Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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FRANK THOMAS
SA VIE - SON OEUVRE



CHAPITRE IX
LA GUERRE. LA SOCIÉTÉ DES NATIONS. MORT D'AUGUSTE THOMAS.

 Une des questions qui avait dès longtemps beaucoup préoccupé Frank Thomas, était celle de la guerre. Déjà le conflit entre les Anglais et les Boers l'avait ému et toute sa sympathie s'était portée vers le petit peuple opprimé par une grande puissance. Puis, en novembre 1904, au moment où la guerre russo-japonaise battait son plein, il poussa au Victoria Hall un formidable cri d'alarme, décrivant les horreurs de cette tuerie, les douleurs sans nom provoquées par cette lutte atroce. Son coeur blessé bouillonnait d'indignation. Il signale aussi le danger que court l'Europe, armée jusqu'aux dents et la possibilité, hélas... trop certaine d'un conflit général. Il adresse un appel solennel à l'Eglise et aux consciences individuelles en faveur du pacifisme, qui seul pourrait sauver la situation. Jamais peut-être son âme d'apôtre n'a-t-elle eu des accents aussi profonds et aussi passionnés.

Ce discours qui n'était pas un plaidoyer savant et longuement préparé contre la guerre, mais comme il l'a dit lui-même, « un cri du coeur », lui valut de vives critiques en particulier une lettre de la Société des officiers, destinée à le mettre en garde, dans un pays comme la Suisse, contre le danger des idées antimilitaristes.

Ces critiques le frappèrent droit au coeur, car ne l'oublions pas, il était sensible à la critique, et cependant il n'en continua pas moins, le 8 janvier 1905, au Victoria Hall, à protester contre la guerre. Sa protestation ne provenait pas d'une idée préconçue et formulée en autant de points ; mais d'une conscience et d'un coeur révoltés contre le mal et la souffrance de l'humanité.
Il s'y défend, cependant, contre l'accusation d'être antimilitariste.

Nous ne sommes point contre le service militaire, nous en reconnaissons la nécessité pour l'époque actuelle, mais nous reconnaissons, en même temps que c'est un mal appelé à disparaître un jour, quand les hommes auront compris que leur véritable intérêt, en même temps que leur plus grand privilège, n'est pas de s'entre-dévorer, mais de s'unir dans l'amour, pour coopérer à une oeuvre de commune fraternité. Le devoir de tous les citoyens chrétiens n'est pas de se résigner à l'état de choses actuel, mais de tout faire pour le transformer en cherchant à rapprocher la réalité de l'idéal. L'erreur d'une foule de gens bien pensants, même de disciples du Sauveur, a consisté, jusqu'ici, à prendre la réalité pour l'idéal terrestre, en critiquant, en traitant de fous, et même condamnant comme mauvais citoyens, ceux qui, altérés d'idéal, en poursuivaient avec courage la réalisation (1).

D'autre part peu d'instants auparavant il avait dit :

Nous protestons contre cette idée courante encore aujourd'hui, que ceux qui veulent à tout prix résoudre les conflits entre peuples par d'autres moyens que par la guerre, par l'arbitrage par exemple, accompagné d'un désarmement général, même par le refus du service militaire pour des motifs de conscience, sont de mauvais citoyens, révoltés contre l'État et sans amour pour la Patrie. Évidemment il faudra, tant que le service militaire subsistera, le remplacer, pour ceux-là, par autre chose, par un service d'infirmiers ou de travaux manuels ou de bureau, proportionnés à ce service, peut-être même supérieur, c'est une question d'équité vis-à-vis des autres citoyens (2).

Évidemment il y a contradiction entre ces deux points de vue : l'un étant celui de la raison, et l'autre celui du coeur. L'orateur en convient lui-même, et il ajoute :

Nous reconnaissons sans peine la difficulté, il y a là des contradictions qu'il est presque impossible de faire disparaître. Mais n'oublions jamais qu'ici bas les questions sont souvent complexes et au premier abord contradictoires ; l'Évangile ne supprime jamais l'un des deux termes pour simplifier le problème, il les maintient l'un et l'autre, laissant à la conscience de chacun le soin de les mettre d'accord, sur le terrain pratique tout au moins... L'idéal c'est la perfection : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Matthieu 5 : 48). L'idéal c'est l'amour, la paix et cet idéal est aussi élevé, aussi glorieux que possible.

