En janvier 1807, du Pontavice visita sa famille
à Fougères et profita de ce voyage
pour passer quelques jours au milieu de ses amis
méthodistes des environs de Caen. Nous
possédons les lettres qu'il adressa, pendant
cette absence, à deux des églises du
pays de Caux, dont il était le pasteur.
Elles nous paraissent dignes d'être
conservées. On y voit avec quel soin et
quelle affection ce fidèle pasteur veillait,
même de loin, sur le troupeau qui lui
était confié.
Voici d'abord un extrait de la lettre
qu'il écrivit à ses paroissiens de
Saint-Aubin
(1) :
Fougères, 20 Janvier 1807.
« Oui, mes chers frères, je
puis vous dire que je vous porte dans mon coeur, et
que je fais pour vous des voeux et des
prières. Le plus grand désir de ma
vie est de vous voir heureux dans la connaissance
et dans l'amour de Dieu le Père et de notre
Seigneur Jésus-Christ. Je m'estime heureux
d'être appelé, par les travaux du
ministère évangélique,
à concourir à votre bonheur. C'est ce
qui fait que je demande à Dieu qu'il me
remplisse des dons de son Esprit, afin que ma
parole ait, parmi vous, une plus grande
efficacité. Je ne vous ai annoncé que
ce que je crois fermement moi-même, sur le
témoignage des Saintes-Écritures, et
j'ai tâché de vous parler comme de la
part de Dieu, comme devant Dieu, et je pense que
vous l'avez reçu de même. 0 mes chers
frères, vous et moi, nous sommes sur le bord
de l'immense éternité, et nous
n'avons qu'un pas à faire pour y
entrer ; alors nous verrons dans tout leur
éclat ces biens éternels, que nous
n'avons encore vus que dans un miroir
obscurément ; nous verrons même
la glorieuse Divinité. Ah ! que ne
devons-nous pas faire pour jouir de ce bonheur
inénarrable !
« Je me réjouis dans
l'espoir de retourner bientôt parmi vous,
pour vous représenter de nouveau combien il
est important de préférer la gloire
éternelle aux biens passagers de cette
vie. »
Dans une lettre de même date, il
disait aux anciens de l'Eglise d'Autretot
(2) :
« Appréciez de plus en
plus les grands privilèges que Dieu nous
accorde ; le temps est court. Ah ! vivez
pour Dieu, vivez pour l'éternité. De
quelque côté que je tourne mes pas,
partout je vois des monuments de la
fragilité de l'homme. En retournant dans mon
pays, je n'ai pas retrouvé tous ceux que j'y
avais laissés : quelques-uns, que je
connaissais, s'en sont allés par le chemin
de toute la terre. Nous devrons bientôt les
suivre ; ils ne nous ont devancés que
de quelques pas : faisons donc provision pour
ce long voyage dont on ne revient jamais. Ici-bas
tout est vanité et rongement d'esprit, nous
dit l'Ecclésiaste ; c'est pourquoi ne
cherchons point à repaître nos
âmes des choses passagères de cette
vie, car elles ne les rassasieraient pas. Dieu seul
peut les rassasier ; il est la source de la
vie, la source de la félicité.
Buvons, buvons, mes chers frères, à
cette source, elle est intarissable.
« Faites savoir de mes
nouvelles à tous les frères ; je
désire bien me réunir avec eux, pour
courir dans la glorieuse carrière qui nous
est proposée, et pour nous exciter à
courir de manière à remporter le
prix ; c'est qu'en oubliant les choses qui
sont derrière nous, nous avancions vers
celles qui sont devant nous, c'est-à-dire
vers le but de notre céleste vocation en
Jésus-Christ. »
À cette lettre de son pasteur,
l'Eglise d'Autretot fit une réponse pleine
d'affection et de reconnaissance. Peu après
son retour à Bolbec, du Pontavice
répliqua par la lettre qui suit, où
l'on voit combien son âme aimante
était touchée par les moindres
marques d'affection (3).
Bolbec, 11 mars 1807.
« Messieurs et très chers
frères. - J'ai reçu l'honorable
lettre que vous avez bien voulu m'envoyer. Je suis
fort sensible aux expressions affectionnées
et flatteuses dont elle est remplie ; mais en
même temps je vous confesse qu'elle est bien
propre à me couvrir de confusion, car je ne
mérite point les éloges que vous me
donnez. J'espère qu'elle réveillera
le peu de zèle qui m'anime, et qu'elle sera
gravée dans mon esprit, comme une
instruction que le Seigneur a bien voulu me donner
par votre moyen. En effet, il me semble que je sens
déjà plus de zèle, plus de
dévouement, et un désir plus ardent
d'être entièrement au service du
Seigneur, pour l'édification de vos
âmes.
« L'agréable
réception que j'ai eue de vous dès la
première fois, et les expressions touchantes
et fraternelles de votre lettre, m'encouragent, et
me sont un sûr garant de votre indulgence
à mon égard. C'est pourquoi je me
réjouis dans l'espoir de vous revoir
bientôt, et de vous revoir comme des
frères bien-aimés, qui sont pleins de
charité pour moi. Dimanche en huit, s'il
plaît à Dieu, je me réunirai
avec vous pour louer le Seigneur ; en
attendant, je vous prie de recevoir, de même
que tous les frères, les sentiments d'estime
et d'affection avec lesquels j'ai l'honneur
d'être, etc.
« Du PONTAVICE ».
Dans la lettre suivante, adressée le 12
mars 1807, à son ami Cadoret, du Pontavice,
après avoir parlé de quelques guerre, des
tremblements de
terre, etc., de lever en haut notre tête,
parce que les jours de notre délivrance
approchent. La considération de ces choses
me remplit d'espérance et d'attente, elle
augmente mon zèle. »
Dans la lettre suivante au même
correspondant, du Pontavice lui ouvre son coeur
tout rempli d'un unique désir, le salut des
âmes et d'un unique regret, la rareté
des conversions parmi ceux à qui il
prêchait l'Évangile
(4).
