Sur le caractère de l'homme et du
pasteur, nous ne saurions mieux faire que de citer
le témoignage du collègue le plus
rapproché de du Pontavice, le pasteur
Alègre, président du Consistoire de
Bolbec, dans la Notice qu'il lui consacra dans la
première année des Archives du
Christianisme.
(1)
« Il avait cinq
sociétés religieuses à
desservir. Il en faisait la tournée en trois
dimanches, prêchait deux fois chaque
dimanche, et chaque fois un sermon nouveau. Il
avait ensuite les catéchumènes, les
malades et les autres visites pastorales qu'il
faisait, soit pour adresser des exhortations
souvent utiles, soit pour converser avec des
personnes disposées à la
piété, afin de les affermir.
C'étaient là ses
délices, et sa plus grande peine
était de n'avoir pas plus d'occasions de
prêcher.
« Qu'il était doux
auprès des malades ! Comme ils se
trouvaient consolés, fortifiés par
ses exhortations ! Quel zèle lorsqu'il
s'agissait du salut des âmes !
C'était le résultat de sa foi :
plein d'affection pour ses semblables, il voyait en
eux ceux pour qui le Sauveur était mort, et
la moindre de ces âmes était à
ses yeux d'un grand prix ; en sorte qu'il ne
plaignait ni peines, ni soins, dès qu'il
avait l'espoir de les amener à
l'obéissance du Christ. Aussi combien de ces
âmes pleurent en secret sa perte ! On
peut dire qu'elle a causé des regrets
universels, tant sa piété douce et
aimable avait su lui concilier la
vénération de ceux mêmes qui ne
pensaient pas comme lui. On ne trouvait en effet en
lui aucun de ces défauts que l'on reproche
trop souvent à la piété :
ni censure amère de l'irréligion,
quoiqu'il en fût très
affligé ; ni empressement à
condamner la conduite des autres ; toujours
prêt à pallier les défauts
d'autrui, à les cacher, à les
excuser. Son commerce était également
sûr et agréable ; ses
manières nobles et polies avaient
reçu de la piété quelque chose
de simple et de vrai, qui donnait un grand prix
à l'expression de ses sentiments.
« Il y avait surtout, dans
toute sa conduite et dans ses relations les plus
intimes, une humilité habituelle, un entier
oubli de soi-même, une absence de
prétentions. Il ne savait ce que
c'était que d'exiger quelque chose, ou de
recevoir quelque procédé
honnête, comme lui étant dû. Il
tenait compte de tout, et, après avoir mis
dans ses démarches les attentions les plus
délicates et les plus aimables
prévenances, il trouvait toujours que l'on
faisait trop pour lui. Nulle peine ne lui
coûtait, dès qu'il croyait en
épargner un peu aux autres. Il
n'était exigeant que pour
lui-même.
« Que ne puis-je peindre le
charme de ses entretiens, ses conversations solides
et remplies d'intérêt, par les traits
que ses nombreux voyages lui fournissaient en
abondance, et toujours à propos !
Cependant, réservé et même
timide, il se livrait difficilement ; il
aimait à garder le silence ; et ce
n'était que dans ses entretiens
particuliers, où nulle gêne ne venait
le contraindre, qu'on pouvait l'apprécier.
Mais, dans les conversations les plus intimes, il
semblait ne perdre jamais de vue l'exhortation de
l'Apôtre, d'accompagner nos discours de sel
avec grâce ; et il cherchait à
rendre la religion aimable, sans cependant jamais
tomber dans cette affectation, cette ostentation de
piété qu'il détestait. C'est
dans ce but qu'en rappelant les
divers événements de sa vie, il se
plaisait à y faire remarquer la protection
de Dieu sur lui, et qui avait été
souvent si marquée qu'on ne pouvait la
méconnaître.
« Sa piété
était un sentiment habituel qui faisait le
charme de sa vie ; et sa foi, essentiellement
pratique, était réellement et
constamment pour lui la persuasion de ce qu'il
espérait et la représentation de ce
qu'il ne voyait pas encore. C'est ce qui paraissait
surtout dans ses prières. Je ne sais si j'ai
jamais entendu quelqu'un prier avec une onction
plus entraînante, un plus profond
recueillement, une plus humble confiance. Il
semblait répandre son coeur tout entier
devant Dieu, sans craindre d'en laisser voir
jusqu'aux moindres replis. La prière
était même, à mon avis, la
fonction qu'il remplissait le mieux ; ce que
je ne considère pas du côté du
talent, mais comme une preuve de ses sentiments,
puisqu'on sait qu'en général nous
pouvons nous assurer du degré de notre
piété d'après le goût
que nous avons pour la prière.
« Il faut mentionner encore en
lui un très grand renoncement à
soi-même. Uniforme et constant dans toute sa
conduite, il ne s'est jamais démenti. Il
faudrait aussi parler de sa grande
sobriété, de ses privations
journalières, de sa grande simplicité
dans son habillement, de cette indifférence
qu'il semblait avoir pour les apprêts par
lesquels on cherchait à lui témoigner
de la considération et de
l'attachement ; de cette vie si uniforme, si
retirée, partagée constamment entre
une retraite studieuse et le service de son
Église ; de cette absence totale de
volonté dans les circonstances peu
importantes, qu'il savait allier avec une
fermeté inébranlable, dès
qu'il s'agissait de son devoir ; du silence
qu'il garda toujours sur les sacrifices qu'il avait
faits pour remplir les fonctions du
ministère évangélique, vu les
espérances qu'il aurait pu avoir, selon le
monde, en retournant au sein de sa famille ;
du silence non moins profond
qu'il a gardé sur ses ressources
patrimoniales, dont il aurait désiré
pouvoir se contenter sans rien exiger de son
Église, s'il l'avait pu sans ostentation et
sans inconvénient. Que n'aurais-je point
à dire de sa charité si
secrète et si connue, et qui ne se bornait
pas à des secours momentanés, mais
qui consistait souvent en des avances et des dons
considérables ? Je m'arrête, et
je garderai fidèlement le secret qu'il
ambitionnait comme sa plus douce
récompense.
