Sermons et
Méditations
Le champ de Dieu.
Premier discours.
TROIS MAUVAISES TERRES.
Un semeur sortit pour semer sa
semence, et en semant, une partie du grain tomba le
long du chemin, et elle fut foulée et les
oiseaux du ciel la mangèrent toute. Et une
autre partie tomba sur un endroit pierreux, et
quand elle fut levée, elle sécha,
parce qu'elle n'avait point d'humidité. Et
une autre partie tomba parmi les épines, et
les épines levèrent avec le grain et
l'étouffèrent.
La semence, c'est la Parole de Dieu. Ceux
qui la reçoivent le long du chemin, sont
ceux qui l'écoutent ; mais le diable
vient qui ôte cette parole de leur coeur, de
peur qu'en croyant, ils ne soient
sauvés ; ceux qui la reçoivent
dans des endroits pierreux, sont ceux qui, ayant
ouï la Parole, la reçoivent avec joie,
mais ils n'ont point de racines et ne croient que
pour un temps, et quand la tentation survient, ils
se retirent ; et ce qui est tombé parmi
les épines, ce sont ceux qui ont entendu la
Parole, mais qui, s'en allant, la laissent
étouffer par les inquiétudes, par les
richesses et par les voluptés de cette vie,
de sorte qu'ils ne portent point de fruit qui
vienne à maturité.
Luc Vlll, 5-7,
11-14.
La parabole du semeur est du nombre de celles
auxquelles la prédication chrétienne
fait bien de revenir souvent. Elle place ceux qui
ont lu et entendu la Parole de Dieu en face de
cette question aussi grave que simple :
Qu'avez-vous fait du message divin ? Quels
effets a-t-il produits en vous ? Quels
fruits a-t-il
portés ?
Des fruits, une moisson qui lève, tout
agriculteur qui a ensemencé son champ vent
en voir. Si ses terres ne lui en rapportent pas,
son travail est perdu, ses labeurs ont
été inutiles. Il n'en saurait
être autrement du semeur qui a jeté
dans les coeurs la semence de la parole. Lui aussi
cherche des épis, là où il
l'avait répandue.
Or, ce qui donne à toutes ces
réflexions un grand poids, c'est que celui
qui sort pour semer la semence divine, c'est le
Fils de l'homme. Il est vrai que sa figure se
cache. Ce que nous voyons, ce sont les pages de
notre Bible. Ceux que nous entendons, ce sont des
hommes, serviteurs souvent maladroits, instruments
toujours faibles, pécheurs sujets aux
mêmes infirmités que nous. Mais, ne
nous y trompons pas. Ce sont là autant de
moyens entre les mains d'un plus grand.
Jésus-Christ daigne les employer pour
réaliser les desseins de son amour. Leur
travail, c'est le sien. C'est lui, tout bien
considéré, qui jette la semence, lui
aussi qui en attend les fruits.
Et nous, terre cultivée par des
mains divines, hommes et femmes que le Fils de
l'homme a entourés de sa sollicitude et pour
lesquels il a multiplié les efforts de sa
sagesse et de sa puissance, quel aspect
offrons-nous ? Qu'est devenue dans ce champ
qui s'appelle notre coeur, la semence divine ?
Deux possibilités sont en présence.
La première, c'est que la semence ait
souffert, ait disparu sans produire
d'effet ; la
seconde, c'est
qu'elle ait fructifié. Nous serons, ou bien
le chemin durci, l'endroit pierreux, le terrain
plein d'épines, ou bien la bonne terre. Pour
aujourd'hui, laissez-moi en rester à la
première de ces deux
possibilités.
Nous pouvons être, ai-je dit, le
chemin durci, l'endroit pierreux, le terrain plein
d'épines. Combien ne serait-il pas triste
qu'il en fût ainsi ! Mais enfin, il faut
nous examiner. Mieux vaut connaître nos
misères que de les ignorer.
I
Le chemin durci. Une partie de la semence,
lisons-nous, tomba le long du chemin et fut
foulée, et les oiseaux vinrent et la
mangèrent toute. Et, s'interprétant
lui-même, Jésus ajoute : La
semence, c'est la Parole de Dieu. Ceux qui la
reçoivent le long du chemin, ce sont ceux
qui l'écoutent, mais le diable vient et
ôte celle Parole de leur coeur, de peur qu'en
croyant ils ne soient sauvés.
Est-ce à l'homme grandi dans
l'ignorance et dans les ténèbres
spirituelles, puis subitement placé sous
l'action de l'Évangile, que pense
Jésus dans ce premier trait de sa
parabole ? Je ne le crois pas. On a vu des
païens émus de ce qu'on leur disait de
Jésus-Christ. On les a
entendus s'écrier : Redis-moi ces
choses ; moi aussi je voudrais être
sauvé. On a constaté les effets les
plus étonnants de la Parole de vie sur de
pauvres ignorants qui, jusqu'alors, n'avaient rien
su de la grande nouvelle du salut.
Non, ne dites pas que les péagers
et les gens de mauvaise vie sont le chemin durci.
Demandez plutôt si ce ne sont pas ces enfants
de l'Eglise chrétienne qui savent tout et
dont le coeur, bien qu'enrichi de beaucoup de dons
de Dieu, est resté indifférent aux
appels du Seigneur.
Le chemin durci, c'est la vie
spirituelle frappée de
stérilité pour avoir repoussé
la discipline et le joug de Jésus-Christ.
C'est la propre justice qui se croit riche et
n'ayant besoin de rien. C'est cet auditeur
distrait, oublieux, qui ne se soucie pas de ce
qu'il a entendu, et sur lequel glissent, sans
pénétrer dans le sol, les grains de
la semence de Dieu. Il faudrait à celle-ci,
pour pouvoir germer, un peu de terre, quelques
besoins spirituels, une conscience
travaillée, une âme inquiète de
son avenir et de son salut, et elle n'en trouve
point. Au lieu de cela elle ne rencontre que des
obstacles et des ennemis : elle est
foulée par les passants, amis, voisins,
membres de la famille peut-être, qui, loin de
regarder avec un saint respect vers ces grains
perdus cherchant leur terre sans la trouver, les
écrasent, sans pitié, sous les pas de
leurs vaines conversations, de leurs paroles
légères, de leurs moqueries et des
distractions qu'elles amènent. Elle est
dévorée. encore par les oiseaux du
ciel, image du malin qui, usant
d'artifices sans nombre, déguisant
habilement ses desseins, prenant, s'il le faut, la
forme d'un ange de lumière, s'approche du
coeur pour détruire ce qui a
été jeté par le divin semeur.
Qu'ils sont légitimes, innocents en
apparence, ces mille détails, ces
circonstances, ces obligations qui
réussissent avec tant de facilité,
à ravir à l'âme ce qui lui
avait été destiné !
L'infiniment petit même, ici comme ailleurs,
revêt une grande puissance. Un regard, une
pensée qui traverse l'esprit, un lointain
souvenir qui s'éveille - il ne faut que
cela, au grand ennemi de Dieu, pour anéantir
l'ouvrage du semeur divin ! Malheur à
celui qui le laisse faire sans s'inquiéter
de ce qui arrive ! Tout grain qu'il se sera
laissé ravir de son coeur léger,
pourrait bien trouver, au dernier jour, une bouche
et une voix pour l'accuser d'avoir
méprisé la grâce de Dieu !
II
Mais passons. L'autre partie, dit Jésus,
tomba sur un endroit pierreux. et quand elle fut
levée, elle sécha parce qu'elle
n'avait pas d'humidité ni de racine. Et plus
tard, s'expliquant encore lui-même :
Ceux qui la reçoivent dans des endroits
pierreux, ce sont ceux qui, ayant oui la Parole, la
reçoivent avec joie, mais ils n'ont point de
racine et ils ne croient que pour un temps,
et quand la tentation
survient,
ils se retirent. Image admirablement choisie d'une
seconde catégorie de lecteurs, d'auditeurs
de la Parole !
Voyez ce coeur impressionnable qu'un
passage de la Bible, une puissante
prédication, une heure d'appel, un grand
coup porté par la grâce de Dieu, ont
remué, ébranlé, arraché
à son indifférence, jeté dans
les bras de la vérité, amené
à Jésus-Christ, rempli du
désir de le servir sans crainte et en
passant par-dessus les obstacles, les hommes, les
choses qui voudraient lui barrer le chemin.
Qu'elle parait digne d'envie, à
qui s'est ainsi trouvé sous la puissante
action de l'Esprit, la vie de ceux qui se sont
donnés à Dieu ! Que cette
âme se sent heureuse d'avoir appris à
écouter ! Elle devine ce qu'a voulu
dire le psalmiste, s'écriant : Un jour
dans tes parvis vaut mieux que mille
ailleurs ! J'aime mieux me tenir sur le seuil,
dans la maison de mon Dieu, que d'habiter dans les
tentes des méchants. Car l'Éternel
Dieu est un soleil et un bouclier. L'Éternel
donne la grâce et la gloire, il ne refuse
aucun bien à ceux qui marchent dans
l'intégrité.
O heures de grâce, heures de
réveil, heures de saintes
résolutions, heures de courage
chrétien, heures du premier amour pour
Jésus-Christ et son Évangile, que
vous êtes bienfaisantes, que vous êtes
belles ! Hélas, que vous êtes
courtes aussi parfois !
Mes frères, qu'avez-vous vu chez
d'autres ? Qu'avez-vous constaté chez
vous-mêmes ? Le feu sacré s'est
éteint, à peine allumé :
le coeur s'est refroidi, à
peine réchauffé ; l'âme,
quittant les saintes montagnes, est redescendue
dans la plaine poudreuse pour y retrouver
l'abattement, la faiblesse et
l'indifférence ; l'homme a
abandonné ce qui, tout à l'heure,
semblait lui faire tant de bien ;
aussitôt gagné, aussitôt
scandalisé, voilà son histoire.
Comment l'expliquer ? Pourquoi la semence
divine a-t-elle si vite séché ?
Elle n'avait pas d'humidité ; elle
n'avait pas de racine, dit Jésus, elle
était tombée sur un endroit pierreux,
dans une couche de terre très mince,
couvrant à peine le rocher ; elle n'y a
pas rencontré des sucs pour la nourrir et
elle n'a pu supporter, dans ces conditions, les
ardeurs du soleil !
Serait-il difficile de comprendre le
sens de toutes ces figures ? La parole de
notre Dieu, les grains que sème le
céleste semeur, doivent accomplir pour nous
une mission plus sérieuse que celle de
réveiller en nous de pieuses émotions
ou de nous procurer un instant de fête. Ce
n'est pas la surface du coeur, c'est le fond
même de notre être qui doit être
atteint, ouvert aux influences de
l'Évangile,
régénéré par l'Esprit
du Seigneur. Ce que Dieu veut, c'est que,
cédant à ses sollicitations, nous le
laissions pénétrer jusqu'à ce
qui compose en nous le vieil homme avec ses erreurs
et sa convoitise, jusqu'à nos défauts
de caractère, jusqu'à cet
amour-propre qui nous remplit d'illusions sur
nous-mêmes, jusqu'à cette idole qui
s'appelle notre moi. Nous sommes-nous
imaginé être libres de le laisser
ainsi poursuivre son oeuvre ou
non ? pouvoir lui tracer la limite
jusqu'à laquelle nous admettons son action,
lui refuser de faire disparaître en nous le
rocher et lui ordonner de se contenter du peu de
bonne terre, qui recouvre en nous la pierre ?
Impardonnable erreur ! Faute qui
a
les conséquences les plus fatales ! Il
ne dure pas, le christianisme qui se croit libre
d'accepter à moitié seulement le
travail de Dieu. Elle ne prospère pas, la
plante céleste sous laquelle est
demeuré le roc dur ; elle n'a pas de
racine ; elle n'a pas d'humidité, elle
n'est pas arrosée des larmes du repentir et
de l'humiliation. Qu'il se lève, le soleil
ardent de la tentation, de la persécution,
et c'en est fait de ce qui a été
semé sur un endroit rocailleux.
Souvenez-vous que toutes les
bénédictions d'un beau dimanche se
sont brisées quelquefois le lundi, sur la
parole désobligeante d'un frère, sur
un petit obstacle qui a surgi inopinément
sur notre route, sur une blessure qu'avait
reçue notre amour-propre. La chose ne serait
pas arrivée, si les instructions du saint
jour du Seigneur nous avaient vraiment
amenés aux pieds de Jésus-Christ, le
Sauveur, pauvres et repentants, petits à nos
propres yeux, humbles et humiliés, pleurant
sur nous-mêmes. C'est parce qu'elle n'a pas
eu de racine, que la semence a été
brûlée et desséchée en
un clin d'oeil.
III
J'en arrive à un troisième
terrain, fatal lui aussi à la semence
répandue. Et l'autre partie, dit
Jésus, tomba parmi les épines et les
épines levèrent avec le grain et
l'étouffèrent. Ce qui est ainsi
tombé parmi les épines, ce sont ceux
qui ont entendu la parole, mais qui, s'en allant,
la laissent étouffer par les
inquiétudes, par les richesses et par les
voluptés de cette vie, de sorte qu'ils ne
portent point de fruit qui vienne à
maturité. Remarquez le progrès que
signale ici Jésus. Celui dont il parle, a
entendu la parole. Celle-ci n'a été
ni foulée aux pieds par les puissants, ni
enlevée par les oiseaux du ciel. ni
reniée par l'homme qui l'avait reçue.
Il s'est fait, chez ce dernier, une vraie oeuvre
spirituelle. Il y a eu connaissance du
péché et amour de
Jésus-Christ. Il y a eu du sérieux,
des oeuvres, de la foi, de la piété.
Le grain a germé, une plante en est sortie.
Nul doute qu'elle n'eût donné son
fruit, si d'autres forces n'avaient agi sur
elle : les épines.
Longues et fortes, les racines de
l'épine se traînent dans la terre.
Avez-vous remarqué ce que devient un champ
où l'on a négligé d'extirper
le mal jusque dans ses profondeurs, se contentant
de l'éloigner de la surface du sol ?
Douées d'une vitalité inouïe,
les mauvaises herbes reparaissent, mêlant
leur verdure à celle du blé,
enveloppant les épis, croissant comme
eux, plus vite qu'eux,
empêchant leur développement.
étouffant en eux la vie, et les rendant
infructueux. Le mal, une fois qu'on lui a
laissé son cours, est presque sans
remède, si bien que le jour de la moisson
fera voir la plus triste stérilité,
là où il y avait eu, pour l'oeil
inexpérimenté, toutes les apparences
d'une belle récolte. La plante du
blé, à la vérité,
n'aura pas péri ; elle aura
continué à subsister, mais trop
épuisée pour produire des épis
fertiles.
Et ce champ, oui, voilà encore le
coeur de quelques-uns de ceux auprès
desquels a passé le divin semeur. Leur
erreur à eux, leur seule erreur, c'est qu'en
recevant la parole, ils n'ont pas veillé
à l'extirpation des inquiétudes Ou
soucis du siècle, richesses et
voluptés de celle vie. La place qui aurait
dû appartenir à Dieu seul, ils l'ont
partagée entre Dieu, les affaires d'ici-bas
les choses de la terre. Ils se sont
affectionnés tout à la fois au monde
invisible et au monde visible, à te qui est
éternel et à ce qui n'est que pour un
temps. Ils n'auraient pas voulu renier leur foi,
mais ils n'ont pas consenti non plus à
bannir les inquiétudes de la vie, ni la
poursuite des richesses.
C'est ainsi que, sans s'en douter, ils
ont nourri en eux-mêmes une redoutable
puissance, ennemie de leur âme. Envahissant
sans relâche le coeur, s'y faisant une place
toujours plus large, toujours moins
contestée, elle a fini par constituer, pour
la parole semée, un suprême, un
effrayant danger. Elle en a compromis le
succès, elle en a arrêté les
progrès ; elle l'a
rendue infructueuse ; elle l'a
empêchée d'être cette force
régénératrice qui renouvelle
l'homme et fait de lui un enfant du ciel.
L'épi, au lieu de se remplir, est
resté vide, inutile ; ce n'est pas
l'ivraie et la paille qu'on amasse dans les
greniers ; le froment seul a de la valeur. Pas
de fruit qui vienne à maturité !
0 douloureux résultat pour le
semeur !
Mes frères, que tout cela est
sérieux, que tout cela est
fréquent ! Tantôt dur,
tantôt léger, tantôt impur, tel
est le sol du coeur humain. Et puisqu'il en est
ainsi, que de grains perdus, que de grâces
qui demeurent sans effet ! Ne disons pas que
nous n'avons rien à nous reprocher. Avouons
plutôt que ce sol ingrat, sous ses faces
diverses, s'est retrouvé en nous-mêmes
plus d'une fois. Puis, après ce regard
plongé dans notre pauvre coeur, regardons au
semeur toujours le même, infatigable dans son
travail. Supplions-le de créer en nous, en
nous aussi et par son Esprit, le seul terrain qui
lui plaise, la bonne terre. Amen.
Le
champ de
Dieu.
Deuxième discours.
LA BONNE TERRE.
Jésus leur dit en
parabole : Un semeur sortit pour semer sa
semence, et en semant, une portion du grain tomba
le long, du chemin, et elle fut foulée, et
les oiseaux du ciel la mangèrent toute. Et
une autre partie tomba sur un endroit
pierreux : et quand elle fut levée,
elle sécha, parce qu'elle n'avait point
d'humidité Et une autre partie tomba parmi
les épines, et les épines
levèrent avec le grain et
l'étouffèrent. Et une autre partie
tomba dans une bonne terre ; et étant
levée, elle rendit du fruit, cent pour un.
En disant ces choses, il criait : Que
celui qui a des oreilles pour ouïr,
entende ! Voici ce que cette parabole
signifie :
La semence, c'est la parole de Dieu ;
ceux qui la reçoivent le long du chemin, ce
sont ceux qui l'écoutent ; mais le
malin vient qui ôte cette parole de leur
coeur, de peur qu'en croyant, ils ne soient
sauvés.
Ceux qui la reçoivent dans des
endroits pierreux, ce sont ceux qui ayant ouï
la parole la reçoivent avec joie, mais ils
n'ont point de racine et ils ne croient que pour un
temps, et quand la tentation survient, ils se
retirent.
Et ce qui est tombé parmi les
épines, ce sont ceux qui ont entendu la
parole, mais qui, s'en allant, la laissent
étouffer par les inquiétudes, par les
richesses et par les voluptés de cette vie,
de sorte qu'ils ne portent point de fruit qui
vienne à maturité.
Mais ce qui est tombé dans une bonne
terre, ce sont ceux qui ayant ouï la parole
avec un coeur honnête et bon, la retiennent
et portent du fruit avec
persévérance.
Luc VIII, 4-15.
Mes frères, de la nature du sol
dépend le sort de la semence qui lui a
été confiée. Le meilleur grain
sera condamné à
périr inutilement, s'il tombe dans une terre
ingrate, stérile, mauvaise. C'est cette
dernière qui sera la cause du chagrin de
celui qui a travaillé pour avoir du fruit et
qui comprend que son attente a été
trompée.
Faites de tout cela une application
à l'oeuvre spirituelle qui se produit par
les soins de notre Dieu dans nos coeurs et les
coeurs de nos semblables. Vous êtes, s'est
écrié un apôtre, le champ que
Dieu cultive. Infatigable, le divin semeur passe et
repasse, jetant la semence de la parole dans le sol
qu'il rencontre sur son chemin. Hélas !
les trois quarts de ce qu'il donne si
généreusement sont perdus, parce que
le terrain dont il s'occupe est mauvais. Les trois
quarts de toutes les bonnes paroles de Dieu qui
viennent frapper nos oreilles, chercher nos coeurs,
instruire nos âmes, sont perdus, parce que
nous ne savons pas recevoir, faire fructifier ces
germes de vie ; parce que tour à tour,
nous sommes : le chemin durci, la terre
cachant le rocher, le terrain plein
d'épines ; parce que, en un mot, nous
ne sommes pas la bonne terre. Perdus, les trois
quarts de ce que nous avons spirituellement
reçu de Dieu, du Seigneur
Jésus-Christ ! Perdu, tant d'amour
divin ; perdues, tant d'heures de
grâce ; perdues, tant
d'espérances ; perdues, tant de vertus
du ciel, perdu tout cela par notre faute, oh !
quelle humiliation ! Comment nous pardonner
à nous-mêmes d'avoir si mal
récompensé l'activité de notre
Dieu si persévérante et si
bonne ? Comment nous
tranquilliser à cette pensée que le
divin Semeur, loin d'ignorer ou d'oublier ce qu'il
a fait pour nous, sait fort bien ce qu'il est en
droit d'attendre de notre part : Il sera
beaucoup redemandé à celui qui a
reçu beaucoup. Il l'a dit lui-même.
Confus, honteux, effrayés, nous baissons la
tête, nous, les auditeurs oublieux, les gens
sans intelligence et tardifs à croire.
Prends pitié, Seigneur, fais grâce
à ton champ qui mériterait que tu
l'abandonnes, que tu ne t'en soucies plus, que tu
le livres à une éternelle
stérilité ; reviens, toi qui
t'appelles le fidèle, recommence ton
travail ! Voici, nous voudrions mieux te
comprendre, mieux répondre à tes
efforts, être plus dignes de toi, plus
attentifs aux choses qui regardent notre paix. Une
bonne terre ! Oh ! Seigneur, fais en
sorte que nous soyons la bonne terre.
I
La bonne terre, qu'est-elle ? Pour bien le
comprendre, il faudrait, peut-être, rappeler
d'abord ce qu'elle n'est pas. Elle n'est pas un
terrain si excellent qu'elle puisse se passer, pour
produire, de la semence du semeur. Elle ne renferme
pas, dans son sein, je ne sais quelles vertus
puissantes qui, à un moment donné,
sous l'action du soleil et de la pluie, feraient
sortir une moisson. Où donc auriez-vous
rencontré dans la nature
ce sol merveilleux ? Quelque bon que soit le
terrain de nos jardins et de nos champs, si vous
n'y déposez le grain avec son germe de vie,
vous ne verrez jamais de fruit. Il n'en est pas
autrement du coeur de l'homme. Le champ de Dieu
demeure stérile, fut-il des mieux
conditionnés, si la semence céleste
n'y est jetée. Incapables par
nous-mêmes de faire le bien :
voilà notre nature, notre histoire. Il y en
a beaucoup qui voudraient protester ; jaloux
de la gloire de l'homme, pleins d'illusions sur
leur état moral, ils parlent de la
bonté du coeur naturel : ils en vantent
les vertus. Hélas ! il n'y aura
là que de l'ivraie superbe verdure, je le
veux bien, mais ce qui fera défaut, c'est
l'épi, C'est le froment, c'est le fruit
digne du grenier et qui ne se trouve que là
où a travaillé le semeur divin
répandant sa semence.
Non, mes frères, la bonne terre
n'est toujours que de la terre. Mais si c'est
là ce qu'elle a de commun avec le chemin
durci, avec le terrain rocailleux, avec le sol
épineux, elle possède aussi une
qualité qui la distingue, qui lui est propre
et qui fait d'elle une terre utile : c'est
qu'elle a été labourée,
ouverte par la charrue, amollie, nourrie de tout ce
qui peut servir à la germination, à
la croissance de la plante. Il n'y a plus en elle
tous ces ennemis que le grain rencontre là
où le sol est foulé par les pieds des
passants et où s'abattent les oiseaux du
ciel. On en a fait disparaître et les ronces
et les épines, obstacles dangereux,
insurmontables pour le frêle germe.
Le cultivateur l'a remuée
jusque dans ses profondeurs et elle a laissé
faire cette main, en apparence si cruelle, si
impitoyable, mais de fait si entendue, si sage, si
bonne. Elle a accepté aussi avec une muette
soumission tout ce qu'il a plu à son
maître de déposer en elle. Elle s'est
laissé enrichir de tout ce qui lui manquait
pour que le grain qui lui était
destiné pût fructifier. Son
mérite, en un mot, c'est de ne pas avoir
opposé de résistance, d'avoir eu
confiance et de s'être laissé
préparer pour le jour où elle devait
recevoir son précieux
dépôt.
Ah ! mes frères, quel
exemple que celui que donne à mon coeur le
sol docile qui m'a permis de le traiter comme je
l'entendais et par tous les moyens dont disposait
ma main, en attendant que j'y jetasse la semence.
Qu'en pensez-vous ? Ne faudrait-il pas lui
ressembler ? Ne faudrait-il pas accepter comme
lui les travaux préparatoires du
semeur ? Ne faudrait-il pas, avant d'ouvrir
notre Bible, avant de nous rendre dans nos temples
et dans nos chapelles, avant d'écouter la
Parole et avant de la lire, ne faudrait-il pas,
avant de recevoir la semence divine, assurer
à celle-ci les conditions de vie qu'elle
demande ? Jésus nous dit que la bonne
terre, ce sont ceux qui entendent la Parole avec un
coeur honnête et bon. Qu'est-ce donc que ces
dispositions morales qui sont nécessaires
pour que l'oeuvre du divin cultivateur
réussisse ?
Honnête et bon, aux yeux de Dieu,
il le sera, le coeur de cet homme qui aura permis
à l'Esprit de Dieu de
toucher sa conscience et d'y
faire naître ces désirs de pardon et
de sainteté qui, devant Dieu, sont d'un si
grand prix. Ne croyez pas que ce travail
s'accomplisse sans que notre orgueil et notre
vanité en souffrent. Ce sont de douloureux
sillons, ceux que la main divine trace dans le
coeur naturel, afin de le rendre propre à
recevoir et à retenir la semence divine.
Il nous en coûtera de convenir que
nous avons manqué ; que, dans nos
rapports, il y a plus d'égoïsme que
d'amour ; que le mal s'attache à nous
pour nous perdre ; que nous n'avons
qu'à baisser la tête et à
passer condamnation.
Il nous en coûtera de ramener nos
pensées vagabondes sur notre propre
personne, de les fixer sur nos misères et
nos besoins personnels, d'être ce mendiant
qui, en toute humilité. implore pour
lui-même, et pour l'amour de la
miséricorde divine, un morceau du pain
céleste.
Il nous en coûtera de tourner
franchement le dos à telle habitude
mauvaise, de nous arracher à ce filet
pernicieux du péché qui nous retient
dans ses mailles, de sacrifier aux pieds de notre
Dieu nos ressentiments, nos souvenirs
fâcheux, nos préventions et nos
soupçons. Il nous sera difficile de nous
glisser, humiliés, pauvres, aux pieds de
notre Dieu pour lui demander comme une grâce,
de nous instruire, de nous purifier, de nous
sanctifier, de nous renouveler à son
image ; difficile de nous laisser retourner,
labourer, déchirer comme la terre est
déchirée par la charrue, difficile de
ne pas résister à ce travail
nécessaire; difficile
d'accepter ce que le St-Esprit, dans le silence de
notre cabinet, travaille à opérer
dans nos coeurs, afin de les prédisposer
pour la parole. Comprenez-vous pourquoi tant de
prédications, tant de cultes, tant de
lectures, tant d'efforts du semeur ont
été vains pour vous, en dépit
de ce que vous nommiez vos bonnes
dispositions ? Vous ne l'avez pas
laissé faire cette main, impitoyable dans
son amour et sa sagesse, qui aurait voulu
créer en vous le coeur honnête et bon,
seul capable d'écouter et de retenir la
Parole de Dieu. Vous n'avez point subi, comme une
terre docile, ces déchirements de la charrue
que n'a pu vous épargner le céleste
semeur. Que de détails dans le monde de nos
pensées et de notre conduite que nous avons
voulu mettre à l'abri de sa parole, de peur
qu'elle ne les atteignît, les jugeât,
les condamnât ? Il aurait fallu
être prêt à tout livrer,
à tout donner, à tout accepter. C'est
alors que nous eussions été la bonne
terre.
II
La bonne terre ! Vous êtes-vous
jamais arrêtés, dans quelque jour
d'automne, devant un de ces champs de blé,
blancs pour la moisson, dont les lourds épis
se courbent sous leur propre poids vers le sol
fertile qui les a produits ? Quelle image de
la bénédiction de
Dieu ! Quel miracle étonnant !
Quel magnifique résultat du contact dans
lequel se sont trouvés le grain jeté
par la main de l'homme et la bonne terre
préparée pour le recevoir ! Qui
aurait cru, si l'expérience ne l'avait
montré, à ce spectacle
merveilleux : le grain redevenu vivant
après avoir été mort dans les
entrailles de la terre ; le grain
multiplié, ayant rapporté trente,
soixante, cent autres grains, récompensant
ainsi les labeurs du semeur et faisant tressaillir
son coeur de joie ? 0 mystère de la
puissance et de la bonté de
Dieu !
Mes frères, ce qui se voit dans
la nature, doit se voir aussi et se verra dans le
domaine spirituel. L'autre partie, dit
Jésus, tomba dans une bonne terre et
étant levée, elle rendit son fruit,
cent pour un. Ce sont ceux qui, ayant ouï la
parole, avec un coeur honnête et bon, la
retiennent et portent du fruit avec
persévérance. Qu'est-ce à
dire, sinon que l'Évangile produira dans ces
hommes une oeuvre magnifique, plus étonnante
encore que celle que nous constatons dans nos
campagnes ? La parole, une seule parole,
peut-être, qui avait été
semée dans leur coeur, opérera en eux
un travail spirituel qui proclame à haute
voix la puissance de l'Évangile. En eux
éclatera une vie nouvelle. En eux
mûriront les fruits de l'Esprit. Voici, ils
apprennent à supporter, à pardonner,
à aimer. Ils échappent à
l'esclavage de leur irritabilité, de leur
humeur difficile, de leur nature méfiante,
de leurs envies et de leur orgueil. Ils ne vivent
plus comme vivent les enfants de
ce monde, infidèles dans les petites et dans
les grandes choses, dépourvus de droiture,
paresseux à s'employer pour autrui, pleins
de recherche d'eux-mêmes, assujettis à
leurs convoitises et à leurs passions. Les
choses vieilles sont passées ; toutes
choses, en eux, sont devenues nouvelles. Le grain
de l'Évangile a porté son fruit, cent
pour un.
Mes frères, il peut nous arriver
d'oublier que c'est là l'état normal
des choses et que le contraire, c'est le
désordre. Nous nous habituons bien
facilement à cette pensée que,
quoique ceux qui entendent la Parole ne progressent
pas spirituellement, il n'y a pas lieu de
s'inquiéter. Que d'auditeurs de la Parole
qui, d'année en année, traînent
les mêmes défauts, les mêmes
péchés, les mêmes rancunes, le
même amour-propre et auxquels leur conscience
ne semble pas faire de reproches. Sachons donc
qu'il faudrait tirer de cela cette triste, cette
humiliante conclusion que nous ne sommes pas la
bonne terre. La bonne terre, une fois que la
semence lui a été confiée,
portera du fruit. Cent pour un ; la parole du
Seigneur, déposée dans un coeur
honnête et bon, ne retourne, pas à lui
sans avoir eu son effet. Elle sera retenue dans ce
sol préparé et la moisson
lèvera. Non pas, il est vrai, d'une
manière magique, indépendamment de
l'homme, en quelque sorte malgré l'homme.
Ils portent du fruit avec
persévérance, dit Jésus,
demandant par là beaucoup, de la
volonté de l'homme, sa ferme
résolution de voir l'oeuvre de Dieu
atteindre en lui son but.
Accordez encore cela, vous
qui
avez reçu la semence dans un coeur
honnête et bon, et il ne se peut pas que la
semence divine ne produise en vous ses miracles.
Peut-être seront-ils plus lents à
paraître chez les uns que chez les autres,
moins éclatants ici que là ;
mais ce qui est certain, c'est qu'ils
paraîtront en leur temps. Vous êtes
destinés, vous aussi, et vous tous, à
annoncer les vertus de Celui qui vous a
appelés des ténèbres à
sa merveilleuse lumière. Voici, vous avez
été
régénérés, non par une
semence corruptible, mais par une semence
incorruptible, par la Parole, de Dieu qui vit et
qui demeure éternellement.
Mes frères, au milieu de cet
admirable petit discours qui s'appelle la parabole
du semeur, Jésus s'est
écrié : Que celui qui a des
oreilles pour ouïr, entende. Je m'empare de
ces paroles du Maître. Au nom de cette bouche
autorisée, au nom de ce Sauveur qui veut
notre salut, notre
régénération, notre paix, je
répète à mon tour : Que
celui qui a des oreilles pour ouïr,
entende ! Amen.
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