Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VIII

CARACTÈRE DE PIERRE DU PONTAVICE

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Sur le caractère de l'homme et du pasteur, nous ne saurions mieux faire que de citer le témoignage du collègue le plus rapproché de du Pontavice, le pasteur Alègre, président du Consistoire de Bolbec, dans la Notice qu'il lui consacra dans la première année des Archives du Christianisme. (1)

« Il avait cinq sociétés religieuses à desservir. Il en faisait la tournée en trois dimanches, prêchait deux fois chaque dimanche, et chaque fois un sermon nouveau. Il avait ensuite les catéchumènes, les malades et les autres visites pastorales qu'il faisait, soit pour adresser des exhortations souvent utiles, soit pour converser avec des personnes disposées à la piété, afin de les affermir.
C'étaient là ses délices, et sa plus grande peine était de n'avoir pas plus d'occasions de prêcher.

« Qu'il était doux auprès des malades ! Comme ils se trouvaient consolés, fortifiés par ses exhortations ! Quel zèle lorsqu'il s'agissait du salut des âmes ! C'était le résultat de sa foi : plein d'affection pour ses semblables, il voyait en eux ceux pour qui le Sauveur était mort, et la moindre de ces âmes était à ses yeux d'un grand prix ; en sorte qu'il ne plaignait ni peines, ni soins, dès qu'il avait l'espoir de les amener à l'obéissance du Christ. Aussi combien de ces âmes pleurent en secret sa perte ! On peut dire qu'elle a causé des regrets universels, tant sa piété douce et aimable avait su lui concilier la vénération de ceux mêmes qui ne pensaient pas comme lui. On ne trouvait en effet en lui aucun de ces défauts que l'on reproche trop souvent à la piété : ni censure amère de l'irréligion, quoiqu'il en fût très affligé ; ni empressement à condamner la conduite des autres ; toujours prêt à pallier les défauts d'autrui, à les cacher, à les excuser. Son commerce était également sûr et agréable ; ses manières nobles et polies avaient reçu de la piété quelque chose de simple et de vrai, qui donnait un grand prix à l'expression de ses sentiments.

« Il y avait surtout, dans toute sa conduite et dans ses relations les plus intimes, une humilité habituelle, un entier oubli de soi-même, une absence de prétentions. Il ne savait ce que c'était que d'exiger quelque chose, ou de recevoir quelque procédé honnête, comme lui étant dû. Il tenait compte de tout, et, après avoir mis dans ses démarches les attentions les plus délicates et les plus aimables prévenances, il trouvait toujours que l'on faisait trop pour lui. Nulle peine ne lui coûtait, dès qu'il croyait en épargner un peu aux autres. Il n'était exigeant que pour lui-même.

« Que ne puis-je peindre le charme de ses entretiens, ses conversations solides et remplies d'intérêt, par les traits que ses nombreux voyages lui fournissaient en abondance, et toujours à propos ! Cependant, réservé et même timide, il se livrait difficilement ; il aimait à garder le silence ; et ce n'était que dans ses entretiens particuliers, où nulle gêne ne venait le contraindre, qu'on pouvait l'apprécier. Mais, dans les conversations les plus intimes, il semblait ne perdre jamais de vue l'exhortation de l'Apôtre, d'accompagner nos discours de sel avec grâce ; et il cherchait à rendre la religion aimable, sans cependant jamais tomber dans cette affectation, cette ostentation de piété qu'il détestait. C'est dans ce but qu'en rappelant les divers événements de sa vie, il se plaisait à y faire remarquer la protection de Dieu sur lui, et qui avait été souvent si marquée qu'on ne pouvait la méconnaître.

« Sa piété était un sentiment habituel qui faisait le charme de sa vie ; et sa foi, essentiellement pratique, était réellement et constamment pour lui la persuasion de ce qu'il espérait et la représentation de ce qu'il ne voyait pas encore. C'est ce qui paraissait surtout dans ses prières. Je ne sais si j'ai jamais entendu quelqu'un prier avec une onction plus entraînante, un plus profond recueillement, une plus humble confiance. Il semblait répandre son coeur tout entier devant Dieu, sans craindre d'en laisser voir jusqu'aux moindres replis. La prière était même, à mon avis, la fonction qu'il remplissait le mieux ; ce que je ne considère pas du côté du talent, mais comme une preuve de ses sentiments, puisqu'on sait qu'en général nous pouvons nous assurer du degré de notre piété d'après le goût que nous avons pour la prière.

« Il faut mentionner encore en lui un très grand renoncement à soi-même. Uniforme et constant dans toute sa conduite, il ne s'est jamais démenti. Il faudrait aussi parler de sa grande sobriété, de ses privations journalières, de sa grande simplicité dans son habillement, de cette indifférence qu'il semblait avoir pour les apprêts par lesquels on cherchait à lui témoigner de la considération et de l'attachement ; de cette vie si uniforme, si retirée, partagée constamment entre une retraite studieuse et le service de son Église ; de cette absence totale de volonté dans les circonstances peu importantes, qu'il savait allier avec une fermeté inébranlable, dès qu'il s'agissait de son devoir ; du silence qu'il garda toujours sur les sacrifices qu'il avait faits pour remplir les fonctions du ministère évangélique, vu les espérances qu'il aurait pu avoir, selon le monde, en retournant au sein de sa famille ; du silence non moins profond qu'il a gardé sur ses ressources patrimoniales, dont il aurait désiré pouvoir se contenter sans rien exiger de son Église, s'il l'avait pu sans ostentation et sans inconvénient. Que n'aurais-je point à dire de sa charité si secrète et si connue, et qui ne se bornait pas à des secours momentanés, mais qui consistait souvent en des avances et des dons considérables ? Je m'arrête, et je garderai fidèlement le secret qu'il ambitionnait comme sa plus douce récompense.

