AUTOBIOGRAPHIE
D' UN JAPONAIS
LE
PASTEUR
PAUL KANAMORI
CHAPITRE III
Au milieu de la prospérité
dont je jouissais comme réformateur social
de ma patrie, mon Père céleste vint
soudain me ravir ma chère femme, qui me
laissait neuf orphelins, dont le plus jeune n'avait
que quatre ans. J'étais submergé par
la douleur, et la douleur de mes enfants faisaient
peine à voir ; ils pleuraient jour et
nuit, se cramponnant à leur mère
disparue. Mes amis venaient essayer de les
consoler ; mais ils refusaient toute
consolation : leur mère n'était
plus là... Leur chagrin était si
intense que je crus un jour que quelques-uns
d'entre eux allaient perdre la raison. S'ils
aimaient tant leur mère, c'est qu'elle avait
vécu une vie toute d'amour et de
dévouement ; elle avait fait de la
maison un intérieur doux et heureux, le ciel
sur la terre ; de sorte que sans elle tout
leur paraissait sombre et désolé,
inondé de larmes et de gémissements,
l'enfer sur la terre...
Au sein de ces
ténèbres, une clarté vint du
ciel, voici comment. Les enfants pleuraient le
départ de leur mère ; ils
pleuraient de ne plus la voir ; mais tout
à coup ils se mirent à dire :
« Non, elle n'est pas
vraiment partie. Ce n'est pas elle que nous avons
mise au tombeau, ce n'est que son corps.
Elle-même est allée au ciel
auprès de Dieu. Et si elle est avec Dieu,
puisque Dieu est partout, notre mère peut
aussi être avec nous ici en esprit. Quand
même nous ne pouvons pas la voir, il se peut
bien qu'elle voie de là-haut ces neuf
pauvres orphelins qui la pleurent nuit et
jour. »
Alors, afin de rendre en quelque
sorte visible la présence spirituelle de
leur mère dans la maison, ils se mirent
à décorée de son portrait
toutes les parois des chambres. Ils en mirent au
salon, à la chambre à manger,
à la chambre à coucher, dans toutes
les pièces. Il n'y eut plus une chambre dans
toute la maison où l'on ne vît pas son
portrait à la paroi. Et ils le mirent aussi
sur leurs pupitres. Et alors ils
recommencèrent à dire :
« Mama, Mama ». Ce n'est pas un
mot japonais : c'est un mot anglais mais comme
il a quelque chose de très doux au coeur,
mes enfants avaient tous pris l'habitude de
l'appeler de ce nom. Vous savez combien les enfants
aiment à dire :
« Maman ». En rentrant de
l'école, leur premier mot, c'est à
Maman ». Ils ne sauraient être
heureux s'ils ne pouvaient plus prononcer ce mot.
C'est ce qui faisait tant pleurer mes enfants. Mais
maintenant ils se remettaient à le
prononcer... Ils disaient, en montrant les
portraits : ça. c'est Maman de la
chambre à manger ; celle-ci, c'est
celle du salon ; et ça c'est la tienne,
et celle-ci, sur mon pupitre, c'est la
mienne. » Il y avait un portrait qui la
représentait tenant son cadet dans ses bras
et couvrant ses joues de baisers. Le petit cadet
l'appelait toujours sa Maman à lui. Ainsi,
vous voyez, dès que ce nom bien-aimé
de « Maman » fut revenu sur les
lèvres des enfants, toute la maison en fut
comme éclairée, et il fit de nouveau
bon s'y retrouvé. Ces portraits furent pour
mes enfants, dans ces temps douloureux, une bien
douce consolation. Et dans les temps
d'épreuve et de difficultés ils
devinrent même une source d'inspiration et
d'encouragement.
Un de mes garçons alla subir,
peu après la mort de sa mère, son
examen d'admission dans une école de
médecine. Auparavant il se rendit à
la ville où est cette école, afin de
s'y préparer. Un jour que j'y allais voir
comment il s'en tirait, je trouvais trois
garçons qui étudiaient dans la
même chambre. Sur les pupitres des deux
autres garçons je remarquai les portraits de
Gladstone et de Bismarck. C'étaient sans
doute leurs héros adorés ; mais
sur le pupitre de mon garçon je vis, comme
d'habitude, le portrait de sa mère, bien en
évidence. Il pensait que ce portrait
était tout aussi bon pour lui, sinon
meilleur, que celui d'un grand homme.