« Je dirai encore un mot de
son égalité d'humeur, que je n'ai
jamais vue se démentir. Nul mauvais
procédé, nulle attente
trompée, nulle injuste contradiction ne
troublait son âme, toujours
élevée au-dessus du monde
présent, et toujours si humble devant son
Dieu que, malgré son zèle pour son
divin Maître, elle ne laissait apercevoir
à ceux qu'il reprenait que la tendre
affection qu'il leur portait et le tort qu'ils se
faisaient à eux-mêmes. Ils sont aussi
les premiers à lui rendre justice, et ils
honorent et bénissent sa
mémoire. »
À ce témoignage d'un homme
qui fut le collègue de du Pontavice, pendant
les cinq années de son ministère
à Bolbec, il convient d'ajouter celui de son
ami Armand de Kerpezdron, dont la carrière
suivit, à tant d'égards, une ligne
parallèle à la sienne
(2).
« M. du Pontavice, dit-il,
réunissait en sa personne les
caractère du véritable
chrétien et du bon pasteur.
« Du véritable
chrétien, car, loin de vivre selon la chair,
il renonçait à ses désirs et
fuyait ce qui la flatte ou l'amuse, il combattait
ses penchants ; il soupirait après la
délivrance du corps du péché,
ce qu'il ne cessa de faire jusqu'à ce qu'il
eût dépouillé le vieil homme
avec ses affections et ses convoitises.
« Bien loin de se conformer
à ce présent siècle, il vivait
comme un étranger ici-bas. Il
méprisait les pompes et les façons du
monde ; ses maximes, ses voies, sa
conversation, étaient pour lui des choses
insupportables. Tous ceux qui l'ont connu sont bien
convaincus qu'il vivait dans une grande
mortification, pour un homme de son rang. Son
costume, son maintien, ses moeurs, en un mot, tout
en lui s'opposait à l'homme du monde, et
manifestait l'homme de Dieu, le
chrétien.
« Quelle
simplicité ! quelle
humilité ! quelle douceur quelle
débonnaireté envers tous les
hommes ! Enfin le disciple était
conforme à son Maître, et l'ensemble
de son caractère était celui du
véritable chrétien.
« On voyait pareillement en
lui les caractères du bon pasteur. On a vu
le zèle et l'activité avec lesquels
il s'acquittait de ses devoirs, et de quelle
manière il remplissait les fonctions
publiques et particulières du saint
ministère ; avec quel empressement il
visitait les infirmes, les personnes
âgées, les malades, sans jamais se
rebuter des refus que les méchants faisaient
quelquefois de recevoir ses visites.
« Il employait tous ses
revenus au soulagement des pauvres et des
malheureux. Toujours bon et fidèle
économe des diverses grâces de Dieu,
il ne dépensait guère pour
lui-même ; il se procurait par là
les moyens de faire plus de bien. Il abondait en
toutes les oeuvres qui sont à la gloire de
Dieu par Jésus-Christ. »
Jean de Quetteville rend le même
témoignage à la grande
libéralité de du Pontavice.
« S'il connaissait, dit-il, quelques
ministres du Seigneur qui, par suite de la
dureté des temps, des afflictions
temporelles dans leurs familles, de la
modicité de leurs appointements, de
l'inattention, de l'impuissance oui de
l'insensibilité de leurs troupeaux, trop
charnels et trop intéressés, eussent
besoin d'une assistance pécuniaire, il
agissait si fraternellement à leur égard que, pour
les
soulager ou les tirer d'embarras, quinze ou vingt
louis ne lui coûtaient rien et qu'il se
faisait un plaisir de les aider de son bien. On
n'en aurait jamais rien su s'ils ne l'avaient
eux-mêmes raconté. Il n'était
pas moins libéral envers les pauvres. Il
pratiquait l'Évangile qu'il annonçait
aux autres (3). »
À ces témoignages d'hommes
qui le connurent et l'aimèrent, nous
n'ajouterons que quelques lignes sur l'impression
qui résulte pour nous de l'étude de
sa vie.
Du Pontavice fut un saint. Sa vie
suffirait à prouver que le protestantisme
évangélique n'est pas impuissant
à conduire les âmes aux plus hauts
degrés de la sainteté. Il semble
avoir réalisé, autant qu'il peut
être donné à l'homme de le
faire, l'imitation de Jésus. Son
caractère, tel qu'il résulte de ses
lettres et du témoignage de ceux qui le
connurent de près, produit l'impression de
quelque chose d'achevé et de suavement pur.
Et quand on se souvient des temps orageux dans
lesquels il vécut et des influences hostiles
à toute piété sérieuse
qui dominaient alors, on se sent d'autant plus
ému d'admiration devant tant de vertus et
tant de ferveur.
Comme précurseur du
Réveil, du Pontavice eut le rôle d'un
témoin plutôt que celui d'un
apôtre. Son ministère en France fut
trop court pour qu'il ait pu donner la mesure de ce
qu'il aurait été et de ce qu'il
aurait fait, s'il eût vécu vingt ans
de plus et pris part à la renaissance
religieuse qui suivit la chute de l'Empire. Son
oeuvre fut modeste, si on la considère au
point de vue des résultats visibles, mais
elle ne fut pas inutile et elle contribua à
préparer des temps meilleurs.
