Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IV

LE PRÉDICATEUR MÉTHODISTE DANS LES ÎLES DE LA MANCHE

(1800-1802)

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Dans les longs entretiens que du Pontavice eut avec le Dr Coke sur terre et sur mer, il dut souvent être question de l'évangélisation de la France, et plus d'une fois sans doute le vétéran posa à son jeune frère la question : Pourquoi n'iriez-vous pas vous-même prêcher l'Évangile à votre peuple ? Cette question le préoccupa et le troubla longtemps. Pour le moment, la France lui était fermée, comme à tous les émigrés. Ceux qui y pénétraient ne le faisaient qu'en dissimulant leur identité et qu'en se cachant. Mais on pouvait prévoir que l'heure allait sonner où les barrières s'abaisseraient devant ceux qui accepteraient sans réserve le nouveau régime issu de la Révolution. L'expérience du professorat que du Pontavice fit à Bristol le convainquit que la carrière de l'enseignement n'était pas celle où Dieu l'appelait à le servir. « Il sentait, dit de Quetteville, depuis quelque temps, un appel intérieur au Saint-Ministère. Ayant expérimenté pour lui-même, que les richesses de Christ sont incomparablement supérieures à tout ce qu'on nomme bonheur et félicité sur la terre, il désirait ardemment voir tous les hommes entrer dans cette alliance de grâce où la paix abonde. Il soupirait surtout pour sa patrie. Il éprouvait une vive douleur en la voyant couverte d'épaisses ténèbres et flottante au milieu d'un Océan de préjugés. En attendant que la Providence lui en ouvrît les portes, il revint à Jersey dans le dessein d'y commencer son ministère, si le Seigneur lui en donnait la force (1). »

Il dut être encouragé dans cette voie par ses amis anglais, et surtout par le Dr Coke. Ce fut sans doute à son influence qu'il dut d'être inscrit par la Conférence de 1800, réunie à Londres, parmi les prédicateurs itinérants « reçus sous épreuve » (admitted on trial), et qu'il fuit placé à Guernesey et Aurigny (2).

Avant d'être admis officiellement par la Conférence, il avait dû faire un stage comme prédicateur local, conformément aux usages du Méthodisme. « Quelques jours après son arrivée à Jersey, dit de Quetteville, il fit son premier essai comme prédicateur et, par l'assistance divine, il réussit au gré de ses désirs. Il fut bien accueilli de toutes nos assemblées. Il s'acquitta avec zèle de ses fonctions, se recommandant partout à la conscience de ses auditeurs (3). »

Sur le ministère et les expériences de du Pontavice, dans les îles de la Manche, nous n'avons, outre une lettre qu'on trouvera plus loin, que le témoignage de son collègue et ami Jean de Quetteville. Ce sont des notes sommaires, mais dont nous devons nous contenter.

« Il eut bientôt la consolation de voir ses travaux couronnés de succès. Plusieurs furent touchés, convaincus et convertis sous sa prédication. De la petite île d'Aurigny, où il se trouvait alors, il écrivait, en 1800, à de Quetteville : « Gloire soit à Dieu de ce qu'il bénit mon âme et me donne « une grande liberté pour parler au peuple. La parole est en bénédiction à ses enfants, et elle jette l'épouvante dans l'âme de plusieurs mondains. Quelques-uns paraissent attendris jusqu'aux larmes. Oh ! puisse Dieu répandre son Esprit sur nous comme sur ses serviteurs d'autrefois, et nous rendre tous ardents comme des flammes de feu, pour embraser tout ce qui nous environne ! Mon coeur soupire après la prospérité de Sion, mon âme est en travail. » Avec cette ardeur, il était si petit à ses propres yeux qu'il s'appelait un serviteur négligent, paresseux, qui occupait inutilement la terre, et qui ne méritait pas qu'on fît mention de son nom.

