui nous ont devancés pour se réunir à l'assemblée et à l'Eglise des premier-nés ! Quelle joie quand nous verrons Jésus lui-même dans le royaume de sa gloire ! Quand je pense à ce bonheur, je me dis à moi-même : Quel ne doit pas être mon empressement ! Combien ne dois-je pas me réjouir de ce que je ne dois jamais cesser d'exister, et qu'après la mort mon âme doit aller habiter les demeures éternelles, que notre adorable Sauveur est allé préparer pour nous !
« Je suis Votre dévoué frère en Jésus-Christ,

« Du PONTAVICE. »

Dans la lettre suivante, il donne à son ami quelques détails, qu'on aimerait plus copieux, sur son travail (18).

Bolbec, 22 juin 1809.

« Toutes choses dans mes sociétés sont à peu près dans le même état. Nous avons ordinairement des assemblées fort nombreuses. Le Seigneur me donne beaucoup de liberté dans la prédication, et même au delà de mes espérances ; de sorte que je vois de plus en plus qu'il m'appelle à cette excellente oeuvre ; je n'en ai jamais eu le moindre doute ; de plus je suis très bien venu et fort bien reçu partout. On me témoigne véritablement de l'affection ; le Seigneur en soit béni, car cela m'encourage beaucoup, et me cause bien de la satisfaction, étant fort sensible aux bons procédés que l'on a envers moi. J'ai encore le contentement de voir que la paix règne au milieu de nous.

« Aux fêtes de la Pentecôte, M. Mordant, de Rouen, m'a prié de venir l'assister, vu qu'il n'est pas bien portant depuis longtemps. J'y ai donc été, et j'ai prêché, à la Pentecôte, dans sa très grande Église, où il y avait une assemblée de protestants et de catholiques fort nombreuse. J'ai su depuis qu'on m'avait approuvé. Dieu soit béni ; car j'ai besoin de pareils témoignages pour mon encouragement, étant fort facile à décourager. Je vois en cela la bonté du Seigneur à mon égard. Avant de venir en France j'avais reçu, et des amis et des gens du monde, les plus grands encouragements, et de plus, le Seigneur donna bien des sceaux à mon ministère pendant le peu de temps que je fus dans les Îles. Ici même, il ne laisse pas mes prédications et mes visites sans fruits. Oh ! que Dieu est bon, et qu'il mérite que nous le servions avec zèle !

Je me suis souvent proposé ces paroles de notre Seigneur : Si quelqu'un me sert, mon Père l'honorera. D'après ces mots, qui sont plus fermes que le ciel et la terre, nous sommes sûrs, tôt ou tard, de voir du fruit de nos labeurs, si nous sommes fidèles. Notre charge est grande ; si nous nous en acquittons dignement, notre récompense sera belle. Quelle gloire d'être ambassadeurs de Christ ! Et qu'il est beau de vivre dans la justice et dans la sainteté ! Leurs fruits sont bien doux à l'âme et répandent un grand charme sur notre vie. Puisse le Seigneur nous en nourrir continuellement !

« C'est et ç'a toujours été mon désir que le Ciel répande sur vous l'abondance de ses grâces.
« Je suis avec affection votre dévoué frère en Jésus-Christ.

« Du PONTAVICE. »

Cette lettre fut probablement la dernière que du Pontavice écrivit à Mahy. L'état de santé de celui-ci s'aggrava rapidement et rendit nécessaire son départ pour son pays natal, et son internement dans une maison de santé, où il mourut en 1813, comme nous l'avons raconté dans l'Introduction à cet ouvrage.


(1) Mag méth., 1817, p. 153.

(2) Mag. méth., 1817, p. 153 

(3) Mag. méth., p. 154.

(4) Mag. méth., 1817, p. 155. 

(5) Au pasteur Cadoret, de Luneray. Mag. méth , 1817, p. 193.

(6) Au pasteur Cadoret, de Luneray., Mag. méth., 1817, p. 193.

(7) David Brainerd, célèbre missionnaire parmi les Indiens d'Amérique, né dans le Connecticut en 1718, mourut en 1747, après un Court et utile ministère. Sa vie a été écrite par Edwards et Dwight.

(8) Au pasteur Cadoret, de Luneray. Mag. méth., 1817, p. 196.

(9) Au pasteur Cadoret, de Luneray. Mag. méth., 1817, p. 100. 

(10) Au pasteur Cadoret, de Luneray, Mag. méth., 1817, p. 203.

(11) Nous les devons à l'obligeance de M. le pasteur Daniel Benoit, qui les tient lui-même de M. Paul Cadoret, ancien pasteur de la Baume-Cornillane et de Mens, ancien aumônier militaire, et le plus jeune fils (aujourd'hui octogénaire) de Laurent Cadoret. On trouvera à l'Appendice des détails biographiques que nous nous bornons à résumer ici. 

(12) Mag. méth., 1817, p. 197.

(13) Mag. méth., 1807, p. 205. 

(14) Mag. méth., 1817, p. 199.

(15) Ses parents de Fougères, auprès desquels il avait abrégé son séjour, afin de passer quelque temps auprès de ses amis de Beuville et du Bocage.

(16) Mag. méth., 1817, p. 203. 

(17) Ibid., p. 203.

(18) Mag. méth., 1817, p. 202.
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