M. le curé. - Comme vous avez bien fait
de me conseiller de consulter les Pères ! Non que j'aie eu la
patience de les traduire, mais j'ai ouvert par aventure un admirable
ouvrage sur la Papauté.
Quelle grandeur dans cette institution !
Quels pouvoirs exercés à travers les siècles !
Quels privilèges lui ont été accordés !
Je n'ai plus besoin de savoir s'il faut ou non
remonter à saint Pierre.
Le Pape est le chef de la chrétienté, c'est un
titre sacré qui le revêt d'une autorité qui impose !
M. A. - Apercevez-vous sur cette éminence, un peu à
l'est, les ruines majestueuses d'un antique château féodal ?
Asseyons-nous en face d'elles, leur puissance d'autrefois et leur
ruine actuelle nous inspireront dans notre causerie...
M. le curé. - Je
n'aime pas avoir devant mes yeux les ruines d'une antique
puissance.... je préfère reposer ma vue sur mon paisible clocher.
M. A. - On sonnait un
glas ce matin...
M. le curé. - Pour un
pauvre père de famille qui laisse deux orphelins, l'Eglise catholique
romaine n'est pas orpheline comme l'église protestante, elle a un
père : le Pape.
M. A. - Ce nom de père
est bien doux dans le langage naïf de l'enfant. Pape, père, c'est le
même mot. Les premiers évêques de Rome se faisaient-ils appeler
ainsi ?
M. le curé. - Pas dans
les premiers siècles. En 381, au Concile de Constantinople, les cinq
évêques les plus influents portaient le titre de patriarches ; en
451, l'évêque de Rome est appelé évêque métropolitain.
M. A. - Nous sommes au
VIe siècle et le titre de pape n'a pas été porté.
M. le Curé. - C'est
vers la fin de ce siècle que l'évêque d'Orient a voulu le prendre et
se déclarer évêque universel.
M. A. - Vous
connaissez la protestation de Grégoire I le Grand... (1).
M. le Curé. - Elle est
compréhensible : Jean lui coupait l'herbe sous les pieds.
M. A. - Mais je ne
trouve que Grégoire VII au XIe siècle qui se dise « Pape » (Grégoire
contre Jean le Jeûneur de Constantinople qui se disait « évêque
universel )». !
M. le Curé. - Voilà
pourquoi ce titre est précieux : il a été conquis de haute
lutte !
M. A. - Saint Bernard
a refusé de le reconnaître, il n'a pas cessé de considérer l'évêque de
Rome comme le premier entre ses égaux.
M. le Curé. - Il a eu
tort, car enfin si le chef de l'Eglise s'appelle Pape, cela
n'a rien qui jure avec l'Évangile !
M. A. - Ce serait une
qualification honorifique : elle ne soulèverait aucune
protestation, mais elle fait dire à celui qui le porte qu'il est très
saint. Il devient en fait le Père du Christianisme.
M. le Curé. - Je crois
bien ! Le Pape, c'est le représentant de Dieu sur la terre !
M. A. - Jésus a
dit :
« Quand vous priez, dites : Notre
Père qui êtes aux cieux ».
M. le Curé. - Aussi,
nous adressons notre Pater à Dieu..., nous
ne prions jamais le pape...
M. A. - « O saint
docteur, bienheureux N. priez pour nous le Fils de Dieu... » (2).
Que dites-vous de cela ? N'est-ce point une
prière ?
M. le Curé. - Nous ne
prions les pontifes que lorsqu'ils sont morts.
M. A. - Êtes-vous sûrs
qu'ils sont tous auprès de Dieu ? Alexandre VI Borgia, par
exemple...
M. le Curé. - On ne le
prie pas, voilà tout...
M. A. - Mais il a
porté le titre de Très Saint Père et Jésus-Christ a dit :
« N'appelez personne votre père, car un
seul est votre Père, lequel est dans les cieux (3). »
M. le Curé. - Nos
fidèles ne liront jamais ce verset dans leur Paroissien et ils
continueront à appeler Pape l'évêque de Rome !
M. A. - Que signifie
la triple tiare que porte le Pape ?
M. le Curé.. - Elle
est le signe de sa royauté.
Chaque couronne de la tiare est une époque
glorieuse de la Papauté. Jusqu'au XIIIe siècle il n'y en avait qu'une,
Boniface VIII (1294-1303) ajouta la seconde et Urbain V (1362-1370) la
troisième.
