La situation d'un ministre de l'Évangile
en dehors des cadres officiels, délicate en
tout temps dans un pays fortement centralisé
comme la France, devait être
particulièrement difficile sous l'Empire, au
lendemain du jour où Napoléon crut
avoir rétabli la paix religieuse par le
Concordat et la loi de Germinal an X. L'empereur
n'eût pas vu de meilleur oeil
l'établissement d'églises
protestantes dissidentes, que le
rétablissement des congrégations
catholiques. Il voulait des ministres du culte,
qui, simples fonctionnaires d'ordre religieux,
tinssent de lui leur investiture et pussent
être brisés en cas de
résistance.
Les protestants, heureux de voir leur
religion élevée à la
dignité de religion reconnue, ne tarissaient
pas dans les louanges hyperboliques qu'ils
prodiguaient au chef de l'État, qui venait
de leur créer une situation qu'ils n'avaient
jamais eue, même sous le régime de
l'Édit de Nantes.
Ils ne pouvaient donc voir qu'avec
mécontentement une oeuvre
d'évangélisation indépendante
de leurs consistoires. Ne risquait-elle pas, le
jour où l'attention du pouvoir
s'arrêterait sur elle, de les compromettre
auprès du gouvernement ? À part
cette raison de prudence timorée, il y avait
aussi chez plusieurs, à l'égard de la
petite mission méthodiste, fondée en
1791 en Basse-Normandie, la résistance de
ceux qui dorment et veulent dormir à ceux
qui tentent de les réveiller.
Pierre du Pontavice, quoique
étranger, par ses origines religieuses,
à la situation très spéciale
du protestantisme français à cette
époque, se rendit compte assez rapidement
des difficultés qui l'attendaient, s'il
restait en dehors des cadres ecclésiastiques
officiels. L'oeuvre faite par Mahy avait sa pleine
approbation, et il était heureux de
travailler à côté de ce
vaillant champion de l'Évangile. Mais il n'y
avait guère place pour deux missionnaires
dans le champ limité qu'embrassait alors
l'oeuvre méthodiste en Normandie, et toute
entreprise nouvelle eût certainement
éveillé les susceptibilités
jalouses de l'administration impériale.
N'ayant d'ailleurs aucune objection de principes
contre les Églises reconnues par
l'État (pas plus que n'en avaient à
cette époque les méthodistes
anglais), il était disposé, si la
Providence lui ouvrait la voie, à accepter
un poste dans l'Eglise réformée. Il y
fut encouragé par Laurent Cadoret, le pieux
pasteur de l'Eglise de Luneray, avec lequel il
entretint dès lors des rapports intimes.
William Mahy lui-même comprit que
c'était là, pour son ami, la
meilleure voie à suivre. Le poste de pasteur
de l'Eglise de Condé-sur-Noireau
étant alors vacant, du Pontavice crut un
moment à la possibilité de s'y faire
nommer ; il eût pu de la sorte ne pas se
séparer des sociétés
méthodistes de la région, auxquelles
il était tendrement attaché. Mais les
anciens de l'Eglise réformée de
Condé, imbus de forts préjugés
contre les méthodistes, refusèrent
ses services. Il pensa alors qu'il pourrait, une
fois devenu pasteur officiel, ne pas prendre un
poste et continuer ses courses
d'évangélisation en Normandie. Mais
un appel pressant de quelques Églises du
pays de Caux, privées de pasteur, le
décida à s'y rendre.
La lettre suivante nous fait
connaître comment Pierre du Pontavice devint
pasteur de l'Eglise réformée, sans
cesser toutefois d'être missionnaire
méthodiste :
À MADAME MAHY, A BEUVILLE. (1)
Paris, 16 décembre 1805.
« J'ai attendu jusqu'à ce
moment pour vous écrire quelque chose de
positif sur ma situation. Gloire à
Dieu ! mon affaire est terminée avec un
parfait succès. Vous ferez part à nos
amis de ce qui suit :
« Le printemps dernier,
étant dans les environs de
Condé-sur-Noireau, je me trouvai fort
travaillé dans mon esprit, pensant qu'il
pourrait être pour la gloire de Dieu que je
fusse reçu ministre, selon l'usage
établi par la discipline
ecclésiastique des Églises
réformées de France. M. Cadoret me
dit, sans que je lui en eusse parlé, qu'il
serait très avantageux pour moi d'être
ainsi reçu. Quelques jours après, je
lui écrivis pour le prier
d'intéresser M. Mordant, ministre de Rouen,
en ma faveur, et moi-même j'écrivis
une lettre à ce pasteur, qui m'adressa aux
pasteurs de Paris, me donnant leurs adresses ;
j'écrivis à M. Rabaut,
législateur, membre de la Légion
d'honneur, et l'agent général de
toutes les Églises réformées
de France (2).
C'est lui qui présente au ministre des
cultes toutes les réclamations de ces
Églises ; le frère de ce
Monsieur, qui est ici pasteur (3), m'envoya
une lettre on ne peut plus honnête, me
disant que ses collègues, MM. Marron et
Mestrezat, avaient lu avec beaucoup
d'intérêt ma lettre, et qu'ils ne
pensaient pas pouvoir refuser ma demande, croyant
que ma vocation était de Dieu ; que je
pouvais aller à MM. Sabonnadière,
Mordant et Alègre, pour me faire examiner
par eux sur les différents points sur
lesquels on examine les candidats au
ministère, et après cela venir
à eux muni des attestations de ces
Messieurs, et qu'ils achèveraient ce qui
serait nécessaire pour ma promotion au
ministère. M. Sabonnadière m'a
comblé de politesse et d'amitié, et
après avoir eu des entretiens avec moi, m'a
donné les certificats les plus flatteurs et
les plus avantageux. M. Mordant m'a traité
comme si j'eusse été son frère
bien-aimé, m'a donné un certificat
extrêmement fort, et ne m'a quitté que
quand la diligence partit pour Paris ; car il
vint lui-même m'aider à faire mes
paquets, et me conduire à la voiture, me
comblant d'amitiés et faisant mille voeux
pour moi. M. Alègre, pasteur de Bolbec, ne
le céda en rien à tous ces messieurs,
et me traita en vrai frère. Il ne souffrit
pas que je fisse aucun repas à l'auberge.
Depuis longtemps, il m'a préparé un
lieu pour prêcher la Parole dans ce
canton.
