M. le Curé.
- J'ai eu le rare privilège de recevoir la
visite d'un ami qui m'a remis de mon
émotion. C'est un fervent de la
Papauté et un fidèle défenseur
du système catholique romain.
Il m'a rappelé que
l'infaillibilité du pape s'étendait
aussi aux évêques, et qu'elle avait
pour objet non seulement la promulgation des
dogmes, mais encore la canonisation des saints, la
rédaction de la liturgie et l'approbation
des instituts monastiques
(1).
M.
A. -
Il en résulte donc que le pape, en vertu de
son infaillibilité, c'est-à-dire
grâce à la promesse de
Jésus-Christ : « Voici, je
suis avec vous tous les jours jusqu'à la
consommation des siècles
(2) »,
autorise les couvents, les ordres religieux, les
moines et les nonnes. Les fidèles doivent
croire qu'il s'agit d'un enseignement de
Jésus-Christ lui-même !
M.
le
Curé. - C'est notre foi, car notre
Saint-Père le Pape est infaillible lorsque,
parlant comme chef suprême de l'Eglise, il
enseigne à tous les fidèles ce qu'ils
doivent croire et ce qu'ils doivent pratiquer pour
être sauvés (3).
M.
A. -
Puisqu'il est acquis, d'un commun accord, que la
révélation divine est parfaite, je
voudrais trouver quelque parole
évangélique approuvant ou ordonnant
la retraite de quelques fidèles dans des
couvents, leur imposant le célibat et les
voeux ...
M.
le
Curé. - Aucun texte ne peut
être cité, j'en conviens. On a
invoqué la retraite de Jean-Baptiste dans le
désert, de Juda, celle de Jésus, mais
je vous accorde que l'on ne peut baser
là-dessus les institutions monastiques
(4). Il
suffit de
dire que c'est une très ancienne tradition
de l'Eglise.
M.
A. -
Elle n'est pas si lointaine qu'on ne puisse encore
trouver la date de sa naissance et le nom des
premiers moines... Saint Paul, l'anachorète
de Thèbes, qui vivait vers l'an 250, est le
premier solitaire connu
(5) ;
le
premier couvent ne peut dater que de saint
Pacôme, en l'an 330.
M.
le
Curé. - Les saintes âmes qui
les ont imités, ont
désiré la retraite pour mieux
travailler à leur sanctification et à
l'édification de l'Eglise, fuyant le monde
et ses joies, se préservant de sa
corruption
M.
A. -
Mais c'est de l'égoïsme pur cela !
C'est même en contradiction flagrante avec
les ordres de Notre-Seigneur. Vous ne lirez pas
dans votre Paroissien :
« Allez ! Fuyez le monde !
Enfermez-vous dans un couvent ! Mais ceci -
« Allez, enseignez toutes les nations,
les baptisant au nom du Père, et du Fils et
du Saint-Esprit ; et leur apprenant à
observer toutes les choses que je VOUS ai
commandées
(6). »
M.
le
Curé. - Les moines et les nonnes,
retirés dans les couvents et dans les
monastères, enseignent les nations par leur
vie sainte, par leurs écrits, par leurs
prières faites nuit et jour, par
l'instruction qu'ils donnent à la jeunesse
.....
M.
A. -
En se retirant du monde non seulement ils ont
désobéi à Jésus, mais
ils ont annulé une sublime prière de
Notre-Seigneur en faveur de ses
disciples:
« Père
maintenant je vais à vous ; je ne vous
demande pas de les enlever du monde, mais de les
préserver du mal
(7). »
M.
le
Curé. - Je crois que c'est le couvent
qui les a préservés du
mal...
M.
A. -
Plutôt que la prière de
Jésus !
Je ne désire point prolonger
votre embarras, nous laisserons ce sujet. Les
couvents malgré leurs murs de forteresse
n'ont pas toujours gardé le secret de leurs
scandales...
