Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II

La Papauté

& 3. - L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE



M. le Curé. - J'étais troublé l'autre jour, sans cela j'aurais eu l'esprit présent... Ce. matin, après une nuit très agitée, j'ai pu m'écrier comme Archimède à Syracuse : Eurêka ! J'ai trouvé. Votre savant échafaudage, je le renverse d'un mot : le pape est infaillible !

M. A. - Je résiste encore à l'attaque ! Depuis quand cette infaillibilité existe-t-elle ?

M. le Curé. - De tout temps, bien que le dogme n'ait été défini qu'en 1870 au Concile du Vatican. Il résulte de la constitution « Pastor oeternus » de Pie IX que le pape est infaillible
1° Par révélation divine ;
2° Comme successeur de saint Pierre ;
3° En sa qualité de vicaire de Jésus-Christ.

M. A. - Avant saint Thomas d'Aquin (1226) aurait-on pu parier avec votre exactitude ?

M. le Curé. - La question ne s'était pas posée.

M. A. - Ne vous semble-t-il point que c'était au moment même de la fondation de l'Eglise que l'infaillibilité papale eût été définie avec vérité ? Il fallait combattre les hérésies naissantes avec des armes invincibles ; il était nécessaire d'éviter les discussions dans l'Eglise, les schismes comme ceux d'Orient et d'Occident.

M. le Curé. - L'infaillibilité existait, elle n'était pas formulée et on la méconnaissait.

M. A. - Le roi très chrétien Saint-Louis au XIIIe siècle, Charles VII au XVe, se sont bien gardés de reconnaître l'infaillibilité du pape ! (1).

M. le Curé. - C'est pour des raisons purement politiques.

M. A. - Au XVIIIe siècle, les Jésuites et les Jansénistes, les Ultramontains et les Gallicans ont eu à cet égard des débats fameux... Il ne s'agissait point de raisons politiques mais plutôt exclusivement religieuses.

M. le Curé. - La Révolution de 1789 a fort heureusement mis un terme à ces discussions stériles.

M. A. - Mgr Clausel de Montals, évêque de Chartres, disait que l'infaillibilité ex-cathedra était une formule inventée vers le VIIIe siècle. (2)

M. le Curé. - C'était un gallican ! Mais l'infaillibilité du pape est restée la foi de la majorité du peuple catholique, c'est pour cela que le dogme a pu être formulé en 1870.

M. A. - J'ai là quelques vieux catéchismes parus avant cette époque et je n'y découvre aucune trace du dogme dont vous parlez. En voici un paru en 1695 ; il traite, au chapitre XII, de « L'Infaillibilité de l'Eglise » et non de celle du pape. (3)

M. le Curé. - Et les autres ?

M. A. - Les autres disent la même chose.
L'évêque de Grenoble en 1852 dit expressément : « L'Eglise est infaillible » et recommande de prier pour le Pape (4).

M. le Curé. - Je n'ai jamais rien lu de pareil dans notre diocèse.

M. A. - Cependant Mgr Féron, évêque de Clermont en 1863, disait d'aimer le pape, de lui rester attaché comme au centre de l'unité catholique, mais il réservait aussi l'infaillibilité à la société des fidèles qui professent la même foi, participent aux mêmes sacrements, sont soumis à l'autorité du Pape et des évêques unis au Pape. C'est l'infaillibilité de l'Église chrétienne et non du Pape (5).

M. le Curé. - Je n'avais jamais remarqué cela !

M. A. - J'ai remarqué quelque chose de plus curieux encore.
En 1845, Mgr Bouvier approuvait une explication du catéchisme de l'abbé Guillois où l'infaillibilité était reconnue 1° au Souverain Pontife ; 2° aux évêques avec Lui unis en concile ou sans concile : « leur décision a la même autorité, parce que l'Église universelle, soit assemblée, soit dispersée, est toujours également infaillible. »
En 1875 après le Concile du Vatican, on publie une 13e édition sans rien changer, sans mentionner l'infaillibilité du pape (6).
Aujourd'hui je lis dans votre catéchisme ; après l'infaillibilité de l'Eglise cette question ajoutée depuis 1870 : Notre Saint Père le Pape est-il infaillible ? Oui, il est infaillible... (7).

M. le Curé. - C'est que, tant que le dogme n'était pas formulé, on pouvait l'omettre dans le catéchisme.

M. A. - Donc, avant 1870, Rome enseignait par ses catéchismes que l'infaillibilité papale n'était pas encore un article de foi...

M. le Curé. .....

M. A. - Vous ne répondez rien ? Vous songez qu'il a fallu un vote pour tout changer.
Sur 533 votants, 50 se sont abstenus, 2 ont voté contre..., ces chiffres sont éloquents !
 
M. le Curé. .....

M. A. - Vous vous taisez ? Si l'infaillibilité du pape avait été d'institution divine, personne ne l'aurait attaquée jamais et l'on n'eût pas attendu 1870 ans pour la définir.