« Le 26 mars 1801, il écrivait de Jersey, où il était alors, que Dieu le bénissait dans toutes ses fonctions publiques, et dans toutes, les classes qu'il avait l'occasion de conduire, et qu'il désirait ardemment les dons spirituels et aspirait après la vertu d'En-Haut. « Hélas ! disait-il, je suis plus semblable à un bois sec, à un arbre sans fruit et sans feuilles, qu'à ces arbres plantés près des eaux courantes, qui rendent leur fruit dans leur saison, et dont le feuillage ne se flétrit point. Priez Dieu qu'il me tire de ma sécheresse et de mon aridité, afin que je puisse porter une abondance de fruit à sa gloire. »

« M. du Pontavice ne reçut point en vain les grâces que le Seigneur répandait avec profusion dans son âme. Convaincu que le ministère est pour celui que le Ciel y appelle, une suite de fonctions pastorales, dont la négligence l'exposerait aux châtiments de Dieu, il employait tous les moyens et saisissait toutes les occasions de rallumer le don qu'il avait reçu. Continuellement dévoré du zèle de la maison de Dieu, et rempli d'une tendre sollicitude pour les troupeaux qui lui étaient confiés, il veillait sur eux assidûment avec un grand amour. Il allait de maison en maison, non pour la forme, et pour se décharger de son devoir, mais par un vif sentiment, rompant le pain spirituel avec ses frères et les excitant à la persévérance. Il ne cessait de manifester aux disciples du Seigneur Jésus une affection pure, ingénue et très vive. Présent ou absent, il s'intéressait au salut des jeunes et des vieux, des riches et des pauvres. Dans ses visites, qui étaient généralement courtes, il parlait peu, mais ses paroles étaient assaisonnées du sel de la grâce. Quand il parlait de son état spirituel, on sentait, comme le montrait aussi sa conduite, que son esprit se plaisait dans cette espèce de solitude intérieure que rien ne peut troubler, et où l'homme apprend la plus utile des connaissances, celle de son propre coeur. Les entretiens pieux, le chant des cantiques de Sion et les prières en commun faisaient ses plus chères délices. Avec quelle ardeur il poursuivait la course qui lui était proposée ! Rien ne rebutait son courage. Il avait vaincu sa timidité naturelle. Toujours veillant, toujours luttant, il remportait la bénédiction. Il avait une grande défiance de lui-même, et une grande confiance en Celui qui dit à l'âme fidèle : « Ne crains point, car je suis ton Dieu, le même hier, aujourd'hui, éternellement, le Tout-Puissant (4). »

Le fragment qui suit est incomplet et sans date. Il nous semble être des commencements du ministère de du Pontavice dans les Îles :
« J'ai une croyance au dedans de moi, que c'est la volonté du Seigneur que je reste ici. Mais je ne veux pas me laisser conduire par des impulsions et des impressions, mais par une sagesse qui vienne d'en haut. Si je parle ainsi, ce n'est pas que je trouve de la répugnance à retourner en Angleterre. Oh ! que j'aurais de plaisir à voyager encore avec le Docteur ! Mais je ne veux pas suivre les inclinations de mon coeur, mais faire la volonté de Dieu (5). »

La lettre suivante nous fait part des luttes intérieures du ministre de Jésus-Christ, préoccupé de son insuffisance, et aspirant à porter l'Évangile dans son pays :

« Guernesey, 13 Novembre 1801 (6).

« Très cher frère,
« Sans chercher une multitude de raisons pour me justifier de mon long silence, je vais vous dire en peu de mots. quelle en a été la cause. Vous ne devez nullement l'attribuer à aucun changement dans les dispositions de mon coeur ; non, mais plutôt à votre silence. Les dernières fois que je vous écrivis, vous ne me fîtes pas le plaisir de me répondre ; et comme je suis très paresseux pour écrire, quand j'ai écrit une ou deux fois sans recevoir de réponses, je mets bientôt la plume de côté, mais non pas mon affection et mon amitié. Étant très paresseux moi-même, je pardonne aisément la paresse dans les autres. En voilà assez de dit sur ce sujet, puisque nous pouvons être sûrs que nos dispositions réciproques sont les mêmes.