M.
le
Curé. - Je sais que le Père
Lacordaire disait dans son indignation :
« La prière, l'humilité, la
pénitence, le dévouement, s'enfuient
comme des oiseaux timides ; les tombeaux des
saints sont étrangers dans leur propre
maison.
(8) »
M.
A. -
D'ailleurs les journaux nous apprennent, aux pages
d'annonces, que les moines ne passent pas
uniquement leur temps à prier ou à
assister aux saints Offices, mais que, au lieu de
faire la guerre à l'alcoolisme, ils
fabriquent des liqueurs fortes comme à la
Grande Chartreuse, et font du commerce comme
à Aiguebelle...
M.
le
Curé. - La perfection n'est pas de ce
monde !...
M.
A. -
Nous aurions un mot à dire sur la
hiérarchie de l'Eglise romaine.
M.
le
Curé. - Notre organisation est trop
forte pour qu'on puisse songer à
l'atteindre.
M.
A. -
Un homme intelligent ne vous reprochera jamais
d'avoir si bien organisé l'Eglise catholique
romaine...
M.
le
Curé. - Vous admettez donc notre
hiérarchie ?... Eh bien, vous ne pouvez
plus formuler de critique. Tout dépend du
système chez nous : si le
système subsiste inattaquable, aucun de nos
dogmes n'est ébranlé.
M.
A. -
Permettez ; j'approuve l'ordre,
l'administration de l'Eglise, mais je conteste les
pouvoirs surnaturels donnés au
clergé. (9)
Ayez des papes, des cardinaux,
des
évêques, des prêtres, des
ministres du culte enfin, que vous appellerez comme
vous le voudrez, mais ne leur conférez point
par l'ordination des pouvoirs qui ne leur
appartiennent pas.
M.
le
Curé. - Vous croyez que
l'Évangile n'approuve pas les fonctions que
nous exerçons ! Qu'elles ne sont pas en
rapport avec celles des apôtres !
Qu'elles ne correspondent pas aux charges de la
primitive Église !
M.
A. -
Vous auriez pu vous en convaincre au
séminaire lorsqu'on vous a appris, par
exemple, que les cardinaux
n'existaient que depuis 853, qu'ils
n'étaient que des prêtres administrant
les principales paroisses de Rome appelées
Cardinales.
M.
le
Curé. - Je l'ignorais encore...
Néanmoins je me souviens que, comme leur nom
l'indique les évêques,
(obispoi) n'étaient que des surveillants.
M.
A. -
L'Évangile compléterait ces
renseignements en vous disant que les anciens, les
diacres, les presbytres ou prêtres ou
pasteurs exerçaient des fonctions
équivalentes.
M.
le
Curé. - Comment
cela ?
M.
A. -
Nous ne pouvons entrer dans le détail ;
mais souvenez-vous que saint Paul, ne distinguant
par aucun lien hiérarchique
l'évêque du diacre, disait aux
Philippiens : que la charité des
ministres de Jésus-Christ abonde de plus en
plus avec le sentiment et la connaissance des
choses divines, qu'ils soient purs et
sincères (10).
M.
le
Curé. - Ce sont des qualités
indispensables au ministre de la
religion.
M.
A. -
Si votre Paroissien était plus complet, vous
liriez :
« Que
l'évêque (le prêtre ou le
diacre) doit être irréprochable,
n'avoir épousé qu'une seule femme,
être sobre, ennemi des contestations,
désintéressé, ne courant pas après un
gain sordide, être pudique, etc.,
etc. » (11).
M.
le
Curé. - À part le
célibat qui est contraire à ces
textes, je puis dire que les autres qualités
sont exigées de nos
prêtres.
M.
A. -
Nous aurions beaucoup à dire
là-dessus. Mais passons aux
fonctions.
M.
le
Curé. - Je vous préviens qu'en
attaquant la hiérarchie vous jetez
l'Église dans l'anarchie.
M.
A. -
Je respecterai la division du travail telle que
Dieu l'a établie :
« C'est lui
qui a
établi les uns apôtres, les autres
prophètes, ceux-ci
évangélistes, ceux-là pasteurs
et docteurs (12). »
M.
le
Curé. - Quelle serait donc, selon
vous, la vraie nature des fonctions du
clergé ?
M.
A. -
D'abord et avant tout, les ministres de la religion
doivent enseigner par leur propre vie, aux nations
de la terre, les choses que Jésus a
commandées. Leur première fonction
c'est l'acte d'adoration appelé culte :
mais ils ne doivent pas se charger à eux
seuls de tous les rites et
cérémonies, comme si le peuple
chrétien ne pouvait jamais s'affranchir de
leur tutelle. Les fidèles doivent prendre
une part active dans le culte, le prêtre ou
le pasteur dirigent seulement leur adoration.
M.
le
Curé. - Où trouvez-vous
cela ?
M.
A. -
À toutes les pages du Nouveau Testament.
Saint Paul le fondateur de tant d'églises
disait aux Corinthiens :
« Nous nous
déclarons vos serviteurs.
(13) »
M.
le
Curé. - Ce culte dont vous parlez, en
quoi consiste-t-il ?
M.
A. -
En un certain nombre de rites dont nous trouvons la
trace dans le Nouveau Testament.
M.
le
Curé. - Des rites dans la Parole de
Dieu ! La chose est nouvelle, excusez-moi de
la trouver surprenante.
M.
A. -
Oui des rites dans le Nouveau Testament. L'un est
relatif à la présidence des
assemblées de fidèles dont la
fréquentation est recommandée ;
présidence exercée avec ordre et
bienséance (14).
M.
le
Curé. - Vous parlez de
« présidence », cela
donne-t-il au fidèle la latitude
d'intervenir dans le culte ?
M.
A. -
Sans aucun doute.
« Quand vous
vous
assemblez, dit saint Paul, l'un ayant le chant, un
autre l'enseignement, un autre la
révélation, un autre les langues, un
autre l'interprétation, que tout se fasse
pour l'édification. »
(15)
M. le Curé. - C'est une
révolution dans notre culte que vous
proposez !
Vous dites que dans les
assemblées les fidèles proposeraient
des chants ; lesquels ?
M.
A. -
« Des psaumes, des hymnes, des
cantiques spirituels ».
(16)
M.
le
Curé. - Et pour
l'enseignement ?
M.
A. -
Se défier de la Tradition, prêcher
l'Évangile selon les conseils de
Jésus et de saint Paul :
« Annonce la
Parole de
Dieu, insiste à temps et à
contre-temps.
(17) »
M.
le
Curé. - Tous les rites que vous
indiquez se bornent à cela :
Présider l'assemblée, chanter,
instruire ?
M.
A. -
Non, certes ! Il y a encore la
prière en commun, la Pâque, la
Cène sous les deux espèces, le
Dimanche consacré au Seigneur, etc.,
etc.
M.
le
Curé. - Ces rites sont communs aux
fidèles et à leurs conducteurs
spirituels. Il devrait en exister d'autres plus
spécialement appliqués aux ministres
du culte : telle est la raison de notre
hiérarchie.
M.
A. -
Je vais vous en parler, mais vous remarquerez que
un fidèle devenu évêque ou
prêtre n'absorbe tout le culte, et que les
rites qui lui sont particuliers ne lui
confèrent aucun pouvoir surnaturel.
M.
le
Curé. - J'en doute
beaucoup.
M.
A. -
Prenons par exemple le Sacrement du
baptême....
M.
le
Curé. - Je vous accorde que toute
personne peut baptiser un enfant en cas de
nécessité urgence. C'est une
décision du Concile de Trente.
M.
A.