Ce fut un honneur pour le
Méthodisme anglais de donner au
Protestantisme français un chrétien
et un pasteur tel que Pierre du Pontavice.
On lira avec intérêt l'extrait
suivant de l'autobiographie de Pierre de la
Fontenelle, de Fresne, où il parle de ses
rapports avec les prédicateurs
méthodistes, William Mahy et Pierre du
Pontavice. Cette notice sur l'un des plus anciens
méthodistes du Bocage a paru dans le Magasin
wesleyen de Paris, livraisons de juin et juillet
1842.
« La révolution de 89
renversa toutes les formes du culte. Mais quelque
temps après, le calme revint, et nous nous
réunîmes en forme d'assemblée
religieuse. Il fut question alors d'avoir un
pasteur. On nous indiqua M. Mahy, auquel nous
écrivîmes, et il nous fit
réponse qu'il se trouverait un tel jour
à Condé-sur-Noireau. Je fus
désigné pour aller à sa
rencontre, et je le conduisis chez moi, où
il resta quelques jours ; il prêcha le
dimanche suivant, et toute l'assemblée en
fut bien satisfaite ; quelques-uns même
disaient : C'est un Saurin ! Il
prêcha encore plusieurs fois, même en
un jour ouvrier. Il nous reprenait fortement quand
il nous entendait jurer et prendre le nom de Dieu
en vain, n'ayant aucun égard à l'apparence des
personnes ;
il nous disait que, quand on parle de Dieu, on doit
toujours le faire avec le plus grand respect,
puisqu'Il ne tiendra point pour innocent celui qui
aura pris son nom en vain, et que les jureurs et
blasphémateurs n'hériteront point le
royaume des cieux. Cela faisait plaisir à
quelques-uns et de la peine aux autres. Cependant
il fut le moyen de faire cesser en grande partie
toutes ces mauvaises habitudes chez beaucoup de
personnes, et même chez celles qui
paraissaient s'en moquer.
Quand il nous rencontrait, il nous
demandait l'état de notre âme ;
pour moi cela me paraissait comme s'il m'avait
parlé du pape ! Il nous prêchait
continuellement sur la conversion, par la
repentance envers Dieu et la foi en
Jésus-Christ. Il insistait en temps et hors
de temps, nous disant qu'il nous fallait être
convaincus de péché, avoir le coeur
brisé et pleurer sur notre triste
état de chute et de culpabilité,
avoir en horreur le mal et l'abandonner
entièrement, enfin qu'il nous fallait
éprouver un changement réel dans nos
coeurs, dans nos dispositions, dans nos paroles et
dans toute notre conduite. Il nous parlait beaucoup
du Saint-Esprit dans tous ses sermons, ce qui nous
paraissait très étrange. Nous
commençâmes bientôt à
avoir des contestations les uns avec les autres,
touchant les prédications de M. Mahy, qui
n'étaient approuvées que d'un petit
nombre de personnes.
« À cette
époque, je fus convaincu de
péché et très abattu à
la vue de mon état, tellement que j'en
pleurai et fus beaucoup dans la peine. Lorsque
j'entendais la Parole de Dieu ou que je la lisais,
elle ne me paraissait plus la même :
elle touchait davantage mon coeur, et je sentis
alors qu'il y avait en moi quelque changement. Nous
étions très peu de personnes qui
changeâmes un peu de conduite ; le plus
grand nombre se moquaient de nous ; cependant
ils comprirent qu'ils avaient tort de parler mal du
Saint-Esprit et du changement intérieur.
Ensuite ils répandirent
le bruit que M. Mahy faisait courir filles et
femmes à travers les champs, et qu'elles
devenaient folles !
(1
Cor. II, 14), ce qui nous
embarrassa beaucoup, car moi-même
j'étais très inquiet sur
l'état de mon âme et je me
disais : S'il en est ainsi, ces personnes qui
en savent peut-être davantage que toi peuvent
avoir raison. Hélas ! que l'exemple de
ceux qui passent pour être des gens
religieux, a une grande influence sur ceux qui
veulent se convertir au Seigneur ! Ah !
combien cela m'a fait de mal, et m'a fait rester
plus longtemps dans le péché,
à cause duquel j'éprouvais bien des
remords en pleurant et en me lamentant.
« Toutes les fois que M. Mahy
venait nous voir, il nous parlait de notre salut et
de nos devoirs ; c'est ainsi que je fus
entièrement persuadé qu'il ne nous
disait que la pure vérité.
Après cela, il commença de m'engager
à prier d'abondance, mais
hélas ! il me semblait que cela
m'était impossible ; cependant je le
fis de mon mieux, et il m'encouragea à
persévérer et à le faire en
particulier et en public ; ce que je
fis ; mais quelquefois je restais comme si
j'avais été muet, et dans d'autres
temps le Seigneur me bénissait beaucoup.
Dans le mois de septembre 1808, je fus
appelé à passer par une grande
épreuve. Ma chère femme eut une
maladie qui la conduisit au tombeau dans l'espace
d'une semaine. Malgré ses grandes douleurs,
elle eut toujours l'esprit présent
jusqu'à la fin de sa vie. Elle prenait
beaucoup de plaisir aux prières que nous
faisions avec elle. Souvent, quand je fondais en
larmes, elle me disait de ne point m'affliger et de
ne point m'abattre ainsi ; qu'il fallait nous
soumettre à la volonté de Dieu. Elle
me recommanda mes chers enfants en me disant :
Ton âme est dans de bonnes dispositions,
tâche de les y faire entrer aussi ; suis
les conseils de M. Mahy et tu t'en trouveras
bienheureux. Le soir qu'elle mourut, nous nous
fîmes mutuellement nos adieux, et elle
s'endormit doucement dans les
bras de son Sauveur. Oh ! que Dieu me fasse la
grâce de me faire une fin semblable à
la sienne !