« Gloire soit à Dieu,
il m'accorde son assistance, et la parole que
j'annonce atteint un peu les coeurs ; mais
hélas ! mes paroles ne sont encore que
comme des flèches lancées par une
main faible et mal assurée ; de sorte
qu'elles n'entrent pas bien avant dans les coeurs
des ennemis du Roi. Oh ! quand serai-je
revêtu d'une force divine ? Je ne puis
vous exprimer combien je souffre en voyant la
vanité, la folie, l'insouciance des
hommes ; combien je souffre d'être
privé de ces compagnies et de ces
conversations chrétiennes, qui faisaient
autrefois mes délices. Oui, je puis dire que
je me trouve comme dans un affreux désert.
Cependant, de temps en temps je trouve encore
quelques âmes qui voyagent vers la Canaan
céleste, mais leur nombre est si petit, et
elles sont encore si peu sûres de leur route
qu'elles ne peuvent guère me parler des
agréments, des difficultés et des
obstacles que l'on rencontre sur la route, et vous
savez que les voyageurs aiment à bien
connaître toutes ces choses. Je crois, si je
passe plusieurs années ici sans voir un bon
nombre d'âmes se convertir, que ma vie sera
remplie de chagrin et d'amertume. Je sens un grand
besoin que Dieu me réveille continuellement,
de peur que je ne m'endorme avec les vierges
folles, et que je ne sois surpris par la venue de
l'Époux. »
Le pasteur Cadoret fut, pendant ces
années, l'ami de coeur de du Pontavice. Il
était le seul de ses collègues
réformés auquel il pût
librement ouvrir son coeur et faire part de ses
expériences spirituelles et pastorales. Nous
insérons les lettres suivantes d'autant plus
volontiers qu'elles sont riches
d'édification.
Bolbec, 15 septembre 1807 (1).
« Mon très cher et
bien-aimé frère en
Jésus-Christ,
« Depuis le premier moment que
j'ai eu l'honneur et l'avantage de vous
connaître, j'ai senti pour vous une affection
cordiale et de l'union d'esprit Cette affection et
cette union ont été toujours en
croissant, à proportion que nous avons eu
plus de rapports ensemble ; et maintenant je
puis vous dire que je vous aime et que je vous suis
plus attaché, que je ne l'aie encore
été de ma vie. Ces sentiments ne sont
que les doux fruits que votre amitié, votre
bonté, toutes vos attentions, et celles de
votre aimable compagne, ont produits dans mon
coeur. Je vous prie de les agréer comme un
juste tribut d'une sincère reconnaissance.
Je pense souvent à vous, cher frère,
et plusieurs fois par jour j'offre des
prières à l'Éternel, lui
demandant qu'il vous bénisse de plus en
plus, et qu'il vous remplisse de toute
espèce de dons spirituels, afin que vous
soyez un glorieux instrument en sa main pour amener
une multitude d'âmes des
ténèbres à sa merveilleuse
lumière.
Lorsque vous prêchiez à
Autretot, vous regardant, je pensais en
moi-même que le Seigneur se servirait de vous
pour faire beaucoup de bien ; en effet, il
récompensera votre généreux
dévouement et votre grande
fidélité. Ah ! qu'il me serait
agréable que nous fussions tous les deux
réunis ensemble, pour travailler de concert,
nous encourager et nous soutenir ! Il me semble
que nous pourrions
voir
du succès. Oui, si nous étions
ensemble et secondés par quelques autres
animés du même esprit, je crois que
mes jours seraient comme autant de jours de
fête, au lieu que je vais encore portant ma
semence en pleurant. Puisse Dieu me faire la
grâce de m'en revenir avec un chant de
triomphé en rapportant mes
gerbes !
« J'ai lu la vie de
Whitefield, et si mon coeur n'avait
été si sec, j'aurais répandu
une abondance de larmes, car je désirais
bien de pleurer, mon coeur étant
percé en voyant le peu que je fais, et
même l'impossibilité présente
à donner plus d'étendue au peu de
zèle qui est en moi. Que je suis
affligé de ne pouvoir prêcher
Jésus-Christ qu'un jour sur sept ! Oui,
cela m'afflige de ne pouvoir plus souvent
m'entretenir de Celui que mon âme
aime.
« Pardon, cher frère,
de vous faire mes doléances, mais à
qui les ferais-je si ce n'est à un ami et un
frère en Jésus-Christ ? Dimanche
dernier, j'ai prêché avec l'assistance
de Dieu, et même avec une grande
liberté, surtout l'après-midi. Dieu
me donnait aussi beaucoup de pouvoir dans la
prière ; je sentais, en parlant et en
priant, que son Esprit opérait puissamment
dans mon âme. Mais, hélas ! quand
il me laisse à moi, je ne suis plus le
même homme ; les pensées, les
paroles me manquent ; je ne puis m'exprimer,
et je suis honteux de ce que je dis. La
prédication est un don de Dieu, ce qui me
remplit d'espérance ; puisqu'il lui est
aussi facile de rendre l'homme le plus simple
très éloquent que l'homme le plus
instruit. Mon âme est en travail pour donner
des enfants à Jésus-Christ, mais ma
force est petite. Seigneur, aide-moi !
« Plusieurs m'ont
demandé de vos nouvelles ; on est bien
content de vous, on vous aime, on vous estime. M.
Alègre m'a parlé de vous d'une
manière bien avantageuse. Il a ressenti de
la peine que vous ayez été si seul et
que nos frères, les protestants de cette
ville, ne vous aient pas
été plus civils ; il
était fort affligé que quelques-uns
d'entre eux ne vous avaient point fait de visites.
Mais consolez-vous, mon frère : ils
n'agissent pas mieux envers nous ; quand le
coeur est froid pour la religion, il l'est aussi
pour ses ministres.
« Je lis avec plaisir les bons
livres que vous m'avez prêtés :
ils me consolent et m'affligent en même
temps. Ils me consolent, en me transportant en
esprit dans ces lieux que le Seigneur visite. Ils
m'affligent par le contraste qu'ils offrent
à ma situation. Je finis cependant en
disant : Portons-nous vaillamment pour notre
Dieu, et nous verrons sa délivrance.