M. le Curé. - Le pape possède l'infaillibilité comme Jésus-Christ...

M. A. Notre Seigneur disait à ses adversaires Qui de vous me convaincra de péché ? (8» C'est la véritable infaillibilité. Ces paroles ne seraient-elles point un blasphème sur les lèvres de Jean XII, de Jean XXII, de Sixte IV, d'Alexandre VI Borgia ? ...

M. le Curé. - Je ne songe pas à les défendre, nos historiens Platina, Luitprand, Baronius, les ont jugés très sévèrement. Les papes sont des hommes et non des dieux leur infaillibilité repose sur leur charge de successeur de saint Pierre.

M. A. - Permettez-moi d'observer que Simon Pierre n'a pas été infaillible. On lui connaît sept chutes, votre Paroissien en rapporte trois (9).

M. le Curé. - Je les connais. Il s'est rendu coupable de présomption quand le Seigneur lui prédisait sa lâcheté.
« Quand vous seriez pour tous les autres un sujet de scandale, vous ne le serez jamais pour moi (10). »

M. A. - Vous pourriez citer encore sa précipitation lorsqu'il tira son épée et frappa Malchus à l'oreille. Jésus lui fit de sévères reproches (11).

M. le Curé. - Il y a surtout le reniement.

M. A. - Accompagné d'imprécations. Pierre se mit « à jurer, disant qu'il ne connaissait point cet homme (12). »

M. le Curé. - Nous n'avons plus rien à lui reprocher depuis sa réhabilitation ; Jésus sur les bords du lac de Genesareth lui a dit par trois fois :
« Pais, mes agneaux, pais mes brebis (13). »

M. A. - Je me souviens encore que le jour de la Pentecôte il a reçu le Saint-Esprit comme les autres apôtres (14).

M. le Curé. - Depuis ce moment son infaillibilité a des bases assurées.

M. A. - Si donc saint Pierre commet encore une faute grave, votre dogme...

M. le Curé. - Quel piège me tendez-vous ?

M. A. - Aucun, je vous rappelle seulement une circonstance où la conduite de saint Pierre fut répréhensible, longtemps après la Pentecôte.
« Céphas (c'est-à-dire Simon Pierre) étant venu à Antioche, je lui résistai eu face, parce qu'il était répréhensible. Car avant que quelques-uns, envoyés par Jacques, fussent arrivés, il mangeait avec les gentils ; mais quand ils furent venus, il se retirait et se séparait, craignant ceux qui étaient incirconcis (15). »

M. le Curé. - Distinguons. Saint Pierre pouvait errer quant à la discipline mais jamais en ce qui concerne sa charge de fondateur de l'Église. Jésus lui avait dit :
« Simon, j'ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille point ; et toi quand tu seras converti, confirme tes frères (16). »

M. A. - Ces paroles furent prononcées avant le reniement et avant la scène d'Antioche. On ne peut donc les invoquer pour prouver que la foi de Simon Pierre n'a point défailli.

M. le Curé. - C'est la doctrine qu'il a enseignée à ses successeurs qui est infaillible. Le Pape n'a le privilège de l'infaillibilité que quand il parle ex-cathedra, c'est-à-dire du haut de son siège apostolique.

M. A. - Je crains bien que sur ce terrain-là vous ne vous heurtiez à quelque autre fait capable de vous arrêter.
Saint Pierre n'a jamais revendiqué pour lui l'infaillibilité quant à la doctrine. Il s'est montré hésitant dans les circonstances graves. Ainsi appelé clairement par une vision à se rendre auprès de l'officier romain Corneille à Césarée, il ne se décida à marcher qu'après un appel réitéré de l'Esprit, et encore, lorsque saint Pierre entra dans la maison de ce païen converti, il dissimula mal l'embarras qu'il éprouvait.
« Vous savez, vous, quelle abomination c'est pour un homme Juif, que de fréquenter ou même d'approcher un étranger ; mais Dieu m'a montré à ne traiter aucun homme d'impur ou de souillé (17). »

M. le Curé. - Ce sont des détails que nos fidèles ignorent parce qu'ils ne les trouvent pas dans leur Paroissien. Nous avons convenu que nous ne discuterions qu'avec le livre qui est entre les mains de tous.

M. A. - Soit. Je prends note toutefois que l'infaillibilité de doctrine de saint Pierre lui vient exclusivement du Saint-Esprit.

M. le Curé. - Cela est certain. Lorsque l'Esprit saint ordonne, saint Pierre obéit. Somme toute le pape dans son infaillibilité relève plutôt de Jésus-Christ et de l'Esprit-Saint.

M. A. - Donc, si votre point de vue est exact, toute enseignement du pape lui est donné par l'Esprit-Saint et il est conforme à celui de Jésus-Christ...

M. le Curé. - C'est parfaitement exact.

M. A. - Or, la doctrine chrétienne, objet de la révélation divine, est-elle parfaite on non ? Est-elle complète ou non ? Est-elle variable ou fixe ?