- L'Eucharistie peut-elle être
distribuée par un simple
chrétien ? Et l'Extrême-Onction ? Et l'imposition
des mains ? Lisez la
Parole de Dieu et vous verrez combien la
liberté des fidèles est grande dans
l'Eglise apostolique.
M.
le
Curé. - Vous voulez - dites-vous -
n'avoir d'autre culte que celui des apôtres,
que reprochez-vous au nôtre en ce qui
concerne les fonctions du
clergé ?
M.
A. -
Je vous l'ai dit. L'Eglise catholique romaine
concentre dans certaines classes de fonctionnaires,
disons dans sa hiérarchie,
l'activité, les fonctions, les devoirs
dévolus aux fidèles,
c'est-à-dire à l'Eglise et non au
clergé seul.
Ce sont les fidèles et non
les prêtres seuls qui doivent prier les uns
pour les autres, se secourir les uns les
autres.
Le chrétien pense, parle,
agit sous sa propre responsabilité ;
ses rapports avec Dieu sont, immédiats par
Jésus-Christ, et non soumis à la
médiation des prêtres.
M.
le
Curé. - N'en est-il pas ainsi dans
l'Eglise romaine ?
M. A. - Pas dans la pratique.
Une
dame me disait un jour :
« Je n'ai point à
raisonner ma religion ; si le
« prêtre me trompe, cela le
regarde. »
M.
le
Curé. - Je sais qu'on attend tout de
nous, l'absolution, les Pâques, les
Sacrements .....
M.
A. -
Eh bien, dans l'église de
Jésus-Christ, dans les communautés
chrétiennes fondées par les
apôtres, il n'est pas un acte de culte, pas
un seul, qui accompli dans un cas d'urgence par
toute autre personne qu'un évêque ou
un presbytre, n'ait été
déclaré valable.
M.
le
Curé. - Dans l'Eglise catholique
romaine, il aurait été nul de plein
droit.
M.
A. -
Appelez-moi hérétique, élevez
contre moi toutes les malédictions des
Conciles, je ne puis penser autrement. J'estime
qu'un fidèle, un vrai disciple de
Jésus-Christ, est plus apte à diriger
une assemblée de chrétiens et
à administrer les Sacrements, qu'un
prêtre coupable ou qu'un pasteur sans
conviction.
Tous les titres, tous les
diplômes, toutes les cérémonies
pompeuses, ordination ou consécration, ne
peuvent revêtir un homme de la parure de
Jésus-Christ, ni lui octroyer une vocation
ecclésiastique !
M.
le
Curé. - Je vous approuve en
tremblant.... c'est un sillon profond que vous
voulez tracer dans l'Eglise.. ... Il devra remonter
le courant des siècles,
arrêté, brisé par les
Conciles.... J'aime encore mieux ce que nous avons,
que .....
M.
A. -
Que la religion chrétienne, catholique,
apostolique .....
M.
le
Curé. - Je ne dis pas cela. Je
connais mieux mon catéchisme que vos
raisonnements ; il me dit, pour renverser
votre théorie, que les évêques
sont les successeurs des apôtres, donc tout
ce qu'ils font n'est que la suite du
ministère de leurs saints
prédécesseurs.
M.
A. -
Votre catéchisme ? Lisez-le à la
page précédente, il dit textuellement
que les évêques ne sont pas les
successeurs des apôtres.
M.
le
Curé. - Comment, puisqu'ils ont la
plénitude du sacerdoce !
M.
A. -
L'évêque de votre diocèse
confesse naïvement qu'il manque aux
prélats appelés évêques,
le don des langues, le don des miracles,
l'infaillibilité de doctrine, le don de
prêcher et de fonder des églises dans
l'univers entier...
M.
le
Curé. - Dès que nous
approfondissons un sujet touchant la religion de
Rome, nous voyons naître une armée de
contradictions ! Ah ! je m'y perds !
Tout se brouille dans ma pauvre tête...
Adieu !
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |