Voix Chrétiennes dans la
Tourmente
NOTRE PAROLE
Pasteur A. -N. BERTRAND
7 juin 1942
LECTURES BIBLIQUES
La haute assurance que tous avons
en Dieu, c'est du Christ que nous la tenons ;
non que nous soyons capables de rien concevoir par
nous-mêmes, comme si nous le tirions de notre
Propre fond, mais c'est de Dieu que nous vient
notre capacité. C'est lui qui nous a rendus
capables d'être ministres d'une Alliance
nouvelle, qui n'est pas de la lettre mais de
l'Esprit ; car la lettre tue, mais l'Esprit
donne la vie.
Ce n'est pas nous que nous prêchons,
c'est Jésus-Christ, le Seigneur ; quant
à nous, nous nous donnons nous-mêmes
pour vos serviteurs, à Cause de
Jésus ; car le Dieu qui a dit :
« Que la lumière jaillisse des
ténèbres » a fait luire sa
lumière dans nos coeurs, pour que nous
fassions briller la connaissance de sa gloire en la
personne du Christ.
Nous portons ce trésor dans des vases
d'argile ; mais c'est pour que l'on voie bien
que sa puissance extraordinaire vient de Dieu et
non pas de nous. Nous sommes pressés de
toute part, mais non écrasés ;
inquiets mais non désespérés,
persécutés mais non
abandonnés, terrassés mais non
vaincus... Nous avons cet esprit de foi qui
s'exprime dans cette parole de
l'écriture : « J'ai cru,
c'est pourquoi j'ai parlé. » Nous
aussi nous croyons, c'est pourquoi nous parlons,
persuadés que Celui qui a ressuscité
le Seigneur Jésus nous ressuscitera aussi
avec Jésus et nous fera comparaître
devant Lui avec vous.
II CORINTHIENS, CH. III, V. 4 A 6,
ET
CH. IV, V. 5 A 14.
N. B. - Le sermon inspiré par ce texte a
été prêché le jour
où le port de l'étoile jaune a
été imposé aux
israélites âgés de plus de 6
ans.
-
-
Si
quelqu'un parle, que ce soit comme il convient
à la Parole de Dieu.
-
1
PIERRE IV, 11.
Au terme de la semaine dans laquelle nous
entrons, il y aura exactement deux ans que les
armées victorieuses de l'ennemi entraient
dans Paris. Deux années que nous avons
vécues d'abord dans la stupeur et le
désespoir, puis dans la douleur et la
honte ; douleur devant la Patrie vaincue,
asservie, mutilée, démembrée,
coupée en deux ; honte devant trop de
Français qui s'installaient dans la
défaite et la servitude, qui s'y
complaisaient, qui en tiraient parfois
d'inavouables profits. Malgré le tragique
des circonstances, notre communauté
fraternelle de l'Oratoire s'est maintenue ;
à cause même de ce tragique sans
doute, sa vie s'est fortifiée et
approfondie ; nos coeurs se sont
trouvés plus près les uns des autres,
dans une communion plus intime ; et nous
espérons qu'il nous sera permis de dire,
avec la première Épître de
saint Jean, que notre communion a
été avec Dieu notre Père et
avec Jésus-Christ notre Sauveur.
Cependant, en jetant un regard en
arrière, ceux qui exercent parmi vous le
ministère de la Parole, ont mesuré,
plus encore peut-être qu'ils ne l'avaient
fait au cours des mois qui s'achèvent, la
redoutable responsabilité qui était
la leur ; et c'est avec une sorte d'effroi que
votre Pasteur, au cours de ses lectures, se
trouvait récemment en présence de
cette parole de l'apôtre Pierre : Si
quelqu'un parle, que ce soit comme il convient
à la Parole de Dieu, c'est-à-dire
d'une façon digne de la Parole de Dieu. -
Avons-nous parlé comme il convient à
la Parole de Dieu ? Notre parole fut-elle
vraiment un écho de la
sienne, digne par conséquent de la chaire de
Jésus-Christ ? - Ce n'est pas à
nous de répondre à cette
question ; et j'oserai dire que ce n'est
même pas à vous, Frères et
Soeurs, qu'il appartient d'y répondre ;
notre juge, disait saint Paul dans une
circonstance analogue, notre juge c'est le
Seigneur.
Mais sans prétendre essayer de
dire ici ce que nous avons fait - ce qui serait
usurper le jugement de Dieu, - peut-être y
aurait-il intérêt à voir
ensemble ce que nous avons voulu faire, quelle
conception de notre ministère nous a
inspirés dans nos paroles. je dis
nous, car aucun de vos Pasteurs n'a entendu
faire oeuvre personnelle, isolée. Certes,
chacun de nous a parlé selon son
tempérament, selon son caractère.
Mais dans notre commune douleur, ce nous fut une
même joie de nous savoir d'accord
profondément, de porter dans nos coeurs
même foi dans le salut que Dieu nous a
promis, même espérance pour notre
Patrie, même charité pour ceux qui
souffrent, et dans toutes les circonstances
difficiles, de nous trouver comme accordés
d'avance sur l'attitude à prendre pour agir
selon les engagements de notre
consécration.
La fidèle affection dont l'Eglise
nous a soutenus et pour laquelle nous lui gardons
une impérissable reconnaissance, nous donne
sans doute le droit, nous fait même un devoir
de lui livrer ici les ressorts cachés de
notre, ministère et les principes que nous
nous sommes fixés à nous-mêmes
afin de parler dans là chaire de
Jésus-Christ comme il convient à la
Parole de Dieu.
Notre première préoccupation a
été de laisser tout son poids, toute
sa force dans la vie privée du
chrétien, à l'Évangile de
Jésus-Christ, à la prédication
du péché et du pardon, de la mort
à soi-même et de la vie cachée
avec Christ en Dieu ; de laisser aussi toute
sa valeur de consolation à
l'espérance éternelle et à la
paix que le Christ a promise à ceux qui
croient. - Il arrive fréquemment, en effet,
dans les périodes où la vie publique
est troublée par des
événements d'une exceptionnelle
gravité, que les existences individuelles
soient entraînées
comme dans un tourbillon par la vie collective, et
que la vie intérieure, le contact avec Dieu
et avec soi-même, ne retiennent pas toute
l'attention qu'ils méritent. Parce que le
malheur nous est venu du dehors, j'entends par des
événements étrangers à
notre vie intérieure, nous sommes
portés à croire que nous ne serons
arrachés à nos peines que par des
événements du même genre ;
il semble alors que l'action seule importe ;
et si l'action nous est impérieusement
interdite, il ne reste pour l'avenir que les
projets - ou pour mieux dire, les rêves -
d'action, et pour l'instant présent la
douleur obstinée, la hantise du destin
national. C'est là une erreur, et une erreur
qui n'est pas sans danger : plus la pression
des événements est grande, plus il
importe au contraire de fortifier l'être
intérieur ; plus nous sommes
brisés dans notre vie extérieure,
plus il faut consolider notre vie
intérieure, personnelle ; plus nous
avons de peine à retrouver Dieu dans les
événements, plus il faut le porter
vivant en nous comme une force active, sensible au
coeur, jaillissant au-dedans de nous comme une
source de vie.
Tel a été notre premier
souci : ne pas nous laisser dominer par les
événements de l'heure, qui
après tout sont provisoires, au point
d'oublier l'éternel. Vaincus ou vainqueurs,
malheureux ou joyeux, nous n'en sommes pas moins
des pécheurs guettés par mille
tentations subtiles, vieilles comme le monde et en
chacun de nous vieilles comme
nous-mêmes ; et nous n'en sommes pas
moins des croyants appelés au salut, promis
à la vie éternelle par l'amour que
Dieu nous a manifesté en
Jésus-Christ. Il faut maintenir dans
l'Eglise et dans la chaire chrétienne le
caractère éternel de
l'Évangile, comme subsistent, malgré
tous les bouleversements du monde, les besoins
éternels de l'âme humaine dans la
misère de son être et la grandeur de
sa vocation.
D'ailleurs, nous ne le savons que trop,
le malheur public n'empêche pas que les
malheurs privés ne frappent et ne se
multiplient autour de nous. L'atmosphère de
deuil national dans laquelle nous vivons, dans
laquelle nous voulons et nous devons vivre, ne nous
dispense pas de subir dans nos proches les attaques
de la maladie ou de la mort ; et bien loin
d'atténuer nos deuils,
elle les rend plus cruels au contraire ; ils
tombent, si l'on ose dire, sur un organisme
spirituel déjà affaibli, comme les
maladies envahissent des organismes physiques en
état de moindre résistance. Que
deviendrions-nous, si l'Évangile avait perdu
sa saveur intime, si la bonne nouvelle de la vie
éternelle était passée au
second plan, si, tout entiers absorbés par
le désir d'assurer la victoire de Dieu sur
la haine À travers le Temps, nous perdions
de vue sa victoire sur la mort à travers
l'Éternité ? Que
deviendrions-nous, si la prière silencieuse,
la méditation, la lecture de la Bible, la
communion avec Jésus-Christ, nous
paraissaient de petites choses auprès du
devoir de l'heure ? Veillons sur les
sources ; sans quoi nous ne parlerons pas
comme il convient à la Parole de Dieu.