« Muni des certificats de ces
messieurs, je viens à Paris, on me
reçoit avec affection, on m'examine, on me
donne des sujets à traiter, on me fait
prêcher en particulier, on m'examine sur la
théologie, on me reçoit en me
témoignant qu'on est très content et
très satisfait de moi. Hier, dimanche 15
décembre, j'ai reçu l'ordination avec
l'imposition des mains, et mercredi prochain
j'aurai mes lettres. Quand je considère
comme toute cette affaire a été
amenée, et qu'avec tout cela j'ai le
témoignage intérieur que la chose
vient du Seigneur, mon coeur se remplit de
reconnaissance et de joie. Il me faut maintenant
suivre le chemin que la Providence me trace. M.
Mordant m'attend à Rouen où il faudra
que je prêche, et M. Alègre m'attend à Bolbec,
où j'ai promis de prêcher. Dans les
environs de Bolbec et de Rouen, il y a beaucoup de
protestants qui veulent avoir un ministre, et qui
m'attendent ; ce pays en est plein, et leurs
assemblées sont nombreuses. M. Cadoret
demeure dans ces cantons ; ses
assemblées sont aussi très nombreuses
et il veut que je les visite quelquefois. Quand je
serai dans ce pays, je tâcherai de m'arranger
de manière à partager mon temps entre
eux et vous.
« O chers frères,
soeurs et amis, priez le Seigneur pour moi qui, au
milieu de toutes mes épreuves (car j'en ai
eu beaucoup dans cette ville) ne m'a pas
abandonné, mais, au contraire, s'est tenu
à mes côtés pour me conduire et
me consoler. Quel vaste champ m'est actuellement
ouvert ! Si j'étais un vaillant et
laborieux ouvrier dans la vigne du Seigneur, je
pourrais recueillir beaucoup de fruits. Je me sens
intérieurement plus à Dieu ; ma
réception a fait beaucoup de bien à
mon âme, je le sens, et c'est un
témoignage indubitable que c'était la
volonté du Seigneur.
« Quand votre mari sera de
retour, assurez-le de mon sincère
attachement, qui, je le pense, ne finira jamais,
pas même avec la vie. Témoignez
à nos amis mon amitié pour eux ;
dites-leur que je pense souvent à eux. Je
finis en souhaitant que le Seigneur vous comble de
ses grâces. »
Dès le 26 novembre 1805, le
Consistoire de Bolbec avait pris la
délibération qui suit
(4) :
« Le Consistoire,
« Considérant que le
nombre des fidèles et des communes
privés des avantages du culte est
très considérable ;
« Que leur éloignement
ne leur permet pas de profiter des services des
deux seuls
pasteurs accordés à cette
Église ;
« Que les protestants de ces
communes ont exprimé depuis longtemps le
besoin d'un pasteur et le vif désir de
l'obtenir ;
« Que M. Dupontavice-Vaugarni,
originaire de Fougères, département
d'Ille-et-Vilaine, distingué par ses
lumières, sa piété et sa vie
exemplaire, et muni de plusieurs suffrages
honorables, est disposé à se
consacrer au service de l'Eglise consistoriale. de
Bolbec.
« Arrête ce qui
suit :
« Art. 1er - Le Consistoire
adresse vocation à M. Dupontavice-Vaugarni,
afin que, d'après son consentement, il
exerce son ministère dans l'étendue,
de l'Église consistoriale de Bolbec.
« Art. 2. - Cette vocation
sera adressée, avec l'approbation de M. le
Préfet du département, à Son
Excellence le Ministre des Cultes, afin d'obtenir
de la justice et de la munificence de Sa
Majesté l'Empereur et Roy, la confirmation
de ladite vocation.
« Art. 3. - Le Consistoire,
honoré de plusieurs marques de la
bienveillance de Son Excellence M. le Ministre des
Cultes, et plein de confiance en sa sagesse, ose
attendre une réponse prompte et favorable
à sa demande. »
Un décret de l'Empereur, en date
du 31 janvier 1806, confirma la vocation que
l'Eglise de Bolbec avait adressée à
du Pontavice. À son retour de Paris, il
visita les Églises de Rouen et de Bolbec,
donna quelques jours à ses amis
méthodistes de Beuville et du Bocage, puis
se rendit à Fougères, pour y prendre
congé de sa famille. De là il
écrivit la lettre qui suit à Mme Mahy
(5) :
Fougères, 26 février 1806.
« Je n'ai mis que deux jours à
m'en aller de Caen à Fougères. Ce que
je vous disais relativement à ma vocation est
arrivé.
L'Empereur l'a confirmée le 31
janvier ; c'était trois ou quatre jours
après son retour à Paris ; ainsi
cela a été bien prompt. M.
Alègre
(6),
en me
l'écrivant, me presse de partir
sur-le-champ ; ce que je ne puis faire,
après avoir fait plus de soixante lieues
pour venir voir ma famille. Je viens d'arriver, et
si je repartais aussitôt, cela leur
paraîtrait bien étrange. D'ailleurs il
me serait difficile d'avoir un passeport si
promptement. Quand j'ai été me
présenter au sous-préfet, il m'a dit
qu'on lui avait écrit de Rouen, pour qu'il
leur annonçât mon
arrivée ; qu'il sait que j'avais eu des
difficultés, mais qu'on peut me rendre
justice, sachant que je ne suis point à
craindre (7). Quand il me faudra
repartir,
j'éprouverai peut-être encore des
contrariétés ; mais j'ai ma
confiance en Dieu qu'il me fera tout
surmonter.
« La tendresse que je ressens
pour mes parents est ce qui m'inquiète le
plus. Toutes les fois que je reviens à la
maison, c'est comme une plaie qui était
presque guérie, mais qui se rouvre et qui
saigne. Cependant, quand je considère la
bonté du Seigneur, son amour pour moi, le
bonheur ineffable qu'il nous prépare, le
grand honneur qu'il me fait de m'appeler à
prêcher l'Évangile, cela m'arme de
courage et me fait voir que tout ici-bas, biens,
honneurs, plaisirs, parents, amis, n'est rien en
comparaison des biens, des honneurs, des plaisirs
éternels, de l'amour de notre Père
céleste et de cette union spirituelle que
nous aurons avec son Église et avec tous les
esprits bienheureux dans la gloire. Si nous vivions
plus hors du monde et de nous-mêmes et comme
sur les bords de l'éternité,
cherchant à découvrir Dieu dans sa
gloire, environné de l'armée
céleste, nous désirerions davantage
d'entrer nous-mêmes dans
l'éternité, pour aller nous unir
à la multitude des esprits glorifiés,
afin de rendre honneur, louange
et gloire à Celui qui est assis sur le
trône et à l'Agneau.
