Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



FÉLIX NEFF PORTEUR DE FEU



CHAPITRE XIII

NOSTALGIE

Dès que Neff n'a plus, pour le tenir debout, l'air revigorant des hautes vallées, le mal qui le mine redouble ses attaques. Soumis à une diète presque totale, il ne peut plus lire, plus écrire, même plus parler, tant il est faible.

Pourtant, après deux mois de repos, les forces reviennent. aussitôt bien sûr, Neff se remet à prêcher. Mais certains fidèles de la Petite Église du Bourg-de-Four, plus encore ceux de l'Eglise du Témoignage édifiée au Pré-l'Évêque par César Malan, prédestinaciens cent pour cent, reprochent au revenant des Hautes-Alpes de professer une doctrine incertaine, un christianisme trop expérimental et pratique, d'ignorer la puissance de Celui « qui produit en nous le vouloir et l'exécution selon son bon plaisir ». Proclamer que la grâce divine respecte la liberté humaine, quelle aberration !... Cela, on le dit et l'écrit. Vigoureusement, Neff riposte :
« Je repousse comme un blasphème horrible l'affreuse idée que Dieu ait créé quelqu'un pour la perdition. Cessez d'affliger vos frères par un esprit d'exclusion et de domination ! »

Accusé d'hérésie, du haut de la chaire du Pré-l'Évêque, par le chef des intransigeants, il lui répond de bonne encre, le traitant de pape « travaillant à former de ses sectateurs autant d'agents de sa haute police et de son Saint-Office :
« J'aimerais mieux, en vérité, prêcher parmi les Turcs que parmi de tels chrétiens !... Croyez-vous donc, mon pauvre frère, que Dieu vous ait attendu pour se manifester aux hommes et que, jusqu'à vous, personne n'ait compris la Bible ? ... »

Ces polémiques excèdent et attristent le malade.
« Je languis toujours plus de vous revoir ! »

Revoir qui ? Ses Alpins. Il vit avec eux, souffre avec eux. « Je pense bien souvent à mon cher Dormillouse, à tous ceux que j'y ai laissés. Quand il faisait si froid, à la fin de mai ou au début de juin, je pensais souvent à vos récoltes que je croyais voir couvertes de neige ou de gelée. Et quand, ensuite, la sécheresse est venue, j'avais du souci pour vous, pensant que peut-être on laisserait, comme l'année dernière, consumer les fourrages des montagnes au lieu de les couper ; et que, faute d'union et de bonne foi, on aurait négligé de maintenir les canaux pour arroser les pommes de terre ou d'autres plantes, Mais, ce qui me donne bien plus de souci, c'est de penser qu'il y en à tant parmi vous qui négligent d'arroser de bonne semence de la Parole de Vie qui a été abondamment répandue dans les coeurs. »

Et ces lignes, quelques mois plus tard :
« L'hiver a commence ici de bien bonne heure... je ne suis pas en peine pour moi, je crains surtout pour nos pauvres montagnards qui n'auront pas plus de pain et de fourrage qu'il n'en faut pour un long hiver.

À Jean Rostan, de Vars, il recommande « de visiter tout le Queyras à la Dame d'août », sans oublier Freissinières et le Champsaur.... « Continue, quand tu es à Vars, de t'occuper du travail de la terre, soit parce que tu y es appelé par état, soit pour en conserver l'habitude et maintenir ton corps robuste. » Il lui donne des conseils affectueux : ne pas faire de trop longues étapes par la chaleur, ne pas boire d'eau en chemin, ni rien de froid à l'étape. « je sais qu'à ton âge, fort comme tu l'es, on se moque volontiers des précautions, mais c'est tout simplement de l'orgueil ; j'en paye actuellement la façon et je désire que mon exemple serve à d'autres. Il n'est plus temps de ménager son corps quand il est usé. »

Il n'oublie pas ses catéchumènes : « Vous pouvez vous passer de moi comme de toute autre créature. » Et revient sur son cas, « non pour se plaindre ou murmurer » mais pour que d'autres en tirent un peu de sagesse :
« C'est pour moi une épreuve aussi nouvelle que méritée de me sentir arrêté dans mon activité. J'entrevoyais déjà, dans le temps de ma plus grande vigueur, que, mettant trop de confiance dans mes forces, en faisant trop de cas, me complaisant trop dans cette puissance d'action que rien ne semblait pouvoir arrêter ou lasser, je risquais bien d'en être privé un jour ou l'autre, pour mon avantage spirituel, comme d'autres sont privés de leurs biens, de leurs enfants, de leurs amis ou de toute autre chose périssable à laquelle ils mettent trop de prix. jusqu'ici je n'avais qu'une connaissance théorique du vrai renoncement à soi-même. Et à moins d'être privé d'une manière quelconque du travail et du mouvement qui étaient l'objet principal de mon coeur, je ne pouvais en faire l'expérience. Oh ! qu'il est dur, de donner les mains à l'accomplissement des desseins de Dieu sur nous ! »