La réalité c'est, hélas ! l'imperfection, la lutte, la guerre, le péché ; la réalité c'est la parole douloureuse du Maître : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée. Car je suis venu mettre la division entre les membres d'une même famille ; l'homme aura pour ennemis les gens de sa maison (Matthieu 10 : 34) ». Est-ce la faute du Christ ? Non certes, car son ardent désir serait d'apporter la paix, rien que la paix pour tous. Mais c'est la faute des hommes, qui ne veulent pas entrer dans ses plans d'amour et de pacification (3).


L'accord entre les deux points de vue est au fond impossible, le service militaire n'est qu'un palliatif, c'est pourquoi il faut désirer ardemment que le règne de la paix définitive s'établisse enfin sur notre pauvre humanité.

Lorsque sévit la guerre des Balkans, il prit part comme orateur à une grande assemblée de protestation (4) contre l'injustice et en faveur des nations opprimées. Puis, le 17 novembre 1912, il éleva au Victoria Hall une voix prophétique pour défendre les droits des peuples balkaniques, pour flageller la Turquie et, par la même occasion, l'Europe tout entière et sa diplomatie mensongère.

Et remarquez-le bien, s'écrie-t-il, l'Europe tout entière est moralement engagée dans cette terrible lutte : les grandes puissances, devenues les grandes impuissances grâce à leur diplomatie, leurs mensonges, leurs convoitises bestiales, leur hypocrisie impudente, sont restées paralysées, elles n'ont rien pu empêcher. Qu'on y prenne bien garde : après la banqueroute morale, l'Europe pourrait bien connaître la banqueroute matérielle, si les droits de la conscience ne sont pas enfin reconnus (5).

N'y a-t-il pas là une prescience des événements actuels ?
Tout ce qui faisait injustement souffrir l'humanité blessait Frank Thomas au plus profond de son coeur, aussi peut-on se représenter la douleur que fut pour lui la déclaration de guerre de 1914. En fut-il étonné ? C'est douteux, car cette Europe « armée jusqu'aux dents » ne lui semblait-elle pas être une perpétuelle menace pour la civilisation, et n'avait-il pas souvent annoncé la possibilité et même la probabilité d'une pareille catastrophe ?

Ceux qui vivent dans la présence de Dieu sont parfois divinement avertis des événements qui se préparent. Une sorte de pénétration des mystères du monde spirituel lui faisait dire en 1914 :

Nous sommes persuadés que, derrière la guerre actuelle, il se livre dans le monde invisible une bataille bien autrement redoutable entre Dieu et Satan et leurs armées, entre la lumière et les ténèbres ; et ce que nous voyons sur notre petite planète ensanglantée n'est probablement que le bord de cette bataille invisible.

Nous avons besoin de croire cela, autrement la logique nous oblige à attribuer toutes les horreurs actuelles à Dieu ou à l'homme : si c'est à Dieu, il devient impossible de croire encore en Lui, notre conscience nous oblige à nier son existence par respect pour Lui ; car l'inventeur de cet enfer serait un démon ou un démiurge bien plus qu'un Dieu. Si c'est à l'homme, c'est alors l'homme qui est un démon, et qu'espérer encore d'un être pareil ? C'est le plus sombre des désespoirs qui nous étreint et il faut avoir le courage d'aller jusqu'au bout et d'en finir au plus vite avec une race pareille. Le néant que me propose Bouddha, ou même le farouche pessimisme de Schopenhauer, sont les points d'aboutissement logique d'une telle conception de l'homme.

Quand on croit à l'existence de Satan, on n'a certes pas dissipé le mystère on y a du moins fait pénétrer une lumière qui nous permet d'attendre la grande lumière de l'éternité, car cette hypothèse décharge suffisamment l'homme et Dieu pour permettre à celui-ci d'essayer de sauver celui-là (
6
).