« Dans la même
année, nous partîmes, mon frère
et moi, pour aller acheter de la laine chez les
fermiers dans les campagnes de Caen ; et comme
mon frère ne partageait pas mes sentiments,
je le quittai pour aller à Beuville, afin de
m'assurer si ce qu'on disait chez nous de M. Mahy
était vrai. Étant arrivé
à Beuville, je trouvai Mme Mahy et M. du
Pontavice avec lesquels je fus très
édifié ; ils m'invitèrent
à assister à une réunion de
prière qui eut lieu le dimanche matin
à sept heures, chez M. André, qui
était converti au Seigneur ; je fus
très surpris et dans l'admiration de
l'entendre faire une prière
improvisée. Alors je me dis à
moi-même : Si c'est de cette
manière que M. Mahy fait tourner les
esprits, je suis très content d'avoir suivi
ses prédications et je m'en réjouis.
Ensuite, je me rendis au lieu où se tenait
l'assemblée publique où prêcha
M. du Pontavice. Je fus très touché,
même jusqu'aux larmes. L'après-midi,
il prêcha à Périers, où
je fus accompagné de M. André, qui me
demanda, chemin faisant, l'état de l'oeuvre
de Dieu dans mon pays ; je lui racontai toute
l'opposition de Satan et du monde à cette
oeuvre.
« Ensuite, je lui dis que le
but de mon voyage était de m'informer si ce
qu'on disait chez nous de M. Mahy était
vrai, qu'il faisait devenir les filles et les
femmes folles ; que je le priais de me dire
toute la vérité sur ce sujet. Il me
répondit que tout cela était
faux ; et il me raconta que quand M. Mahy vint
à Beuville, les protestants se contentaient
de faire un petit exercice chaque dimanche matin,
s'imaginant que cela était assez pour le
salut de leurs âmes ; mais qu'il n'en
était plus ainsi ; chaque dimanche,
dit-il, nous nous réunissons pour prier Dieu
et pour chanter ses louanges, et nous sommes comme
dans un petit paradis sur la terre, par la
grâce de Dieu et par le ministère de M. Mahy, qui
a été le moyen de nous retirer de nos
péchés. Nous avons été
convaincus de péché et nous nous
sommes repentis en pleurant sur nos fautes ;
nous avons prié Dieu de nous pardonner nos
péchés, pour l'amour de
Jésus-Christ, tellement que nous avons
maintenant le péché en horreur. Et si
vous voulez rester une heure avec nous après
le culte public, vous allez voir la
vérité de ce que je vous dis.
« Étant arrivé
au lieu de la réunion, M. du Pontavice
prêcha d'une telle manière que tous
les auditeurs furent émus jusqu'aux
larmes ; mon coeur fut si vivement
touché que je ne savais ce que j'allais
devenir. Il nous disait dans son sermon :
« Avez-vous pleuré sur vos
péchés ? C'est là le
commencement de la grâce de Dieu en nous,
pour nous convertir et nous changer en de nouvelles
créatures.
O mes amis ! disait-il, priez
sans
cesse, afin que Dieu vous accorde son Saint-Esprit.
Donnez-lui tout votre coeur et vous
éprouverez combien il est bon, vous jouirez
d'un bonheur que le monde ne connaît
point. » Le service étant
terminé, une partie de l'assemblée se
retira et l'autre resta encore un peu de temps. On
chanta des cantiques, et on fit des prières
si touchantes qu'il me semblait que mon âme
était élevée jusqu'au ciel.
Alors je reconnus bien la vérité de
ce que notre bon ami, M. André, m'avait dit
en venant de Beuville. »
On a lu le récit de la conversion de du
Pontavice, dans la lettre qu'il écrivit, le
12 mai 1796, à son ami Reece, qui avait
commencé l'oeuvre de son réveil
spirituel. Cette lettre, celui-ci la trouva si
édifiante qu'il la traduisit et là
fit insérer dans l'Arminian Magazine, du
mois de novembre de cette
même année. Il la fit
précéder, d'une courte notice, qu'on
lira avec intérêt :
« L'auteur de la lettre qui
suit est un gentilhomme français de bonne
famille et riche, qui, au commencement des troubles
actuels, quitta son pays en compagnie de son unique
frère, plus âgé que lui. Il
venait alors de quitter le collège, ses
études finies, et, croyant que son devoir
envers son Dieu et son Roi l'exigeaient, il n'eut
pas de peine à se décider à
sortir du royaume et à s'enrôler sous
l'étendard du duc de Brunswick. Après
que ce général eût
été forcé de battre en
retraite devant Dumouriez, il quitta l'armée
et passa quelque temps en Hollande. Puis il se
rendit dans l'île de Jersey. Là
commencèrent mes rapports avec lui, et,
pendant une année et demie passée
dans des relations intimes, je trouvai toujours
chez lui un sincère désir de
connaître la vérité.
Doué d'un esprit chercheur et d'une
intelligence au-dessus de l'ordinaire, il acquit,
par la fréquentation assidue de la
prédication, une connaissance de jour en
jour plus grande de lui-même et de la
religion ; et, malgré toute
l'opposition qu'il rencontra de la part de ses
compatriotes, et surtout des prêtres, il
s'avoua notre ami.