M. A. - Vous me parlez
de royauté à propos du vicaire de
Jésus-Christ ! Mais Notre Seigneur n'a pas voulu être roi :
« Jésus - nous raconte saint Jean - sachant
qu'ils allaient venir pour l'enlever et le faire roi, s'enfuit et se
retira seul sur la montagne (4). »
M. le Curé. - Tout
dépend des circonstances. Jésus dit à Pilate : « Je suis
roi. » (Jean
18-37).
M. A. - Mais Notre
Seigneur avait auparavant défini le caractère de sa royauté :
« Mon royaume n'est pas de ce monde »
(Jean
18 : 36).
M. le Curé. - Le pape
ne porte le titre de roi que parce qu'il est souverain Pontife,
l'un ne va pas sans l'autre.
M. A. - En latin,
comment dites-vous ces mêmes mots ?
M. le Curé. - Pontifex
Maximus.
M. A. - Cela ne vous
rappelle-t-il pas l'histoire romaine ?
M. le Curé. - Vous
voulez dire que ce titre vient du paganisme ! ...
M. A. - Numa Pompilius
au VIIe siècle avant J.-C. créa cette charge suprême; après lui tous
les empereurs romains se l'attribuèrent...
M. le Curé. - À
l'exception de Flavien Gratien qui le refusa.
M. A. - Parce qu'il
était chrétien et il renonça non seulement au
titre, mais encore aux ornements pontificaux.
M. le Curé. - Les
papes n'ont pas recueilli un héritage païen, ils ont toujours été les
vicaires du Souverain Pontife Jésus-Christ...
M. A. - Quel titre
donnait-on à Anne et Caïphe qui jugèrent les premiers Notre
Seigneur ?
M. le Curé. - Ils
étaient grands prêtres (5).
M. A. - Quel est le
mot grec qui désigne cette fonction ?
M. le Curé. - Archieréos.
M. A. - Je le retrouve
appliqué à Jésus dans l'épître aux Hébreux. Comment votre Paroissien
le traduit-il ?
M. le Curé. - Il le
traduit Pontife.
M. A. - Pourquoi vous
servez-vous de deux mots très différents pour traduire un même mot
grec ?
M. le Curé. - On aura
voulu exprimer que, si le moi était le même, la charge était
autre : Jésus était le Pontife par excellence.
M. A. - Dès lors il
fallait conserver au pape le titre de grand prêtre plutôt que de lui
laisser prendre celui de pontife, surtout lorsque l'Écriture Sainte
dit :
« Jésus-Christ n'a point pris de lui-même
la glorieuse qualité de Pontife, mais il l'a reçue de celui
qui lui a dit : Vous êtes mon Fils, Je vous ai engendré
aujourd'hui (6). »
M. le Curé. - Vous
n'avez pas remarqué que le pape dans son sacerdoce relève de
Jésus-Christ et non d'Anne et Caïphe. L'abbé Bougaud a dit très
bien : « Le pape est le second mode de la présence réelle de
Jésus-Christ dans l'Eglise (7). »
Le sacerdoce de Notre Seigneur se continue dans son
vicaire.
M. A. - Votre
paroissien me paraît émettre une opinion opposée :
« Jésus qui vit éternellement a un
sacerdoce qui ne passera jamais à personne. C'est pourquoi il est
toujours en état de sauver tous ceux qui, par sa médiation,
s'approchent de Dieu, puisqu'il vit toujours pour intercéder en
notre faveur (8). »
M. le Curé. - Bien que
nous nous soyons détournés des ruines féodales dont vous me parliez
elles ne vous inspirent que trop.
M. A. - Je n'aime pas
plus que vous les puissances qui s'effondrent, si je discute, c'est
que je redoute un affaiblissement du christianisme, causé par les
erreurs qui se glissent dans son sein.
Je voudrais donner à l'Eglise chrétienne un chef
qui ne fût pas un cardinal, élu pape par le Conclave, mais
Jésus-Christ :
« Jésus-Christ est le chef de l'Eglise, qui
est son corps, dont il est le Sauveur » (9).
M. le Curé. - Quel
serait son vicaire si vous n'acceptez pas le pape ?
M. A. - Le
Saint-Esprit que Notre Seigneur a promis d'envoyer, et qui a pour but
de le remplacer dans l'Eglise, jusque dans la consommation des
siècles :
« Et voici, dit Jésus, je suis avec vous
tous les jours jusqu'à la fin du monde (10). »
M. le Curé. - Votre
conception a quelque chose de mystique, qui s'accorde mal avec nos
besoins temporels.
M. A. - Les ruines de
ce château jadis si puissant, la terreur du pays, vous montrent la fin
qui est réservée ici-bas à tout pouvoir temporel.
M. le Curé. -
Approuveriez-vous cet acte inqualifiable, commis en 1870, par lequel
on a dépouillé le Souverain Pontife de son pouvoir temporel ?
M. A. - Était-il
d'institution divine ?
M. le Curé. - C'était
une chose sacrée comme la personne même du Pape... il fallait
respecter notre chef vénérable.
M. A. - L'origine du
pouvoir temporel ne me paraît pas sacrée.
M. le Curé. - Elle
est obscure, j'en conviens. Vous allez me répéter ce qu'on a dit et
redit : qu'elle repose sur un écrit qu'on
appelle justement : Les Fausses décrétales de
Saint-Isidore ; que la donation de Constantin a été
inventée pour les besoins de la cause... Les protestants ont toujours
de pareils arguments.
Je ne veux savoir qu'une chose, c'est que le roi
Pépin le Bref a reconnu la légitimité du pouvoir temporel.
M. A. - Parce qu'il a
été trompé par ces fausses décrétales. Baronius les appelle une
fourberie ; le pape Pie VI, une fraude ; le père jésuite
Regnon confesse qu'elles n'ont fait que du mal (11).
Si Pépin le Bref avait pu faire étudier cet écrit
comme le feront plus tard Laurent Valla, Érasme et Ulric de Hutten, il
aurait gardé pour la couronne de France : Rimini, Pesaro, Fano,
Sinagaglia et Ancône, conquises sur les Lombards, au lieu de les céder
au Pape.
M. le Curé. -
Charlemagne a admis à son tour l'authenticité des Décrétales, car il a
ajouté Ravenne, le duché de Pérouse et le duché de Spolète.
M. A. - La comtesse
Mathilde de Toscane a eu la même crédulité. elle céda en 1077 à
Grégoire VII le riche territoire appelé « Patrimoine de
Saint-Pierre » avec Viterbe pour capitale.
M. le Curé. - On est
indigné quand on pense que toutes ces belles
provinces ont été enlevées au Saint-Père en 1870 ! Il s'est vu
obligé de licencier ses soldats, de retirer sa monnaie et ses timbres
de la circulation.... depuis lors, pour protester, il reste prisonnier
au Vatican.
M. A. - Le Pape
avait-il le droit, en raison même de sa fonction, d'amasser des
trésors sur la terre ?
M. le Curé. - Pour
établir sa domination, l'Eglise avait besoin d'un pouvoir temporel.
M. A. - Vous avez
raison, c'est sa domination que l'EgIise poursuivait car, pour établir
le royaume de Dieu, il était recommandé de n'avoir d'autre richesse
que celle qui nous attend au ciel :
« Ne vous amassez point des trésors sur la
terre où la rouille et les vers consument, où les voleurs fouillent
et dérobent, mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où la
rouille ni les vers ne consument, où les voleurs ne fouillent ni ne
dérobent. Car, où est votre trésor, là aussi est votre coeur (12). »
M. le Curé. - Vous
distinguez avec raison le pouvoir temporel du pouvoir spirituel ;
mais dans ses relations avec les États, le Pape devait avoir une
puissance matérielle.
M. A. - La puissance
de l'Évangile suffisait. Le Christ a dit :
« Rendez à César ce qui est à César et à
Dieu ce qui est à Dieu (13). »
M. le Curé. - Vous estimez donc que le Souverain
Pontife ne pouvait avoir aucun royaume terrestre, aucun soldat pour le
défendre !
M. A. - C'est dans ce
sens que doit être interprétée cette parole de Notre Seigneur :
« Mon royaume n'est pas de ce monde. »
(14)
Livré aux cohortes romaines, Jésus ne se défendit
pas, il intima l'ordre à saint Pierre de remettre son épée dans le
fourreau et, dit :
« Pensez-vous que je ne puisse pas prier
mon Père, et ne m'enverrait-il pas aussitôt plus de douze légions
d'anges ? (15) »
M. le Curé. -
Cependant les Papes ont toujours augmenté leur pouvoir temporel, ils
devaient sans doute cette politique à leur grand prédécesseur saint
Pierre ...
M. A. - Vous oubliez
que cet apôtre était pauvre et qu'il a voulu rester pauvre.
Il disait à un paralytique qu'il guérissait :
« Je n'ai ni or ni argent, mais ce que j'ai
je te le donne. (16) »
S'il avait occupé le trône pontifical, il aurait
laissé cette grande leçon à ses successeurs.
M. le Curé. - Jésus
a-t-il laissé un ordre catégorique à cet égard ?
M. A. - Oui, mais je
ne l'ai point trouvé dans le Paroissien. Le voici :
« C'est gratuitement que vous avez reçu,
gratuitement donnez. Ne possédez ni or, ni argent, ni aucune monnaie
dans vos ceintures (17). »
M. le Curé. - Il n'en
est pas moins vrai que la puissance de la papauté serait nulle sans
les trésors immenses qu'elle a accumulés et qui la rendent redoutable.
M. A. - Je crois que
la puissance politique des papes eût souffert de leur
pauvreté ; mais leur puissance spirituelle aurait atteint
un suprême degré.
M. le Curé. -
Pensez-vous que le pouvoir spirituel l'eût emporté sur le
temporel ?
M. A. - À la
condition, bien entendu, que ce pouvoir spirituel serait resté en
conformité avec l'Évangile.
M. le Curé. - Encore
une critique ! Que trouvez-vous donc d'extraordinaire dans ce
pouvoir que nous définissons ainsi :
« Notre Saint Père a le droit de faire des
lois au nom de Jésus-Christ, de les rendre obligatoires en conscience,
comme aussi d'en diminuer la rigueur ou de dispenser même de les
observer » (18).
M. A. - Cette fonction
de législateur attribuée au pape est-elle de droit divin ?
M. le Curé. - C'est
incontestable. Elle découle en droite ligne des privilèges accordés à
saint Pierre par Notre Seigneur.
M. A. - Nous avons
traité cette question. Les apôtres sont égaux :
« Que celui qui est le plus grand parmi
vous se fasse comme le plus petit, et celui qui tient le premier
rang comme celui qui sert » (19).
Appliquez cela au pape et aux évêques.
M. le Curé. - Jésus a
voulu abattre l'orgueil des apôtres et non leur interdire de faire des
lois. Tout ce que saint Pierre liera sera lié, tout ce qu'il déliera
sera délié.
M. A. - Jésus n'a
jamais autorisé l'un quelconque de ses disciples à remplir les
fonctions de législateur :
« Il n'y a qu'un législateur et qu'un juge
qui peut perdre et sauver » (20).
Et ce n'est pas le pape.
M. le Curé. - Ce
pouvoir que vous contestez s'appuye sur cette parole :
« Qui vous écoute, m'écoute ; et qui
vous méprise, me méprise » (21).
M. A. - J'y vois la
confirmation du ministère dont Jésus avait chargé
ses apôtres. Ils reproduisaient dans leurs récits les actes et les
enseignements du Maître, si bien que, en les entendant parler, le
peuple entendait Jésus lui-même.
Mais je ne trouve point là le pouvoir de « faire
des lois », « d'en diminuer la rigueur »,
« de dispenser même de les observer ».
Cette liberté, Dieu ne l'a point exercée. Jamais Il
n'a diminué la rigueur du Décalogue ni dispensé de l'observer. Notre
Seigneur a déclaré la loi divine inviolable à quelque titre que ce
soit :
« Celui qui violera un de ces moindres
commandements et enseignera ainsi aux hommes, sera appelé le dernier
dans le Royaume des Cieux ; mais celui qui fera et enseignera,
celui-là sera appelé grand dans le Royaume des Cieux » (22).
M. le Curé. -
D'accord, d'accord..., mais ceci concerne la loi divine infiniment
sage et non les lois de l'Église.
M. A. - Précisément,
et cela seul vous montre combien leur différence est fondamentale.
Gardons les lois divines, assez difficiles à
observer, sans nous embarrasser par surcroît de lois humaines
imparfaites, qu'un pape peut à son gré promulguer, abroger ou adoucir.
M. le Curé. - Les
commandements de l'Église ont été ajoutés à ceux de
Dieu pour nous en faciliter l'observation (23).
M. A. - Est-ce pour
faciliter l'observation du Ve commandement que l'Église a usé du
pouvoir de persécution :
« Homicide point ne seras, DE FAIT ni
volontairement ».
M. le Curé. - L'Eglise
n'a employé la force que pour sa légitime défense contre les infidèles
et les hérétiques.
M. A. - Les Apôtres
n'ont jamais songé à fonder l'Église de Jésus-Christ par la violence
et l'extermination : au lieu de résister en armant les fidèles
contre les empereurs idolâtres, Néron, Décius et d'autres, ils sont
morts martyrs.
M. le Curé. - C'était
le début ; lorsque le christianisme a été plus fort il a pris sa
revanche sur les païens, grâce au secours des empereurs.
M. A. - L'Église ne
prenait pas sa revanche lorsqu'elle massacrait les Albigeois au XIIIe
siècle, ou quand son fameux tribunal de l'Inquisition terrorisait la
chrétienté, on encore la nuit de la Saint-Barthélemy (1572) et au
temps des dragonnades.
M. le Curé. - il
faudrait attribuer au pouvoir civil sa grosse part de responsabilité.
Quoi qu'il en soit, je ne puis discuter plus longtemps avec vous, le Syllabus
vous maudit :
« Anathème à qui dira : l'Eglise n'a pas
le droit d'employer la force ; elle n'a aucun pouvoir temporel
direct ou indirect. » (24)
M. A. - Ce qui me
console c'est que je suis sous le coup de cette condamnation en
compagnie du Paroissien.
M. le Curé. - Comment
cela ?
M. A. - Jésus dit à
ses disciples menacés de persécutions : « Ne craignez
point ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l'âme. » (25)
M. le Curé. - Vous me
rassurez, il n'y a rien là qui puisse mériter l'anathème.
M. A. -
Vraiment ? Que direz-vous alors de cet autre passage où Jésus
censure Jacques et Jean parce qu'ils appelaient le feu du ciel sur un
bourg Samaritain :
« Vous ne savez pas de quel esprit vous
êtes ! (26). »
M. le Curé. - Je dis
qu'il n'est pas dans le Paroissien.
M. A. - Et
celui-ci : C'est Jésus qui reproche à Simon-Pierre d'avoir tiré
son épée contre Malchus :
« Remettez votre épée dans son fourreau,
car tous ceux qui se serviront du glaive, périront par le glaive. »
(27)
M. le Curé. - Je vous
répète que l'Église a employé la force par intérêt pour les fidèles,
dans le but sacré de la propagation de la foi.
M. A. - Saint Pierre
agissait dans l'intérêt de Jésus et il a mérité cette sévère
réprimande.
M. le Curé. - Saint
Augustin a dit en toutes lettres : « Compelle intrare »,
Force-les d'entrer.
Tous ceux donc qui refusent de nous recevoir,
païens ou hérétiques, doivent être contraints par tous les moyens,
même les plus violents. Il vaut mieux qu'ils aillent en Paradis après
avoir perdu leur vie sur un bûcher, que si le diable saisissait leur
âme.
M. A. - Vous usez
d'une étrange apologie ! Eh quoi ! vous dites « Hors de
l'Église point de salut » et vous précipitez les âmes qui ne sont
point à vous dans l'Éternité, avant qu'elles aient pu se
convertir !
Vous avez mal interprété la parole que saint
Augustin emprunte à la parabole du festin.
« Le Maître dit au serviteur : Allez
dans les chemins et le long des haies, et pressez les gens d'entrer,
afin que ma maison soit remplie. » (28)
Il s'agissait de faire fête aux invités et non de
les mettre à mort.
M. le Curé. - L'Eglise
a eu à souffrir du fait des hérésies ; la Réforme du XVIe siècle
lui a porté un coup violent.... il était juste
qu'elle se défendît.
M. A.. - Elle le
pouvait d'une manière qui lui eût concilié tous les coeurs. La
tendresse et l'affection chrétiennes auraient dû remplacer le
glaive ; la vérité n'a pas besoin de sang pour triompher, c'est
l'erreur qui réclame la force brutale. Voici les armes que Jésus avait
données :
« Vous aimerez votre prochain comme
vous-même. L'amour qu'on a pour le prochain ne souffre pas qu'on lui
fasse de mal. Ainsi l'amour est l'accomplissement de la loi (29). »
M. le Curé. - Luther
et Calvin ont brisé l'unité de l'Église, le mal qu'ils ont fait crie
vengeance !
M. A. - Permettez, au
lieu de les calomnier, vous devriez les aimer...
M. le Curé. -
Oh ! cela ! Jamais !
M. A. - « À
moi la vengeance et je la ferai - dit le Seigneur, si votre ennemi a
faim, donnez-lui à manger, s'il a soif donnez-lui à boire. (30) »
M. le Curé. -
Excusez-moi, j'ai manqué de charité chrétienne. Je souffre plus que je
ne sais le dire, de voir la division de l'Église du Christ. Mais
comment nous unir ?
M. A. - En ne gardant
aucun pouvoir en dehors de l'Évangile, en aimant au lieu de
persécuter, en cherchant la vérité au lieu de calomnier vos
adversaires ; en ne voulant reconnaître que Jésus-Christ pour
chef de l'Église, pour seul médiateur auprès du Père, pour seul
Sauveur...
M. le Curé. - La nuit
vient, un trouble indéfinissable s'empare de mon âme... je vous
quitte... priez pour votre vieil ami !
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