Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



FÉLIX NEFF PORTEUR DE FEU



CHAPITRE XIV

VICTOIRE !

« J'ose espérer que le Père miséricordieux n'a voulu que m'éprouver, comme Abraham, et qu'il n'exigera pas la consommation du sacrifice. Toutefois que Sa volonté s'accomplisse, car elle est toujours bonne, agréable et parfaite. »

Neff soupire : « J'eusse préféré mourir sur le champ de bataille plutôt que de végéter en garnison ou aux invalides. »

Pour tenter de reprendre pied dans la vie, en pensée, le malade rejoint encore ses Alpins. Aussi longtemps qu'il le peut il leur écrit :
« Mon esprit erre comme dans un songe au travers des Alpes et du Trièves; mon coeur l'accompagne dans ses tournées et se retrouve, non sans émotion, dans les lieux où il a éprouvé tant de sensations délicieuses, partout où il a soupiré pour la conversion des pauvres pêcheurs, partout où il fut entouré d'âmes précieuses, avides de la parole du salut. Je repasse les vallons, les cols, tous les petits sentiers tant de fois traversés ou seul ou avec des amis. Je me retrouve dans les chaumières, dans les étables, dans les vergers, partout où je me suis entretenu du ciel avec ceux qui me sont chers en Jésus-Christ. Je les vois tous, à part ou réunis ; je les entends et je leur parle. Et je prie pour ces chères brebis... je rencontre aussi dans ces souvenirs l'image de ceux qui ne sont plus et je soupire... Sans doute, je ne peux repasser ainsi les temps et les lieux sans retrouver beaucoup de souvenirs humiliants et sans penser que si, à cette heure, je suis mis de côté dans le service du Christ, je l'ai bien mérité. Mais ces souvenirs ne sont pas les moins salutaires et j'aurais bien tort de les écarter. »

À ceux d'Arvieux :
« Non, chers amis, je ne regrette pas les privations et les fatigues endurées pour l'amour de vous et qui m'ont réduit à l'état de faiblesse et de maladie où je suis maintenant, vous écrivant du fond de mon lit et par une main étrangère. »

À Alexandre Vallon, jadis ivrogne, batailleur, maintenant à la tête des « changés » du Champsaur, que de récentes nouvelles disent mourant :
« Je ne sais, mon cher ami, si la pensée de la mort vous est pénible ; je sais maintenant par expérience que Satan peut, dans certains moments, nous la rendre bien lugubre ; c'est alors que nous voyons combien nous sommes encore charnels, combien nous avons peu de foi. Cependant, qu'est-ce pour nous, que cette pauvre vie, que ce misérable monde ? Nous l'avons appelé tant de fois, dans le temps même de notre vigueur, un désert, une vallée de larmes, un enfer ; et maintenant que nos corps affaiblis ne peuvent plus jouir du peu de bien qu'il offre, l'esprit de séduction aurait l'art de nous le faire regretter ?

Dans les plus beaux jours de notre pèlerinage nous avons soupiré après l'heure de l'arrivée ; et dans les sombres nuits d'une pénible navigation, la vue du port nous effraierait ? Oh ! cher ami, chantons, chantons plutôt le cantique de la délivrance : Courage ! encore un pas !... Ah ! que les veilles de cette triste nuit qui nous semblent si longues nous paraîtront courtes au matin de l'éternité, quand la brillante aurore du jour des cieux dissipera comme un vain songe le souvenir de nos douleurs... Bientôt Celui qui doit venir viendra ! Nous ne franchirons probablement plus ensemble les sommets des Alpes, mais bientôt nous nous rencontrerons sur les brillantes collines de la céleste Canaan et cela pour toujours. Oui, certainement, bientôt pour toujours ! Adieu ! »

Quand ces lignes parvinrent à leur adresse, Alexandre Vallon se trouvait encore chez lui, mais couché dans un cercueil.

Les lettres qu'on vient de lire, d'autres encore, montrent quel combat livra Neff quand il comprit que les travaux de cette vie n'étaient plus pour lui ; que sentiers, cols, neige, tièdes étables où s'entassaient les « assemblées », écoles - son école de Dormillouse ! celles qu'il allait fonder - se couvraient de brouillard. Cet homme dévore d'ardeur, ce pèlerin de l'Éternel, ne saisira plus le bâton laisse là-bas, et qui l'attend ! Il se débat. Puis s'humilie, se soumet et s'engage, tournant à peine la tête pour saluer ce qu'il abandonne, sur les chemins qui mènent à l'Éternité. Il ne demande plus qu'une chose : « Que Dieu fortifie ma foi et ma patience. Qu'Il me rende plus présents les biens de l'avenir. »

Les biens de l'avenir ! C'est l'autre rive, maintenant, que Neff regarde.
Il dicte encore. Messages de plus en plus brefs pour demander aux fidèles de maintenir, là-bas, les feux allumés.

De Dormillouse, Pierre Baridon répond :
« C'est moi, avec, tous vos amis de Dormillouse, qui avons été la cause de votre maladie. Si nous avions été plus prompts à croire en Dieu, vous n'auriez pas eu besoin de vous fatiguer tant dans les neiges ni d'épuiser votre poitrine... Les principaux chefs de Dormillouse se sont joints ensemble. Quelques-uns avaient pensé que, peut-être, il faudrait désigner deux hommes pour vous aller voir, pensant que, peut-être, cela vous ferait plaisir ; mais tous ensemble on a décidé de vous écrire cette lettre (signée de nombreux noms). Nous vous prions de nous dire comme il vous fera plaisir. Ou, si nous devrions, au lieu de deux hommes pour vous aller voir et qui ne vous seraient peut-être pas de grande utilité, vous faire passer de l'argent qu'il aurait fallu pour leur dépense, qui vous pourrait être plus utile. Si vous pouvez nous le faire savoir, nous nous empresserons de répondre à vos voeux, de tout ce que nous pourrons. Nous n'ayons rien à vous refuser. Nous vous pouvons dire en toute sincérité de coeur que, si notre sang vous était utile, nous le donnerions et nous ne ferions ainsi pas plus que vous avez fait pour nous. »


LA CROIX DU COL D'ORSIÈRES

Combien sont-ils, dont les noms sont inscrits au livre de l'histoire humaine, princes, grands capitaines, savants, artistes, écrivains, qui furent dignes de recevoir, sur leur lit d'agonie, semblable message ?

Neff n'eut pas la force de répondre. Ce n'est qu'en mars 1829, profitant d'un bref répit dans ses souffrances, qu'il dicte à Ami Bost, à l'adresse des Alpins, son testament spirituel :

« ... Maintenant je fais l'expérience des vérités que je vous ai enseignées. Oui, maintenant plus que jamais, je sens l'importance, l'absolue nécessité d'être chrétien de fait et de vivre habituellement dans la communion du Sauveur, demeurant en Lui. C'est dans l'épreuve qu'on peut parler de ces choses : un chrétien sans afflictions n'est encore qu'un chrétien de parade... Il est exactement vrai que c'est par beaucoup d'afflictions qu'il faut entrer au Royaume de Dieu... Oui, je puis le dire maintenant, il m'est bon d'être affligé, il me fallait cette épreuve. Il me la fallait, je le sentais d'avance, et je ne crains pas de vous dire que je l'avais demandée au Seigneur. Mon état est cependant bien pénible. Moi qui me complaisais dans une vie d'activité, de mouvement, je me trouve depuis longtemps réduit à l'inaction la plus complète, ne pouvant presque plus ni boire, ni manger, ni dormir, ni parler, ni entendre lire, ni recevoir des visites de mes frères et faisant un grand effort pour dicter ces quelques lignes ; accablé de beaucoup d'angoisses qui tiennent a la maladie et souvent privé par elle ou par les ruses de Satan ou de mon propre coeur, de la présence de Dieu et des consolations spirituelles qu'elle m'apporterait.

« Je puis cependant déclarer hautement que je ne changerais pas cet état d'épreuve contre celui où j'étais il y a quelques années, au plus fort de mes travaux évangéliques ; car, bien que ma vie se soit consumée au service du Christ et qu'elle ait pu paraître exemplaire aux yeux des hommes, j'y retrouve tant d'infidélités, tant de péchés, tant de choses qui souillent mon oeuvre à mes yeux et surtout aux yeux du Seigneur ; j'ai passé tant de temps loin de mon Dieu, que je préférerais cent fois, si j'avais encore trente ans à vivre, les passer sur ce lit de langueur et d'angoisses, que de retrouver mes forces et ma santé pour ne pas mener une vie plus véritablement chrétienne, plus sainte, plus entièrement consacrée à Dieu que ma vie précédente.

Oh ! chers amis, combien nous perdons de temps, de combien de bénédictions et de grâces nous nous privons en vivant éloignés de Dieu, dans la distraction, dans la recherche des choses périssables, dans la satisfaction de la chair et de l'amour-propre ! C'est maintenant que je le sens et vous le sentirez au jour de l'épreuve. Rachetez donc le temps, je ne puis trop vous le répéter ; vivez en Dieu, par la foi, par la prière, par des entretiens sérieux. Je ne puis et ne veux être sauvé que comme le dernier des pécheurs, que comme le brigand converti sur la croix... »

Il y a là comme une exaltation de la sainteté. Blême, décharné, tenaillé par la faim et par le mal qui le ronge, Neff, les yeux pleins de douleur et de reconnaissance, salue ses souffrances comme une ville durement assiégée salue son libérateur qui approche.

Ne pouvant plus, les amis se réunissent dans une chambre voisine de celle du mourant. En sourdine, ils chantent des cantiques ; quand ils fredonnent celui dont il est l'auteur : Ne te désole point, Sion, sèche tes larmes... les souvenirs évoques, ceux des beaux jours sur la montagne, l'émeuvent à tel point qu'il y faut renoncer.

Sentant venir sa fin humaine, Neff souhaite confesser ses fautes à un frère. Guers se penche. Tragique dialogue. Péniblement, les lèvres remuent pour tenter d'exprimer les frémissements intimes d'une âme assoiffée de perfection. Ces mots, soudain :
- « Oh ! sacrificateur infidèle ! enfant de colère ! »

Guers répond :
- « Oui, enfant de colère, pourtant enfant de Dieu... »

Alors Neff, heurtant l'une contre l'autre ses mains transparentes :
- « Oh ! mystère, enfant de colère et pourtant enfant de Dieu ! »

Un silence.
Puis ces mots :
- « Je n'ai pas de joie. »
- « On n'est pas sauvé par la joie. »
- « Je ne sais même pas si j'ai la paix. »
- « On n'est pas sauvé par le sentiment de la paix. »
- « C'est vrai ! On n'est sauvé que par la foi. C'est la seule chose qui reste. J'ai tout gratté, jusqu'au mur. »

Bost survenant, il précise : « J'ai gratté avec les ongles jusqu'à ce que j'aie enlevé tout le sable, tout le mortier, jusqu'à la pierre vive. Mais la pierre est restée. »


FAC-SIMILÉ DE LA DERNIÈRE LETTRE DE FÉLIX NEFF
À SES AMIS ALPINS

Au-dessus du lit : Celui qui croit en moi aura la vie éternelle. Cette promesse, Neff l'appelle son passeport.
Pas une plainte, malgré les souffrances croissantes, ne s'échappe des lèvres serrées. N'ayant plus la force de remercier ceux qui le soignent, Neff jette ses bras autour de leur cou. Il ne laisse voir d'inquiétude que pour sa vieille maman. Lui parti, que deviendra-t-elle ? Et il murmure avec tendresse :
- « Pauvre mère ! »
- (Elle fut recueillie par des amis et devait survivre dix-neuf ans à son fils.)

Voici l'adversaire dogmatique auquel de dures vérités furent dites. Neff le reçoit en frère. Aussi ferme qu'affectueux, il ne cède pas d'un pouce sur les principes. Mais l'heure n'est plus aux polémiques ! S'étant découvert, dans un miroir, méconnaissable, le patient balbutie avec joie :
- « Oui, bientôt, bientôt, je m'en vais vers mon Dieu... L'Évangile est vrai, vrai, vrai ! »

Puis, paisiblement, songe à ceux auxquels il veut faire quelque don : objets familiers, livres. Les Alpins ne sont pas oubliés. Il prie sa mère d'adresser son adieu à ceux de Freissinières :

« CHERS AMIS, CHERS FRÈRES,

« Bien que je ne puisse pas lire vos lettres à mon fils parce que son coeur se brise, je veux pourtant vous dire deux mots de sa part. Je dis de sa part car il est trop faible pour pouvoir les dicter, mais assez fort pour être rempli envers vous de la plus vive reconnaissance pour l'attachement que vous lui témoignez. Il vous supplie de continuer vos réunions, vos lectures pieuses et surtout la lecture des sermons de Nardin. N'abandonnez pas vos écoles du dimanche ; elles forment les agneaux et fortifient les brebis. N'oubliez pas que vos âmes lui sont chères autant que la sienne... Encore un mot, chers amis, sur un objet qu'il a à coeur. Il vous crie du fond de son lit de douleur : « Réunissez-vous le soir ; édifiez-vous tous ensemble... »

Rassemblant ce qui lui reste de force, Neff ajoute ces mots :
Encore une fois adieu, mes amis de Dormillouse et de tout Freissinières. De ma propre main, pour la dernière fois ! Au revoir dans le ciel...

Guers écrit aussi aux amis de Mens « d'auprès du lit de Neff mourant ». Dans un suprême sursaut, le moribond saisit encore la plume. On le soutient. Il s'y reprend à plusieurs reprises. Les mots naissent lentement, la signature aux traits irréguliers, flottants :
... tous ... tous les frères et soeurs de Mens... adieu, adieu. Je monte vers notre Père en pleine paix ! Victoire ! Victoire ! Victoire par Jésus-Christ !

Félix Neff.

Longtemps, dans l'aube du premier matin, le mourant garde les yeux « élevés », comme éblouis par une vision ; chaque souffle de sa poitrine haletante « semble accompagné d'une prière ; il paraissait plus vivant qu'aucun de nous par l'ardente expression de ses désirs ».

Un soupir.
Et c'est la fin. Il avait trente et un ans et demi. Peu d'heures après, le registre des décès notait : « L'an mille huit cent vingt-neuf et le douze du mois d'avril, à huit heures avant midi, est décédé Félix Neff, ministre du Saint Évangile, âgé de trente-deux ans. Domicilié à Champel, n° 332, fils de Jean-Henri, Neff et de Pernette Bonneton. »

Deux jours après, la dépouille mortelle de celui qui connaît enfin le repos est confiée à la tombe. Devant la fosse béante « des versets de cette Parole qu'il avait fidèlement annoncée » sont lus et de nombreux amis chantent le cantique de Vinet :

Ah ! pourquoi l'amitié gémirait-elle encore ?
... Ils ne sont pas perdus ; ils nous ont devancés...

Puis on se disperse, laissant l'intrépide montagnard poursuivre son ascension.

Ainsi vécut et mourut Félix Neff. Grand dans la vie ; grand devant la mort ; quand elle le saisit à la gorge il lui crie, dans un dernier souffle : VICTOIRE ! Et l'ardeur qui le portait sur les sentiers alpins le dépose au seuil de l'Éternité.

Sanary, février 1949.




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