« En juillet 1795, je quittai
les Îles, et, en août, il reçut
l'ordre, avec le reste de ses malheureux compagnons
en résidence à Jersey, de partir pour
l'expédition de Quiberon ; mais
grâce à un retard inévitable,
le vaisseau dans lequel il s'embarqua, arriva trop
tard pour rejoindre l'escadre de la Manche et dut
faire voile pour l'Angleterre. Tous ceux qui se
rappellent l'issue mélancolique de cette
expédition, conviendront que, dans cette
circonstance, il échappa providentiellement
à la mort.
« Se trouvant à Londres
et sachant que j'y étais, il vint me voir.
Et alors s'ouvrît devant lui une autre porte
providentielle. Le Dr Coke cherchait une personne
versée dans la langue française, et
il fut heureux d'accepter M. du
Pontavice, qui fut heureux, de son
côté, de trouver une pareille
situation. Il a voyagé depuis lors avec le
docteur, et je crois que toute sa conduite prouve
suffisamment la réalité du changement
qu'il fait profession d'avoir
éprouvé.
« On ne peut que remarquer
l'enchaînement des bienfaits providentiels,
par lesquels il a été amené
à la connaissance de soi-même et de
Dieu. Plusieurs de ces circonstances furent
pénibles, mais elles servirent toutes
à amener ce grand et important
résultat. S'il était demeuré
dans son pays, il eût sans doute
été englouti dans le tourbillon
d'incrédulité, qui l'attirait
déjà. S'il était
demeuré en Hollande, il serait tombé
entre les mains des républicains. S'il
était allé à la baie de
Quiberon, il aurait probablement partagé le
sort des milliers d'hommes qui y ont péri.
Il fut amené dans l'île de Jersey,
où l'Évangile est
prêché, et là il fut
réveillé et commença à
s'enquérir du chemin de Sion et à se
tourner de son côté. Après
cela, ayant toutes facilités pour visiter
les sociétés dans la compagnie du Dr
Coke et de s'entretenir avec des gens pieux,
l'oeuvre de la grâce se poursuivit dans son
esprit, jusqu'à ce qu'il fût
préparé pour
l'événement raconté dans la
lettre suivante que j'ai traduite. Plusieurs, je
n'en doute pas, seront heureux d'entendre un
émigré français, un ci-devant
noble, racontant son expérience et les
dispensations de Dieu dont il a été
l'objet, avec toute la simplicité
évangélique à laquelle ils
sont habitués. D'autres seront
encouragés à se confier aux soins de
la Providence divine, qui souvent nous conduit par
des chemins rudes et obscurs, pour notre plus grand
bien final. Et tous les chrétiens se
réjouiront dans la perspective d'une
glorieuse moisson de conversions, dont celle-ci est
les prémices, au sein d'un peuple que nous
avons été habitués à
considérer comme notre ennemi
naturel.
« R. R. »
« Durant mon séjour à
Charleston (États-Unis), j'essayai de former
un auditoire pour mon ami Français, M.
Pontavice. En l'annonçant dans notre culte
et dans les feuilles publiques, nous
réussîmes à réunir,
à deux reprises, de 150 à 200
Français. Son premier sermon, sur les
preuves qui établissent que
Jésus-Christ fut le vrai Messie, fut tout
à fait excellent et commanda l'attention,
malgré la légèreté
d'esprit évidente des auditeurs. Mais la
seconde fois, il jouit de peu de liberté.
Toutefois, je pus me rendre compte que, s'il
plaît à Dieu de lui ouvrir une porte
parmi les Français, il sera probablement un
utile prédicateur de
l'Évangile ».
(Arminian Magazine, 1798, page 502. )
Laurent Cadoret naquit à la Havane, le 30
juin 1770, le troisième ; enfant d'un
même accouchement. Ses deux frères
jumeaux ne vécurent pas. « Je
n'avais, dit-il lui-même, dans une curieuse
autobiographie, malheureusement inachevée,
qu'un souffle de vie. On me crut mort.
On alluma des cierges autour de moi, on
mit de l'eau bénite à mes
pieds ». Il ne devait mourir qu'à
quatre-vingt-dix ans passés. Il naquit,
dit-il, « au sein des
ténèbres de l'erreur les plus
épaisses ». Son père
était un riche armateur
catholique de la Bretagne et sa mère une
Irlandaise. Il fut envoyé à Nantes,
à l'âge de sept ans, chez des
correspondants de son père, MM. Fourcade et
La Magnène, pour son éducation. Il
fit ses humanités à Saint-Brieuc. Il
n'avait que quatorze ans lorsqu'il perdit son
père. « Moi et six autres enfants
nous eûmes pour tuteur mon oncle, un armateur
de Saint-Malo, homme très pieux, le plus
respectable que j'aie jamais connu. Arrivé
à l'âge d'émancipation, on me
donna pour curateur l'abbé Morin, de la
même ville, mon parent par ma
grand-mère, homme aimable, on ne peut plus
consciencieux et doux, un prêtre comme il est
rare d'en trouver aujourd'hui, tant il est vrai que
Dieu a partout ses sept mille qui n'ont point
fléchi le genou devant Baal.
« Peu de temps après la
mort de mon père, je fus libre de prendre un
état. J'avais un goût, prononcé
pour la marine. Mon oncle m'envoya à
Terre-Neuve, et de là à Marseille. Le
début ne fut pas heureux. Nous fîmes
naufrage dans le golfe du Lion, en revenant de
Marseille.