« Je me trouve ici comme dans
un vaste désert. Assistez-moi par vos
prières ; priez Dieu qu'il me conserve
dans son amour, qu'il me remplisse des dons du
Saint-Esprit et qu'il m'ouvre la porte, afin que
j'aille bientôt aux lieux où le devoir
m'appelle. Oh ! qu'il est important que je
sois rempli dé la vertu d'En-haut, quand je
viendrai dans ces lieux où l'on
m'attend ! Si je ne regardais qu'à
moi-même, je serais bientôt
découragé, car mon incapacité
me paraît plus grande que jamais. Cependant
je mets ma confiance en Dieu ; j'espère
aller, en son nom et dans la puissance de sa force,
proclamer les bonnes nouvelles du salut.
« Saluez fraternellement tous
nos amis de ma part, et votre soeur. Puissent-ils
être tous embrasés de l'amour de Dieu
quand je repasserai, afin qu'ils me
réchauffent, et même qu'ils
m'enflamment !
« D. P. »
Dans le courant du mois de mars 1806, du Pontavice prit congé de sa famille et se mit en route pour Bolbec, en donnant quelques jours à ses amis de Beuville. Il eût désiré visiter également ceux du Bocage ; mais le temps était court, et il dut se borner à leur écrire.
À MONSIEUR DE LA FONTENELLE, A FRESNE (8).
Beuville, 26 mars 1806.
« Mon très cher et
bien-aimé frère en J.-C.
« J'aurais bien
désiré passer par votre pays, pour
avoir le plaisir de vous voir ; mais ce qui
m'en a empêché, c'est
premièrement que je suis fort pressé
de me rendre au lieu de ma destination.
Secondement, la peine et l'embarras où je me
serais trouve, de vous annoncer que Dieu avait
disposé de moi autrement que je ne me
l'étais proposé.
« Quand je pris le parti de me
faire admettre au ministère, par Messieurs
les pasteurs de Paris, je désirais ne
prendre aucune place pour avoir toute
liberté de venir vous visiter ; mais le
Seigneur a conduit les choses d'une autre
manière. Je n'ai point demandé de
place, et cependant, à mon arrivée
à Paris, on m'a dit qu'il y avait des
églises qui depuis longtemps
m'étaient destinées, et où
l'on m'attendait avec empressement. Pendant mon
séjour à Paris, des églises du
pays de Caux m'ont adressé une vocation, qui
fut envoyée an ministre des cultes, et, peu
de temps après, cette vocation fut
confirmée par l'Empereur. Après cette
confirmation, le pasteur et les protestants des
environs de ces églises, sans aucune demande
ni démarche de ma part, m'ayant
invité très fortement à venir
parmi eux, j'ai pensé qu'il ne
m'était pas possible de refuser, et une
multitude d'autres circonstances m'ont fait croire
que c'était la volonté du Seigneur
que j'allasse dans ce pays, et que je ne pouvais
m'y refuser sans désobéir à
Dieu. Je prévoyais la peine que cela vous
causerait, ainsi qu'à tous mes amis ;
mais enfin nous devons marcher dans le chemin que
le ciel nous trace, renoncer à
nous-mêmes, à notre famille, à
tous nos amis, à toutes choses, pour faire
la volonté de Dieu.
« Je me suis, vous le savez,
proposé aux protestants de votre pays pour
leur prêcher la Parole, avant de me faire
confirmer dans le ministère
évangélique ; ils ont
persisté à rejeter l'offre que je
leur faisais. Il m'aurait été bien
agréable d'être leur ministre, parce
que cela m'aurait procuré le plaisir
d'être avec vous, et de plus je le
désirais ardemment, souhaitant beaucoup le
salut de leurs âmes ; mais n'ayant pas
alors réussi, et trouvant des églises
qui désiraient vivement que j'allasse leur
annoncer l'Évangile, il
m'a paru manifeste qu'il fallait enfin tourner mes
pas vers ceux qui me pressaient tant de venir parmi
eux. Mais si je n'ai pas le plaisir de vous voir,
de vous parler du Seigneur Jésus, je me
propose, si cela vous est agréable, de vous
écrire de temps en temps, pour me
dédommager du plaisir de nous entretenir
ensemble de Celui que nous aimons.
« O mon cher frère,
j'éprouve que Jésus est tout
aimable ! Il fait tout mon bonheur, toute ma
consolation ; mon regret, c'est de ne pas le
connaître davantage. J'espère que vous
et nos amis vous faites de Sion le principal sujet
de votre réjouissance. Oh ! priez pour
la paix de Jérusalem ! car dans sa paix
vous trouverez aussi votre paix.
Réjouissez-vous dans le Seigneur ;
réjouissons-nous tous ensemble dans l'espoir
d'être un jour réunis dans la maison
de notre Père céleste. Adieu.
« Présentez mes
amitiés à votre épouse et
famille, de même qu'à tous nos amis.
Si je suis absent de corps, je suis présent
avec eux en esprit. Faites part de ma lettre aux
amis des autres paroisses, quand vous aurez
l'occasion de les voir et faites leur mille
amitiés de ma part.
« Du PONTAVlCE. »
Il arriva à Bolbec le 2 avril, et,
dès le dimanche suivant, prêcha dans
cette église pour M. Alègre
empêché. Le 10, il écrivait
à son ami le pasteur Laurent Cadoret, de
Luneray :
« M. Alègre ayant
été malade, j'ai prêché
pour lui le Vendredi-Saint et deux fois le dimanche
de Pâques. J'espère que vous me ferez
le grand plaisir de venir à Autretot, quand
j'y serai installé. Vous me devez
cela ; c'est vous qui le premier avez mis la
main à cette entreprise, que je vois si
heureusement amenée à sa fin. Il faut
que votre présence couronne l'oeuvre ;
il faut que, par vos ardentes
prières, vous imploriez le Seigneur de O mon
cher frère, que mon coeur est
reconnaissant ! Que je remercie Dieu de
m'avoir ouvert, par votre moyen, un champ vaste
pour y répandre la semence incorruptible de
sa Parole ! Il me faudrait à
présent être plein de son Esprit.
Unissons-nous et, par nos prières, luttons
avec Dieu, et ne le laissons pas aller qu'il ne
nous ait bénis. Nous pouvons faire un bien
infini. Réjouissons-nous de ce que le
Seigneur nous a envoyés dans sa moisson et
travaillons avec ardeur.
« M. Alègre vous fait
bien ses amitiés. C'est un confrère
agréable ; il a d'excellentes
qualités ; il est pour moi comme un
ange tutélaire ; il dispose, il arrange
tout dans les sociétés qui vont
être confiées à mes soins. Il
m'instruit, me dirige et m'enseigne. Il me semble
voir en tout cela la main de Dieu d'une
façon bien remarquable.
« Dimanche prochain est le
jour de mon installation à Saint-Antoine
(9). »
Sur cette installation de du Pontavice
à Saint-Antoine-la-Forêt, l'une des
paroisses qu'il allait desservir, les registres du
Consistoire de Bolbec renferment la mention
suivante, en date du 22 avril 1806
(10).
« M. Alègre, pasteur
président, a ouvert la séance par la
prière d'usage. Ensuite il a
dit :
« Que la prestation de serment
et l'installation de M. Dupontavice, pasteur, ayant
eu lieu dimanche treize du courant, d'après
une lettre du Ministre des Cultes, qui annonce que
ce pasteur a été confirmé par
Sa Majesté le trente-un janvier dernier, et
une autre lettre de M. le Maire de cette commune,
qui porte qu'il est chargé de recevoir le
serment dudit pasteur, au nom de M. le
Préfet, de quoi il nous a
remis le procès-verbal, après que la
cérémonie a eu lieu ; et qu'il
proposait en conséquence d'en faire
mention.
« Le Consistoire approuve
cette proposition et ordonne la mention sur ses
registres.
« De plus, l'installation de
M. Dupontavice par le Président, dans
l'Eglise de Saint-Antoine, ayant eu lieu le
même jour 13 du courant et avec les
mêmes formalités religieuses que
celles du pasteur de Montivilliers, le Consistoire
en arrête aussi la mention sur ses
registres. ».
L'installation de du Pontavice à
Autretot, une autre des églises qu'il devait
desservir, eut lieu quinze jours plus tard, le 27
avril. En pressant de nouveau son ami Cadoret d'y
assister, il lui disait :
« J'aurais bien du plaisir
à vous voir : que de choses
n'avons-nous pas à nous dire ! Je sens
un peu combien l'oeuvre du ministère
évangélique est importante. Mon
âme s'élève à Dieu par
des soupirs et des prières, pour lui
demander sa divine assistance. Je sens dans mon
coeur une portion de sa grâce, je trouve en
moi sa paix, son amour et les consolations de son
Esprit, avec un peu de charité Pour mon
prochain ; puisse le Seigneur l'augmenter de
plus en plus ! Il est prêt à nous
donner la vertu nécessaire. Luttons avec lui
comme Jacob, et il nous bénira.
« Comment les choses
vont-elles dans vos cantons ? Les esprits
sont-ils bien disposés à recevoir la
Parole ? Vous trouvez-vous heureux au milieu
de votre troupeau ? Que le Seigneur
répande à pleines mains ses
bénédictions sur vous
(11) ! »
Quand son installation fut
achevée dans les diverses églises qui
composaient sa vaste paroisse, du Pontavice fit
part à ses amis
méthodistes de Beuville de sa situation et
de ses impressions
(12).
À WILLIAM MAHY, MISSIONNAIRE
MÉTHODISTE, A BEUVILLE
Bolbec, 6 mai 1806.
« Mon très cher
Frère,
« J'ai reçu avec bien
du plaisir votre lettre du 2 avril ; je vais
vous raconter en peu de mots comment mes affaires
vont ici. Oh ! qu'il faudrait arracher de
ronces et d'épines pour que le sol qu'on me
donne à cultiver pût produire du
fruit ! Le dimanche après Pâques,
je prêtai le serment de
fidélité à Sa Majesté,
dans le temple de Bolbec, en présence du
Maire, qui représentait le
Préfet ; après quoi je
prêchai sur ces paroles : La
piété est utile à toutes
choses, ayant la promesse de la vie présente
et de celle qui est à venir. (1 Tim.
4 : 8). Il y avait une grande multitude, et
j'éprouvai l'assistance de Dieu. Je me
rendis ensuite dans la commune où je devais
être installé dans notre petit temple.
M. Alègre, après avoir lu la lettre
du ministre des cultes, qui lui annonçait
que Sa Majesté avait confirmé ma
vocation, et une lettre du Préfet à
ce sujet, fit un discours sur ces paroles :
Que les pieds de ceux qui annoncent la paix sont
beaux, de ceux, dis-je, qui annoncent de. bonnes
nouvelles ! (Rom. 10 : 15). -
Après m'avoir recommandé à la
Société, et avoir fait mon
éloge assez pour me rendre confus, il me fit
quelques demandes et puis il me présenta au
peuple comme son pasteur, et me le
présentant comme mon troupeau, il me donna
la main d'association, etc. Alors je montai en
chaire, fis la prière, et après le
chant d'un psaume, je congédiai
l'assemblée.
« Le dimanche suivant, je
revins dans cette commune prêcher mon sermon
d'entrée, et le Seigneur m'assista, surtout
l'après-midi. Je
me suis aussi occupé à les organiser.
Ces pauvres gens sont véritablement comme
des brebis errantes et sans pasteur : un grand
nombre pendant la Révolution, et même
les plus zélés, avaient
abandonné tout. ils sont devenus si froids,
si indifférents, qu'il ne sera pas facile de
les ramener tous. Il faudra du temps avant que
l'ordre soit bien rétabli. Il y en a
cependant plusieurs qui sont assez bien
disposés, mais en général ils
n'ont aucune idée du service de Dieu.
Ah ! mon frère, quelle grâce il
me faudrait !
« Pendant mon absence, un des
habitants de cette commune ayant écrit au
maire de ma ville, le maire lui a dit ce
qu'était ma famille, et que pour moi
j'étais méthodiste. Ils ont
demandé à M. Alègre ce que
c'était ; il leur a répondu que
piétiste, méthodiste, etc., que tous
ces noms-là ne signifient rien, pourvu qu'on
soit avancé dans la sanctification, et qu'il
voudrait bien être tel que moi. Quand on a su
ici que j'avais été catholique, cela
a fait beaucoup de rumeur, même parmi les
Romains, et plusieurs protestants sont venus en
parler à M. Alègre. Mais ce cher
Monsieur leur a toujours fait mon éloge
d'une manière si forte, qu'il a
dissipé les préjugés. J'ai
été voir celui qui a écrit au
maire de ma ville ; c'est un des principaux,
et qui a la confiance du plus grand nombre :
il m'a très bien reçu, et le Seigneur
m'a remis dans ses bonnes grâces.