Un jour ma fille cadette vint
à moi avec une singulière
question : « Papa »,
dit-elle, « quand tu t'en vas quelque
part bien loin, tu reviens toujours, n'est-ce
pas ? »
- Oui, répondis-je ;
c'est ici le chez-soi de papa ; il revient
toujours à son chez-lui, tu comprends.
- Alors, reprit-elle, vous dites
tous que Maman s'en est allée d'ici au ciel
mais si elle y est réellement allée,
et qu'elle y habite à présent,
pourquoi ne peut-elle pas en revenir, comme toi
quand tu t'en vas bien loin ? Pourquoi est-ce
qu'elle ne peut pas revenir à la
maison ?
Je ne savais que répondre.
Mais, simplement pour la consoler, je lui
dis :
- Eh bien, peut-être que Dieu
a quelque ouvrage à faire pour ta Maman au
ciel ; de sorte qu'il la garde là-haut,
et qu'elle ne peut pas revenir. Tu sais bien que
Maman doit obéir à Dieu ; quoi
que Dieu lui dise, il faut qu'elle le fasse. Dieu
ne désire pas qu'elle revienne en ce monde,
ce qui fait qu'elle ne peut pas revenir.
Je ne disais tout cela que pour
tranquilliser sa raison enfantine, qui
s'étonnait et se demandait pourquoi, si sa
Maman demeurait au ciel avec Dieu, elle ne pouvait
plus revenir dans son ancienne demeure.
- Alors, fit-elle aussitôt,
pourquoi ne pourrais-tu pas aller maintenant au
ciel à ton tour pour faire l'ouvrage de
Maman et servir Dieu à sa place, pour que
Maman revienne ici pour un mois ? Et puis,
quand tu serais fatigué du ciel, Papa, tu
reviendrais, et nous renverrions alors Maman au
ciel. C'est très bien d'avoir toujours Papa
avec nous, mais nous aimerions avoir aussi Maman.
Vous le voyez, pour son
imagination
enfantine, il n'y avait nullement un abîme
entre le ciel et la terre. La présence au
ciel de sa chère mère rapprochait le
ciel de la terre. Son regard s'en allait à
travers tous les voiles jusqu'au trône de
Dieu et y apercevait sa mère
bien-aimée. Mes enfants passaient alors par
des expériences spirituelles variées,
et cela d'une façon merveilleuse.
Leur cantique favori de chaque
soir
était celui dont le refrain dit :
« À l'autre bord
l'ami nous attend. »
En japonais, « ami » se dit
« tomo », et mes enfants
changeaient « tomo » en
« Mama », et chantaient :
« À l'autre bord
Maman nous attend. »
Le monde invisible leur semblait si réel
et si près qu'ils avaient le sentiment de
vivre dans le même monde spirituel que leur
mère.
Dans cette
atmosphère-là, comment
résister à l'influence qui, de
l'autre monde, se faisait sentir et agissait sur
moi ? Pendant un temps, vous vous le rappelez,
j'avais été pasteur, aussi bien que
professeur de théologie, de sorte que
j'avais nécessairement connu,
intellectuellement du moins, les choses du monde
spirituel. Je ne les avais pas oubliées,
seulement le doute les voilait à mes
regards. Ainsi, tandis que je suivais des yeux les
expériences spirituelles de mes enfants, les
brouillards du doute et de
l'incrédulité commençaient
à se dissiper, le ciel s'entrouvrait
à nouveau, et mes regards spirituels
retrouvaient Jésus-Christ, mon Sauveur, et
mon Seigneur, Celui que m'avait enlevé la
nouvelle théologie, et je le revoyais assis
à la droite de Dieu :
« Jésus-Christ, le même
hier, aujourd'hui, et
éternellement. »
Enfin je pus m'écrier avec
Thomas : « Mon Seigneur et mon
Dieu ! » Jésus est bien mon
Dieu, vraiment mon Dieu. « Au
commencement était la Parole, et la Parole
était avec Dieu, et la Parole était
Dieu. » Ce passage de l'Écriture
que j'avais confié à ma
mémoire, il y a quarante ans, dans la classe
biblique du capitaine Janes, vint resplendir dans
mon esprit comme un éclair venant du ciel,
et le monde spirituel tout entier en fut
illuminé comme en plein jour. Je fus ainsi
ramené à l'ancienne et simple foi par
les paroles de mon enfant. C'est bien
« de la bouche des enfants et de ceux qui
sont à la mamelle que Tu tires ta
louange. » Ainsi commença mon
retour.
Une autre fois, je fus ramené
à mon ancienne manière de voir de la
façon suivante. Quelques instants avant sa
mort, ma femme s'entretenait avec moi, le sourire
aux lèvres. Elle était très
affaiblie, ayant gardé le lit
déjà plusieurs semaines ; mais
elle avait sa pleine connaissance. Jusqu'au moment
même de sa mort, je n'ai pas aperçu un
signe d'affaiblissement mental. Mais soudain elle
fut saisie d'un spasme, et en peu d'instants ce fut
fini ; ce que le médecin me confirma
plus tard. Elle était donc là il n'y
a qu'un instant ; et maintenant elle n'y est
plus. Où donc est-elle ? Qu'est-elle
devenue ? Son corps est là comme avant,
peut-être un peu froid déjà,
mais où donc est sa personnalité dont
le rayonnement illuminait ses yeux maintenant
clos ? A-t-elle disparu, anéantie P
Impossible de le croire...
Mis en face de
l'éternité par la mort soudaine de ma
bien-aimée, je me trouvai sous l'impression
solennelle et redoutable du sort futur
éternel de l'homme. Elle avait dormi dans
mon coeur bien longtemps, cette impression :
mais maintenant, elle se réveillait et me
subjuguait avec une puissance toute nouvelle, et
tous les brouillards du doute et de
l'incrédulité amassés par ma
pensée trop spéculative et
intellectualiste, et toutes les brumes
provoquées par l'ambition mondaine et les
jouissances terrestres s'évanouirent
instantanément, et je me trouvai
soulevé jusqu'au troisième ciel.
(1)
La mort est chose douloureuse,
surtout la mort de ce que nous avons de plus
cher ; c'est une des plus douloureuses
expériences de la vie. Mais,
éclairée d'une clarté
céleste, la mort d'un être
bien-aimé est le don le plus précieux
que Dieu puisse jamais nous donner en ce monde.
J'avoue que c'est la mort de ma femme qui m'a rendu
la vie. On peut certainement dire qu'elle est morte
afin de me réveiller du sommeil d'une vie de
rétrograde et d'enfant prodigue. Oh !
les voies merveilleuses de Dieu ! Comme elles
surpassent toujours toute intelligence !
Cette expérience de mort eut
pour effet naturel de me ramener une fois de plus
à la scène glorieuse du Calvaire. Je
vis clairement pourquoi le saint et juste Fils de
Dieu, qui n'avait point connu le
péché et en qui il ne s'était
point trouvé de fraude, avait dû
envisager cette mort terrible de la croix ;
pourquoi Jésus, l'Agneau de Dieu, avait
dû être blessé pour nos
péchés et brisé pour nos
iniquités : pourquoi le châtiment
qui nous apporte la paix avait du tomber sur Lui,
et pourquoi nous, pécheurs, nous devions
être guéris par ses meurtrissures.
Une fois de plus, je trouvai la
joie
du salut dans la croix de Christ. Et je
résolus alors de ne plus savoir autre chose
parmi les hommes que Jésus-Christ, et
Jésus-Christ crucifié, et je devins
un prédicateur de la grâce de Dieu.
Je suis connu dans ma patrie
comme
« l'homme d'un seul sermon »,
parce que ces dix dernières années je
n'ai plus prêché qu'un unique sermon
dans tout le pays. C'est un sermon très
long : il dure trois heures. Depuis dix ans,
je le prêche soir après soir. Je l'ai
ainsi prêché un millier de fois
à environ un million d'auditeurs, et Dieu a
béni cette prédication de la croix de
son Fils bien-aimé en m'accordant de voir
plus de 75 000 décisions pour Christ.
Je ne suis pas digne d'être
appelé un ministre de Christ, puisque j'ai
rétrogradé pendant plus de vingt
ans : il faut que je m'humilie devant ceux qui
sont restés de fidèles ministres de
Christ. Mais depuis que j'ai été
ramené à Jésus-Christ et que
j'ai cru en Lui et en sa Parole, et depuis que j'ai
résolu de ne plus prêcher que Christ
et Christ crucifié, Dieu m'a donné la
plus magnifique occasion de prêcher Son
Évangile dans ma patrie.
Je puis dire que personne n'a eu
pareils auditoires dans ma patrie. Je ne
prêchais pas dans les églises. Elles
sont trop petites, chez nous "en sorte que j'allais
parler dans les théâtres et les salles
publiques. Nos grands théâtres peuvent
contenir de trois à quatre mille personnes,
et j'ai prêché exactement le
même sermon soir après soir, mon
sermon de trois heures, et soir après soir
les théâtres se sont trouvés
bondés, et partout Dieu a béni la
prédication de la croix de Christ.
Puis-je vous en donner un
exemple ? Je ne me vanterai pas, mais il faut
que je vous expose le fait que Dieu a béni
la prédication de Christ uniquement, sans
l'aide de la science, ni de la philosophie, ni
d'oeuvres sociales, ni de la révolution. Il
y a cinq ans, je faisais une campagne de six soirs
dans la capitale de notre province. Les
réunions avaient lieu dans le local de
l'Union chrétienne de jeunes gens, qui
compte 1800 places. Soir après soir, je
prêchai exactement le même sermon, mon
sermon de trois heures, et j'en avisais mon public
à la fin de chaque réunion :
« Demain soir », disais-je,
« je répéterai exactement
la même prédication. Vous m'avez
entendu une fois, cela peut vous suffire. Mais il y
a dans cette ville beaucoup de gens qui n'ont
jamais entendu l'Évangile de
Jésus-Christ, peut-être parmi vos
voisins ou vos amis. Pourquoi ne pas les envoyer
ici demain soir ? » Je renouvelais
ainsi mon auditoire sans renouveler ma
prédication...
Au cours de cette série de
six réunions, il y eut 3 000 conversions,
toutes nouvelles. Je distribuais des cartes de
décision portant ces mots :
- Je crois en un seul Dieu vivant et vrai.
- Je me repens de mes péchés.
- J'accepte Jésus-Christ pour mon
Sauveur,
- Et je veux le suivre jusqu'à la
mort.
Et l'on inscrivait son nom, son adresse et son
âge. Je distribuai donc ces cartes de
décision en invitant les gens à les
remplir, et il m'en revint 3061. Pourquoi ?
Parce que je n'avais prêché que
Jésus-Christ, et Jésus-Christ
crucifié. L'année passée, au
moment de quitter ma patrie pour aller en Australie
et en Nouvelle-Zélande, nous avons
formé une branche japonaise de la Ligue
biblique, et l'on me nomma président, pour
la forme seulement. Le vrai président a le
titre de vice-président : c'est
l'évêque Nakadi, qui a la direction de
130 Églises, et qui est le plus
éminent prédicateur
évangélique de ma patrie. Cette Ligue
biblique est naturellement formée de
Japonais ; mais nous en ouvrîmes les
rangs à tous les missionnaires qui
voudraient se joindre à nous. Nous nous
efforçons de renforcer
l'élément évangélique,
ceux qui admettent toute la Bible et qui essayent
de faire oeuvre - « agressive »
pour le Seigneur. Nous ne nous bornons pas à
combattre le modernisme et la haute critique. Voici
comment nous voyons la situation. Sur 60 000 000
d'habitants, il n'y a au Japon que 200 000
protestants et 59 800 000 païens. Ne nous
inquiétons pas des 200 000, et
évangélisons les autres.
L'évangélisation du
Japon est entre les mains de ces
prédicateurs évangéliques. Les
modernistes et les partisans de la haute critique
ne peuvent pas évangéliser le Japon.
Allons à ceux qui ont besoin de
l'Évangile, et évangélisons
tout le Japon au moyen de cette Ligue. Voilà
notre grand objectif. C'est bien là que se
trouve la puissance de
l'évangélisation.
Vous voyez donc qu'après mes
vingt années d'égarement j'ai
été ramené à mon
Sauveur divin, non par la sagesse humaine, ni par
un pouvoir charnel, mais par la grâce de
Dieu.
« Ni par la puissance,
ni
par la force, mais par mon Esprit, dit
l'Éternel. »
(Zach.
4 : 6.)
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