Je restai toute une nuit, dans le mois
de janvier, sur la carcasse d'un navire :
heureusement il sortait des chantiers. Il portait
mon nom, le Saint-Laurent, car mon pieux oncle, sur
ses dix ou douze navires, n'en avait pas un qui ne
portât le nom d'un saint. Un autre vaisseau,
n'ayant pas les mêmes qualités que le
nôtre, fut mis en pièces à
quelque distance de nous. Nous avions un
aumônier, un bon et pacifique prêtre,
sur le navire. Nous lui étions
recommandés, moi et un plus jeune
frère. Il nous fit venir à ses pieds
confesser nos péchés, au moment de
l'imminent danger. Mon cher et pauvre second
frère, qui a péri dans un autre
naufrage, était hors de lui,
épouvanté. Autant qu'il m'en
souvient, je fus sans inquiétude. Sans doute
j'étais déjà dans les mains du
Seigneur »
Il entra à dix-huit ans chez un
chirurgien de Saint-Brieuc, qui tenait une
pharmacie ; puis il reprit la mer.
« D'un caractère
naturellement paisible et réservé,
plutôt sérieux et
réfléchi que frivole et léger,
j'étais peu fait pour la marine, pour les
jurements, la rudesse et l'intempérance de
ses moeurs. Une chose bien remarquable, c'est que
je n'ai jamais su ou pu jurer et profaner le nom de
Dieu, quoique pendant dix ans à la pire
école. Il a plu à Dieu, dès
mes plus tendres années, de sanctifier
jusque-là mes lèvres. Combien il m'a
gardé ! Chaque jour excité,
provoqué et une fois pris au collet par mes
camarades pour me forcer d'entrer où je ne
voulais pas, tout échouait de la part des
tentations grandes et petites, par un effet de la
miséricorde de Dieu,
« Revers et succès,
plus de mécomptes que de réussites,
voilà de quoi s'est composée ma vie.
Dans le cours de ma navigation, par deux fois, j'ai
abordé ma ville natale, la Havane, et
cherché à m'y fixer. Le Seigneur m'en
a repoussé chaque fois, en quelque sorte
violemment ; il semblait me dire :
Marche, ne t'arrête pas ; ce n'est pas
ici le lieu de ton repos ! Quel bonheur
qu'alors comme toujours le Seigneur ait voulu se
charger de moi ! J'avais alors vingt ans,
âge des illusions ; ma boussole me
conduisait mal ; à tous moments je
faisais fausse route, je perdais ma latitude et ne
savais la retrouver ».
Il séjourne quelque temps
à Cadix, fréquente les
églises, se confesse, a l'intention de se
faire moine, et est détourné de son
projet par un ami.
il retourne à la Havane. Un
dimanche, il entre dans l'église.
« Tout était plein, des chants et
une pompe extraordinaires, des centaines de cierges
allumés, tous les saints, la Vierge
principalement, habillés avec le plus grand
luxe ; je devins sérieux, je fus saisi
d'un sentiment d'horreur, mêlé
d'indignation. Il me fallut sortir. Étant
dans la rue, j'élevai mes yeux au ciel et,
avec un coeur extraordinairement ému, je
m'écriai : « Mon Dieu, quand
trouverai-je un lieu où l'on te serve,
où il n'y ait que quatre
murailles ! » Quelle impression
soudaine ! Elle ne venait certainement pas de
moi ! « Le coeur du roi est un
courant d'eau dans la main de l'Éternel, Il
l'incline partout où il veut ».
(Prov.
XXI, 1.)
Cadoret appelle cette
scène : « la circonstance la
plus importante de ma vie ; elle est
restée empreinte dans mon âme en
traits qui ne pourront jamais
s'effacer. »
De la Havane il se rend aux
États-Unis, à Charleston.
« Je me présentai, dit-il, au
consul français. J'avais mes papiers en
règle. Un bâtiment de l'État,
c'est-à-dire de la République, venait
de subir la destitution de ses officiers. il me
proposa d'y prendre place. J'acceptai. Il me donna
le poste d'enseigne. Nous partîmes. À
l'atterrissage de France, nous eûmes un
combat de nuit. On en vint à l'abordage.
Nous restâmes vainqueurs. On me donna le
commandement du vaisseau vaincu. Nous étions
à l'entrée du golfe de Gascogne. Une
escadre anglaise me rencontra et me fit prisonnier.
Je fus conduit à Plymouth, de là au
cantonnement d'Ashburton. Là, le brave
Bergeret, plus tard contre-amiral, deux
Duperré, dont je me suis toujours souvenu
avec une estime particulière, et dont l'un a
été ministre de la marine, furent,
avec de nombreux officiers, mes camarades d'exil, -
je ne veux pas dire d'infortune, Dieu m'en
garde.
« Le lendemain ou surlendemain
de mon arrivée, on me promena par la ville,
un samedi. Nous passâmes devant une chapelle
(meeting house). Une femme y balayait.
« Qu'est-ce que cette maison, »
demandai-je. - « C'est où l'on
s'assemble pour le culte ». Je demandai
à y entrer.
Point de cierges allumés, ni
d'endroits où l'on pût en placer,
point de saints endimanchés, une chaire, des
bancs, une tribune, et rien de plus. L'impression
du Seigneur encore récente m'était
nécessairement restée ; cette
vue me frappa. Je me dis : Je reviendrai, je
saurai ce que l'on fait ici (entre quatre
murailles), car il faut forcément concevoir que
l'impression
que
j'avais reçue et subie ne pouvait signifier
autre chose sinon que le culte, l'adoration que
l'on doit à Dieu doit être très
simple, le plus dégagée possible
d'appareil et de formes. Cette impression m'est
restée. J'aime plus que jamais un culte
simple, le plus simple possible « entre
quatre murailles. »
« Les conséquences de
ma résolution ne tardèrent pas
à se montrer. Dès le lendemain, je me
rendis à la meeting house. Quoique
privé d'oreilles - je ne savais pas un mot
d'anglais, ni qu'il y eût une Bible et des
protestants ! dans le monde, - la forme du
culte me plut. Je continuai à aller
où le Seigneur m'avait conduit, au culte
indépendant. Il ne me fit pas, passer devant
un temple à clocher. Cela aurait compromis
une première grâce, l'impression que
j'avais si gratuitement reçue six mois
auparavant.
« Je respecte l'Eglise
épiscopale d'Angleterre. Dieu y a eu de tout
temps ses enfants, depuis la Réformation,
des serviteurs d'élite des plus
distingués dont les écrits m'ont fait
le plus grand bien. Ses 39 articles de foi forment
ma croyance à peu près
complète ; mais ses usages et ses
pratiques, la forme de son culte plus
compliqué que simple, ne pouvaient
s'accorder avec la forte impression que j'avais
reçue. »
Il se mit avec ardeur à
l'étude de l'anglais. Au bout de trois mois,
il pouvait lire le Nouveau Testament et comprendre
les sermons ; après six mois, il
était assez maître de la langue pour
soutenir une conversation.
« Sur ces entrefaites, je fis
une précieuse connaissance. Une pieuse dame,
membre des plus distingués de l'Eglise,
prenant garde à mon assiduité au
culte, m'invita un jour, après le service de
l'après-midi, à prendre le thé
chez elle. Elle me donna un N. T., mit dans mes
mains les meilleurs livres chrétiens, Booth,
Marshall, Toplady. De là datent mes
progrès. Je devins, dès lors,
résolument chrétien, protestant si
vous le voulez, de profession sinon encore
parfaitement de
coeur et
d'intelligence. Le ministre de la chapelle ne prit
pas connaissance de moi, tant il est vrai qu'il y a
des pasteurs lâches partout, engourdis, peu
zélés, peu fidèles.
« Il en résulta un
combat entre l'homme naturel et aveugle et l'homme
de la grâce réveillé,
apercevant une lumière, à lui
jusqu'alors inconnue. Renoncer à Rome,
c'était peu de chose - je ne connaissais pas
plus Rome que Genève - mais me
séparer, en fait de foi, de ma croyance, de
ma famille, ou plutôt de mon respecté
tuteur et de Mon aimable curateur, l'abbé
Morin, cela me troublait, me rendait incertain. Le
Seigneur, dans sa fidélité, son
immuable conseil, avait pourvu à cette
difficulté. Je réfléchissais
au sacrifice qu'il me coûtait de faire,
lorsqu'un, jour que je n'oublierai jamais,
cherchant dans ma malle, je mis la main sur un
vieux petit livre écrit en latin.
C'était l'office de la Vierge. Je ne puis
dire comment il se trouvait là.
C'était le seul livre que ma malle, celle
d'un officier de marine, possédât. Je
le lus. J'étais instruit dans ce qui avait
rapport aux vérités principales du
salut. Ma pauvre âme jouissait de la
lumière. Quoi ! - ce me fut un grand
sujet de surprise - la Vierge, mère de J.-C.
cette sainte femme, si humble, qui nous a
donné son cantique divin, le Magnificat,
déclarée la reine des cieux, des
anges, le Refuge des pécheurs, ce qui est
proprement dire leur salut ! Avec une profonde
indignation, je jetai le livre à terre et je
me dis : « Je suis protestant
à tout prix... »
Ici s'arrête malheureusement le
journal de Laurent Cadoret, qu'il avait
commencé à Amiens, le 23 janvier 1843
et qu'il avait rédigé pour son
enfant. Il commence ainsi : « Depuis
longtemps, mon cher enfant et un ami de coeur me
demandent le récit de ma vie,
c'est-à-dire des grâces que Dieu m'a
faites. J'acquiesce enfin à ce désir.
Que ce soit pour la gloire et la louange de Celui
dans les mains duquel tout a été
remis, de Jésus-Christ notre
Seigneur ! »
Voici, en résume, la suite de son
histoire. Il fit la connaissance en Angleterre du
Rév. Bogue, professeur de théologie
et embrassa de coeur, grâce à son
influence, la vérité
évangélique. - À 29 ans, il
épousa en France Périne Sorel, puis
il partit pour l'Angleterre avec sa femme, passa
trois ans dans le séminaire
théologique du docteur Bogue, fut
consacré au saint ministère et fut
successivement pasteur des Églises de
Condé-sur-Noireau, de Luneray et d'Amiens.
Il eut huit enfants :
Elisa, qui épousa à Mens
M. Chagnard ; Samuel, qui fut pasteur à
Mens ; Thérèse ; Pauline,
mariée à M. Jaccard, pasteur
belge ; Lydie ; Timothée ;
Chloé ; Paul, qui vit encore (il a 80
ans), qui a occupé plusieurs postes et fut,
en 1870, aumônier militaire.