« Je vous prie de faire bien
mes compliments à Mme Cadoret. Si elle
reçoit tout ce que je lui souhaite, il ne
lui restera rien à désirer dans le
temps et dans l'éternité. Que les
bénédictions du Tout-Puissant soient
abondamment répandues sur elle, sur vous et
sur toute votre postérité !
Amen. »
Bolbec, 26 octobre 1808 (6).
... « Je sens un grand besoin
d'être détaché de ce monde
pervers, et d'entrer dans une disposition plus
céleste. Si j'étais comme Moïse
sur la montagne avec Dieu, mon âme serait
participante de quelques rayons de sa gloire, et je
pourrais paraître avec éclat aux yeux
du peuple, et lui faire entendre la parole de
l'Éternel. Mais hélas ! je suis
le plus souvent au bas de la montagne ;
quoique je désire aller au haut de la
montagne de Sion, à la cité du Dieu
vivant, à la Jérusalem céleste
et aux milliers d'anges. (Héb. 12 :
22-25). Quelle belle et profonde
expérience ! très cher
frère, quand on y est parvenu, on est bien
au-dessus de toutes les misères de la vie
présente. Plus je m'efforce de me
détacher du monde et d'aspirer à
Dieu, plus sa paix abonde en mon âme. Il est
infiniment miséricordieux
à mon égard, et j'espère aussi
que, par sa grâce, je ne cesserai jamais de
le servir. Ses voies sont des voies
agréables et ses sentiers ne sont que
prospérité. Ah !
puissé-je, ayant pour chaussure les
dispositions que donne l'Évangile de la
paix, marcher dans les beaux sentiers de la vie
éternelle ! Ils sont, je
l'éprouve, parsemés de mille millions
de fleurs, qui toutes répandent la bonne
odeur du Christ. Brainerd (7) dit
bien, dans une de ses
lettres,
qu'il n'est point de satisfaction solide et
parfaite, si l'on n'est tout à Dieu. Je
connais cette vérité par
expérience : pourquoi donc ne pas
donner mon coeur à Dieu sans partage ?
Seigneur Jésus, prends un bien qui
t'appartient.
« Je voudrais savoir comment
vous êtes maintenant. Que Dieu vous accorde
tout soutien et toute consolation ! Nul n'est
couronné s'il n'a combattu le bon combat de
la foi. Si nous trouvons beaucoup d'obstacles et de
difficultés, disons, comme Job :
« J'attendrai tous les jours de mon
combat, jusqu'à ce qu'il m'arrive du
changement ».
« Le Seigneur m'assiste
à prêcher sa parole, et cependant je
vois que je ne suis rien, et j'ai souvent honte de
moi-même. Il est à désirer pour
moi que mes auditeurs ne soient pas
mécontents de moi comme je le suis
moi-même ; quoi qu'il en soit, la Parole
a quelque vertu ; mais hélas ! pas
assez pour changer les coeurs. Souvent je pense
à ce pays où la Parole opère
de si grandes merveilles, et je dis à
moi-même : le Seigneur peut faire la
même chose dans nos contrées. Ces
pensées me soutiennent et me
raniment.
« J'espère que le
Seigneur vous accorde aussi son puissant secours.
Je voudrais pouvoir bien vous encourager. Ne vous
laissez pas abattre, si vous n'agissez point comme vous
souhaiteriez. Dieu
connaît la sincérité de votre
coeur, et le sacrifice que vous faites dans ce
moment peut lui être agréable. Le
Seigneur peut opérer de bien des
manières. Gardons-nous de dire : il
faut que je fasse ainsi pour que Dieu me
bénisse. Les différentes
circonstances où nous nous trouvons doivent
nécessairement faire changer nos plans.
Pourvu que nous ayons sincèrement en vue la
gloire de Dieu, je pense qu'il ne permettra pas que
nous nous égarions. »
Bolbec, 1er décembre 1808 (8).
« J'ai reçu en son temps votre
lettre du mois dernier ; et j'ai vu avec peine
les afflictions et les désagréments
que quelques individus vous causent. C'est le sort
de tout vrai serviteur de Jésus-Christ.
« Le serviteur n'est pas au-dessus de son
maître, et tout disciple accompli sera rendu
semblable à son maître. »
Quand nous sommes ainsi éprouvés, il
est fort consolant de considérer ce que les
apôtres ont souffert, et en particulier un
saint Paul, et d'entendre ce grand apôtre
dire, dans l'ardeur de son zèle et avec
effusion de coeur : « Qui nous
séparera de l'amour du Christ ? Sera-ce
l'affliction, ou l'angoisse, ou la
persécution ? Tout bien compté,
dit-il ailleurs, les souffrances du temps
présent ne sont point comparables à
la gloire qui doit être
révélée en nous... Et si nous
souffrons avec Jésus-Christ, nous
régnerons aussi avec
lui. »
« Quand je médite en
mon particulier sur ces grandes
vérités, je me dis à
moi-même : Oh ! quelle devrait
être mon ardeur pour suivre un aussi bon
Maître ! Je vous l'avoue, je suis
honteux en voyant ma tiédeur, et je
m'abhorre moi-même. Bien des fois j'ai
pensé à vous et me suis dit que vous
étiez plus fidèle que moi.
« Vous me demandez si je vois
des fruits de mon ministère. Si
j'étais plus spirituel et si je vivais plus
près de Dieu, je crois
que j'en verrais ; car le Seigneur me favorise
beaucoup : il me donne de la liberté,
il attire le peuple aux assemblées, la
parole a de la force et de la vertu. Mais,
hélas ! je vous le dis avec un coeur
navré de douleur, la faute en est à
moi si mes auditeurs ne se convertissent pas. Je ne
suis pas assez souvent en prière pour
eux ; mon âme n'est pas assez en travail
pour les enfanter à Jésus-Christ,
leur misère spirituelle ne me touche pas
d'assez près. Mes troupeaux sont aussi si
dispersés qu'il me semble que c'est un grand
obstacle ; comment connaître leur
état si je ne les visite, et comment
pourrais-je les visiter tous ? J'ai besoin
d'appuis ; la moisson est grande, et lorsqu'on
est seul cela n'est pas aussi encourageant que
quand on travaille de compagnie, qu'on se soutient
mutuellement et qu'on se donne de doux conseils. Je
souffre sous ces rapports. Ma position me porte
à considérer que je devrais aspirer
fortement après ma céleste patrie,
où je trouverai ce que je désire tant
ici-bas : la présence des
fidèles, les chants de réjouissance
des élus, la contemplation de la face de
Dieu, qui est un rassasiement de joie.
« Cher frère, mon
désir ardent est que Dieu vous soutienne de
sa main puissante et paternelle ; s'il est
pour vous, qui sera contre vous ? Le
méchant fait une oeuvre qui le trompe, et ce
que les hommes pensent en mal contre ses enfants,
Dieu le pense en bien. Toutes choses concourent au
bien de ceux qui l'aiment. Il est le souverain
Maître de toutes choses, de toutes les
circonstances et de tous les
événements ; il tient en sa main
les coeurs des hommes et les incline à tout
ce qu'il veut ; de sorte que nous devons nous
tenir dans la demeure du Souverain et nous loger
à l'ombre du Tout-Puissant. Il nous couvrira
de ses plumes, sa vérité nous servira
de bouclier, et il donnera charge de nous à
ses anges, afin qu'ils nous gardent dans toutes nos
voies. »
Bolbec, 20 mars 1809 (9).
« Votre lettre du 13 janvier m'est
parvenue. Je n'étais pas encore parti pour
aller dans mon pays, parce qu'il m'était
arrivé un accident à Autretot, dans
le temps de Noël. J'étais tombé
sur les genoux, et je m'étais si
blessé que je fus obligé de garder la
chambre presque trois semaines, ne sachant
quelquefois si je me rétablirais jamais
parfaitement ; mais, grâce à
Dieu, il n'y paraît plus rien, et je suis de
retour sans aucun accident. J'ai trouvé mes
parents jouissant d'une assez bonne
santé ; mais mon frère a eu du
chagrin : il a perdu son beau-frère,
jeune homme de 22 à 23 ans, et, deux mois
après, il a perdu l'un de ses enfants ;
il ne lui en reste plus qu'un à
présent. Tout cela lui a fait beaucoup de
peine, quoique lui et sa femme paraissent
doués d'une grande résignation.
Ah ! qu'est-ce que la vie ? Un
enchaînement d'afflictions.
« Quand vous voudrez venir me
voir à Autretot, vous me ferez beaucoup de
plaisir. J'y serai le Vendredi-Saint, qui comptera
pour un dimanche ; ainsi vous pouvez savoir
les jours où je me rendrai dans cette
Église.
« Dites-moi comment les choses
vont avec vous ; si vous avez la paix
au-dedans et dans vos quartiers. Notre cause est
celle du Seigneur, et nous ne devons pas être
épouvantés par les adversaires. Ainsi
combattons vaillamment, avec un esprit de douceur
et de charité ; le temps de notre
combat sera bientôt écoulé, et,
après le combat, combien le repos
n'aura-t-il pas de douceur ! Les
contrariétés, les croix, les
épreuves, les afflictions de cette vie nous
font journellement voir que tout n'est que
vanité et rongement d'esprit ; toutes
ces choses nous détachent de ce monde et
nous font aspirer au séjour du
repos.
« Depuis peu, la
réflexion sur mes peines et la considération du
bonheur
que Dieu nous prépare ont fait entrer dans
mon coeur ce souhait de saint Paul : Mon
désir tend à déloger pour
aller avec Jésus-Christ, ce qui me serait
beaucoup meilleur. Loin de mes parents et de
ceux qui ont la connaissance et l'amour du
Seigneur, je suis absolument comme un
étranger ici-bas ; et cela me fait
désirer d'arriver à la fin de mon
pèlerinage, pour me réunir avec mes
frères, afin de pouvoir chanter avec eux le
cantique de Moïse et de l'Agneau. Quel beau
privilège de pouvoir mourir, de voir la fin
de nos misères et le commencement de ce beau
jour sans nuage qui doit reluire à
jamais ! Oh ! que déjà ne
luit-il ! Oui, cher frère, mon
âme est prête à s'écrier
avec David : Oh ! qui me donnera les
ailes d'une colombe ! Il n'y aurait qu'une
chose à me faire désirer de rester
ici-bas : ce serait d'être utile ;
et ne pouvant pas faire ce que mon coeur souhaite
ardemment, je suis, pressé du désir
de voir la fin de mes travaux. Toutefois je me
résigne à la volonté du
Seigneur, et, s'il veut prolonger ou accourcir ma
vie, que sa volonté se fasse et non la
mienne !
« En allant dans mon pays,
j'ai passé par Condé ; les
anciens m'avaient fait inviter d'y
prêcher ; les Églises des
campagnes m'avaient fait la même invitation.
Leur pasteur était absent, et l'on ignorait
s'il reviendrait dans le pays. À
Condé, j'ai prêché le matin et
l'après-midi, et les quatre jours suivants
dans les autres Églises. On m'a fait
beaucoup d'amitiés, et l'on s'est
empressé d'assister à mes
sermons.
« De retour ici, on m'a
reçu avec bien de l'affection, et l'on est
venu en grand nombre à la prière.
Ah ! que Dieu touche mes lèvres d'un
charbon vif pris sur l'autel, et me rende capable
de prêcher avec puissance la parole de
vie ! J'ai sujet de le remercier, car je vois
qu'il m'assiste ; mais il faudrait une plus
grande vertu pour convertir les coeurs.
« Comment se porte Madame
Cadoret ? Je ne doute pas que son âme
n'avance dans la vie spirituelle ; assurez-la
de mes respects. Je souhaite aussi à toute
votre petite famille toute sorte de bonheur. Que le
Seigneur soit pour vous tous votre sûre
garde, votre asile, votre consolation !
Amen.