Quoi qu'il en soit la guerre lui permit de déployer toutes les possibilités de sympathie, d'indignation, de douleur, qui étaient en lui, aussi ses sermons, durant cette lugubre époque, ont-ils une verve tragique, qui dut beaucoup impressionner son auditoire, toutefois ils ne sont jamais dépouillés d'espérance.
Il s'est appliqué à consoler, à encourager, à avertir, à dégager des événements la leçon qu'il y avait à en tirer. Il a atteint, par moments, à la grande éloquence, à celle qui jaillit du coeur comme un torrent de lave brûlante. Il était là dans son élément, aussi dut-il toucher quantité d'âmes angoissées, de coeurs meurtris, appartenant même à des pays en lutte les uns contre les autres, car bien que ses sympathies fussent tout entières du côté des Alliés - il ne s'en cachait pas, loin de là - il s'efforçait cependant d'être juste et de ne pas blesser ceux qui ne pensaient pas comme lui ; il élève les questions et ramène constamment ceux qui l'écoutent au pied de la Croix de Golgotha. Tel cet appel qu'il lançait dans son auditoire, le 25 avril 1915 :

Ami inconnu que je devine et pour qui j'éprouve une sympathie toute particulière, à cause des déceptions et de la peine que tu as à surmonter ton amertume, il est là, ton Sauveur, penché sur toi et te disant avec tendresse de lui apporter ta déception, ta tristesse, ta plainte amère : « Venez à moi vous tous qui êtes travaillés et chargés et je vous donnerai du repos » (Matthieu 11 : 28). Suis son conseil aujourd'hui même... en t'adressant à Lui dans une prière muette, mais fervente, silencieuse, mais sincère, et tu verras qu'il ne trompe jamais ceux qui le prennent au sérieux.

Il a dû faire beaucoup de bien et panser de secrètes et profondes blessures par sa parole vibrante et ses accents pleins de sympathie.
Sans doute a-t-il dû recevoir, à cette occasion, beaucoup de visites et de confidences et s'est-il constamment appliqué à consoler les âmes broyées. Nous nous représentons aisément tout ce qu'il a dû porter de souffrances dans son coeur et bander de plaies.

Une dame allemande catholique, qui traversait, à cette époque, des circonstances particulièrement douloureuses et qui, tout en suivant fidèlement la messe, allait entendre Frank Thomas, nous écrit :

J'avais et ai encore une profonde admiration pour le grand orateur. Sa parole chaude et prenante m'a fait, pendant la guerre, un bien immense, car elle était exempte de haine. Frank Thomas n'a jamais oublié que, dans son auditoire, se trouvaient des chrétiens de nationalités différentes, que tous avaient une âme à consoler et un coeur qu'il ne fallait pas froisser dans ses affections.

Si sa parole était si persuasive c'est qu'il parlait avec son coeur. On sentait que ce qu'il disait il le pensait et de là venait sa grande influence sur son auditoire. Lorsqu'il parlait du foyer familial on sentait qu'il aimait le sien par-dessus tout. Ses enfants étaient sa joie, son bonheur et lorsqu'il s'adressait à la jeunesse, il n'avait qu'à suivre l'élan de son coeur pour gagner l'affection et la confiance de ceux qui étaient suspendus à ses lèvres.

Que dire de Frank Thomas lorsqu'il parlait de la douleur ? Rien qu'à l'entendre on sentait qu'il avait monté tous les échelons de la souffrance, et il fallait être privé de coeur et de sentiments pour ne pas vibrer à l'unisson avec l'orateur.
Je sortais parfois de ses conférences brisée physiquement, mais l'âme réconfortée et prête à la souffrance.


Le sort des Alsaciens exilés émut tout particulièrement le coeur de Frank Thomas, il s'intéressa à un grand nombre d'entre eux durant la guerre, les invitant chez lui, les entourant d'affection et de sympathie et réussissant à en amener plus d'un à la foi.
L'un d'entre eux, peu après la mort de Frank Thomas, écrivait :

C'est le coeur meurtri et désolé que je vous écris, car au deuil qui vous frappe, et que partagent tous ceux qui doivent leur évolution religieuse à Frank Thomas, s'ajoute pour moi un deuil bien personnel, en souvenir de tout ce qu'il a été pour moi, pendant mon exil dans votre cité où je suis resté cinquante-deux mois et où j'ai eu le bonheur de vivre dans l'intimité de cet homme à l'âme si noble, au coeur si bon, à l'esprit si large et si subtil à la fois en face des réalités troublantes de notre vie terrestre... Le bien qu'il a fait à tous nos exilés, et spécialement aux Alsaciens, constitue un lot important de son oeuvre spirituelle et son nom restera béni dans bien de nos Églises et de nos départements redîmes.

Enfin, à la demande instante d'une dame alsacienne qui avait reçu d'un « poilu » sur le front, un appel désespéré en faveur de quelque secours spirituel dont lui et ses camarades se trouvaient privés, Frank Thomas rédigea chaque mois, du début de 1916 jusqu'à l'armistice, une feuille intitulée « Rayon dans la Tranchée », distribuée d'abord à 50 exemplaires et enfin à 2000. Cette feuille finit par devenir un petit journal où les combattants eux-mêmes écrivaient de courts articles. Mais la pièce de résistance était toujours une lettre de Frank Thomas pleine de coeur, d'affection, de compréhension et profondément encourageante pour les soldats qui la lisaient. Il y a tant de délicatesse de sentiments dans ces lignes écrites toujours sous le coup d'une profonde sympathie. Le Rayon était attendu avec impatience et lu avec bonheur par ceux auxquels il était destiné, catholiques et protestants y puisaient force et courage. Par son moyen, une petite section d'abstinence fut même créée sur le front.

Tout cela prouve à quel point la guerre préoccupa, affecta Frank Thomas, aussi peut-on se rendre compte avec quel enthousiasme il accueillit l'armistice et l'avènement de la Société des Nations. En celle-ci, il salua l'aurore de ce pacifisme qu'il souhaitait si ardemment depuis longtemps, aussi fut-il profondément heureux du vote populaire du 16 mai 1920, par lequel la Suisse entrait dans la Société des Nations. Le président Wilson lui apparaît comme un sauveur de l'humanité, et cependant il tremble pour la Société des Nations, se rendant compte des dangers qui la menacent. Le 12 octobre 1920, il prêchait à Victoria Hall sur Pentecôte et la Société des Nations (7) et il démontrait avec force que la Société des Nations avait devant elle cette alternative, ou travailler pour la gloire de l'homme et devenir une nouvelle Babel, ou travailler pour la gloire de Dieu et amener une nouvelle effusion du Saint-Esprit sur l'humanité.

Citons quelques fragments de ce discours

Il faut à tout prix que la Société des Nations ressemble à la grande réalité de Pentecôte, autrement s'en est fait d'elle, et une fois de plus nous aurons la dispersion et la confusion des langues dans des conditions infiniment pires encore et qui pourraient bien être le glas funèbre de l'humanité.

Nous sommes persuadés que c'est bien Dieu qui, après la guerre mondiale, a inspiré à certains hommes l'idée de la Société des Nations, nous ne pouvons pas nous empêcher de croire que l'initiative première est venue de Dieu, tant elle est conforme à la pensée divine, telle que nous la trouvons dans l'Évangile, et même dans l'Ancien Testament...

Mais il ne suffit pas qu'il en soit ainsi, il faut que l'initiative continue à venir de Dieu, autrement on peut être sûr qu'il s'y mêlera des éléments humains et charnels qui compromettront l'oeuvre divine. On connaît ces fleuves dont les eaux sont boueuses et impures et qui à leur source étaient merveilleusement pures. Ce qui m'inquiète pour la Société des Nations c'est d'y voir entrer toutes espèces d'éléments qui ne sont rien moins que chrétiens...

La Société des Nations échouera sûrement, il n'y a pas là-dessus l'ombre d'un doute, si c'est leur gloire que les hommes et les nations y poursuivent ; elle réussira certainement, le doute n'est pas possible, si c'est la gloire de Dieu et de son divin Fils qu'ils viennent chercher...

Ah ! si nous pouvions être assurés que ce qui va réunir à Genève toutes les nations de la terre, c'est bien l'amour, l'amour fraternel nous serions très tranquilles ; si difficiles que soient les débuts de la Société des Nations, l'avenir serait à elle et personne ne pourrait l'entraver dans son développement...

Si elle est une ménagerie toute pleine d'animaux sauvages, elle prépare la catastrophe de Babel ; si elle est formée d'hommes semblables au Fils de l'homme, elle prépare Pentecôte et la terre nouvelle où la justice habitera (
8).


On voit d'après ces quelques lignes l'idéal dont était animé Frank Thomas et le désir ardent qu'il avait de voir l'humanité atteindre à de hautes destinées. Aussi souffrit-il beaucoup, lorsqu'après les grands espoirs nés de l'Armistice, il comprit que l'humanité était loin d'avoir retiré de la guerre la leçon qu'elle lui réservait, et, en mars 1923, il prononçait ces paroles prophétiques :

Notre époque est particulièrement tragique, on sent très bien que les deux puissances mènent, à l'heure actuelle, un combat décisif pour la possession du monde. Qui des deux l'emportera ? Ou bien ce sera Dieu lui-même, et alors il saura transformer notre terre en paradis... ou bien, au contraire, c'est Satan qui l'emportera, il fera monter, de l'abîme, l'enfer lui-même et l'établira sur la terre et la vie de sainteté et d'amour, la vie fraternelle, la vie divine en un mot, devenant impossible, l'humanité marchera, sur la terre, à un suicide général par lequel elle se détruira elle-même avec le péché dont elle sera devenue comme l'incarnation.

Il y a, à l'heure actuelle, certains symptômes qui tendraient à nous faire croire que c'est à cette dernière alternative que nous allons aboutir, par exemple l'impuissance, de plus en plus frappante, où les hommes se trouvent de relever la race en sortant de l'impasse où elle s'est engagée ; d'autre part, la haine féroce qui va grandissant entre les différentes nations et qui creuse des fossés de plus en plus profonds entre des hommes et des peuples qui seraient si bien faits pour s'entendre et se compléter. Et par-dessus tout cela, un matérialisme jouisseur, une soif de gain plus terrible que jamais, comme si la possession du monde devait appartenir aux plus jouisseurs et aux plus fortunés. Enfin des pièces de théâtre et une littérature non pas seulement obscènes mais corrompues, disons le mot pourries...

Que faire en face d'un tel débordement du mal et d'une lutte d'où doit sortir la possession du monde ? Rester les bras croisés ? Non, mille fois non ! Se décourager, adopter le défaitisme ? Pas davantage. Bien plutôt réagir de toutes nos forces. Après avoir vu le mal en face, lui déclarer une guerre impitoyable et préférer mourir en le combattant que de prendre son parti d'un tel état de choses.


On le voit, Frank Thomas avait des moments de sombre pessimisme quant à l'avenir du monde, mais il était soutenu par une foi invincible au triomphe final du bien, aussi poursuivit-il la lutte jusqu'à son dernier soupir.
Et pourtant sa foi avait été mise à rude épreuve, car il fut frappé en plein coeur dans ce qu'il avait de plus précieux.

Au mois de juin 1921, il eut l'immense douleur de perdre son fils aîné, Auguste, le docteur en médecine, qui mourut subitement après avoir été cruellement éprouvé dans ses affections de famille. Cette mort ainsi que les circonstances tragiques qui la précédèrent furent pour Frank Thomas et pour les siens un chagrin indicible ; le vaillant lutteur, celui qui avait consolé tant de coeurs brisés, dut à son tour parcourir la sombre vallée. Au premier moment, lorsque ce coup terrible le frappa, il fut comme terrassé et il lui sembla qu'il ne pourrait plus jamais reprendre la parole en public. Son ministère lui parut être arrivé à son terme ; mais sa femme le soutint, releva son courage, ne lui permit pas de s'ensevelir dans sa douleur. Elle lui fit comprendre qu'après avoir traversé une épreuve aussi redoutable, il serait mieux qualifié encore qu'auparavant pour parler de la souffrance. C'est ce qui se produisit en effet ; si le fond de ses discours resta le même, il y eut dans son accent quelque chose de changé. Lorsqu'il parlait de la douleur ce fut avec plus de profondeur. Ce qu'il en disait c'était en connaissance de cause. Du fond de l'abîme, je t'invoque, ô Éternel ! ( Psaume 130: 1) pouvait-il s'écrier. Ses auditeurs sentirent passer en lui un courant nouveau.

On se représente la lutte qui dut s'engager dans cette âme d'apôtre, les pourquoi qui s'élevèrent de son coeur déchiré, peut-être même les instants de révolte qu'il connut ; ce fut une véritable tempête, mais il en triompha et peu à peu le calme reparut dans son coeur.