À l'âge de 78 ans, Laurent
Cadoret se retira près de ses enfants,
à Mens (Elisa, Samuel et Paul). Il
s'éteignit en 1861, rassasié de
jours, « cet homme intègre, en qui
Dieu avait si manifestement fait éclater sa
puissance et sa miséricorde. »
Il naquit dans l'année 1770, à
Fougères, en France, de parents nobles et
très affectionnés. Il émigra,
lors de la Révolution, et, par une
providence singulière, ayant
échappé à toutes sortes de
périls et de dangers, en divers endroits du
Continent, il arriva sain et sauf à Jersey,
où il entra en rapport avec les ministres
méthodistes, dont la conversation, l'exemple
et la prédication lui furent grandement
profitables. Quelques années plus tard,
alors qu'il voyageait avec le docteur Coke, il
passa par des luttes
intérieures très vives et arriva au
salut par la foi en Christ, sous les prières
de MM. Taylor et Bramwell. « Dieu,
dit-il, fit entendre à mon âme
agitée ces douces paroles : Je ne me
souviendrai plus de tes péchés ;
j'essuierai toutes les larmes de tes yeux. Je
crus, je sentis l'assurance du pardon ; mon
coeur fut rempli d'une joie inexprimable. Depuis ce
moment, je me réjouis dans le Seigneur, et
l'Esprit rend témoignage avec mon Esprit que
je suis enfant de Dieu. Je sens que Dieu est en moi
et moi en Lui. Et comme Christ a voulu que les
fidèles ne soient qu'un en Lui, je me sens
uni à eux comme je ne l'ai jamais
été. » « Plaise
à Dieu, ajoutait-il, que nous ne soyons
jamais désunis, mais réunis encore
plus étroitement dans le temps et dans
l'éternité. » Sa
prière fut exaucée, car son union
avec les enfants de Dieu devint toujours plus
intime.
Il se sentit intérieurement
appelé au ministère, et
commença à prêcher, comme
itinérant, dans sa langue maternelle,
à Jersey, Guernesey, Aurigny et Serk, dans
l'année 1800 et continua jusqu'en 1802. La
Providence lui ouvrit alors la voie pour retourner
dans son pays natal. Il y prêcha, comme dans
les Îles, de façon à être
agréé du peuple, et à avoir
autant de succès qu'on pouvait en attendre.
Ses discours, qui respiraient la douceur et
l'amour, gagnèrent l'affection de ses
nombreux auditeurs ; sa circonspection, son
esprit de renoncement, son exactitude dans toutes
les parties de sa tâche, lui
attirèrent l'approbation de tous ceux qui le
connurent. Il était si régulier, si
modéré, si patient, si doux, si
humble, si disposé à s'effacer, et en
même temps si prudent et si judicieux, qu'il
gagna l'affection et l'admiration de ceux qui
eurent le privilège de sa compagnie et de sa
conversation. En un mot, il se conduisit à
l'égard des hommes de tout rang et de toutes
dispositions de façon à trouver
faveur auprès de tous ceux à qui il
eut affaire.
Il consacra ses dernières
années et ses dernières forces
principalement à cinq communautés
protestantes près de Bolbec.
Peu après qu'il eut
commencé à prêcher en public et
à instruire. exhorter et prier de maison en
maison, un vieillard dit, avec des larmes de
gratitude : « Ce pasteur nous a
été envoyé par Dieu, et il y a
déjà par son moyen une grande
réformation dans le peuple. » Les
ministres protestants le tenaient en grande estime,
à cause de sa profonde piété
et de sa fidélité dans le
ministère ; aussi était-il
souvent appelé à prêcher
à Bolbec, le Havre-de-Grâce, Rouen,
etc., et, dans ces occasions, les églises se
remplissaient de protestants et de catholiques qui
l'écoutaient avec une grande attention. Il
prit pension chez M. Cadoret (4), l'un
des ministres
protestants,
qui, ainsi que sa femme, est converti et vraiment
pieux ; et, comme ils ont une très
nombreuse famille, avec un très modeste
salaire, il fut pour eux un ami et un vrai
frère. Il dépensait peu pour ses
propres besoins et abondait en bonnes oeuvres. Tout
son revenu était judicieusement
distribué aux pauvres de son troupeau. Il se
conduisit en vrai chrétien et en bon
pasteur.
Mais hélas ! cette lampe
ardente et brillante a été
bientôt éteinte. M. du Pontavice, ne
pouvant plus remplir les devoirs de sa charge, se
retira à Beuville, où il y a une
société plus avancée en
grâce et plus capable d'apprécier et
de mettre à profit le ministère
vraiment céleste d'un tel pasteur. Il
vécut là deux mois, souffrant
beaucoup, mais vivant dans une intime communion
avec Dieu. Sa paix était comme un
fleuve ; la pensée de la mort le
remplissait de joie ; il lui tardait de
déloger pour être avec Christ ; son
espérance était immortelle et sa joie
ineffable et glorieuse. Il louait Dieu nuit et
jour, et quand il eut perdu la faculté de
parler, son visage fut resplendissant comme celui
d'un ange ; il leva sa main, et son regard
mourant se dirigea vers le ciel. C'est ainsi qu'il
s'endormit en Jésus, d'une manière si
douce que l'on ne put pas percevoir son dernier
soupir. Il mourut le 1er décembre 1810.
Acte de décès de
Pierre-Thomas-Uzèbe (sic) Dupontavice,
décédé le jour d'hier,
à neuf heures du matin, profession de
ministre protestant, âgé de quarante
ans, né à la paroisse de
Saint-Sulpice, département
d'Ille-et-Vilaine, demeurant à Beuville,
fils de Pierre-Guy Dupontavice du Vaugarny et de
dame Marie-Marguerite Thomasse de Poilley de
Bauval, décédé au domicile de
la demoiselle Madeleine Houel, à Beuville.
Sur la déclaration à moi faite par la
demoiselle Madeleine Houel, âgée de
trente-trois ans, demeurant à Beuville,
profession de mercière, qui a dit être
amie du défunt, et par le sieur Jean Lucas,
âgé de soixante ans, demeurant
à Beuville, profession de tailleur de
pierre, qui a dit être ami du défunt,
et ont signé.
Constaté par moi, Jean Buisson,
adjoint de la commune de Beuville, faisant les
fonctions d'officier publie de l'état civil
soussigné.
(Suivent les signatures).
FIN
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