« Je suis, avec la plus
sincère affection,
« Votre frère en
Jésus-Christ,
« Du PONTAVICE. »
Bolbec, 25 octobre 1809 (10)
« Oui, mon cher frère, je
m'intéresse fortement à tout ce qui
peut rendre votre sort et celui de votre
épouse heureux, Je m'intéresse au
bonheur de la petite famille que Dieu vous a
donnée, et à celui de cette autre
famille plus nombreuse que le Seigneur a
confiée à vos soins ; je veux
dire votre troupeau. En effet, un pasteur doit
être comme un père de famille au
milieu de son troupeau ; et vous qui avez des
enfants, vous pouvez souvent apprendre de leur
conduite la manière dont vous devez agir
envers ceux qui vous sont confiés. Vous
savez que le caractère des enfants n'est pas
le même ; à l'un il faut de la
douceur, à l'autre des promesses, à
quelque autre des réprimandes, des menaces,
et même des châtiments. Il en est ainsi
des hommes que nous avons à diriger ;
leurs caractères et leurs dispositions sont
bien différents, et nous pouvons bien les
comparer à des enfants revêches. C'est
pourquoi il faut bien prendre garde de faire comme
ces pères qui, se laissant aller à
leurs passions, corrigent leurs enfants avec un
esprit de vengeance. Nous sommes souvent
exposés à ce danger, quand nous
employons les menaces et que nous
dénonçons aux pécheurs les
jugements du Ciel ; si nous nous laissons
emporter par notre nature, notre
zèle devient amer. Les châtiments que
les pères infligent à leurs enfants
avec aigreur sont plus propres à les
endurcir qu'à les corriger ; de
même, si notre zèle est amer, il ne
fait qu'endurcir le pécheur. Que le
spectacle d'un tendre père qui reprend ses
enfants avec un esprit calme, avec bonté,
avec douceur, avec toute l'effusion d'un coeur
vraiment paternel, est beau et touchant ! Il
me semble que, si j'agissais de cette
manière au milieu de mon troupeau, avec
l'aide du Seigneur, les coeurs se briseraient, et
les pécheurs, étant touchés,
se convertiraient à l'Éternel leur
Dieu.
« Vous serez peut-être
étonné, cher frère, de ma
façon d'écrire et du tour que je
donne à mes pensées. Ne croyez pas
que je veuille vous donner des conseils ;
c'est plutôt à moi d'en demander,
plutôt que d'en donner. Si j'écris
ainsi, c'est parce que j'écris sans art,
sans artifice et de l'abondance de mon coeur.
Prenant la plume pour écrire à mon
ami, j'écoute ce que mon coeur me dit, et
ensuite j'écris.
« Dimanche dernier, dans mes
fonctions, j'ai trouvé beaucoup d'assistance
après-midi, mais pas autant le matin.
Oh ! qu'il est difficile de convaincre de
péché, d'état de perdition,
ceux qui se sont toujours flattés
d'être en bon chemin, dans le chemin du ciel,
parce qu'ils ont été
élevés dans la doctrine
évangélique, exempte des abus et des
erreurs ! Il me semble que je les entends
s'applaudir au fond de leurs coeurs, être
fort contents d'eux-mêmes et dire qu'il ne
leur reste plus rien à faire qu'à
être exacts et réguliers dans leurs
devoirs, et que tout est bien. Oh ! que le
voile est épais sur leurs coeurs ! Et,
quand nous voulons l'arracher, avec quel
empressement ne s'opposent-ils pas à nos
tentatives ; et même, s'ils l'osaient,
nous les entendrions bientôt nous dire :
Je vous défends d'y toucher ! Cela me
fait gémir, et désirer que le
Seigneur lui-même y mette la main.
« J'ai senti ces derniers
jours le désir d'être plus au
Seigneur ; lui seul est le repos de
l'âme ; plus elle est concentrée
en lui, plus elle est heureuse. C'est ce qui m'a
toujours fait souhaiter si ardemment de vivre avec
les enfants de Dieu. Leurs exemples, leurs
discours, leurs prières nous ramènent
à Dieu, nous attachent à lui ;
au lieu que les exemples et les discours des gens
du monde font le contraire. Mais ce qui fait notre
assurance, c'est la parole du Seigneur : Ma
grâce te suffit.
« Prenons bon courage, et
soyons comme Caleb, qui, restant fidèle,
s'appuyant sur son Dieu, disait au peuple
d'Israël : Montons hardiment, et
possédons ce pays-là, car
certainement nous y serons les plus forts.
« Du PONTAVICE. »
La lettre qu'on vient de lire est l'une des
dernières que du Pontavice ait
adressées à Laurent Cadoret. Il
semble, résulter de nos documents que ce
pasteur fut le seul de ses collègues de
l'Eglise réformée avec qui du
Pontavice ait pu entretenir une vraie communion
spirituelle. Ils furent, avec quelques autres, les
précurseurs du Réveil, qui ne se
produisit d'une manière
générale, qu'après la chute de
l'Empire.
Il y avait entre Pierre du Pontavice et
Laurent Cadoret avant tout une conformité de
foi et d'expériences chrétiennes qui
devait les rapprocher ; ils avaient
passé l'un et l'autre par la crise de la
conversion et y étaient parvenus dans des
circonstances analogues. On lira avec
intérêt quelques détails sur la
vie de ce pasteur
(11).
Laurent Cadoret était né
à la Havane le 30 juin 1770, la même
année où du Pontavice naissait
à Fougères. Quoique le
troisième de trois jumeaux, il
survécut à ses deux frères et
atteignit l'âge de 90 ans. Son père,
riche armateur breton, et sa mère
irlandaise, l'élevèrent dans les
pratiques de la dévotion romaine.
Envoyé à Nantes, dès
l'âge de sept ans, pour son éducation,
il perdit son père quelques années
plus tard, et, à quatorze ans, entra dans la
marine. Il rendit souvent grâce à Dieu
d'avoir été gardé au milieu
des tentations auxquelles il fut expose parmi des
compagnons profanes et au milieu des périls
de son existence aventureuse : naufrages,
abordages, etc. Il avait dès lors des
besoins religieux, que ne satisfaisait pas le culte
pompeux et formaliste de l'Eglise romaine. Ce fut
pendant un séjour à la Havane qu'il
fut amené à rompre avec cette
Église, bien qu'alors il ne connût
aucune forme religieuse meilleure.
Fait prisonnier par un navire anglais,
il fut conduit à Plymouth et interné
dans le cantonnement d'Ashburton. Ayant
l'autorisation de se promener par la ville, il
entra dans une chapelle dissidente et fut tellement
frappé de ce qu'il y entendit qu'il continua
à la fréquenter. Une dame pieuse,
remarquant son assiduité, l'invita chez
elle, et lui donna le Nouveau Testament et des
livres religieux, dont la lecture acheva de
l'éclairer. Un peu plus tard, il fit la
connaissance du révérend David Bogue,
fondateur et directeur de l'École de
théologie de Gosport, qui fut pour lui un
guide spirituel, plein de sagesse et d'affection.
Après un court séjour en France,
où il épousa Périne Sorel, il
retourna en Angleterre avec sa femme et passa trois
ans dans le séminaire théologique du
docteur Bogue. Revenu en France, il fut
successivement pasteur à
Condé-sur-Noireau, Luneray et Amiens. Il
exerça les fonctions pastorales
jusqu'à l'âge de 78 ans et
s'éteignit, en 1861, à Mens,
auprès de trois de ses enfants.
Mais revenons à du Pontavice. Sa
sollicitude pastorale se partageait entre les
troupeaux du pays de Caux, qui lui étaient
spécialement confiés et les
sociétés méthodistes des
environs de Caen et de Condé, qu'il visitait
une fois par an et auxquelles il écrivait de
touchantes lettres. Citons d'abord deux lettres
adressées à l'Eglise d'Autretot,
l'une des sections de sa vaste paroisse.
AUX ANCIENS D'AUTRETOT,
Fougères, 8 février 1809 (12)
« Quoique je sois absent de corps, je
suis présent avec vous en esprit, me
rappelant avec un doux souvenir toutes les marques
que vous m'avez données de votre attachement
pour moi. Je puis aussi vous dire que mon affection
pour vous est sincère et cordiale. Sans
cesse je forme des voeux pour votre bonheur, et je
m'estimerais heureux si je pouvais y contribuer.
Que tous nos frères suivent les conseils que
je leur ai donnés de la part du Seigneur, et
je me flatte qu'ils goûteront ce bonheur, qui
doit être tant désiré et si
soigneusement recherché. Combien de fois ne
me suis-je pas réjoui en voyant votre
assiduité et votre attention pour
écouter les enseignements du Seigneur. Vous
savez qu'ils réjouissent le coeur, qu'ils
sont plus désirables que l'or, même
que beaucoup de fin or, et plus doux que le miel,
même que ce qui distille des rayons de
miel ; et qu'il y a un grand salaire à
les observer.
Or, mes frères, si
déjà nous trouvons tant de bonheur au
service de Dieu, quoique nous soyons assujettis
à mille infirmités, afflictions et
misères, que sera-ce lorsque nous serons
délivrés de tous les maux de la
mortalité, et que nous jouirons de toute la
plénitude du bonheur dont nous avons eu les
avant-goûts dans ce
monde ? C'est pour ce bonheur que vous avez
été créés, et comme il
ne se trouve qu'en Dieu, Dieu doit être notre
fin. Oh ! quelle belle et quelle glorieuse
fin ! Puis-je trop vous la recommander ?
Non, mes très chers frères. Mes
discours et mes lettres sont toujours au-dessous du
sujet, et je ne fais que balbutier quand je veux en
parler. Mais cependant, comme il est de mon devoir
de vous en dire quelque chose, et que vous voulez
bien m'écouter, je me propose, avec
l'assistance du Seigneur, de vous en entretenir
lorsqu'il me conduira chez vous. Puisse-t-il me
donner des sentiments tout célestes, afin
que je vous parle, non comme un habitant du monde,
mais comme un citoyen des cieux. Et puissiez-vous
donner votre attention aux choses magnifiques que
nous devons vous apprendre de la cité de
Dieu !
« Après avoir
essuyé des temps durs et difficiles, je suis
arrivé au sein de ma famille, sans aucun
accident. Je bénis le Seigneur de ce qu'il a
bien voulu me conserver, et je le prie de
m'accorder la santé pour travailler à
sa vigne ; car je ne souhaite vivre que pour
sa gloire et pour le salut de mes
frères ; mais je m'afflige en voyant le
peu de fruits que je fais. Si donc vous avez de
l'affection pour moi, réjouissez mon coeur,
mes très chers frères, en me faisant
voir que je ne travaille pas en vain au milieu de
vous. Puisse le Ciel bénir tellement mon
ministère pour le salut de toutes vos
âmes, que je sois au dernier jour votre
couronne de joie devant le Seigneur, et que vous
soyez ma couronne de gloire ! Recevez les
sentiments de l'affection la plus cordiale, avec
lesquels je suis, mes très chers
frères,
« Votre tout
dévoué serviteur,
AUX ANCIENS D'AUTRETOT.
Fougères, 22 janvier 1810 (13).
« La bonne Providence m'a donné
le temps le plus agréable pour me rendre au
milieu de ma famille, que j'ai trouvée en
bonne santé. Mon voyage ne m'a point
incommodé ni fatigué, j'en remercie
le Seigneur et je vous en remercie aussi, car je
suis sûr que vous avez fait des voeux pour ma
conservation. J'en fais aussi pour la vôtre,
désirant vous retrouver tous en parfaite
santé, pour vous entretenir de Celui que
nous aimons ; car je sais que vous et moi nous
aimons Jésus notre Sauveur. Il est vrai que
nous ne l'aimons encore que très peu, en
comparaison de ce qu'il mérite d'être
aimé ; mais cependant rendons
grâce à Dieu pour cette portion
d'amour qu'il a mise dans notre coeur, et faisons
des efforts pour en obtenir davantage. Le moyen d'y
parvenir, c'est de faire comme saint Paul, qui
considérait toutes choses comme du fumier en
comparaison de l'excellence de la connaissance de
Jésus-Christ. Jamais homme ne fut plus sage
que ce grand apôtre ; jamais homme ne
sut mieux que lui en quoi consistait le vrai
bonheur et quels étaient les moyens d'y
parvenir. Je vous l'offre, mes très chers
frères comme modèle et je vous engage
à marcher sur ses traces. Son amour pour
Jésus-Christ était si grand qu'il
était tout à son divin service, et
qu'il pouvait dire : Ce n'est plus moi qui
vis, c'est Jésus-Christ qui vit en
moi.
« Quoique nous ne soyons pas
appelés à être apôtres,
cependant nous sommes appelés, chacun dans
notre situation, à nous consacrer au
Seigneur ; car nous ne sommes pas à
nous-mêmes, ayant été
rachetés à grand prix par le sang de
Jésus-Christ. Et soit que nous vivions, soit
que nous mourrions, nous sommes au Seigneur.
C'est là, mes très chers
frères, ce que je vous ai souvent dit et ce
que je désire vous répéter
encore ; car c'est en lui que consiste tout
notre bonheur, c'est en lui qu'est notre unique
espérance. Donnons-nous tout à lui,
et il se donnera à nous ; alors, nous
jouirons d'un bonheur solide et réel. Ce
sera le paradis sur la terre.
« Combien de fois n'ai-je pas
gémi de ne vous avoir pas parlé d'une
manière plus évangélique et
plus persuasive de ce devoir et de ce
bonheur ! Combien de fois n'ai-je pas
désiré que mon coeur fût rempli
de l'amour de Dieu, afin que mes paroles fussent
comme des étincelles de feu pour allumer une
flamme sacrée dans vos coeurs ! Je vais
maintenant chercher, par la grâce divine,
à n'être plus ni froid, ni
tiède, si le Seigneur permet que je retourne
au milieu de vous. Ah ! puisse-t-il toucher
mes lèvres d'un charbon vif pris sur son
autel et faire de moi son messager !
Puissé-je, en retournant parmi vous, vous
apporter la paix, la joie, le bonheur ! Ce
sont là les voeux ardents de celui qui est
avec affection, etc...
« Du PONTAVICE ».
Voici maintenant quelques extraits de sa
correspondance avec sa seconde paroisse, Beuville,
qui avait la première place dans son
coeur.
À LA VEUVE ANDRÉ, A
BEUVILLE (14).
Bolbec, 20 mars 1809.
« ... Les circonstances où je
me trouvai, il y a quinze jours, me firent quitter
votre pays même sans vous faire mes adieux.
Je savais le chagrin que mon départ vous
causerait, et cela me faisait beaucoup de peine. Ce
départ subit et imprévu ne doit point
être mal interprété, car je
suis parti dans la vive persuasion que je devais
agir ainsi. Vous devez bien
croire, après m'avoir vu quitter ceux qui
sont chers à mon coeur
(15) pour
venir
passer quelque temps avec vous, combien il m'aurait
été agréable d'y rester plus
longtemps, et qu'il n'y a eu que des raisons
pressantes qui ont hâté mon
départ. Il faut espérer que, si Dieu
nous conserve, nous pourrons, dans un autre temps,
passer plus de jours ensemble ; même
espérons, pour notre consolation, de passer
ensemble une glorieuse éternité dans
le royaume des cieux.
« Hier, je prêchai sur
ces paroles de saint Paul : Mon désir
tend à déloger pour être avec
Jésus-Christ, ce qui me serait beaucoup
meilleur. Les privations, les croix, les
épreuves et les afflictions de ma vie font
que ce désir vient s'enraciner dans mon
coeur. Je ne sais si j'ai jamais eu aussi peu
d'envie de vivre qu'à présent ;
je me trouve surtout dégoûté de
la vie quand je pense que je ne suis guère
utile ici-bas, et je prends plus que jamais plaisir
à lire des livres qui parlent du bonheur du
ciel.
« Vous avez aussi vos
épreuves et des afflictions, et je sais
qu'à quelques égards elles sont
grandes. Je vous invite à les faire servir
à vous détacher de cette vie, qui
n'est qu'une vallée de larmes, et dans
laquelle plus nous avançons et plus nous
participons aux misères humaines. Si,
pendant les jours de votre pèlerinage, les
secours humains vous manquent, rappelez-vous que
Dieu n'a pas besoin de l'homme pour vous
bénir. Cessez de vous reposer sur le bras de
la chair : attendez-vous à Dieu, tout
à Dieu ; et vous éprouverez que,
quand le coeur est sincère et droit, les
difficultés, loin de nous arrêter dans
notre course, ne font au contraire que nous
encourager à presser le pas, pour arriver
promptement et heureusement au bout de notre
carrière, pour jouir du repos que Dieu a préparé
pour son
peuple. Ne vous affligez point de ce que je ne suis
pas resté plus longtemps avec vous. Si
j'avais demeuré le temps que je
m'étais proposé, voilà
déjà une semaine qu'il serait
passé ; et le temps une fois
passé n'est plus rien ; mettons-le donc
à profit comme il s'envole. Il me tarde bien
de recevoir de vos nouvelles, et je voudrais bien
apprendre que vous vous réjouissez toutes
dans le Seigneur.
« Comme vos afflictions
abondent, puissent aussi les consolations divines
abonder en vos coeurs ! Quand je lis les
écrits sacrés, je vois que les maux
des justes sont en grand nombre ; qu'ils ont
été, dans tous les temps,
éprouvés par une multitude
d'afflictions. Il ne faut donc pas espérer
que nous en serons exempts. Cette terre n'est pas
le séjour de notre repos, et trop souvent
nous l'y cherchons encore ; c'est pour cela
que Dieu nous envoie des croix et des peines.
Jésus fut un homme de douleur, et sachant ce
que c'était que la langueur. Il nous faut
boire à sa coupe amère et nous
trouverons la coupe du salut qu'il nous
présente plus remplie de douceur.
Attachez-vous à méditer sur ce qu'il
a fait et souffert, et surtout à le
contempler expirant sur la croix pour vous ;
ce sera comme un cordial au milieu de l'affliction.
Appliquez-vous sa mort, enveloppez-vous de sa
justice ; ne doutez nullement ; plus vous
croirez, plus il sera glorifié par vous.
Revêtez-vous de toutes ses armes, de sa
patience, de sa douceur, de sa charité.
Revêtez-vous enfin du Seigneur Jésus,
et Satan sera brisé sous vos pieds.
Combattez d'un même courage pour la foi de
l'Évangile, n'étant en rien
épouvantés par les adversaires. Le
Seigneur saura garantir sa cause ; plus
l'ennemi fait d'efforts, plus vous devez vivre
près du Seigneur Jésus, qui est le
Pasteur de vos âmes ; étant
à l'ombre de sa houlette, l'ennemi ne vous
pourra rien.
Au moment où du Pontavice écrivait
la lettre qui précède, William Mahy
était encore à Beuville, où il
exerçait son humble ministère, autant
que le lui permettait sa santé
déjà très affaiblie. Nous
possédons les trois fragments qui suivent
des lettres que lui adressa du Pontavice, au cours
de l'année 1809. Dans une lettre en date du
18 février, après lui avoir
donné quelques détails sur la visite
qu'il venait de faire au Bocage, il ajoutait
(16) :
« Tous les anciens amis qui
m'ont parlé se sont informés de votre
santé et m'ont prié de vous faire
leurs compliments. Les amis recherchent le
Seigneur, et je me suis réjoui un moment
avec eux. Oh ! quand viendra le temps
où toutes les peines, les traverses et les
contrariétés de la vie auront pris
fin ? Quand viendra le temps où nous
serons délivrés de tous les maux qui
nous affligent ? O temps heureux et que nous
devons désirer ! Les afflictions
auxquelles nous sommes exposés sont pour moi
comme autant d'aiguillons pour me presser de courir
vers le but, et j'éprouve que ce n'est qu'en
courant la course qui nous est proposée que
nous pouvons trouver le doux repos pour nos
âmes ; car hors de Dieu tout n'est que
rongement d'esprit ».
Dans une autre lettre, dont la date est
perdue, il demandait à Mahy des nouvelles
d'un ami de Guernesey, qui, depuis 1803,
était en France, comme prisonnier de guerre
(17).
« Ce cher frère Marche,
écrit-il, son épreuve est bien dure
et bien longue ! Il est vrai que le Seigneur y
a pourvu, en lui accordant une multitude de
consolations. Quelle joie pour lui quand il reverra
sa patrie et ses frères ! Mais
quelle
joie ce sera pour nous quand nous reverrons, non
seulement nos frères en Jésus-Christ
ici-bas, mais encore ceux qui nous ont
devancés pour se réunir à
l'assemblée et à l'Eglise des
premier-nés ! Quelle joie quand nous
verrons Jésus lui-même dans le royaume
de sa gloire ! Quand je pense à ce
bonheur, je me dis à moi-même :
Quel ne doit pas être mon empressement !
Combien ne dois-je pas me réjouir de ce que
je ne dois jamais cesser d'exister, et
qu'après la mort mon âme doit aller
habiter les demeures éternelles, que notre
adorable Sauveur est allé préparer
pour nous !
« Je suis Votre
dévoué frère en
Jésus-Christ,
« Du PONTAVICE. »
Dans la lettre suivante, il donne à son ami quelques détails, qu'on aimerait plus copieux, sur son travail (18).
Bolbec, 22 juin 1809.
« Toutes choses dans mes
sociétés sont à peu
près dans le même état. Nous
avons ordinairement des assemblées fort
nombreuses. Le Seigneur me donne beaucoup de
liberté dans la prédication, et
même au delà de mes
espérances ; de sorte que je vois de
plus en plus qu'il m'appelle à cette
excellente oeuvre ; je n'en ai jamais eu le
moindre doute ; de plus je suis très
bien venu et fort bien reçu partout. On me
témoigne véritablement de
l'affection ; le Seigneur en soit béni,
car cela m'encourage beaucoup, et me cause bien de
la satisfaction, étant fort sensible aux
bons procédés que l'on a envers moi.
J'ai encore le contentement de voir que la paix
règne au milieu de nous.
« Aux fêtes de la
Pentecôte, M. Mordant, de Rouen, m'a
prié de venir l'assister, vu qu'il n'est pas
bien portant depuis longtemps. J'y ai donc
été, et j'ai prêché,
à la Pentecôte,
dans sa très grande Église, où
il y avait une assemblée de protestants et
de catholiques fort nombreuse. J'ai su depuis qu'on
m'avait approuvé. Dieu soit
béni ; car j'ai besoin de pareils
témoignages pour mon encouragement,
étant fort facile à
décourager. Je vois en cela la bonté
du Seigneur à mon égard. Avant de
venir en France j'avais reçu, et des amis et
des gens du monde, les plus grands encouragements,
et de plus, le Seigneur donna bien des sceaux
à mon ministère pendant le peu de
temps que je fus dans les Îles. Ici
même, il ne laisse pas mes
prédications et mes visites sans fruits.
Oh ! que Dieu est bon, et qu'il mérite
que nous le servions avec zèle !
Je me suis souvent proposé ces
paroles de notre Seigneur : Si quelqu'un me
sert, mon Père l'honorera. D'après
ces mots, qui sont plus fermes que le ciel et la
terre, nous sommes sûrs, tôt ou tard,
de voir du fruit de nos labeurs, si nous sommes
fidèles. Notre charge est grande ; si
nous nous en acquittons dignement, notre
récompense sera belle. Quelle gloire
d'être ambassadeurs de Christ ! Et qu'il
est beau de vivre dans la justice et dans la
sainteté ! Leurs fruits sont bien doux
à l'âme et répandent un grand
charme sur notre vie. Puisse le Seigneur nous en
nourrir continuellement !
« C'est et ç'a toujours
été mon désir que le Ciel
répande sur vous l'abondance de ses
grâces.
« Je suis avec affection votre
dévoué frère en
Jésus-Christ.
« Du PONTAVICE. »
Cette lettre fut probablement la dernière que du Pontavice écrivit à Mahy. L'état de santé de celui-ci s'aggrava rapidement et rendit nécessaire son départ pour son pays natal, et son internement dans une maison de santé, où il mourut en 1813, comme nous l'avons raconté dans l'Introduction à cet ouvrage.
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |