Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IV

L'autorité selon l'Évangile

M. le Curé. - Je suis encore tout tremblant à la suite d'un rêve affreux que j'ai eu la nuit dernière. Je vous ai vu, pioche en main, démolissant sans trêve ni merci un monument plusieurs fois séculaire.
Chaque pierre qui tombait portait une inscription qui me rappelait chacun de nos entretiens, sur l'une je lisais : « Autorité des Papes et des Conciles », sur une autre : « primauté de saint Pierre » et succession apostolique » ailleurs « Papauté, ses privilèges, son infaillibilité », plus loin « Ordres monastiques, pouvoirs surnaturels du clergé ... »
C'était un amoncellement de ruines qui remplaçait un chef-d'oeuvre antique, jadis majestueux et plein de grandeur, et dont vous ne laissiez subsister que quelques murailles lézardées, des colonnes branlantes et des statues mutilées...
Votre voix rendue plus sonore par le silence de la nuit, articulait cette imprécation :

« Puissé-je.....
Voir le dernier Romain à son dernier soupir, Moi seul en être cause et mourir de plaisir ! ... »

M. A. - Votre rêve est affreux ! Votre esprit était frappé des critiques que le système romain avait provoquées..... Rassurez-vous cependant : ce n'est pas en accumulant des ruines, en démolissant que l'on travaille à l'avancement du règne de Dieu.

M. le Curé. - N'est-ce pas précisément ce que vous avez fait ? N'avez-vous pas essayé de saper dans ses fondements l'Eglise catholique romaine ?

M. A. - Vous avez mal compris mon attitude. J'ai voulu au contraire conserver intact, inattaquable, le fondement de l'Eglise catholique, c'est-à-dire de l'église de Jésus-Christ.
Au cours des siècles il arrive que des monuments admirables, des chefs-d'oeuvre d'une grande pureté, sont défigurés par des constructions d'un autre style que l'on élève autour d'eux. Lorsqu'on veut retrouver l'édifice dans sa conception première, dans la beauté de son style propre, on ne démolit pas à tort et à travers, on se contente d'abattre les constructions ajoutées.

M. le Curé. - Je vous comprends. Vos critiques ont visé seulement ce qui - selon vous - a été ajouté au christianisme par les Conciles et les Papes de Rome.

M. A. - Parfaitement. - J'ajoute que, pour tirer l'humanité de son indifférence, il faut lui proposer l'établissement réel de l'Église de Jésus-Christ, la seule qui soit une, sainte, catholique et apostolique, la seule par conséquent qui soit dépourvue d'erreurs et d'abus.

M. le Curé. - Nous revendiquons pour l'Eglise catholique romaine ces caractères de la véritable église.

M. A. - Elle n'est pas une, puisqu'il y a dans le monde chrétien : l'église orthodoxe grecque avec 105.000.000 de fidèles ; l'église protestante avec 200.000.000 de croyants... Rome n'en compte que 195.000.000 (1).

M. le Curé. - Nous n'avons pas les moyens de vérifier ces chiffres, mais je ne puis nier qu'il y ait plus de chrétiens, grecs et protestants réunis, en dehors de Rome, que soumis au Pape.

M. A. - L'Eglise catholique romaine aurait peine à soutenir sa sainteté si on lui rappelait les persécutions sanglantes qu'elle a ordonnées et l'inconduite avérée de plusieurs de ses papes.

M. le Curé. - Il faut planer plus haut que les misères de la vie et ses difficultés !

M. A. - L'Eglise de Rome n'est pas catholique, c'est-à-dire universelle, non seulement parce qu'elle n'enferme pas toute la chrétienté, mais encore parce que ses dogmes actuels n'ont pas eu le consentement unanime des Pères, ni l'approbation unanime des Conciles.

M. le Curé. - Elle est catholique dans le but qu'elle veut atteindre : sa domination universelle.

M. A. - Et cela l'empêche d'être apostolique, car elle s'écarte tous les jours davantage de l'enseignement de Jésus et des Apôtres.

M. le Curé. - Où voulez-vous en venir ?

M. A. - À inviter tous les catholiques, tous les prêtres, tous les évêques et le pape...

M. le Curé. - À devenir protestants !...

M. A. - Non, mais à rétablir dans toute sa simplicité et sa pureté primitive l'Eglise chrétienne ; à éliminer tout ce qui ne peut s'appuyer d'un commun accord et indiscutablement sur la Parole de Dieu ; à ne pas compléter le dépôt sacré que les apôtres nous ont laissé par une tradition plus ou moins digne de créance ...