« Dimanche 27 avril, j'allai
à Autretot. M. Mordant et M. Cadoret s'y
trouvèrent. M. Mordant prêcha et
m'installa ; la cérémonie fut
touchante. C'est le lieu de sa naissance, sa
famille y demeure, et j'étais logé
chez son frère. Cette société
lui est très chère ; il fit
mention de ces choses, ce qui fit répandre
des larmes. Après midi, je prêchai sur
ces paroles : Un semeur sortit pour semer,
etc. - Je ressentis la vertu de l'Esprit divin. En
descendant de la chaire, une femme
âgée m'embrassa,
les larmes aux yeux, me disant que maintenant elle
mourrait contente, après avoir entendu les
choses qu'elle venait d'entendre. Elle priait Dieu
que la divine semence produisît du fruit en
abondance, car, disait-elle, elle est si
étouffée dans les coeurs. Un homme
aussi m'embrassa, m'appelant son digne pasteur. M.
Cadoret me dit que M. Mordant était
très content ; aussi il m'embrassa et
me fit son compliment.
« Le frère de M.
Mordant est un brave et digne homme ; il me
dit aussi que mon sermon lui avait fait bien du
plaisir. Sa femme pareillement a d'agréables
dispositions, et le matin avant de partir, parlant
avec elle, elle répandit beaucoup de larmes.
Je venais de faire la prière chez une jeune
personne dont la mère était venue me
chercher, parce qu'on allait faire
l'opération à sa fille qui est
hydropique ; toute la famille était
assemblée et quelques voisins. Ce fut, je
pense, un temps de bénédiction ;
il y eut des larmes répandues. La jeune
fille est bien disposée ; sa patience
et sa résignation sont bien grandes ;
je crois que le Seigneur la bénit et la
bénira. Elle avait retardé
l'opération jusqu'à ce jour, afin de
pouvoir aller au temple le jour de mon
installation. Le voyage d'Autretot m'a donné
de la satisfaction. Ah ! si j'étais un
autre homme !
« M. Cadoret m'a prié
d'aller prêcher chez lui à mon
prochain voyage ; j'irai aussitôt que je
pourrai. M. Fallot, pasteur de Montivilliers, est
venu à Bolbec me voir. Sa conversation
m'étonnait ; il parlait beaucoup du
spirituel ; il disait que le spirituel est
tout ; et après cela il dit d'autres
choses qui font voir que le voile n'est pas encore
ôté de dessus son coeur :
cependant sa conversation m'a fait plaisir. J'irai
bientôt dans son temple. Il est du pays de M.
Nardin, de la principauté de
Montbéliard. Il estime fort ses
sermons ; il dit que M. Nardin était un
grand théologien, qui était Morave,
et que M. Duvernoy, qui a fait imprimer ses
sermons, comme vous pouvez le voir dans la
préface, est encore
vivant ; qu'il est aussi Morave, ayant
marché sur les traces de M. Nardin, qui
était son oncle ; que c'est un
vieillard très respectable, âgé
de 95 ans, et qu'il prêcha encore il y a deux
ans son sermon d'adieu à son
église ».
Il écrivait au même ami,
à la date du 18 mai
(13).
« J'ai parcouru mes campagnes
hier toute la journée ; il y a
maintenant un grand bruit parmi le peuple ; on
s'est entretenu de ce que j'ai dit ; on a
consulté le livre de la Discipline
ecclésiastique, on a cherché dans les
Saintes Écritures, et tous conviennent que
je n'annonce que ce qui est écrit. Cependant
les uns blâment, mais aussi beaucoup d'autres
approuvent, et disent que je prouve tout ce que
j'annonce par la Parole de Dieu. Il paraît
que mes anciens sont résolus
d'obéir ; les principaux ont dit qu'ils
le feraient. Ah ! priez le Seigneur pour
moi ; voici un moment critique. L'attention de
tout le peuple est maintenant
éveillée ; ils sont comme des
personnes réveillées d'un profond
sommeil par un grand bruit, et qui écoutent
pour savoir ce que c'est et ce qui va arriver. Avec
quelle attention ils m'écouteront la
prochaine fois ! comme ils pèseront et
considéreront toutes mes
paroles !
« Le monsieur qui avait
écrit dans mon pays, qui est l'oracle de mon
arrondissement, et qui certainement a de l'esprit
et de l'instruction, est du nombre de mes
anciens ; il m'écoute et me suit dans
tous mes discours, il pèse tout ce que je
dis avec une attention toute
particulière ; j'en ai
été informé. Oh ! priez
le Seigneur en particulier avec nos amis pour que
son coeur soit vraiment touché. S'il se
convertissait, je crois que la plus grande partie
serait entraînée par son
exemple : il a déjà dit qu'il
ferait ce que j'avais représenté.
« Le monsieur et la dame qui
ont fait bâtir le temple où je
prêche avaient coutume d'envoyer sur un
cheval du lait pour vendre à la ville le
dimanche ; ils ont dit aussi qu'ils ne le
feront plus. Si le peuple voulait observer le jour
du repos, le Seigneur répandrait de grandes
bénédictions sur nos
assemblées.
« J'ai trouvé, dans une
de mes communes de cet arrondissement, un ancien
israélite qui craint l'Éternel et qui
le sert ; il m'encourage beaucoup ; il se
réjouit de ma venue et m'annonce de la
prospérité. Il voudrait que je le
visitasse toutes les semaines. Quand j'y vais, nous
chantons ensemble et je fais la prière avant
de le quitter. Il m'est déjà un grand
soutien et me fait connaître l'esprit du
pays. À présent que l'attention est
réveillée, je crois que le temps est
bien favorable pour mettre tout à fait
à découvert les grandes
vérités de notre sainte religion. Il
faut que le peuple les entende ; s'il ne les
comprend, il ne verra pas que son état est
mauvais, et il ne cherchera pas la grâce du
Seigneur Jésus-Christ. Donnez-moi des
conseils sur toutes ces choses ».
La lettre qu'on vient de lire suffirait
à montrer que du Pontavice apportait un
esprit nouveau dans le corps pastoral de l'Eglise
réformée, l'esprit de réveil
dont il avait subi la puissante influence dans ses
rapports avec le méthodisme. Tandis que la
plupart de ses collègues se contentaient de
demander à leurs ouailles
l'honnêteté et la moralité, il
leur prêchait la conversion. Il ne se faisait
pas d'illusions sur l'état religieux de ceux
dont il était le pasteur, et il travaillait
à faire naître en eux le sentiment du
péché et le besoin du pardon. Sa
prédication, qui contrastait si fort avec
les sermons de l'époque, et ses
conversations, où l'homme du monde
disparaissait pour faire place au pasteur,
produisirent une vive sensation. Il se rendait
compte que « le moment était
critique », et il décrit, en
termes frappants, ses auditeurs comme
« des personnes qui
seraient réveillées d'un profond
sommeil par un grand bruit et qui écoutent
pour savoir ce que c'est et ce qui va
arriver ».