Car c'est seulement par l'eau vive jaillie des
sources profondes, que nous pourrons animer notre
vision du monde extérieur et dominer le
drame de son histoire.
Il est bien certain, en effet, que si
l'Évangile éternel doit être
annoncé dans toute sa force, dans toute son
intégrité, il ne doit pas être
annoncé comme si nous ne savions rien du
désastre qui a fondu sur le monde, ou comme
si nous voulions l'oublier. L'Eglise ne peut pas se
taire sur les problèmes du jour et renoncer
à préparer la victoire de son Dieu
sur un monde de mensonge, de haine et de violence.
Il faut seulement qu'elle n'oublie pas que la
force victorieuse par laquelle le monde est vaincu,
c'est notre foi. L'intégrité de
l'Évangile serait compromise si nous
laissions dessécher la vie intérieure
du chrétien ; mais elle serait
compromise également si nous oubliions que
cet Évangile s'applique aussi à la
vie collective des peuples. S'il faut veiller avec
tant de soin sur l'approfondissement de notre vie
religieuse, c'est pour que ce soit notre foi qui
domine le monde et non le monde qui s'annexe et
tente d'utiliser notre foi.
On entend prôner souvent une
conception de la vie chrétienne, qui
prétend établir une distinction
radicale entre les questions
« politiques », touchant
à la vie publique, et les questions
« spirituelles », touchant
à la direction des âmes ;
l'Eglise devrait s'occuper
uniquement des secondes - comme si Dieu n'avait pas
sa place dans la vie collective des nations !
Mais c'est là un problème mal
posé ; d'abord parce qu'il est
impossible que l'orientation des âmes
individuelles reste sans effet sur la vie publique,
ensuite et surtout parce qu'il n'y a pas des
questions politiques et des questions
spirituelles ; il y a une façon
politique et une façon spirituelle de poser
les questions relatives à la vie publique.
On peut les envisager d'un point de vue
étroitement humain, du point de vue des
idéologies profanes, des groupements
d'intérêts ou de passions ; c'est
ce qu'on appelle
« politiqué » ;
mais on peut les envisager aussi du point de vue de
la justice et de la dignité humaine, disons
du point de vue de l'Oraison dominicale :
Que ton règne vienne, que ta
volonté soit faite sur la terre comme au
ciel. Pour tout dire en un mot, on peut
envisager les questions concernant la vie publique
de notre nation ou l'histoire du monde, du point de
vue des hommes ou du point de vue de Dieu ;
d'une façon qui convienne à la
poursuite des intérêts humains et de
leur propagande, ou d'une façon qui
convienne à la cause de Dieu et à sa
défense. Tel est le dilemme qui se posait
devant nous en face du drame de la vie
moderne ; et Dieu veuille que nous ayons
parlé et que nous parlions toujours de ces
problèmes d'une façon qui convienne
à la Parole de Dieu.
Pour cela, il nous suffira de n'oublier jamais
que la Parole de Dieu est toujours et absolument
une parole d'amour. L'Eglise de Jésus-Christ
doit être la missionnaire de l'amour, d'un
amour sans défaillance, d'un amour sans
veulerie et sans timidité. Dans un monde
pétri de haine, où le plaisir de
détruire s'affiche avec une joie insolente,
il y a plus de virilité, plus de courage,
à dire à ceux qui se
haïssent : Aimez-vous les uns les autres,
qu'à prendre le même ton qu'eux pour
protester et condamner. L'Eglise n'est au service
d'aucune cause, si ce n'est celle de l'amour ;
et j'oserai dire qu'elle n'est au service d'aucune
patrie, quelque amour passionné que nous
voulions pourtant avoir pour celle qui est la
nôtre : elle est
uniquement et absolument au
service de Dieu, c'est-à-dire de l'amour,
car Dieu est amour. Et certes nos coeurs nous
porteraient facilement à prononcer les
paroles de l'indignation, pour ne pas dire de la
colère ; mais l'Eglise de
Jésus-Christ ne peut et ne doit prononcer
que les paroles de l'amour ; elles constituent
parfois d'ailleurs la plus sévère des
condamnations, précisément parce que
leur obstination dans l'amour et dans la paix
condamne tout ce qui engendre la haine. Dans un
Temple consacré au Dieu de
vérité, ne doit être
prononcée aucune parole de complaisance
envers ceux qui disposent de la force : dans
un sanctuaire que domine la Croix de
Jésus-Christ ne retentira jamais aucune
parole de haine envers qui que ce soit.
C'est dans cet esprit qu'il convient de
parler des événements du jour, sur
lesquels l'Eglise de Jésus-Christ ne saurait
garder le silence. Depuis ce matin, nos
compatriotes israélites sont assujettis
à une législation qui froisse dans
leur personne et dans celle de leurs enfants, les
principes les plus élémentaires de la
dignité humaine. Nous ne sommes pas ici pour
protester ou pour récriminer, encore bien
moins pour condamner et pour maudire ; nous
sommes ici pour aimer, pour prier et pour
bénir. Ce sont des droits que personne sans
doute ne nous contestera, et dont personne, dans
tous les cas, ne peut nous dépouiller sans
notre propre consentement. Nous sommes ici pour
demander à Dieu qu'il fortifie le coeur de
ces hommes et de ces femmes, afin que ce dont on a
voulu faire pour eux un signe d'humiliation, ils
soient rendus capables d'en faire un signe
d'honneur. - Là où des hommes
souffrent, quels qu'ils soient, le coeur
innombrable du Christ est ému de
miséricorde et l'Eglise a le devoir de
dire : Moi aussi je souffre avec eux. -
Là où des chrétiens, des
hommes et des femmes qui ont été
baptisés au nom de Jésus-Christ, sont
contraints de porter un signe qui n'est pas celui
de leur Maître et de leur Sauveur, l'Eglise
de Jésus-Christ a le devoir de dire :
Ceux-là sont à moi, et je suis avec
eux. - Et là où sont frappés
des enfants de six ans, l'Eglise de
Jésus-Christ a, le devoir de dire :
Ceux-là sont à Dieu, les innocents,
et je les bénis.
Ces paroles sont pratiquement
inopérantes ? Nous ne le savons que
trop ; d'aucuns les trouveront même plus
qu'inutiles, dangereuses. L'Eglise de
Jésus-Christ ne saurait se laisser guider
par ces considérations subalternes ; il
y a des choses qui doivent être dites ;
elle les dit. Il y va de quelque chose de plus que
son honneur, il y va de l'honneur de Dieu.
« jamais les saints ne se sont
tus », disait Pascal, et il prenait ce
mot « saints » dans son sens
biblique, qui désigne ceux qui sont
consacrés à Dieu. Le Pasteur aussi,
lorsqu'il est dans la chaire de Jésus-Christ
et se souvient de sa consécration, ne
saurait recevoir d'ordres de personne, si ce n'est
de son Chef ; il n'accueille aucune
inspiration, si ce n'est celle de sa foi. Sans cela
- qu'il y prenne garde - sans cela il ne parlerait
pas comme il convient à la Parole de Dieu.
Et maintenant, mes Frères, pour clore cet
entretien sur des considérations plus
générales, reprenons la parole qui
nous a guidés ce matin et lisons-la tout
entière : Si quelqu'un parle, que ce
soit comme il convient à la Parole de
Dieu ; si quelqu'un remplit un
ministère, qu'il le remplisse comme usant
d'une force que Dieu communique, afin qu'en toutes
choses Dieu soit glorifié par
Jésus-Christ, à qui appartiennent la
gloire et la puissance aux siècles des
siècles. Toute la grandeur du
ministère et toute l'humilité du
ministre sont là, en quelques mots : le
Pasteur use d'une force que Dieu dispense ; il
est l'humble vase d'argile où Dieu a
déposé pour votre usage les
trésors inépuisables de sa
miséricorde ; mais de force il n'en a
point, de richesse il n'en a point : tout est
de Dieu, tout est pour Dieu. Qui donc, au moment de
notre baptême, nous a donné le gage de
notre adoption, sinon Dieu ? Qui donc a
reçu nos engagements de
catéchumènes, sinon Dieu ? Qui
donc nous a invités à la Table du
Maître, sinon Dieu ? Qui donc
éveille chaque jour en nous la repentance,
sinon Dieu ? Qui donc nous pardonne, sinon
Dieu ? Qui donc nous promet la vie
éternelle, sinon Dieu ? Et qui donc
nous prendra dans ses bras pour notre dernier
sommeil, sinon Dieu ? - Ainsi Dieu, toujours
Dieu ; le ministre, jamais. Il n'a rien, il
n'est rien, si ce n'est la main
qui use d'une force que Dieu dispense.
Mes Frères, demandez à
Dieu avec nous que vos Pasteurs n'oublient jamais
cela ; que s'ils parlent, ils le fassent d'une
façon qui convienne à la Parole de
Dieu ; que s'ils exercent leur
ministère, ce soit comme usant d'une force
qui les déborde et les dépasse, afin
que tout soit fait à la gloire de Dieu par
Jésus-Christ, auquel appartiennent la
puissance et la gloire dans tous les siècles
des siècles.
Amen.
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