M. le Curé. - Vous n'atteindrez jamais ce résultat sans une autorité bien qualifiée. Vous refusez d'admettre le Souverain Pontife et son infaillibilité ! Avec votre libre examen vous tomberez dans l'arbitraire, vous interpréterez la Parole de Dieu à votre façon, vous aurez des sectes et des divisions à l'infini. Voyez les protestants !...

M. A. - Ils sont moins divisés et ont moins de divergences de vues que la multitude de vos ordres religieux. Les franciscains et les dominicains ont lutté souvent les uns contre les autres. Ce vieux cliché des variations des églises protestantes est bien usé, car en somme on se rend compte aujourd'hui que les différences sont peu importantes entre les diverses communautés chrétiennes du protestantisme. La plupart d'entre elles, reconnaissant Jésus-Christ pour Sauveur, travaillent en commun dans une puissante unité de vues qui s'appelle : L'Alliance Évangélique.

M. le Curé. - Mais ils n'ont aucune autorité suprême ! Citez-moi un nom, un seul qui soit à la tête de tout le protestantisme évangélique ?

M. A. - Le protestantisme accepte avec une soumission absolue, une autorité indiscutable, indiscutée, infaillible, éternelle ; il cite un nom, un seul comme chef de l'Eglise.
« Jésus-Christ, dit-il, est le chef de l'Église, qui est son corps, et dont il est aussi le Sauveur. L'Église est soumise à Jésus-Christ. (2) »

M. le Curé. - Mais sur la terre, accepte-t-il une autorité, celle d'un pape quelconque ?

M. A. - Non, parce que le chef de l'Eglise de Rome est un homme comme les autres, il est incapable de vivre sans péché, il a besoin du même Sauveur que toute l'humanité. Il est faillible, même quand il parle ex-cathedra, car enfin un pape qu'était-ce avant le vote du Conclave ? Un simple cardinal, dont l'institution est ecclésiastique et non divine (3; une majorité de voix lui donne donc pouvoir suprême et infaillibilité !

M. le Curé. - Vous vous attachez trop à l'homme et pas assez à l'institution. Votre erreur de méthode vous place dans une fausse situation. La Papauté en tant qu'institution divine est infaillible ; l'homme, comme membre de l'humanité, peut errer ; devenu pape, il ne le peut plus.

M. A. - Votre logique me semble singulièrement en défaut ! Ce qui forme ce que vous appelez « la Papauté », c'est la réunion des papes, et vous dites : l'institution de la Papauté comporte l'infaillibilité, donc les papes sont infaillibles ! c'est la conclusion de 1870. Mais pour être plus vrais il aurait fallu que les prélats remontassent le cours de l'histoire, prouvassent que tous les papes avant Pie IX n'avaient jamais erré. Alors on aurait dit : « Tous les papes se sont montrés infaillibles, donc la Papauté est infaillible. »

M. le Curé. - Malgré ses errements, la Papauté a préservé l'Eglise des hérésies et de l'arbitraire !

M. A. - Vraiment ? Alors expliquez-moi les variations des Conciles et des Papes.

M. le Curé. - ...

M. A. - Constatons plutôt que l'Eglise chrétienne, telle qu'elle est sortie des mains des apôtres, n'a jamais connu la Papauté, ni son infaillibilité.... elle ne s'en portait que mieux. Elle avait une autorité suprême à laquelle elle se soumettait avec empressement.

M. le Curé. - C'était saint Pierre, la pierre sur laquelle Jésus avait bâti son Église !

M. A. - Faut-il revenir sur ce que nous avons dit à ce sujet ? Ouvrez donc votre Paroissien, vous verrez que jamais saint Pierre n'est pris comme une autorité suprême dans l'Eglise apostolique. En revanche vous lirez que la seule autorité reconnue, invisible mais agissante, dont la voix fidèlement entendue a dirigé dans leur ministère les apôtres, les diacres, les évêques, les prêtres, les pasteurs, c'est Jésus-Christ.

M. le Curé. - Il n'était plus là ! Lorsqu'il dit à ses disciples :
« Je ne vous laisserai point orphelins, je viendrai  à vous » (4), il annonçait qu'il conduirait lui-même l'Eglise dans la personne de son vicaire.

M. A. - Vous avez une étrange façon d'interpréter l'Écriture ! Lisez quelques lignes plus bas et vous verrez de quelle manière s'effectue le retour de notre Seigneur :
« Je vous ai dit ces choses pendant que Je demeurais avec vous. Mais le Consolateur, l'Esprit Saint que mon Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit. » (5)

M. le Curé. - Qui vous dit que le Saint-Esprit ne repose pas spécialement sur notre très saint Père ?

M. A. L'Esprit de Dieu ne se localise spécialement nulle part, ni en un lieu : Rome ; ni dans un homme : le Pape. Il veut, de chacun de nous, faire sa demeure sacrée....

M. le Curé. - Vous blasphémez comme les incrédules !

M. A. Je n'ai rien dit de moi-même, j'ai cité saint Paul : « Ne savez-vous pas, dit-il, que vos membres sont le temple de l'Esprit-Saint, qui est en vous, que vous avez reçu de Dieu, et qu'ainsi vous n'êtes plus à vous-mêmes ? (6). »
Saint Paul n'écrivait pas cela au Pape ou au clergé, mais à tous les chrétiens de Corinthe.

M. le Curé. - Pour finir une discussion qui menace de se prolonger, citez-moi un texte, un seul qui dise que le corps de l'Eglise ne peut avoir d'autre chef que le Christ ; qu'aucune primauté n'existe en dehors de lui ; et je vous poserai mes objections.

M. A. - Si votre Paroissien avait prolongé de quatre versets sa citation du 24e dimanche après la Pentecôte, il aurait eu ce passage :
« Jésus-Christ lui-même, disait saint Paul à Colosses, est le chef du corps de l'Eglise ; il est le principe, le premier-né d'entre les morts, afin qu'en toutes choses il garde lui-même la primauté (7). »

M. le Curé. - Vous êtes armé pour la bataille !
Eh bien, puisque Jésus-Christ est votre autorité établie, comment le consulterez-vous pour connaître ses lois, ses commandements ? Comment préserverez-vous l'Eglise des hérésies ?

M. A. - Nous avons le Canon des Saintes Écritures, c'est là que la doctrine de Jésus-Christ est intacte, là que l'enseignement des apôtres est rapporté dans toute sa pureté.

M. le Curé. - Mais il ne contient pas tout ce que les apôtres ont prêché ! Ce dépôt sacré a été conservé par la tradition.

M. A. - Saint Paul écrivait aux Galates :
« Je vous déclare que l'Évangile que je vous ai prêché ne vient point des hommes. Ce n'est point des hommes que je l'ai reçu et appris, mais je le tiens de la révélation de Jésus-Christ (8). »
On ne peut mieux dire pour rejeter la tradition des hommes.

M. le Curé. - Aujourd'hui la révélation de Jésus-Christ a lieu par le Pape.

M. A. - Vous avez donc en bien faible estime l'Écriture Sainte ! Elle contient tout ce qui est nécessaire pour notre salut, tout ce qui concerne le principe d'organisation, de développement et de défense de l'Eglise. Pour découvrir ses grandes richesses, il faut s'adresser non au pape, mais à, Dieu : « Si donc vous, disait Jésus, tout méchant que vous êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison votre Père céleste donnera-t-il l'esprit parfait à ceux qui le lui demandent (9). »

M. le Curé. - Je vous le répète, le Pape possède cet esprit parfait.

M. A. - Je vous rappelle aussi que, s'il est vrai qu'il l'ait reçu, il ne le possède pas à titre exclusif, il appartient à tous ceux qui le demandent avec foi.
Le vrai vicaire de Jésus-Christ sur la terre, le seul catholique, c'est le Saint-Esprit.

M. le Curé. - Tout cela c'est de la théorie. Je voudrais voir l'Eglise gouvernée selon vos principes ! Quelle anarchie !

M. A. - Je vois avec peine que vous avez plus de confiance dans votre système que dans la Parole de Dieu.

M. le Curé. - Voici mon Paroissien, où voyez-vous que le Saint-Esprit remplace le prêtre qui confesse, l'évêque qui exerce la justice, le Pape qui fait fonction de juge souverain ?

M. A. - Je le vois le 4e dimanche après Pâques :
« Lorsque le Consolateur sera venu, il convaincra le monde de péché, de la Justice et de jugement (10). »

M. le Curé. - J'estime que les fidèles, livrés à eux-mêmes, auraient vite perdu le contact avec le Saint-Esprit...

M. A. - Pour venir à l'aide des chrétiens, le Seigneur a institué les ministères et non une hiérarchie...

M. le Curé. - Donc, vous admettez les fonctions déléguées à quelques-uns et vous repoussez le pouvoir surnaturel ; vous reconnaissez la consécration de certains fidèles, mais vous rejetez l'ordination et ses divins pouvoirs ?

M. A. - Oui, parce que l'Écriture Sainte ne les sanctionne point.

M. le Curé. - Mais si l'esprit parfait est accordé à tous ceux qui le demandent, c'est l'uniformité. Tous les chrétiens devraient être faits sur le même modèle...

M. A. - Regardez les fleurs des champs, c'est un même souffle divin qui les a créées et pourtant quelle variété de formes, de couleurs, de nature ! ...
Ainsi, il y a diversité de dons, dit saint Paul - diversité de ministères, mais un seul Esprit (11).

M. le Curé. - N'est-ce point là le germe de notre hiérarchie ?

M. A. - Au contraire, elle est ébranlée par ces paroles mêmes. Toutes les charges, tous les ministères établis dans l'Eglise ne sont pas dus au choix des hommes, ils ne sont conférés par aucune ordination avec délégation de pouvoirs surnaturels, ils sont l'oeuvre immédiate de Dieu (12).

M. le Curé. - Eh bien, dites-moi de quelle manière Dieu interviendrait dans la nomination d'un curé ou d'un pasteur ?

M. A. - On reconnaît un arbre à ses fruits. L'exemple d'une vie chrétienne, d'une consécration à Dieu réalisée par le curé ou le pasteur seront les gages de leur vocation.

M. le Curé. - Qui les désignerait dans l'Eglise, pour occuper d'aussi graves fonctions ?

M. A. - Eux-mêmes, poussés par l'Esprit-Saint.
Avec la conception évangélique du sacerdoce nous n'aurions pas connu de haines de parti, comme à Éphèse en 449, où Flavien perdit la vie ; les hérésies n'auraient pas pris de l'importance ; le grand schisme d'Orient n'aurait pas eu lieu, et nous n'aurions jamais pu avoir en même temps plusieurs papes, à Rome, à Avignon .....

M. le Curé. - Ces errements regrettables n'ont point atteint le dogme et n'ont fait aucun mal à l'Eglise.

M. A. - Et les indifférents ? Et les incrédules ? Et les désabusés ? D'où sont venus leurs doutes ? Si l'Eglise chrétienne avait vécu toujours animée de l'Esprit de son Maître, sa situation serait autre.
Les sceptiques, au lieu d'accabler la religion de leur mépris, prendraient au sérieux les vérités éternelles, ils se rapprocheraient de la Parole de Dieu, ils écouteraient la Bonne Nouvelle du salut de leur âmes...

M. le Curé. - Vous voyez tout en beau ! Ce rêve - car ce ne peut être qu'un rêve - est irréalisable....

M. A. - Réformez l'Eglise dans le sens évangélique et vous verrez que : Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu (13).

M. le Curé. - Votre rêve ne serait point une utopie ! Si l'Eglise de Rome étudiait les réformes que vous proposez, si elle acceptait pour base l'Évangile seul, elle produirait, dites-vous, dans le monde ce grand réveil religieux !

M. A. - En vérité je vous le dis, - c'est Jésus qui parle - celui qui croit en moi fera lui-même les oeuvres que je fais : il en fera même de plus grandes (14).

M. le Curé - Alors prions, prions pour que ce souffle nouveau passe dans notre Église, pour qu'elle s'humilie en reconnaissant ses erreurs, et que, la main dans la main, unie aux protestants, aux orthodoxes, dans un même amour pour les âmes, elle cherche non plus la domination mais la vérité.
Je Suis affaibli par l'âge, si je voyais de mes yeux cette Réforme se produire, ma voix tremblante aurait encore la force d'entonner l'hymne du vieillard Siméon :
« C'est maintenant, Seigneur, que selon votre parole, vous laisserez mourir votre serviteur en paix. Car mes yeux ont vu le Sauveur, que vous avez préparé à la face de tous les peuples, pour être la lumière qui doit éclairer les nations, et la gloire d'Israël votre peuple (15). »
Et tous les deux, dans une fervente prière, nous avons dit à Dieu : « Que ton règne vienne. »


(1) Recensement de 1891. 

(2) Ephés., 5. P. R. Messe pour un mariage, p. 931.

(3) Expl. Cat. Clerm., p. 91.

(4) Jean, 14. - P. R. La Vigile de la Pentecôte, p. 389.

(5) Jean, 14/26. P. R. Le Jour de la Pentecôte, p. 394.

(6) 1 Cor. 6-19

(7) Coloss. 1-18.

(8) Gal. - 1-1. P. R. Le 8 juin, Commémor. de saint Paul, p. 769.

(9) Luc 11-13. P.R., Les 3 jours des Rogations, p.379.

(10) Jean 16-14. P. R. Le 4e Dim. après Pâques, p. 372. 

(11) 1 Cor. 12-14. P. R. Le 10e Dim. après la Pentecôte, p. 447.

(12) 1 Cor. 12. P. R. Le 24 août, Saint Barthélemy, p. 826.

(13) Luc, 18-27.

(14) Jean, 14. P. R. 1er mai, saint Philippe et saint Jacques, p. 699. 

(15) Luc 2. P. R. Purif. de la Sainte Vierge. p. 641
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