Sur la forme comme sur le fond de la
prédication, il conserva le caractère
simple, direct et biblique de la prédication
méthodiste, et il ne sacrifia jamais
à la rhétorique grandiloquente et
déclamatoire qui était alors à
la mode. Il est curieux de lire la façon
dont son collègue Alègre jugeait sa
manière de prêcher.
« À la
vérité, il avait une manière
particulière de composer. Il se bornait
à bien méditer, à bien diviser
son sujet, sans s'assujettir à écrire
ses sermons et à les apprendre. Il avait
été formé à cette
méthode ; et, d'après les
exemples nombreux qu'il avait vus, il la croyait
préférable. Il est vrai que son style
et son langage laissaient quelque chose à
désirer ; mais les pensées
étaient toujours sages et adaptées au
sujet, et j'ai plus d'une fois
éprouvé une satisfaction
particulière du compte qu'il me rendait par
amitié de ses prédications. Aussi
étaient-elles simples, pleines d'onction et
souvent accompagnées de beaucoup de
succès. Elles étaient surtout
remarquables en ce qu'elles étaient pleines
de la Parole de Dieu, que ce digne pasteur
possédait au point de pouvoir citer, selon
l'usage de ses maîtres, les chapitres et les
versets. Il ne faut pas en être surpris.
Cette lecture faisait ses délices, sa plus
douce occupation ; et il s'y livrait au
moindre loisir. Il n'était pas non plus
étranger aux langues et aux connaissances
humaines. Mais il avait surtout une grande
expérience des hommes et des choses, et un
art particulier de connaître les
caractères ; ce qui faisait qu'il
apportait dans l'exercice de ses fonctions
pastorales une dextérité et une
prudence accompagnées de beaucoup de
succès » (14).
Cette impression faite par la
prédication de du Pontavice sur un de ses
collègues, qui paraît avoir
cultivé un tout autre genre, méritait
d'être citée. Mais il est plus
intéressant de l'entendre lui-même
formuler ses principes sur la matière, dans
une lettre à son collègue Cadoret,
qui lui avait demandé son avis et fait part
de son expérience sur la méthode
à choisir pour donner à la
prédication toute son
efficacité.
Au PASTEUR CADORET, A LUNERAY
Bolbec, 3 juin 1806 (15).
« Très cher
frère,
« Quant à ce que vous
me dites au sujet de la prédication, je suis
parfaitement d'accord avec vous ; il y a
déjà bien des années que le
Seigneur m'a fait connaître que la sagesse
des hommes n'est que folie devant Dieu, et que
l'éloquence humaine n'a jamais converti une
seule âme. Il est bien vrai que les hommes
peuvent, par la fertilité de leur
imagination, par la vivacité de leur action
et par une chaleur dans leur déclamation
purement charnelle, exciter l'attention,
émouvoir et même arracher des
larmes ; mais qu'est-ce que tout cela
lorsqu'il n'est pas produit par la
grâce ? Ces larmes ne sont que comme la
rosée du matin qui sèche
aussitôt que le soleil commence à
luire. Les passions ont bientôt
détruit ce qui n'était que l'ouvrage
de l'homme. De plus, ces larmes sont de la
même nature que celles que de vils acteurs,
sur un théâtre, arrachent à la
multitude.
« O mon cher
frère ! nous ne pouvons trop veiller
sur nous-mêmes, afin de ne pas nous laisser
entraîner par le goût corrompu du
siècle. Les hommes n'ont plus guère
d'attachement pour la vérité, quand
elle se montre dans toute sa
simplicité : ils sont pour la plupart
comme ces Juifs orgueilleux qui
attendaient un Messie entouré de
l'éclat et de la gloire des
conquérants du monde ; et Jésus
ayant apparu sous la forme d'un serviteur,
condamnant leur orgueil et leurs vices, il fut
rejeté. Le disciple n'est pas au-dessus du
Maître ; nous devons nous attendre que,
si nous marchons sur ses traces, foulant aux pieds
l'orgueil de ce monde et prêchant un
Jésus crucifié, ceux qui ne se
rangeront pas sous l'étendard de la croix ne
goûteront point notre doctrine ; notre
prédication pourra même leur
paraître une folie et les scandaliser, tandis
qu'elle sera accompagnée de la puissance de
Dieu pour le salut de ceux qui croient.
Combien de fois n'ai-je pas
déjà éprouvé que toute
notre capacité vient de Dieu !
Plusieurs fois je suis monté en chaire,
ayant un sujet bien étudié, bien
préparé dans ma tête, comme
s'il eût été écrit. Eh
bien ! en débitant mon discours je ne
sentais point cette grâce et cette force
divines que je désirais, tandis que j'ai
éprouvé souvent, lorsque je ne savais
pas ce que je pourrais dire en chaire, ni comment
faire pour prêcher, que c'était
là le temps où je prêchais avec
le plus de grâce, le plus de facilité
et la plus grande vertu ; je sentais les
esprits fléchir sous la parole et les
idées et les paroles me venaient sans
interruption, comme les flots de la mer. Cela m'a
quelquefois tenté à ne pas
étudier mon sujet ; il m'est même
parfois arrivé de céder à
cette tentation, et quelquefois, en le faisant,
j'ai trouvé une vertu toute
particulière ; cependant il vaut mieux
ne pas le faire. Il est bien vrai que les
apôtres n'étudiaient pas leurs sujets,
mais ils avaient une assistance extraordinaire, et
pour nous qui sommes sous une dispensation
inférieure, je crois qu'il est de notre
devoir d'étudier nos sujets ; mais en
même temps nous devons bien nous garder de
nous reposer sur nos efforts ou sur notre
étude. Je suis bien convaincu,
d'après mon expérience, que si nous
nous abandonnions, après nos
méditations, entre les
mains du Seigneur, ne cherchant point la gloire des
hommes, mais la gloire de Dieu et le salut des
âmes, nos sermons feraient incomparablement
plus de fruit. Nous devons aussi éviter ces
mots élégants et ces expressions
recherchées qui chatouillent les oreilles
des auditeurs ; nous ne pouvons être
trop simples, pourvu que nos idées soient
bien exprimées, et nos termes assez
décents pour ne pas choquer les oreilles.
Ceci vous fera voir que vos sentiments et les miens
sont les mêmes à ce sujet.
« Quand j'ai entendu
répéter plusieurs fois qu'il ne
fallait pas prêcher souvent sur le dogme,
mais bien sur la morale, cela me faisait beaucoup
de peine. On pourrait comparer tous les
prédicateurs de morale à des hommes
qui auraient de mauvais arbres dans leurs jardins,
et qui, pour leur faire produire de bons fruits, se
borneraient à les émonder
quelquefois, et à engraisser leurs racines.