« Je dirai encore un mot de son égalité d'humeur, que je n'ai jamais vue se démentir. Nul mauvais procédé, nulle attente trompée, nulle injuste contradiction ne troublait son âme, toujours élevée au-dessus du monde présent, et toujours si humble devant son Dieu que, malgré son zèle pour son divin Maître, elle ne laissait apercevoir à ceux qu'il reprenait que la tendre affection qu'il leur portait et le tort qu'ils se faisaient à eux-mêmes. Ils sont aussi les premiers à lui rendre justice, et ils honorent et bénissent sa mémoire. »

À ce témoignage d'un homme qui fut le collègue de du Pontavice, pendant les cinq années de son ministère à Bolbec, il convient d'ajouter celui de son ami Armand de Kerpezdron, dont la carrière suivit, à tant d'égards, une ligne parallèle à la sienne (2).

« M. du Pontavice, dit-il, réunissait en sa personne les caractère du véritable chrétien et du bon pasteur.
« Du véritable chrétien, car, loin de vivre selon la chair, il renonçait à ses désirs et fuyait ce qui la flatte ou l'amuse, il combattait ses penchants ; il soupirait après la délivrance du corps du péché, ce qu'il ne cessa de faire jusqu'à ce qu'il eût dépouillé le vieil homme avec ses affections et ses convoitises.

« Bien loin de se conformer à ce présent siècle, il vivait comme un étranger ici-bas. Il méprisait les pompes et les façons du monde ; ses maximes, ses voies, sa conversation, étaient pour lui des choses insupportables. Tous ceux qui l'ont connu sont bien convaincus qu'il vivait dans une grande mortification, pour un homme de son rang. Son costume, son maintien, ses moeurs, en un mot, tout en lui s'opposait à l'homme du monde, et manifestait l'homme de Dieu, le chrétien.

« Quelle simplicité ! quelle humilité ! quelle douceur quelle débonnaireté envers tous les hommes ! Enfin le disciple était conforme à son Maître, et l'ensemble de son caractère était celui du véritable chrétien.

« On voyait pareillement en lui les caractères du bon pasteur. On a vu le zèle et l'activité avec lesquels il s'acquittait de ses devoirs, et de quelle manière il remplissait les fonctions publiques et particulières du saint ministère ; avec quel empressement il visitait les infirmes, les personnes âgées, les malades, sans jamais se rebuter des refus que les méchants faisaient quelquefois de recevoir ses visites.

« Il employait tous ses revenus au soulagement des pauvres et des malheureux. Toujours bon et fidèle économe des diverses grâces de Dieu, il ne dépensait guère pour lui-même ; il se procurait par là les moyens de faire plus de bien. Il abondait en toutes les oeuvres qui sont à la gloire de Dieu par Jésus-Christ. »

Jean de Quetteville rend le même témoignage à la grande libéralité de du Pontavice. « S'il connaissait, dit-il, quelques ministres du Seigneur qui, par suite de la dureté des temps, des afflictions temporelles dans leurs familles, de la modicité de leurs appointements, de l'inattention, de l'impuissance oui de l'insensibilité de leurs troupeaux, trop charnels et trop intéressés, eussent besoin d'une assistance pécuniaire, il agissait si fraternellement à leur égard que, pour les soulager ou les tirer d'embarras, quinze ou vingt louis ne lui coûtaient rien et qu'il se faisait un plaisir de les aider de son bien. On n'en aurait jamais rien su s'ils ne l'avaient eux-mêmes raconté. Il n'était pas moins libéral envers les pauvres. Il pratiquait l'Évangile qu'il annonçait aux autres (3). »

À ces témoignages d'hommes qui le connurent et l'aimèrent, nous n'ajouterons que quelques lignes sur l'impression qui résulte pour nous de l'étude de sa vie.

Du Pontavice fut un saint. Sa vie suffirait à prouver que le protestantisme évangélique n'est pas impuissant à conduire les âmes aux plus hauts degrés de la sainteté. Il semble avoir réalisé, autant qu'il peut être donné à l'homme de le faire, l'imitation de Jésus. Son caractère, tel qu'il résulte de ses lettres et du témoignage de ceux qui le connurent de près, produit l'impression de quelque chose d'achevé et de suavement pur. Et quand on se souvient des temps orageux dans lesquels il vécut et des influences hostiles à toute piété sérieuse qui dominaient alors, on se sent d'autant plus ému d'admiration devant tant de vertus et tant de ferveur.

Comme précurseur du Réveil, du Pontavice eut le rôle d'un témoin plutôt que celui d'un apôtre. Son ministère en France fut trop court pour qu'il ait pu donner la mesure de ce qu'il aurait été et de ce qu'il aurait fait, s'il eût vécu vingt ans de plus et pris part à la renaissance religieuse qui suivit la chute de l'Empire. Son oeuvre fut modeste, si on la considère au point de vue des résultats visibles, mais elle ne fut pas inutile et elle contribua à préparer des temps meilleurs.

Ce fut un honneur pour le Méthodisme anglais de donner au Protestantisme français un chrétien et un pasteur tel que Pierre du Pontavice.



APPENDICE

I


LES IMPRESSIONS D'UN AUDITEUR DE MAHY ET DU PONTAVICE


On lira avec intérêt l'extrait suivant de l'autobiographie de Pierre de la Fontenelle, de Fresne, où il parle de ses rapports avec les prédicateurs méthodistes, William Mahy et Pierre du Pontavice. Cette notice sur l'un des plus anciens méthodistes du Bocage a paru dans le Magasin wesleyen de Paris, livraisons de juin et juillet 1842.

« La révolution de 89 renversa toutes les formes du culte. Mais quelque temps après, le calme revint, et nous nous réunîmes en forme d'assemblée religieuse. Il fut question alors d'avoir un pasteur. On nous indiqua M. Mahy, auquel nous écrivîmes, et il nous fit réponse qu'il se trouverait un tel jour à Condé-sur-Noireau. Je fus désigné pour aller à sa rencontre, et je le conduisis chez moi, où il resta quelques jours ; il prêcha le dimanche suivant, et toute l'assemblée en fut bien satisfaite ; quelques-uns même disaient : C'est un Saurin ! Il prêcha encore plusieurs fois, même en un jour ouvrier. Il nous reprenait fortement quand il nous entendait jurer et prendre le nom de Dieu en vain, n'ayant aucun égard à l'apparence des personnes ; il nous disait que, quand on parle de Dieu, on doit toujours le faire avec le plus grand respect, puisqu'Il ne tiendra point pour innocent celui qui aura pris son nom en vain, et que les jureurs et blasphémateurs n'hériteront point le royaume des cieux. Cela faisait plaisir à quelques-uns et de la peine aux autres. Cependant il fut le moyen de faire cesser en grande partie toutes ces mauvaises habitudes chez beaucoup de personnes, et même chez celles qui paraissaient s'en moquer.

Quand il nous rencontrait, il nous demandait l'état de notre âme ; pour moi cela me paraissait comme s'il m'avait parlé du pape ! Il nous prêchait continuellement sur la conversion, par la repentance envers Dieu et la foi en Jésus-Christ. Il insistait en temps et hors de temps, nous disant qu'il nous fallait être convaincus de péché, avoir le coeur brisé et pleurer sur notre triste état de chute et de culpabilité, avoir en horreur le mal et l'abandonner entièrement, enfin qu'il nous fallait éprouver un changement réel dans nos coeurs, dans nos dispositions, dans nos paroles et dans toute notre conduite. Il nous parlait beaucoup du Saint-Esprit dans tous ses sermons, ce qui nous paraissait très étrange. Nous commençâmes bientôt à avoir des contestations les uns avec les autres, touchant les prédications de M. Mahy, qui n'étaient approuvées que d'un petit nombre de personnes.

« À cette époque, je fus convaincu de péché et très abattu à la vue de mon état, tellement que j'en pleurai et fus beaucoup dans la peine. Lorsque j'entendais la Parole de Dieu ou que je la lisais, elle ne me paraissait plus la même : elle touchait davantage mon coeur, et je sentis alors qu'il y avait en moi quelque changement. Nous étions très peu de personnes qui changeâmes un peu de conduite ; le plus grand nombre se moquaient de nous ; cependant ils comprirent qu'ils avaient tort de parler mal du Saint-Esprit et du changement intérieur. Ensuite ils répandirent le bruit que M. Mahy faisait courir filles et femmes à travers les champs, et qu'elles devenaient folles ! (1 Cor. II, 14), ce qui nous embarrassa beaucoup, car moi-même j'étais très inquiet sur l'état de mon âme et je me disais : S'il en est ainsi, ces personnes qui en savent peut-être davantage que toi peuvent avoir raison. Hélas ! que l'exemple de ceux qui passent pour être des gens religieux, a une grande influence sur ceux qui veulent se convertir au Seigneur ! Ah ! combien cela m'a fait de mal, et m'a fait rester plus longtemps dans le péché, à cause duquel j'éprouvais bien des remords en pleurant et en me lamentant.

« Toutes les fois que M. Mahy venait nous voir, il nous parlait de notre salut et de nos devoirs ; c'est ainsi que je fus entièrement persuadé qu'il ne nous disait que la pure vérité. Après cela, il commença de m'engager à prier d'abondance, mais hélas ! il me semblait que cela m'était impossible ; cependant je le fis de mon mieux, et il m'encouragea à persévérer et à le faire en particulier et en public ; ce que je fis ; mais quelquefois je restais comme si j'avais été muet, et dans d'autres temps le Seigneur me bénissait beaucoup. Dans le mois de septembre 1808, je fus appelé à passer par une grande épreuve. Ma chère femme eut une maladie qui la conduisit au tombeau dans l'espace d'une semaine. Malgré ses grandes douleurs, elle eut toujours l'esprit présent jusqu'à la fin de sa vie. Elle prenait beaucoup de plaisir aux prières que nous faisions avec elle. Souvent, quand je fondais en larmes, elle me disait de ne point m'affliger et de ne point m'abattre ainsi ; qu'il fallait nous soumettre à la volonté de Dieu. Elle me recommanda mes chers enfants en me disant : Ton âme est dans de bonnes dispositions, tâche de les y faire entrer aussi ; suis les conseils de M. Mahy et tu t'en trouveras bienheureux. Le soir qu'elle mourut, nous nous fîmes mutuellement nos adieux, et elle s'endormit doucement dans les bras de son Sauveur. Oh ! que Dieu me fasse la grâce de me faire une fin semblable à la sienne !

« Dans la même année, nous partîmes, mon frère et moi, pour aller acheter de la laine chez les fermiers dans les campagnes de Caen ; et comme mon frère ne partageait pas mes sentiments, je le quittai pour aller à Beuville, afin de m'assurer si ce qu'on disait chez nous de M. Mahy était vrai. Étant arrivé à Beuville, je trouvai Mme Mahy et M. du Pontavice avec lesquels je fus très édifié ; ils m'invitèrent à assister à une réunion de prière qui eut lieu le dimanche matin à sept heures, chez M. André, qui était converti au Seigneur ; je fus très surpris et dans l'admiration de l'entendre faire une prière improvisée. Alors je me dis à moi-même : Si c'est de cette manière que M. Mahy fait tourner les esprits, je suis très content d'avoir suivi ses prédications et je m'en réjouis. Ensuite, je me rendis au lieu où se tenait l'assemblée publique où prêcha M. du Pontavice. Je fus très touché, même jusqu'aux larmes. L'après-midi, il prêcha à Périers, où je fus accompagné de M. André, qui me demanda, chemin faisant, l'état de l'oeuvre de Dieu dans mon pays ; je lui racontai toute l'opposition de Satan et du monde à cette oeuvre.

« Ensuite, je lui dis que le but de mon voyage était de m'informer si ce qu'on disait chez nous de M. Mahy était vrai, qu'il faisait devenir les filles et les femmes folles ; que je le priais de me dire toute la vérité sur ce sujet. Il me répondit que tout cela était faux ; et il me raconta que quand M. Mahy vint à Beuville, les protestants se contentaient de faire un petit exercice chaque dimanche matin, s'imaginant que cela était assez pour le salut de leurs âmes ; mais qu'il n'en était plus ainsi ; chaque dimanche, dit-il, nous nous réunissons pour prier Dieu et pour chanter ses louanges, et nous sommes comme dans un petit paradis sur la terre, par la grâce de Dieu et par le ministère de M. Mahy, qui a été le moyen de nous retirer de nos péchés. Nous avons été convaincus de péché et nous nous sommes repentis en pleurant sur nos fautes ; nous avons prié Dieu de nous pardonner nos péchés, pour l'amour de Jésus-Christ, tellement que nous avons maintenant le péché en horreur. Et si vous voulez rester une heure avec nous après le culte public, vous allez voir la vérité de ce que je vous dis.

« Étant arrivé au lieu de la réunion, M. du Pontavice prêcha d'une telle manière que tous les auditeurs furent émus jusqu'aux larmes ; mon coeur fut si vivement touché que je ne savais ce que j'allais devenir. Il nous disait dans son sermon : « Avez-vous pleuré sur vos péchés ? C'est là le commencement de la grâce de Dieu en nous, pour nous convertir et nous changer en de nouvelles créatures.

O mes amis ! disait-il, priez sans cesse, afin que Dieu vous accorde son Saint-Esprit. Donnez-lui tout votre coeur et vous éprouverez combien il est bon, vous jouirez d'un bonheur que le monde ne connaît point. » Le service étant terminé, une partie de l'assemblée se retira et l'autre resta encore un peu de temps. On chanta des cantiques, et on fit des prières si touchantes qu'il me semblait que mon âme était élevée jusqu'au ciel. Alors je reconnus bien la vérité de ce que notre bon ami, M. André, m'avait dit en venant de Beuville. »


II


UN ARTICLE DE RICHARD REECE SUR PIERRE DU PONTAVICE


On a lu le récit de la conversion de du Pontavice, dans la lettre qu'il écrivit, le 12 mai 1796, à son ami Reece, qui avait commencé l'oeuvre de son réveil spirituel. Cette lettre, celui-ci la trouva si édifiante qu'il la traduisit et là fit insérer dans l'Arminian Magazine, du mois de novembre de cette même année. Il la fit précéder, d'une courte notice, qu'on lira avec intérêt :

« L'auteur de la lettre qui suit est un gentilhomme français de bonne famille et riche, qui, au commencement des troubles actuels, quitta son pays en compagnie de son unique frère, plus âgé que lui. Il venait alors de quitter le collège, ses études finies, et, croyant que son devoir envers son Dieu et son Roi l'exigeaient, il n'eut pas de peine à se décider à sortir du royaume et à s'enrôler sous l'étendard du duc de Brunswick. Après que ce général eût été forcé de battre en retraite devant Dumouriez, il quitta l'armée et passa quelque temps en Hollande. Puis il se rendit dans l'île de Jersey. Là commencèrent mes rapports avec lui, et, pendant une année et demie passée dans des relations intimes, je trouvai toujours chez lui un sincère désir de connaître la vérité. Doué d'un esprit chercheur et d'une intelligence au-dessus de l'ordinaire, il acquit, par la fréquentation assidue de la prédication, une connaissance de jour en jour plus grande de lui-même et de la religion ; et, malgré toute l'opposition qu'il rencontra de la part de ses compatriotes, et surtout des prêtres, il s'avoua notre ami.

« En juillet 1795, je quittai les Îles, et, en août, il reçut l'ordre, avec le reste de ses malheureux compagnons en résidence à Jersey, de partir pour l'expédition de Quiberon ; mais grâce à un retard inévitable, le vaisseau dans lequel il s'embarqua, arriva trop tard pour rejoindre l'escadre de la Manche et dut faire voile pour l'Angleterre. Tous ceux qui se rappellent l'issue mélancolique de cette expédition, conviendront que, dans cette circonstance, il échappa providentiellement à la mort.

« Se trouvant à Londres et sachant que j'y étais, il vint me voir. Et alors s'ouvrît devant lui une autre porte providentielle. Le Dr Coke cherchait une personne versée dans la langue française, et il fut heureux d'accepter M. du Pontavice, qui fut heureux, de son côté, de trouver une pareille situation. Il a voyagé depuis lors avec le docteur, et je crois que toute sa conduite prouve suffisamment la réalité du changement qu'il fait profession d'avoir éprouvé.

« On ne peut que remarquer l'enchaînement des bienfaits providentiels, par lesquels il a été amené à la connaissance de soi-même et de Dieu. Plusieurs de ces circonstances furent pénibles, mais elles servirent toutes à amener ce grand et important résultat. S'il était demeuré dans son pays, il eût sans doute été englouti dans le tourbillon d'incrédulité, qui l'attirait déjà. S'il était demeuré en Hollande, il serait tombé entre les mains des républicains. S'il était allé à la baie de Quiberon, il aurait probablement partagé le sort des milliers d'hommes qui y ont péri. Il fut amené dans l'île de Jersey, où l'Évangile est prêché, et là il fut réveillé et commença à s'enquérir du chemin de Sion et à se tourner de son côté. Après cela, ayant toutes facilités pour visiter les sociétés dans la compagnie du Dr Coke et de s'entretenir avec des gens pieux, l'oeuvre de la grâce se poursuivit dans son esprit, jusqu'à ce qu'il fût préparé pour l'événement raconté dans la lettre suivante que j'ai traduite. Plusieurs, je n'en doute pas, seront heureux d'entendre un émigré français, un ci-devant noble, racontant son expérience et les dispensations de Dieu dont il a été l'objet, avec toute la simplicité évangélique à laquelle ils sont habitués. D'autres seront encouragés à se confier aux soins de la Providence divine, qui souvent nous conduit par des chemins rudes et obscurs, pour notre plus grand bien final. Et tous les chrétiens se réjouiront dans la perspective d'une glorieuse moisson de conversions, dont celle-ci est les prémices, au sein d'un peuple que nous avons été habitués à considérer comme notre ennemi naturel.

« R. R. »


III


LES PREMIÈRES PRÉDICATIONS DE DU PONTAVICE EN AMÉRIQUE

(Extrait dit journal du Dr Coke.)


« Durant mon séjour à Charleston (États-Unis), j'essayai de former un auditoire pour mon ami Français, M. Pontavice. En l'annonçant dans notre culte et dans les feuilles publiques, nous réussîmes à réunir, à deux reprises, de 150 à 200 Français. Son premier sermon, sur les preuves qui établissent que Jésus-Christ fut le vrai Messie, fut tout à fait excellent et commanda l'attention, malgré la légèreté d'esprit évidente des auditeurs. Mais la seconde fois, il jouit de peu de liberté. Toutefois, je pus me rendre compte que, s'il plaît à Dieu de lui ouvrir une porte parmi les Français, il sera probablement un utile prédicateur de l'Évangile ».

(Arminian Magazine, 1798, page 502. )


IV


NOTICE SUR LAURENT CADORET, PAR DANIEL BENOIT


Laurent Cadoret naquit à la Havane, le 30 juin 1770, le troisième ; enfant d'un même accouchement. Ses deux frères jumeaux ne vécurent pas. « Je n'avais, dit-il lui-même, dans une curieuse autobiographie, malheureusement inachevée, qu'un souffle de vie. On me crut mort.
On alluma des cierges autour de moi, on mit de l'eau bénite à mes pieds ». Il ne devait mourir qu'à quatre-vingt-dix ans passés. Il naquit, dit-il, « au sein des ténèbres de l'erreur les plus épaisses ». Son père était un riche armateur catholique de la Bretagne et sa mère une Irlandaise. Il fut envoyé à Nantes, à l'âge de sept ans, chez des correspondants de son père, MM. Fourcade et La Magnène, pour son éducation. Il fit ses humanités à Saint-Brieuc. Il n'avait que quatorze ans lorsqu'il perdit son père. « Moi et six autres enfants nous eûmes pour tuteur mon oncle, un armateur de Saint-Malo, homme très pieux, le plus respectable que j'aie jamais connu. Arrivé à l'âge d'émancipation, on me donna pour curateur l'abbé Morin, de la même ville, mon parent par ma grand-mère, homme aimable, on ne peut plus consciencieux et doux, un prêtre comme il est rare d'en trouver aujourd'hui, tant il est vrai que Dieu a partout ses sept mille qui n'ont point fléchi le genou devant Baal.

« Peu de temps après la mort de mon père, je fus libre de prendre un état. J'avais un goût, prononcé pour la marine. Mon oncle m'envoya à Terre-Neuve, et de là à Marseille. Le début ne fut pas heureux. Nous fîmes naufrage dans le golfe du Lion, en revenant de Marseille.

Je restai toute une nuit, dans le mois de janvier, sur la carcasse d'un navire : heureusement il sortait des chantiers. Il portait mon nom, le Saint-Laurent, car mon pieux oncle, sur ses dix ou douze navires, n'en avait pas un qui ne portât le nom d'un saint. Un autre vaisseau, n'ayant pas les mêmes qualités que le nôtre, fut mis en pièces à quelque distance de nous. Nous avions un aumônier, un bon et pacifique prêtre, sur le navire. Nous lui étions recommandés, moi et un plus jeune frère. Il nous fit venir à ses pieds confesser nos péchés, au moment de l'imminent danger. Mon cher et pauvre second frère, qui a péri dans un autre naufrage, était hors de lui, épouvanté. Autant qu'il m'en souvient, je fus sans inquiétude. Sans doute j'étais déjà dans les mains du Seigneur »

Il entra à dix-huit ans chez un chirurgien de Saint-Brieuc, qui tenait une pharmacie ; puis il reprit la mer.
« D'un caractère naturellement paisible et réservé, plutôt sérieux et réfléchi que frivole et léger, j'étais peu fait pour la marine, pour les jurements, la rudesse et l'intempérance de ses moeurs. Une chose bien remarquable, c'est que je n'ai jamais su ou pu jurer et profaner le nom de Dieu, quoique pendant dix ans à la pire école. Il a plu à Dieu, dès mes plus tendres années, de sanctifier jusque-là mes lèvres. Combien il m'a gardé ! Chaque jour excité, provoqué et une fois pris au collet par mes camarades pour me forcer d'entrer où je ne voulais pas, tout échouait de la part des tentations grandes et petites, par un effet de la miséricorde de Dieu,

« Revers et succès, plus de mécomptes que de réussites, voilà de quoi s'est composée ma vie. Dans le cours de ma navigation, par deux fois, j'ai abordé ma ville natale, la Havane, et cherché à m'y fixer. Le Seigneur m'en a repoussé chaque fois, en quelque sorte violemment ; il semblait me dire : Marche, ne t'arrête pas ; ce n'est pas ici le lieu de ton repos ! Quel bonheur qu'alors comme toujours le Seigneur ait voulu se charger de moi ! J'avais alors vingt ans, âge des illusions ; ma boussole me conduisait mal ; à tous moments je faisais fausse route, je perdais ma latitude et ne savais la retrouver ».

Il séjourne quelque temps à Cadix, fréquente les églises, se confesse, a l'intention de se faire moine, et est détourné de son projet par un ami.

il retourne à la Havane. Un dimanche, il entre dans l'église. « Tout était plein, des chants et une pompe extraordinaires, des centaines de cierges allumés, tous les saints, la Vierge principalement, habillés avec le plus grand luxe ; je devins sérieux, je fus saisi d'un sentiment d'horreur, mêlé d'indignation. Il me fallut sortir. Étant dans la rue, j'élevai mes yeux au ciel et, avec un coeur extraordinairement ému, je m'écriai : « Mon Dieu, quand trouverai-je un lieu où l'on te serve, où il n'y ait que quatre murailles ! » Quelle impression soudaine ! Elle ne venait certainement pas de moi ! « Le coeur du roi est un courant d'eau dans la main de l'Éternel, Il l'incline partout où il veut ». (Prov. XXI, 1.)

Cadoret appelle cette scène : « la circonstance la plus importante de ma vie ; elle est restée empreinte dans mon âme en traits qui ne pourront jamais s'effacer. »

De la Havane il se rend aux États-Unis, à Charleston. « Je me présentai, dit-il, au consul français. J'avais mes papiers en règle. Un bâtiment de l'État, c'est-à-dire de la République, venait de subir la destitution de ses officiers. il me proposa d'y prendre place. J'acceptai. Il me donna le poste d'enseigne. Nous partîmes. À l'atterrissage de France, nous eûmes un combat de nuit. On en vint à l'abordage. Nous restâmes vainqueurs. On me donna le commandement du vaisseau vaincu. Nous étions à l'entrée du golfe de Gascogne. Une escadre anglaise me rencontra et me fit prisonnier. Je fus conduit à Plymouth, de là au cantonnement d'Ashburton. Là, le brave Bergeret, plus tard contre-amiral, deux Duperré, dont je me suis toujours souvenu avec une estime particulière, et dont l'un a été ministre de la marine, furent, avec de nombreux officiers, mes camarades d'exil, - je ne veux pas dire d'infortune, Dieu m'en garde.

« Le lendemain ou surlendemain de mon arrivée, on me promena par la ville, un samedi. Nous passâmes devant une chapelle (meeting house). Une femme y balayait. « Qu'est-ce que cette maison, » demandai-je. - « C'est où l'on s'assemble pour le culte ». Je demandai à y entrer.

Point de cierges allumés, ni d'endroits où l'on pût en placer, point de saints endimanchés, une chaire, des bancs, une tribune, et rien de plus. L'impression du Seigneur encore récente m'était nécessairement restée ; cette vue me frappa. Je me dis : Je reviendrai, je saurai ce que l'on fait ici (entre quatre murailles), car il faut forcément concevoir que l'impression que j'avais reçue et subie ne pouvait signifier autre chose sinon que le culte, l'adoration que l'on doit à Dieu doit être très simple, le plus dégagée possible d'appareil et de formes. Cette impression m'est restée. J'aime plus que jamais un culte simple, le plus simple possible « entre quatre murailles. »

« Les conséquences de ma résolution ne tardèrent pas à se montrer. Dès le lendemain, je me rendis à la meeting house. Quoique privé d'oreilles - je ne savais pas un mot d'anglais, ni qu'il y eût une Bible et des protestants ! dans le monde, - la forme du culte me plut. Je continuai à aller où le Seigneur m'avait conduit, au culte indépendant. Il ne me fit pas, passer devant un temple à clocher. Cela aurait compromis une première grâce, l'impression que j'avais si gratuitement reçue six mois auparavant.

« Je respecte l'Eglise épiscopale d'Angleterre. Dieu y a eu de tout temps ses enfants, depuis la Réformation, des serviteurs d'élite des plus distingués dont les écrits m'ont fait le plus grand bien. Ses 39 articles de foi forment ma croyance à peu près complète ; mais ses usages et ses pratiques, la forme de son culte plus compliqué que simple, ne pouvaient s'accorder avec la forte impression que j'avais reçue. »

Il se mit avec ardeur à l'étude de l'anglais. Au bout de trois mois, il pouvait lire le Nouveau Testament et comprendre les sermons ; après six mois, il était assez maître de la langue pour soutenir une conversation.

« Sur ces entrefaites, je fis une précieuse connaissance. Une pieuse dame, membre des plus distingués de l'Eglise, prenant garde à mon assiduité au culte, m'invita un jour, après le service de l'après-midi, à prendre le thé chez elle. Elle me donna un N. T., mit dans mes mains les meilleurs livres chrétiens, Booth, Marshall, Toplady. De là datent mes progrès. Je devins, dès lors, résolument chrétien, protestant si vous le voulez, de profession sinon encore parfaitement de coeur et d'intelligence. Le ministre de la chapelle ne prit pas connaissance de moi, tant il est vrai qu'il y a des pasteurs lâches partout, engourdis, peu zélés, peu fidèles.

« Il en résulta un combat entre l'homme naturel et aveugle et l'homme de la grâce réveillé, apercevant une lumière, à lui jusqu'alors inconnue. Renoncer à Rome, c'était peu de chose - je ne connaissais pas plus Rome que Genève - mais me séparer, en fait de foi, de ma croyance, de ma famille, ou plutôt de mon respecté tuteur et de Mon aimable curateur, l'abbé Morin, cela me troublait, me rendait incertain. Le Seigneur, dans sa fidélité, son immuable conseil, avait pourvu à cette difficulté. Je réfléchissais au sacrifice qu'il me coûtait de faire, lorsqu'un, jour que je n'oublierai jamais, cherchant dans ma malle, je mis la main sur un vieux petit livre écrit en latin. C'était l'office de la Vierge. Je ne puis dire comment il se trouvait là. C'était le seul livre que ma malle, celle d'un officier de marine, possédât. Je le lus. J'étais instruit dans ce qui avait rapport aux vérités principales du salut. Ma pauvre âme jouissait de la lumière. Quoi ! - ce me fut un grand sujet de surprise - la Vierge, mère de J.-C. cette sainte femme, si humble, qui nous a donné son cantique divin, le Magnificat, déclarée la reine des cieux, des anges, le Refuge des pécheurs, ce qui est proprement dire leur salut ! Avec une profonde indignation, je jetai le livre à terre et je me dis : « Je suis protestant à tout prix... »

Ici s'arrête malheureusement le journal de Laurent Cadoret, qu'il avait commencé à Amiens, le 23 janvier 1843 et qu'il avait rédigé pour son enfant. Il commence ainsi : « Depuis longtemps, mon cher enfant et un ami de coeur me demandent le récit de ma vie, c'est-à-dire des grâces que Dieu m'a faites. J'acquiesce enfin à ce désir. Que ce soit pour la gloire et la louange de Celui dans les mains duquel tout a été remis, de Jésus-Christ notre Seigneur ! »

Voici, en résume, la suite de son histoire. Il fit la connaissance en Angleterre du Rév. Bogue, professeur de théologie et embrassa de coeur, grâce à son influence, la vérité évangélique. - À 29 ans, il épousa en France Périne Sorel, puis il partit pour l'Angleterre avec sa femme, passa trois ans dans le séminaire théologique du docteur Bogue, fut consacré au saint ministère et fut successivement pasteur des Églises de Condé-sur-Noireau, de Luneray et d'Amiens. Il eut huit enfants :
Elisa, qui épousa à Mens M. Chagnard ; Samuel, qui fut pasteur à Mens ; Thérèse ; Pauline, mariée à M. Jaccard, pasteur belge ; Lydie ; Timothée ; Chloé ; Paul, qui vit encore (il a 80 ans), qui a occupé plusieurs postes et fut, en 1870, aumônier militaire.

À l'âge de 78 ans, Laurent Cadoret se retira près de ses enfants, à Mens (Elisa, Samuel et Paul). Il s'éteignit en 1861, rassasié de jours, « cet homme intègre, en qui Dieu avait si manifestement fait éclater sa puissance et sa miséricorde. »


V


NOTICE SUR PIERRE DU PONTAVICE

Insérée dans les « Minutes » de la Conférence wesleyenne en 1811.


Il naquit dans l'année 1770, à Fougères, en France, de parents nobles et très affectionnés. Il émigra, lors de la Révolution, et, par une providence singulière, ayant échappé à toutes sortes de périls et de dangers, en divers endroits du Continent, il arriva sain et sauf à Jersey, où il entra en rapport avec les ministres méthodistes, dont la conversation, l'exemple et la prédication lui furent grandement profitables. Quelques années plus tard, alors qu'il voyageait avec le docteur Coke, il passa par des luttes intérieures très vives et arriva au salut par la foi en Christ, sous les prières de MM. Taylor et Bramwell. « Dieu, dit-il, fit entendre à mon âme agitée ces douces paroles : Je ne me souviendrai plus de tes péchés ; j'essuierai toutes les larmes de tes yeux. Je crus, je sentis l'assurance du pardon ; mon coeur fut rempli d'une joie inexprimable. Depuis ce moment, je me réjouis dans le Seigneur, et l'Esprit rend témoignage avec mon Esprit que je suis enfant de Dieu. Je sens que Dieu est en moi et moi en Lui. Et comme Christ a voulu que les fidèles ne soient qu'un en Lui, je me sens uni à eux comme je ne l'ai jamais été. » « Plaise à Dieu, ajoutait-il, que nous ne soyons jamais désunis, mais réunis encore plus étroitement dans le temps et dans l'éternité. » Sa prière fut exaucée, car son union avec les enfants de Dieu devint toujours plus intime.

Il se sentit intérieurement appelé au ministère, et commença à prêcher, comme itinérant, dans sa langue maternelle, à Jersey, Guernesey, Aurigny et Serk, dans l'année 1800 et continua jusqu'en 1802. La Providence lui ouvrit alors la voie pour retourner dans son pays natal. Il y prêcha, comme dans les Îles, de façon à être agréé du peuple, et à avoir autant de succès qu'on pouvait en attendre. Ses discours, qui respiraient la douceur et l'amour, gagnèrent l'affection de ses nombreux auditeurs ; sa circonspection, son esprit de renoncement, son exactitude dans toutes les parties de sa tâche, lui attirèrent l'approbation de tous ceux qui le connurent. Il était si régulier, si modéré, si patient, si doux, si humble, si disposé à s'effacer, et en même temps si prudent et si judicieux, qu'il gagna l'affection et l'admiration de ceux qui eurent le privilège de sa compagnie et de sa conversation. En un mot, il se conduisit à l'égard des hommes de tout rang et de toutes dispositions de façon à trouver faveur auprès de tous ceux à qui il eut affaire.
Il consacra ses dernières années et ses dernières forces principalement à cinq communautés protestantes près de Bolbec.

Peu après qu'il eut commencé à prêcher en public et à instruire. exhorter et prier de maison en maison, un vieillard dit, avec des larmes de gratitude : « Ce pasteur nous a été envoyé par Dieu, et il y a déjà par son moyen une grande réformation dans le peuple. » Les ministres protestants le tenaient en grande estime, à cause de sa profonde piété et de sa fidélité dans le ministère ; aussi était-il souvent appelé à prêcher à Bolbec, le Havre-de-Grâce, Rouen, etc., et, dans ces occasions, les églises se remplissaient de protestants et de catholiques qui l'écoutaient avec une grande attention. Il prit pension chez M. Cadoret (4), l'un des ministres protestants, qui, ainsi que sa femme, est converti et vraiment pieux ; et, comme ils ont une très nombreuse famille, avec un très modeste salaire, il fut pour eux un ami et un vrai frère. Il dépensait peu pour ses propres besoins et abondait en bonnes oeuvres. Tout son revenu était judicieusement distribué aux pauvres de son troupeau. Il se conduisit en vrai chrétien et en bon pasteur.

Mais hélas ! cette lampe ardente et brillante a été bientôt éteinte. M. du Pontavice, ne pouvant plus remplir les devoirs de sa charge, se retira à Beuville, où il y a une société plus avancée en grâce et plus capable d'apprécier et de mettre à profit le ministère vraiment céleste d'un tel pasteur. Il vécut là deux mois, souffrant beaucoup, mais vivant dans une intime communion avec Dieu. Sa paix était comme un fleuve ; la pensée de la mort le remplissait de joie ; il lui tardait de déloger pour être avec Christ ; son espérance était immortelle et sa joie ineffable et glorieuse. Il louait Dieu nuit et jour, et quand il eut perdu la faculté de parler, son visage fut resplendissant comme celui d'un ange ; il leva sa main, et son regard mourant se dirigea vers le ciel. C'est ainsi qu'il s'endormit en Jésus, d'une manière si douce que l'on ne put pas percevoir son dernier soupir. Il mourut le 1er décembre 1810.


VI

EXTRAIT Du REGISTRE DES DÉCÈS DE LA COMMUNE DE BEUVILLE (CALVADOS) POUR L'ANNÉE MIL HUIT CENT DIX.

Du deuxième jour du mois de décembre l'an 1810.


Acte de décès de Pierre-Thomas-Uzèbe (sic) Dupontavice, décédé le jour d'hier, à neuf heures du matin, profession de ministre protestant, âgé de quarante ans, né à la paroisse de Saint-Sulpice, département d'Ille-et-Vilaine, demeurant à Beuville, fils de Pierre-Guy Dupontavice du Vaugarny et de dame Marie-Marguerite Thomasse de Poilley de Bauval, décédé au domicile de la demoiselle Madeleine Houel, à Beuville. Sur la déclaration à moi faite par la demoiselle Madeleine Houel, âgée de trente-trois ans, demeurant à Beuville, profession de mercière, qui a dit être amie du défunt, et par le sieur Jean Lucas, âgé de soixante ans, demeurant à Beuville, profession de tailleur de pierre, qui a dit être ami du défunt, et ont signé.

Constaté par moi, Jean Buisson, adjoint de la commune de Beuville, faisant les fonctions d'officier publie de l'état civil soussigné.
(Suivent les signatures).


FIN


(1) Notice sur M. le pasteur du Pontavice-Vaugarny. Archives du Christianisme, t. 1, 1818, page 363. 

(2) Appendice à la Notice sur du Pontavice, dans le Magasin méthodiste des îles de la Manche, 1817, page 252. 

(3) Mag. méth., 1817, p. 155.

(4) L'auteur de la notice (probablement Richard Reece ) parait croire que du Pontavice et Cadoret habitaient la même ville. Nos lecteurs savent que Cadoret habitait Luneray, tandis que son ami était fixé à Bolbec.
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