M. le Curé. - Vous connaissez comme moi l'article 5 du Syllabus.
« Anathème à qui dira la révélation divine est imparfaite, et, par conséquent, soumise à un progrès continuel et indéfini qui réponde au développement de la raison humaine. »

M. A. - Que pourrons-nous conclure de là ? Que tout enseignement qui ne pourra être établi sur l'Évangile, qui ne sera pas l'objet réel d'une révélation divine, ne méritera aucune créance. Un pape véritablement infaillible ne définira donc aucun dogme nouveau.

M. le Curé. - Vous voulez m'entraîner sur une pente trop périlleuse...

M. A. - Nullement, je me borne à tirer les conséquences du principe que vous avez approuvé.
Ainsi le célibat des prêtres, introduit en l'an 965 sous le pape Jean XIII, qui ne fait point partie de la révélation divine, est une nouveauté et le pape qui l'a mise en vigueur n'était donc pas infaillible ex-cathedra ; il en est de même de la confession auriculaire pratiquée seulement en 1215, du dogme du Purgatoire défini en 1439...

M. le Curé. - L'Esprit de Dieu peut agir encore sur le chef de l'Eglise et lui faire de nouvelles révélations.

M. A. - Je suis sûr que l'Esprit de Dieu exercerait une influence puissante, aujourd'hui comme à la Pentecôte, sur le pape et sur l'Eglise entière, s'il rencontrait plus de foi. Mais il ne révélerait pas de nouveaux dogmes puisque la révélation divine est parfaite et achevée selon l'Écriture Sainte et l'aveu de Pie IX dans le Syllabus.

M. le Curé. - Vous voulez limiter l'action de Dieu !

M. A. - L'Esprit de Dieu n'agit pas par ordre lui venant des hommes ; il ne rend pas infaillibles les papes parce qu'il a plu à Pie IX de publier la Constitution Pastor Oeternus. « L'Esprit souffle où il veut, a dit le Christ, et vous entendez sa voix ; mais vous ne savez ni d'où il vient, ni où il va (18). »

M. le Curé. - C'est très embarrassant ! Mon évêque dit dans son Catéchisme que ce dogme est enseigné par Jésus-Christ, c'est le placer au berceau même du christianisme. Ensuite, comme s'il s'était aperçu que les textes bibliques étaient insuffisants, il ajoute que ce dogme est contenu dans le dépôt de la tradition ! (19).
Je ne vois pas ce que la tradition vient faire ici, ou bien le dogme de l'infaillibilité est divin ou bien il est le produit de la politique ultramontaine.

M. A. - L'appel à la tradition prouve que, pour le Concile du Vatican, la révélation divine était imparfaite, inachevée, et qu'il fallait la compléter par l'infaillibilité du Pape !

M. le Curé. - En présence de tant de contradictions flagrantes, que voulez-vous que fasse un pauvre curé comme moi !

Et le vieux curé, tout attristé, reprit silencieusement le chemin de son presbytère 


(1) Pragmatique Sanction de Saint-Louis 1269, et Pragm. Sanct. de Bourges de Charles VII, 1438. 

(2) Coup d'oeil sur la Constitution de la religion catholique, p. 46. 4

(3) Nouv. catéch. théol., par le T. V. Père capucin Grégoire de Lyon, 1695.

(4) Mgr Philibert de Bruillard. Catéchisme de Grenoble, 1852, p. 64.

(5) Mgr Louis-Charles Féron. Catéchisme de Clermont, 1863. Leçon XIV, XV, etc.

(6) Explic. historique, dogmatique, morale et liturgique du Catéchisme, par l'abbé Ambroise Guillois. Paris, Palme 1875, p. 192-193. 

(7) Exp. cat. Clerm., p. 110.

(8) Jean, 8-46. P. R. Le Dimanche de la Passion, p. 308. 

(9) Voici les sept chutes :
- Petite Foi (Math. 14-23 à 33).
- Scandale (Marc 8-31 à 33. Math. 16-21 à 23).
- Présomption (Math. 26-31 à 35. Marc 14-27 à 31. Luc 22-31 à 34).
- Fausse humilité (Jean 13-36 à 38).
- Précipitation coupable (Math. 26-51 à 54. Marc 14-47. Luc 22-49 à 51. Jean 18-15 à 27).
- Reniement (Jean 18-15 à 27).
- Duplicité (Gal. 2-11 à 17).

(10) Math. 26-31 à 35. P. R. Le Dimanche des Rameaux, p. 326. 

(11) Math. 26-31 à 35. P. R. Le Dimanche des Rameaux, p. 328. 

(12) Math. 26-31 à 35. P. R. Le Dimanche des Rameaux, p. 329. 

(13) Jean XXI, 15. Exp. cal. Clerm., p. 88. 

(14) Actes 2. P. R. Le Saint Jour de la Pentecôte, p. 392.

(15) Galat. II, 11 à 12

(16) Luc 22-32.

(17) Actes, 10/9 à 48.

(18) Jean 3-8. P. R. 3 mai, L'Invention de la Sainte-Croix, p. 703. 

(19) Exp. cat. Clerm., p. Il.
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