Leur travail serait inutile, leur temps perdu et
leurs arbres ne produiraient que de mauvais fruits,
parce qu'il faudrait les enter pour leur en faire
produire de bons. Ainsi font ceux qui ne
prêchent que la morale ; tandis qu'ils
cherchent à retrancher. un vice, un autre
reparaît, et leur travail n'aboutit à
rien, parce qu'ils ne cherchent pas
premièrement à enter le
pécheur sur l'olivier franc, qui est
Jésus-Christ. Prêchons, mon
frère, prêchons le dogme, quoi qu'on
en dise : on en a peut-être rarement eu
aussi grand besoin qu'à présent. La
plupart des hommes ne font-ils pas consister la
religion dans la pratique d'une morale
sèche, stérile, et même souvent
inférieure à celle des
païens ? Où sont ces
chrétiens qui, par la foi en
Jésus-Christ, ayant trouvé la paix de
Dieu qui surpasse toute intelligence, se
réjouissent d'une joie ineffable et
glorieuse, qui abondent en espérance par la
puissance du Saint-Esprit ? Où sont les
chrétiens qui vivent dans une étroite
communion avec Dieu, qui ont été
illuminés, qui ont goûté le don
céleste, qui ont été faits
participants du Saint-Esprit,
qui ont goûté la bonne Parole de vie
et les puissances du siècle à
venir ?
(Héb.
6 : 4, 5).
Où sont les chrétiens qui sont venus
à la montagne de Sion, à la
cité du Dieu vivant, à la
Jérusalem céleste, aux milliers
d'anges ? etc.
(Héb.
12 : 22-24.)
Où sont enfin ceux qui sont
fondés et enracinés en Christ, et
remplis de la plénitude de Dieu ? Or,
qui est-ce qui produit ces choses en nous, n'est-ce
pas la prédication de la foi et non de la
loi ? N'avons-nous pas vu tous les deux, dans
les pays où nous avons été,
les prédicateurs de la loi prêcher
sans fruit leur petite morale sèche et
vide ? Et n'avons-nous pas vu à la
prédication de la foi les pécheurs
sortir du vice et aller se laver dans le sang de
Christ, pour être ensuite revêtus de la
justice, et pour marcher dans les sentiers de la
vertu, accomplissant leur sanctification dans la
crainte du Seigneur ? Quelle est donc et
l'ignorance et l'erreur de ceux qui voudraient que
nous prêchassions à des
pécheurs endurcis de la même
manière que nous le ferions à des
hommes convertis, leur enseignant à marcher
dans les bonnes oeuvres que Jésus-Christ a
préparées pour eux !
Convertissez-vous et croyez à
l'Évangile, voilà ce qu'il nous faut
leur prêcher.
« Si mon papier n'était
rempli, je vous marquerais un peu quelle est mon
expérience ; ce sera pour une autre
fois. Présentez mes respects à Madame
Cadoret, et croyez aux sentiments avec lesquels je
suis
« Votre frère en
Jésus-Christ,
« DU PONTAVICE ».
Du Pontavice avait des idées très arrêtées sur la prédication et sur l'exercice du ministère ; mais il avait surtout une piété personnelle intense, qui souffrait de trouver si peu de communion fraternelle tant chez les fidèles qu'auprès de ses collègues, un seul excepté, l'excellent Cadoret. Sa profonde humilité le portait toutefois à considérer ses frères comme plus excellents que lui-même. Voici, par exemple, comment il annonçait à ses paroissiens d'Autretot la visite de son collègue de Montivilliers :
Bolbec, 16 juillet 1806 (16).
« Messieurs et très chers
frères. - Vous allez donc avoir l'avantage
de posséder M. Fallot dimanche prochain. Je
ne vous écris pas cette lettre pour vous le
recommander : ce digne pasteur porte avec
lui-même sa recommandation, et d'ailleurs
votre attachement à l'Évangile est
tel, que ceux qui viennent vous l'annoncer peuvent
être assurés d'être bien
reçus de votre part : je parle
d'après l'expérience. Ce qui me reste
à souhaiter, c'est que le Seigneur
répande abondamment ses
bénédictions sur vous, et que la
visite de M. Fallot soit infiniment avantageuse
pour le salut de toutes vos âmes.
Je désire si sincèrement
et avec tant d'ardeur votre avancement spirituel,
que je serais bien content de trouver, toutes les
fois que je me rends au milieu de vous, des
serviteurs du Seigneur pleins de zèle et de
foi, pour occuper la chaire que vous m'avez
présentée, afin de me tenir à
leurs pieds, comme Saul aux pieds de Gamaliel, pour
être instruit avec vous dans les
mystères du royaume des cieux. Je
désire que Dieu fasse la grâce
à tous nos frères d'Autretot de
tâcher de recueillir de la prédication
de M. Fallot des fruits en abondance, pour avoir la
satisfaction, quand je retournerai vers vous, de
pouvoir partager avec eux, en qualité de
frère, les fruits de l'arbre de
vie. »
Ses lettres à Cadoret montrent
avec quel bonheur il savait épancher son
coeur dans celui d'un ami chrétien. Il le visita
vers la fin de
l'été de 1806, et voici la lettre
qu'il lui écrivit, une fois rentré
chez lui :
Bolbec, le 12 septembre (17).
« Mon très cher frère,
que la grâce et la paix soient avec vous,
avec votre aimable compagne et avec vos jolis
petits enfants ! Le temps que j'ai
passé sous votre toit m'a paru bien
court ; il a été un des plus
agréables moments que j'ai eus, depuis que
je suis séparé de mes frères
qui connaissent le Seigneur Jésus-Christ en
vérité.
« Il me serait bien avantageux
d'habiter près de vous ; mais puisque
la Providence en ordonne autrement, il faut que je
dise : Ta volonté soit faite. Je serais
bien aise, si vos occupations le permettaient, que
vous m'écrivissiez souvent. Nous pourrions
nous communiquer ce qui se passe dans nos
Églises, quel succès, quel effet a
notre ministère, et notre expérience
dans les choses divines : cela nous ferait
beaucoup de bien à tous les deux. Il serait
à désirer qu'une pareille
correspondance fût établie entre tous
les pasteurs : ce serait un moyen de nous
provoquer à la foi, à la
charité, aux bonnes oeuvres ; de nous
aimer tous, d'exciter le zèle et l'ardeur au
service de Dieu, par son assistance.
Malheureusement les ministres de nos jours se
tiennent trop à part. Ils n'offrent point ce
corps, qui, comme dit saint Paul (Col. 2 :
19), « bien joint par la liaison de ses
parties, tire ce qui le fait subsister, et
reçoit son accroissement de
Dieu ». Nous sommes comme un corps dont
les membres sont divisés, et qui, par
conséquent, ne peut avoir ni force ni vie.
Si nous retenions tous le Chef, qui est
Jésus-Christ, nous serions bientôt
tous un en lui. Pour nous deux, mon cher
frère, unissons-nous de plus en plus par les
doux liens de la charité,
nous aidant mutuellement par nos prières,
par nos conseils, et par le récit de nos
expériences.
« À mon retour à
Bolbec, M. Alègre et sa femme m'ont
reçu de la manière la plus
cordiale ; je sentais cependant encore un vide
en moi, n'étant plus avec vous. Vous savez
qu'ici, quoique l'on me traite en frère, je
ne puis encore ouvrir entièrement mon
coeur : ainsi je suis privé de ces doux
épanchements d'un coeur chrétien dans
le coeur d'un vrai frère, ce qui est le plus
grand charme de la vie. Car c'est dans ces doux
épanchements que l'on goûte toute la
douceur de la communion des saints. On n'a pour
lors qu'un amour, on n'est qu'une même
âme. On trouve du soulagement dans la
charité, des compassions, des affections
cordiales. Cependant j'ai eu, depuis mon retour de
Luneray, des conversations précieuses avec
M. Alègre touchant la piété,
et je vois qu'elles atteignent son coeur. Je
n'osais lui demander de faire la prière en
famille ; mais lui et sa femme me firent
beaucoup d'instances pour la leur faire : vous
voyez combien je suis faible.
« Dimanche, j'ai
prêché à Saint-Antoine et
à la Remuée, avec une grande
assistance de Dieu. La Parole avait du poids, elle
atteignait les coeurs. Lundi, j'ai reçu une
lettre d'une personne qui me priait de venir la
voir, pour la fortifier dans le dessein qu'elle
avait formé d'abandonner ses
péchés, et pour la consoler ;
car ses péchés l'effrayaient J'y suis
allé, et cette personne, en répandant
des larmes, m'a raconté comme elle se
repentait et désirait se consacrer au
Seigneur. Elle a quitté ses compagnies
mondaines pour rester seule chez elle à lire
la Parole de Dieu. Quand elle sort, elle va chez un
voisin qui tâche de servir le Seigneur
Jésus avec sa famille, et avec un jeune
garçon dont le Seigneur a aussi
touché le coeur. Sa conversation m'a
charmé ; j'ai vu avec joie l'oeuvre de
Dieu bien commencée en elle ;
déjà, à ma grande surprise, elle
commence
à parler le langage de Canaan.
« O mon frère !
prenons courage, vivons près du Seigneur, et
nous verrons les fruits de notre ministère.
La Parole de Dieu ne peut manquer d'avoir de
l'effet. Je vous recommande beaucoup la lecture des
livres sacrés ; tâchez
d'apprendre par coeur les passages qui vous
paraissent les plus nécessaires à
savoir, afin de vous en servir à propos dans
l'occasion. C'est une aide à prêcher
d'abondance. »
Il écrivait au même,
à la date du 29 décembre
(18) :
« Ne m'accusez pas de
négligence si j'ai été si
longtemps sans vous répondre. Je sais que
vous êtes fort occupé, ayant un
nombreux troupeau à conduire, et la
construction de votre temple à diriger. Je
pense que vous soupirez beaucoup après la
prospérité de Sion, et que vous
désirez ardemment de voir Jérusalem
remise dans un état renommé sur la
terre. Il y a encore bien du travail à faire
avant que les places et les brèches soient
rétablies ; cependant nous ne devons
pas nous décourager, mais imiter les
Israélites qui étaient ceints de
leurs épées en travaillant à
rebâtir les murs de Jérusalem
(Néhé.,
4). Car nous
sommes environnés d'ennemis qui voudraient
bien rendre nos mains lâches. Pour moi, je
fais mes petits efforts pour réparer ma
petite Jérusalem, qui avait
été mise en désolation pendant
plusieurs années ; et je vois avec bien
du plaisir un grand nombre de personnes qui
reprennent du zèle, qui prêtent
l'oreille à mes instructions, et qui
manifestent le désir d'obéir.
« O mon cher frère, si
j'étais plein de la vertu du Seigneur, quel
bien ne pourrais-je pas faire ! puisque, me
trouvant encore si vide, je m'aperçois que
ma parole a du poids et du pouvoir sur leurs
esprits. Je vois que le Seigneur
captive leur attention lorsque je leur parle.
D'après ce que j'entends dire, il parait que
mes prières surtout les frappent et les
touchent, de sorte que je suis
décidé, par la grâce, de
m'approcher de Dieu de plus en plus, par la
sincérité et la ferveur, quand, au
nom de tout le peuple, je lui présente mes
supplications, afin que mes prières aient
plus d'effet. Les hommes sont aussi bien convaincus
de péché, et touchés de
repentance, en entendant une prière fervente
qu'en entendant un sermon. C'est pourquoi je
tâcherai, quand je prierai en public, de
lutter avec Dieu, afin qu'il nous bénisse.
J'espère que vous recevrez cette observation
avec la même simplicité que celle avec
laquelle je la fais.
« Je serais charmé que
vous continuassiez à me faire part de vos
observations, afin de nous instruire mutuellement.
J'éprouve aussi que, quand j'ai longtemps
médité sur un sujet, ce n'est pas
alors que je prêche avec le plus de
liberté ni de vertu, de sorte que je suis
quelquefois porté à méditer
fort peu avant d'aller prêcher ; mais je
crains de me tromper : je désire que le
Seigneur m'instruise. Hier je prêchai le
matin avec une vertu divine, sans dire beaucoup de
choses que j'eusse méditées ; et
l'après-midi, pendant qu'on chantait, je
changeai le texte sur lequel je me proposais de
prêcher ; j'en pris un autre, et j'eus
une grande liberté. Si nous vivions bien
près de Dieu, nous puiserions
continuellement à la source, et ce serait le
moyen de prêcher avec le plus
d'efficacité. J'éprouve, en
méditant trop, le même
inconvénient qu'à écrire les
sermons : on se guide par ses propres
pensées, et on ne se laisse pas conduire par
l'Esprit divin. Cependant, après tout, je
crois qu'il est bon de méditer pour former
en grand le plan de son discours, et puis se
reposer entièrement sur l'assistance de
Dieu.
« J'ai commencé
à faire une assemblée le samedi
à Autretot. »
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