Dans les grandes âmes tout est grand, la joie aussi bien que la douleur.
Il sortit de cette épreuve plus humble encore qu'auparavant, il comprit mieux les faiblesses humaines et l'incrédulité lui parut moins énigmatique qu'auparavant. Il faut avoir côtoyé les abîmes pour en mesurer la profondeur. Sans doute, dès lors, atteignit-il un public qui était resté jusqu'à ce moment indifférent à ses appels.
D'ailleurs toute l'évolution qu'il subit à cette occasion se trouve en puissance dans la lettre touchante qu'il publia dans la Feuille Mensuelle de septembre 1921 à l'adresse des membres de l'A. C. E. et dont nous extrayons quelques fragments :

Le mot qui résume aujourd'hui notre état d'âme est celui de saint Paul écrivant en pleine détresse aux Corinthiens : « Nous ne perdons pas courage », (
Il Cor.4:1) et cela surtout pour trois raisons.

D'abord parce que nous sommes persuadés que ce n'est pas Dieu qui nous a envoyé ce terrible malheur, mais l'ennemi. Quand Job se vit dépouillé de tout par Satan, il est dit de lui qu'il ne pécha pas en attribuant à Dieu quelque chose d'injuste. (Job 1: 22) Jamais Dieu n'a voulu tourmenter, disons le mot, torturer ses enfants, il les aime trop pour cela, il veut leur bonheur, leur parfait bonheur dans leur véritable bien, jamais leur malheur et leur détresse.
Dans tout ce qui nous est arrivé, non pas seulement au mois de juin, mais depuis près de deux ans, nous avons reconnu un plan très bien ordonné du tentateur, s'efforçant de nous pousser au désespoir et à la révolte, en préparant un coup droit contre ceux qui désirent l'avancement du règne de Dieu.

Ensuite, parce que la fournaise que nous venons de traverser nous a révélé, comme jamais, les richesses de la sympathie chrétienne, nous avons été touchés, plus que nous ne pouvons le dire, par les marques innombrables d'affection que nous avons reçues...
Nous nous sommes sentis portés par la prière de nos amis sur les grandes eaux, et nous avons expérimenté à quel point l'amour chrétien est une réalité, la réalité par excellence en comparaison de laquelle tout le reste est plus apparent que réel.

Enfin et surtout... Dieu nous a merveilleusement soutenus. Si ce n'est pas Dieu qui envoie la tentation, Il est là dans la tentation, près de son enfant que Satan a demandé à cribler, si ce n'est pas Lui qui met dans la fournaise, Il est dans la fournaise avec nous, comme jadis le mystérieux personnage qui se trouvait dans le feu à côté des compagnons de Daniel. Je dirai même qu'Il est d'autant plus là que l'effort de l'ennemi est plus cruel et sa présence plus réelle...

Je tiens à le dire à tous ceux des membres de l'A. C. E. qui passent par le creuset, à ceux aussi qui redoutent l'épreuve et qui tremblent à la pensée de tous les maux qui peuvent les atteindre. Qu'ils se confient en Dieu qui est fidèle et qui attend peut-être le jour de leur détresse pour leur révéler sa fidélité et son infinie miséricorde. Comment perdre courage quand on a cette conviction et que cette conviction est devenue une réalité.

Et c'est ainsi que Frank Thomas après les vacances d'été reprit courageusement son ministère, ce fut un ministère sous la croix mais combien fructueux !
Le travail l'aida non pas à oublier sa douleur, mais à la porter avec courage et elle fut en bénédiction à beaucoup d'âmes. Maintenant qu'il est dans la lumière il comprend le pourquoi des sombres défilés qu'il a dû traverser.


Table des matières

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1 Bonne Nouvelle, 8 janvier 1905, p. 280.

2 Bonne Nouvelle, 8 janvier 1905, p. 285.

3 Bonne Nouvelle, 8 janvier 1905, p. 283.

4 Le 12 novembre 1912, à la Salle de la Réformation.

5 Bonne Nouvelle, 17 novembre 1912, p. 248.

6 Bonne Nouvelle 27 septembre 1914, p. 242-244.

7 Bonne Nouvelle, 12 octobre 1920.

8 Bonne Nouvelle, octobre 1920, p. 148, 150, 153, 155, 156.

 

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