Dans sa faiblesse, dans son « désarmement » Neff est peut-être encore plus grand que dans les heures de sa plénitude physique. Poussé hors et loin de la bataille, il se soumet humblement.


ADIEU

On ne l'oublie pas, là-bas. Ils sont nombreux à lui écrire. Suzanne Baridon, Émilie Bonnet, Rostan le tiennent au courant de tout. Leurs propos simples, rafraîchissants, font oublier à Neff « l'esprit de théologie, de système, de dispute, de critique qui trouble et détruit toute simplicité de foi et bientôt toute vie » dans sa ville natale, « cette théologie aride, scolastique, pointilleuse ». Plus que jamais l'Évangile est pour lui moins un corps de doctrine - encore qu'il soit très positif dans l'affirmation de cette doctrine, passée au crible de la conscience, quand il y a lieu d'hésiter - qu'une expérience personnelle, génératrice de vie nouvelle. Cette vie nouvelle, tout son être tendu vers elle, Neff la cherche dans les hautes vallées où il ne retournera plus.

En juin 1828, sur l'ordre de son médecin, le malade gagne Plombières, station vosgienne aux eaux réputées. Par petites étapes. Il est à ce point vieilli que les amis de jadis ne le reconnaissent pas. On prend souvent la vieille maman qui veille sur lui pour la compagne de sa vie. Chemin faisant il s'arrête volontiers dans les bourgs et villages qu'il évangélisa voici huit ans et trouve encore assez de forces pour y prêcher, comme il en trouvera, à Plombières, pour se pencher sur tant d'éclopés venus de toute la rose des vents. « Mais aucun ne semble songer à son âme et à l'éternité. »

Comment atteindre cette foule ?
C'est la femme du préfet des Vosges, d'origine protestante, qui s'en préoccupe. Elle cherche un local convenable et convoque ceux qu'un culte, peut-être, intéresse. À une invitation venue de si haut, de nombreux catholiques et protestants répondent. « Je n'avais jamais prêché devant un auditoire aussi brillant selon le monde, c'est-à-dire compose presqu'uniquement de gens instruits et de riches de la terre. Le Seigneur me donna de leur parler avec autant de liberté qu'aux montagnards des Hautes-Alpes, quoique dans un langage plus approprié à la délicatesse de leurs oreilles... L'Évangile, offert à toutes les âmes, n'est-il pas comme l'herbe de la terre dont se repaissent tous les animaux ? Mais il faut que les grands baissent la tête. »

La méditation de Neff remue les coeurs. Et, quand il reprend la parole, la salle se remplit et il faut en ouvrir deux autres. « Nous avons pris les banquettes du local des spectacles. Ainsi l'ennemi de Dieu a été forcé de servir Dieu. Ce n'est pas la première fois qu'il a ce crève-coeur. Il en verra d'autres ! » Ce n'est pas vainement qu'en son jeune âge Neff a lu et relu Rousseau !

Depuis un an le malade ne se nourrissait que de lait. On juge le moment opportun d'y ajouter des aliments plus solides. « Ces essais ont failli me coûter la vie. » De nouveau il faut se donner au silence, n'accepter que de rares visites, celles, entr'autres, de quelques prêtres. « S'ils étaient venus pour discuter, je n'aurais pu les recevoir. Mais je ne peux que me louer de leur douceur et de leur charité. »

On tente de nouveaux traitements. Quand on applique des moxas - morceaux d'amadou qu'on fait brûler sur la peau - pour résister à la douleur le patient chante des cantiques. Les journées se passent au lit. Les nuits ne sont qu'interminables insomnies. Neff végète plus qu'il ne vit, provisoirement « en marge de ces chamaillis religieux qui m'ont fait beaucoup de mal à l'âme et au corps », mais qu'il va retrouver car on ne peut plus rien pour lui, à Plombières. Enveloppé de flanelles comme un vieillard, entoure de soins par sa mère, Neff regagne lentement Genève.


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