FRANK
THOMAS
SA VIE - SON
OEUVRE
CHAPITRE VII
PROFESSORAT DE FRANK THOMAS.
SON ATTITUDE A L' ÉGARD DE LA BIBLE
ET À L'ÉGARD DU CHRIST.
PENSÉES SUR LA PRIÈRE.
Aux travaux de Frank Thomas,
dérivant de l'Association Chrétienne
Évangélique, à ses cours de
catéchumènes, à ses
tournées de conférences et de sermons
en Suisse et à l'étranger, il faut
ajouter quelques autres activités qui eurent
de l'importance.
Ainsi, il fut, de 1892 à sa mort,
membre du Conseil de l'Institution des diaconesses
de Saint-Loup et, à cette occasion, il
fonda, dépendant de l'A. C. E., un groupe
biblique pour les diaconesses, groupe qui a fait
beaucoup de bien à Genève.
Durant quelques années il fut
membre du Comité du Suffrage féminin
et, de 1913 à son départ de ce monde,
il fit partie du Comité
Universel des Unions
chrétiennes, et enfin, de 1901 à
1922, il occupa la chaire de théologie
pratique à la Faculté
évangélique libre en remplacement de
Henri Appia, et, lorsque celle-ci se ferma, il
s'inscrivit comme privat-docent à
l'Université pour la même discipline,
situation qu'il occupa jusqu'à sa
mort.
Ce n'est ni la profondeur, ni
l'originalité des idées
théologiques qui ont
caractérisé le professorat de Frank
Thomas, certains de ses élèves purent
même le trouver un peu simpliste ; mais
ce qui fit la valeur de ses cours, ce fut, comme
toujours, sa foi, sa personnalité
rayonnante, son amour des âmes, sa vaste
expérience de la carrière pastorale.
D'ailleurs, détail intéressant, un
grand nombre des étudiants de la
Faculté évangélique
déclarèrent, lors de l'interrogatoire
qu'on leur faisait subir avant leur entrée
en théologie, que c'était aux
prédications ou, tout au moins, à
l'influence de Frank Thomas qu'ils devaient leur
vocation. En effet il a eu à son actif la
vocation de beaucoup de missionnaires et de
pasteurs. Dans ses cours, il obéissait
encore à sa nature qui était celle
d'un grand évangéliste. À ce
propos n'oublions pas
l'intérêt immense qu'il a porté
aux Missions et à quel point il sut
défendre cette grande cause et la rendre
populaire.
Un de ses collègues à la
Faculté de théologie, M. le
professeur Antoine Baumgartner, a écrit dans
une plaquette publiée peu après sa
mort par M. Charles Bernard, un article
intitulé : « Frank Thomas et
la théologie pratique », article
très intéressant et suggestif, dont
nous extrayons quelques fragments :
Ici,
comme
dans tous les domaines où s'exerça
cette activité généreuse,
Frank Thomas a apporté toute sa conscience
et son grand coeur. Abordant les études
théologiques après une très
forte préparation antérieure,
littéraire et scientifique ;
prédicateur réputé, d'une
éloquence très personnelle et
puissante ; riche des expériences
faites au cours d'un ministère compris sous
la forme la plus complète, il
possédait les qualités essentielles
requises pour l'enseignement de cette discipline
théologique qui a pour but de former les
futurs pasteurs à l'art de la
prédication, et à cette oeuvre
importante et si délicate de la cure
d'âme, que l'ancien régime appelait
volontiers du nom de « prudence
pastorale »...
Rappelons...
la place centrale que la
Bible a toujours occupée dans son
ministère, le grand amour et le profond
respect qu'elle lui inspirait,
Il
n'y a
pour s'en convaincre qu'à relire les pages
qu'il y a consacrées dans son
Catéchisme et qu'à citer ces
mots tirés de la brochure Comment utiliser le Nouveau
Testament
(1926) « Qu'il me soit permis d'affirmer
avec force ma foi en la Parole de Dieu, comme au
livre par excellence, au livre de la
Révélation sans laquelle nous serions
encore dans les ténèbres du
paganisme ». Il était d'autre
part, un ami trop passionné de la
vérité dans tous les domaines, et
très spécialement dans celui qui
touche aux intérêts supérieurs
de l'âme humaine, pour n'avoir pas
été amené par une pratique
approfondie des saints Livres, à
reconnaître le droit et le bien fondé
de la critique biblique, comprise sous sa forme la
plus sérieuse et la plus respectueuse des
textes. Il a dit lui-même que tout en se
sentant très moderne avec les modernes, il
était résolu à rester
fidèle à l'enseignement de ce Livre
unique entre tous qui s'appelle la Bible.
(Préface au
Catéchisme.)
En
second
lieu, Frank Thomas nous paraît s'être
nettement rattaché à cette
théorie de l'expérience religieuse,
dont son ami et cousin, Gaston Frommel a
été le représentant et le
défenseur le plus autorisé. La
théologie de celui qu'il appelait
« le frère de son
âme » et avec lequel il a toujours
entretenu les relations les plus affectueuses et
les plus bienfaisantes pour son coeur et pour sa
pensée : « Cette
théologie de l'expérience fut une
révélation pour moi, je compris en le
voyant et en l'entendant qu'il était
possible de surmonter le doute intellectuel et de
le remplacer par une joyeuse
certitude. Ce fut Gaston
Frommel
qui, plus qu'aucun autre peut-être me donna
la bonne conscience intellectuelle dont j'avais un
urgent besoin pour orienter ma vie et me
préparer au ministère ».
C'est ainsi que s'exprimait Frank Thomas
lui-même, lors de la commémoration du
XXe anniversaire de la mort de Gaston
Frommel...
C'était
aussi son âme de
pasteur, si pleinement consacrée, qui
cherchait à faire vibrer l'âme de ses
étudiants à l'unisson de la sienne,
en les mettant en face des beautés et de la
grandeur de ce ministère pastoral dans
lequel il voyait la plus belle des vocations.
terrestres. Et puis, il les mettait en garde contre
le risque que ce ministère lui-même
pouvait leur faire courir, celui de déformer
leur caractère d'hommes, en faisant trop
ressortir aux yeux du monde, « la
fonction, la vocation, l'habit plutôt que
l'être humain ». Il les pressait
d'être larges, courageux, obéissants,
« à cette double loi de la vie qui
s'appelle la possession et le don de
soi-même ». Il leur donnait, enfin,
le secret d'un ministère fécond,
résultant de la vision du Christ et de
l'expérience aussi profonde que possible de
sa personne divine et humaine.
Les
rapports entre ses étudiants et lui ne se
bornaient d'ailleurs pas à l'enseignement
donné dans l'auditoire de
théologie ; Frank Thomas avait sa part
de la critique de tous les exercices
homilétiques auxquels les étudiants
étaient astreints ; la
présidence et la discussion de toutes les
thèses relevant de sa discipline
théologique, lui
incombaient, l'examen de
ces
thèses (qui furent nombreuses au cours de
ces vingt et une années) exigeait un travail
minutieux de la part du professeur. Et nous
n'aurions garde d'oublier la collaboration si
précieuse qu'il accorda au Comité
directeur de la Faculté, lorsque en 1901, ce
dernier institua à l'usage du grand public
désireux de s'initier aux travaux de la
théologie actuelle, ces séries de
cours pratiques qui, d'emblée,
attirèrent un nombreux auditoire aux
leçons de Frank Thomas. Il y traita suivant
les années, de l'Apologie du
Christianisme, du Christianisme social et de la Théologie
pratique
proprement dite.
Celui
que
l'un de ses anciens étudiants appelait si
justement « un évangéliste
éminent », a incontestablement
exercé sur eux au cours de leurs
études, et peut-être même
à leur insu, une action de l'ordre spirituel
profonde et durable, que venait encore intensifier
le noble exemple de sa vie. Tous ils
appréciaient, comme l'a dit l'un d'eux,
« son enthousiasme pastoral, sa
conviction communicative que le ministère
est une chose
excellente,
le contact bienfaisant et
tonifiant de sa grande âme ». Et
ils sont nombreux ceux qui, à la nouvelle de
la mort de Frank Thomas, ont pu dire comme tel
autre de ses condisciples : « Plus
j'avance dans le ministère, plus je me rends
compte de ce que je lui dois ». Un autre
encore, ancien soldat de la Grande Guerre, n'a-t-il
pas prononcé cette parole bien
éloquente : « C'est dans les
tranchées que j'ai senti le mieux ce
qu'avait été pour moi la
personnalité de Frank Thomas ».
À ce témoignage d'un
collègue, nous voudrions ajouter quelques
impressions personnelles sur la théologie de
Frank Thomas et surtout le laisser parler.
Tout d'abord nous dirons, ce dont on a
pu se rendre compte par cette étude, qu'il
avait une foi simple qui ne mettait en doute aucune
des grandes vérités bibliques et
évangéliques. Sa foi en la naissance
miraculeuse du Christ, en sa divinité, en
ses miracles, en sa mort expiatoire, en sa
résurrection, en la vie éternelle
était complète et absolue. Il fut un
croyant dans toute l'acception du terme. Que de
fois durant sa longue carrière n'a-t-il pas
affirmé cette foi avec puissance et
conviction ! Aussi y avait-il tout un parti
religieux qui le trouvait trop naïf, trop
orthodoxe et qui l'aurait volontiers accusé
d'être en retard sur l'horloge de la science
théologique.
D'autre part, il l'a dit lui-même,
un autre parti l'accusait d'avoir plus ou moins
perdu la foi et d'égarer les âmes, en
ne croyant plus exactement comme croyaient ses
pères. D'où pouvaient provenir de
pareilles accusations, portées contre un
homme si profondément et authentiquement
chrétien ?
Elles provenaient de son attitude
vis-à-vis de la Bible qui, tout en restant
respectueuse, n'était plus exactement celle
des théologiens du passé.
Pour répondre à ces
accusations, il a publié un
Catéchisme, dans lequel il expose et
défend ses idées, en particulier
celles concernant la Bible ; mais surtout, et
d'une façon plus claire encore, il a
abordé ce sujet dans la préface d'une
brochure intitulée : Comment
utiliser le Nouveau Testament que nous
transcrivons ici presque dans son
entier :
Qu'il
me
soit permis d'affirmer avec force ma foi en la
Parole de Dieu comme au Livre par excellence, au
Livre de la Révélation, sans lequel
nous serions encore dans les ténèbres
du paganisme. Il n'est peut-être pas mauvais
de l'affirmer ici et de le répéter
une fois de plus, car à force de faire
courir le bruit que les pasteurs, ou du moins la
plupart d'entre eux, ne croient plus à la
Bible, on a réussi à inspirer
à beaucoup la défiance à leur
égard, et à créer, entre eux
et les fidèles, un fossé qu'il
eût fallu combler. Je crois avec le grand
savant Huxley que « ce qui a fait la
grandeur de l'empire britannique dans le
passé, et je souhaite que ce passé
continue, c'est l'enseignement de la Bible dans
toutes les écoles ». Je crois avec
Edmond Scherer, cité par Auguste Sabatier,
que « le sort de la
sainteté sur la terre est lié au sort
de la Bible ». Je crois avec
l'évangéliste Moody que
« la Bible est inspirée
puisqu'elle nous inspire ». Je crois, par
conséquent, qu'il faut tout faire pour la
répandre parmi les hommes, afin que se
réalise un jour la parole du
prophète : La terre sera remplie de la
connaissance de l'Éternel, comme le fond de
la mer par les eaux qui le couvrent (Esaïe
11: 9).
Mais
d'autre part, je ne crois pas, je ne puis pas
croire à la Bible tabou, fétiche ou
amulette tombée du ciel toute faite et
capable de nous sauver magiquement et presque sans
nous. Je ne crois pas à son inspiration
littérale, qu'elle n'a du reste jamais
réclamée, et qui est une chose
impossible, Dieu respectant trop ses
créatures pour en faire des machines
à écrire, et ses innombrables auteurs
ayant vécu à des époques trop
éloignées les unes des autres, avec
des lumières beaucoup trop diverses d'un
homme ou d'un temps à un autre. D'ailleurs
l'expression : inspiration littérale
est contradictoire, car elle reviendrait à
dire que la Bible est à la fois une
dictée et une inspiration. Or qui dit
inspiration nie, par là même, la
dictée et qui affirme la dictée nie
l'inspiration. Il faut choisir entre l'un ou
l'autre, ou la Bible a été
dictée, et alors elle n'a pas
été inspirée, ou elle a
été inspirée, et alors il ne
faut plus parler de dictée, et je crois trop
à son inspiration pour admettre une
théorie qui pourrait la contredire. Au reste
les contradictions sur des points de détail
que renferment leurs
récits lorsqu'ils parlent
du même sujet, prouvent, à
l'évidence, qu'il ne s'agit pas d'une
dictée.
Je
crois
donc à une part humaine à
côté de l'action divine dans la
formation des Saintes Écritures avec leurs
66 livres, et je m'efforce, à la
lumière de Jésus-Christ, Parole
vivante, seule infaillible qui donne à la
Parole écrite toute sa valeur, comme un
joyau fait valoir son écrin, de trouver le
Sauveur, mon Sauveur, l'Homme-Dieu, ou le
Dieu-Homme, annoncé par l'Ancien Testament
et décrit dans le Nouveau. Le premier peut
se résumer dans ce mot : « Il
viendra ». Le second dans cet
autre : « Il est venu et il
reviendra ». C'est le Christ qui
m'explique les Écritures et dans les
Écritures ce qui le concerne. C'est lui qui
m'apprend à discerner dans l'Ancien
Testament ce qui est inspiré de son Esprit
et ce qui ne l'est pas, suivant la parole
célèbre du Sermon sur la
montagne : « Vous avez appris qu'il
a été dit : Oeil pour oeil et
dent pour dent. Tu aimeras ton prochain et tu
haïras ton ennemi ; mais moi je vous
dis : Aimez vos ennemis, bénissez ceux
qui vous maudissent, faites du bien à ceux
qui vous haïssent et priez pour ceux qui vous
maltraitent et qui vous persécutent, afin
que vous soyez fils de votre Père qui est
dans les cieux » (Matthieu
5: 44).
Ne
voulant
pas faire dire à la Bible ce qu'elle n'a
jamais dit, je m'inspire de cette parole de
l'apôtre Paul si souvent mal traduite et qui
par là même a induit en erreur tant de
braves gens :
« Toute
Écriture
inspirée de Dieu (celle qui est
inspirée de Dieu, mot qui se dit en grec
théopneustie) est utile pour enseigner, pour
convaincre, pour corriger, pour instruire dans la
justice, afin que l'homme de Dieu soit accompli et
propre à toute bonne oeuvre (Il
Tim. 3: 16-17). Traduction toute autre
que celle, connue par tant de gens :
« Toute Écriture est
inspirée de Dieu ».
Au
reste
l'essentiel n'est pas tant de faire des
théories sur l'inspiration de la Bible, mais
de s'en inspirer, ni de la connaître
intellectuellement, mais d'une manière
pratique en devenant nous-mêmes des Bibles
vivantes !
Quelle que
soit
l'opinion que l'on ait de l'attitude de Frank
Thomas vis-à-vis de la Bible, personne ne
pourra mettre en doute sa sincérité,
ni la profondeur et l'authenticité de sa foi
chrétienne. Malgré ces quelques
réserves, la Bible a tenu une place immense
dans sa vie et dans sa prédication, et,
par-dessus tout, il y a placé au premier
rang la personne du Christ. Car il a
été un adorateur du Christ, il a
vécu dans sa communion, constamment il l'a
présenté comme Sauveur, comme
Rédempteur, comme idéal à ses
auditeurs et à ses lecteurs. Il a
tracé de lui d'innombrables portraits,
tous vibrants
d'enthousiasme et
d'émotion. En voici deux qui nous semblent
particulièrement
frappants :
Quand
je
vois la main de Jésus pansant les blessures
saignantes, ce n'est pas un homme que je vois,
c'est mon Dieu ; quand j'entends ses paroles
si douces, si pleines de compassion, ce ne sont pas
les paroles d'un homme, mais d'un Dieu ; quand
je le vois se pencher sur nos malades, sur nos
mourants, sur nos morts, c'est Dieu que je vois.
Quand je contemple le regard si tendre de
Jésus se tournant vers moi, m'attirant
à lui, je vois le regard même de Dieu,
et je tressaille de joie ; quand Christ me
serre dans ses bras, sur son coeur, je me sens
serré dans les bras, sur le coeur même
de Dieu, et en sentant les battements de ce coeur
de Père, je me sens consolé, mes
larmes se sèchent, ma douleur est vaincue
(1).
Je
connais
quelqu'un qui, lui, n'a jamais déçu
personne, même parmi ceux qui avaient les
plus hautes aspirations ; ce quelqu'un c'est
Jésus-Christ. Plus on le contemple, plus le
Fils de Marie apparaît beau, c'est bien le
Fils de l'homme, c'est l'homme par excellence qui
répond parfaitement aux besoins profonds de
nos coeurs. De quelque côté qu'on
l'observe, on est saisi d'admiration ; en le
voyant, le coeur est ému, saisi,
remué jusqu'au fond. Il est beau,
Jésus, dans ses rapports avec sa famille,
avec sa mère en particulier qu'Il aime et
vénère
jusqu'à la fin, la
confiant avant d'expirer, à son disciple
Jean qui sûrement en prendra un tendre soin
en souvenir de son Maître. Il est beau dans
ses rapports avec sa patrie qu'Il aime
passionnément, sans esprit
d'étroitesse cependant, et sur laquelle Il
sanglote en pensant à ses futurs malheurs.
Il est beau dans ses relations avec la nature,
quand, par exemple, Il apaise les flots et le vent
sur le lac de Génézareth en
tempête. Il est beau dans sa manière
de traiter ses amis, ses disciples surtout, qu'Il
aime jusqu'à la fin, ou, plus exactement
traduit, jusqu'à la perfection, qu'Il
supporte avec une patience inouïe et qu'Il
sait très bien protéger contre ses
adversaires quand ils veulent les arrêter. Il
est beau dans sa conduite avec ses ennemis pour
lesquels Il adresse la sublime prière du
pardon : « Père,
pardonne-leur, car ils ne savent, ce qu'ils
font » (Luc
23: 34),
à l'heure terrible où
les clous s'enfoncent lentement dans sa chair et le
fixent au bois maudit. Il est beau quand Il parle,
Il est beau quand Il prie ; Il est beau quand
Il se délasse, prenant dans ses bras les
petits enfants, Il est beau quand Il se
dépense pour les malades et pour les
malheureux ; Il est beau quand Il sourit, Il
est beau quand Il souffre et qu'Il agonise
intercédant pour la race humaine tout
entière, beau enfin quand Il prononce ses
dernières paroles sur la croix et qu'Il rend
le dernier soupir, en poussant un grand cri de
triomphe et de foi.
Ne
craignez
donc rien, vous âmes altérées
de beauté morale,
tourmentées d'idéal, vous ne risquez
pas d'être déçues en vous
approchant du Fils de l'homme. Il y a en lui de
quoi vous satisfaire, de quoi satisfaire de plus
exigeants que vous. Et s'Il vous invite à
venir à Lui, c'est parce qu'Il vous
connaît à fond et qu'Il sait
parfaitement que Lui seul peut étancher
toutes vos soifs et cela de la façon la plus
complète. Parce que vous avez
été déçus, ne vous
tenez pas éloignés, au
contraire ; que vos déceptions vous
amènent à cet idéal
réalisé dans une vie d'homme, d'homme
historique, votre frère, celui qui est
vraiment os de vos os et chair de votre
chair.
Quiconque
a
rencontré en Christ, son idéal moral
réalisé, a été
tellement saisi, si profondément satisfait,
qu'il ne sait plus de quel côté se
tourner pour faire semblable expérience et
que, à l'exemple de l'apôtre Pierre,
il s'écrie avec une conviction
joyeuse : « Seigneur, à qui
irions-nous ? Tu as les paroles de la vie
éternelle. Nous avons cru et nous avons
connu que tu es le Christ, le Saint de
Dieu » (2).
(Jean
6 : 68 et 69.)
La prière aussi a tenu une grande
place dans sa vie, il en a compris toute la valeur,
toute l'importance, elle a été le
pivot de sa vie spirituelle.
Voici, extraites de ses oeuvres,
quelques pensées sur la prière :
La
prière, c'est la paire d'ailes puissantes
que possède toute âme humaine, et dont
elle peut se servir pour retourner à Celui
qui l'a formée et redevenir ainsi fille de
Dieu. Par elle, cette âme recouvre sa
véritable atmosphère, celle-là
seule qui peut la faire vivre, la source de son
être, Dieu lui-même. Par elle l'homme,
créature d'un jour perdue dans l'infini de
l'espace et, ce qui est bien pire, déchu
profondément par sa révolte
insensée, peut exercer une influence sur le
Tout-Puissant, faire agir son bras, palpiter son
coeur, incliner sa volonté. Par elle,
l'homme qui n'est rien peut être ainsi
reçu dans les conseils même du Roi des
rois et s'associer à son oeuvre de
rédemption et d'amour. Comment en serait-il
autrement, si Dieu, à l'image duquel nous
sommes, est notre Père ? Un père
ne se laisse-t-il pas fléchir par les
supplications de son enfant ? (3).
La
prière d'humiliation et la prière de
reconnaissance fusionneront, en quelque sorte, dans
la prière d'adoration. L'adoration se fait
rare aujourd'hui ; elle devient difficile,
presque impossible, dans la vie moderne, trop
absorbée par le travail et le plaisir.
L'adoration ne peut guère se produire au
sein de la fièvre moderne, il lui faut de
l'intimité, du silence, du recueillement, la
paix des sommets, la solitude des déserts,
et nous ne savons pas assez ce qu'est cette paix et
ce que signifie cette solitude. Voilà
pourquoi il est si nécessaire que la
présence de Dieu nous assure, en quelque
sorte un sanctuaire, où
nos âmes se retireront, pour déployer
ensuite une activité d'autant plus
grande.
Et
qu'on le
sache bien, l'adoration est possible dans une
cathédrale ou dans une chapelle, mais elle
l'est tout autant dans une chambre de malade, dans
une humble salle de réunion. (4)
Quand
nous
sommes près, tout près de Dieu, quand
nous avons été admis dans son conseil
secret, nous ne tardons pas à
découvrir la grande préoccupation de
son coeur, nous entendons les soupirs de ce coeur
après l'enfant prodigue qui n'est pas
rentré ; il nous communique sa
tristesse ; disons le mot, sa détresse
de père à la pensée des
frères cadets qui ne sont pas revenus, et
qui souffrent loin de lui, hors de sa communion, et
alors il nous inspire la prière
d'intercession, qui est peut-être la plus
belle de toutes. Nous n'en sommes plus à
juger ou à condamner nos frères en
les accusant devant le Père, c'est
l'occupation du diable et de tous ceux qu'il
inspire, nous n'avons plus qu'une pensée,
maintenant que l'amour divin passe en nous :
les sauver, et, pour bien agir en leur faveur,
commencer par intercéder en leur faveur.
Nous devenons alors les émules de ces
géants du monde moral qui s'appellent
Abraham, Moïse, saint Paul,
Jésus-Christ Surtout. (5)
Ce
qui est
vrai d'une façon générale
l'est très particulièrement au point
de vue spirituel, l'effort est
ici plus nécessaire et plus naturel
encore ; la foi, ne naît pas toute
seule, et pour être solide, il faut la
conquérir à la pointe de
l'épée. Si Dieu nous exauçait
trop facilement, notre foi serait superficielle,
nous deviendrions des enfants gâtés et
par ces exaucements mêmes, Dieu nous ferait
plus de mal que de bien. (6)
Mais
il y a
plus, il faut avoir hardiment le courage de dire
que, dans certains cas, Dieu voudrait nous exaucer,
mais il ne le peut pas, parce que les hommes ou les
circonstances, le péché ou Satan
lui-même s'y opposent d'une façon plus
ou moins directe. (7)
Voilà
pourquoi aussi Dieu ne
nous donne pas toujours ce que nous lui avons
demandé, mais il nous donne mieux : par
exemple, il nous refuse la guérison du
corps, mais pour nous assurer le salut de notre
âme. Il nous laisse dans une situation
matérielle difficile, mais c'est afin de
nous maintenir dans une dépendance de lui
plus directe, plus constante, et il nous fait
découvrir, comme à saint Paul,
lorsqu'il lui refusait la guérison de son
écharde, des trésors dans sa
grâce dont nous ne nous doutions même
pas auparavant. (8)
D'une
façon plus générale encore, si
nous voulons prier comme il faut, en surmontant
toutes les difficultés d'ordre intellectuel
ou pratique, que nous pouvons
rencontrer, il nous faut à tout prix
demander en premier lieu et recevoir ensuite
l'esprit de consécration, par lequel nous
nous mettrons en communication directe, en contact
personnel avec Dieu, et nous lui permettrons par
là de nous accorder ce qu'il ne demande pas
mieux que de nous donner, des choses
véritablement bonnes pour nous. Le secret
des exaucements de prières, c'est le secret
des vies saintes : un esprit de
consécration toujours plus complète,
toujours plus joyeuse au service du Maître.
C'est par cet esprit que nous permettrons à
Dieu d'exaucer nos prières. (9)
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