« Je pense aussi que mes dispositions à l'égard de mon Dieu sont encore les mêmes ; c'est-à-dire que mon désir et ma ferme résolution sont de sacrifier tout ce qui peut être le plus cher à mon coeur, pour me consacrer sans réserve à son service. Rien ne me paraît digne de mon attention ici-bas. Richesses, honneurs, plaisirs, tout cela ne m'est plus rien ; pour peu que je gagne Christ et que je gagne des âmes à Christ, je serai heureux et content.

« Mais que j'ai été agité d'inquiétude et de crainte à ce sujet ! Oh ! que Satan a cherché à ébranler ma foi, et à me faire croire que j'ai été un si grand pécheur que jamais Dieu ne m'avait pardonné et qu'il n'y avait pas de pardon pour moi ! J'ai eu beau lui dire qu'il était un menteur ; que j'avais senti la paix de Dieu qui passe tout entendement humain, goûté l'amour de Dieu, eu le témoignage de son Esprit ; j'ai eu aussi beau repasser en mon esprit les bénédictions multipliées que j'ai reçues, toutes les marques indubitables de son tendre amour à mon égard, le tendre soin qu'il a pris de ma personne, comment il m'a délivré de plusieurs dangers, même de la mort, comment il m'a introduit parmi son peuple, l'avantage inappréciable de voyager et de visiter les Églises répandues sur la surface de la terre, les grands désirs qu'il m'a donnés d'aller prêcher son Évangile ; comment il m'a ouvert le chemin dans les Iles, a aplani tous les obstacles et m'a envoyé ici juste dans le temps où l'on avait besoin d'un prédicateur ; comment il a daigné m'accorder le don de prière et de prophétie, que je sais fort bien que je n'avais pas, il y a quelques années ; et comment il a tourné dans ces îles tous les coeurs en ma faveur, de sorte que j'ai été reçu à bras ouverts de nos amis, et même approuvé de ceux du dehors ; et que la parole que je leur ai annoncée tant aux uns qu'aux autres leur a été en bénédiction, (car, gloire soit à Dieu, qui a bien voulu se servir de moi pour en amener des ténèbres à sa merveilleuse lumière ; même, au premier sermon que je prêchai ici, il y en eut de réveillés, et, dans les trois îles, Dieu m'a donné des sceaux à mon ministère) ; je ne raconte pas toutes ces choses-ci pour m'en glorifier, Dieu m'en garde ! mais pour repasser les témoignages que j'ai de l'approbation de mon Dieu.

Quand je considère donc toutes ces choses, et que Dieu, par-dessus tout, m'a donné de l'amour pour lui et pour ses voies, qu'il a ainsi changé les dispositions de mon coeur, et que les choses que j'aimais je les abhorre, et que les choses que je désirais pour me rendre heureux sur la terre, j'y renonce pour me donner entièrement à mon Dieu, qu'enfin je sens le désir de renoncer à toutes choses et à toute créature pour me donner tout à mon Créateur ; est-ce que je puis, me dis-je à moi-même, avoir ressenti et ressentir ces choses, et ne pas avoir fait la paix avec mon Dieu ? Mais, ô prodige d'incrédulité ! je ressens encore des doutes et des craintes, et, au milieu de mes doutes et de mes craintes, je m'écrie : Eh bien ! s'il faut périr, je périrai en servant Jésus ! Mais, malgré mes résolutions, je n'ai pas encore obtenu une entière délivrance ; le fond de l'incrédulité est encore dans mon coeur, et ceci met des obstacles à l'accomplissement de cette glorieuse promesse d'être rempli de la plénitude de mon Dieu.

« Écrivez-moi deux ou trois mots pour ma consolation, j'en ai grand besoin. Je me recommande à vos ferventes prières et à celles de M. Bramwell. Oh ! que je désirerais que celles que vous avez déjà offertes pour moi fassent agréablement reçues de Dieu ! Car le désir de mon coeur est d'aller en France prêcher l'Évangile ; je n'ai pas d'autres désirs et j'étudie les Écritures afin de m'y préparer, en priant surtout Dieu de me remplir de son Esprit ; car je sais que, quand je saurais là Bible par coeur, et que je serais capable de prouver par les Écritures tout ce que j'avancerais, cela ne pourrait pas encore convertir une seule âme, et qu'il faut que je sois plein de l'Esprit de Dieu, puisque le ministère de la lettre tue et que l'Esprit seul vivifie.

« Nous n'avons pas reçu ces derniers temps de nouvelles de William Mahy (7). Il y a plusieurs mois que M. de Quetteville n'en a reçu ; mais je ne pense pas qu'on soit longtemps sans en recevoir. Par ses dernières lettres, il ne paraît pas qu'il ait fait grand'chose. S'il a une société, elle est bien petite.

« Je n'ai pas encore écrit à ma famille, et par conséquent n'ai pas encore eu de leurs nouvelles. Il y a environ six mois, je reçus une lettre de mon frère qui était pour lors à Paris (il y a plus d'un an qu'il est retourné en France), mais il me marquait qu'il n'avait pas encore pu retourner chez lui. Il était venu bien près de sa ville et avait passé quinze jours avec ma soeur ; mais il avait été obligé de repartir pour une autre ville, de crainte d'être arrêté. Il me disait que quelques-uns avaient été arrêtés, mais qu'on ne leur faisait rien, qu'ils n'étaient même pas chassés hors de la République, et qu'il espérait que le gouvernement avait de bonnes intentions à l'égard des émigrés. J'espère que, quand la paix sera ratifiée, on pourra leur permettre de rentrer. C'est l'opinion des Français qui sont venus depuis peu de France dans ces pays-ci.

« Quoi qu'il en soit, je sais que, si c'est la volonté de Dieu que j'aille dans ma patrie y prêcher l'Évangile, il m'ouvrira le chemin, et j'attends avec patience ce moment désiré. Et quand je considère que je ne suis pas en l'état où il faudrait être pour y aller, je suis en quelque sorte bien aise que le moment ne me paraisse pas encore venu pour moi. Je sais que Dieu peut me préparer dans un moment. Son bras n'est pas raccourci qu'il ne puisse me relever de la grande profondeur de ma misère.

« Quant à ma famille, je ne sais si je pourrai jamais aller la voir. Si je me vois en liberté de retourner en France, je ne voudrais pas aller voir mes parents sans prêcher l'Évangile dans la ville où je suis né, et je ne voudrais pas non plus y aller seul ; je voudrais avoir avec moi quelqu'un pour me soutenir contre les différentes attaques que j'aurais à essuyer de ma famille, qui sans doute voudrait m'empêcher d'aller prêcher, et je doute qu'ils voulussent me revoir à ces conditions. Prions Dieu qu'il dirige toutes choses afin que je puisse le glorifier.

« Le frère Angel (9) a un bateau, mais il est trop petit pour aller en France. Mais il y a ici plusieurs bateaux qui pourraient vous y conduire (10).
« Mes amitiés à M. Bramwell. Je me recommande à ses prières.
« Votre frère dans le Seigneur,

« P. PONTAVICE. »

Nous avons reproduit intégralement cette lettre, malgré sa longueur et malgré ses négligences de style, parce qu'elle nous paraît offrir un grand intérêt. Elle donne une haute idée du sérieux chrétien de Pierre du Pontavice, et elle le montre se préparant par l'étude et par la prière à évangéliser la France. Son ministère dans les îles de la Manche fut pour lui la veillée des armes, où il prépara son âme pour la tâche qui lui apparaissait toujours plus comme l'oeuvre de sa vie.


(1) Magasin méthodiste des Îles, de 1817, p. 8.

(2) Voici l'extrait des Stations, où figure son nom pour la première fois: « Guernsey and Alderney: William Cox, John de Quetteville, Nicholas Manger, Peter de Pontavice, John Sydserff. »

(3) Magasin méth., 1817, p. 8.

(4) Magasin méth., 1817, p. 8, 49.

(5) Lettre inédite à Richard Reece.

(6) Lettre à Richard Reece.
7
(7) Sur l'oeuvre de W. Mahy en Normandie, voir l'Introduction.

(9) Jean Angel, dont il a été parlé dans l'introduction

(10) Il semble résulter de cette phrase qu'il avait été question que Richard Reece fit une visite en France.
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