Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



DOROTHÉE TRUDEL



III

 Cependant un nouvel orage se formait. Un médecin de Maennedorf ayant demandé à l'inspecteur sanitaire du district si un établissement comme celui de Mlle Trudel pouvait être toléré dans le canton de Zurich, une ordonnance du préfet condamna Mlle Trudel à 150 francs d'amende et lui prescrivit de renvoyer tous ses malades. Ne pouvant se soumettre à une telle décision, elle eut recours au tribunal de district, qui confirma la sentence. Elle en appela alors au tribunal suprême de Zurich.

Les circonstances ne paraissaient pas favorables, et on n'espérait guère un acquittement. Dorothée se retira dans son cabinet et dit au Seigneur : « Vois, ô mon Dieu ! le conseil de santé et le préfet m'ordonnent de renvoyer mes malades, mais je sais qu'il ne faut obéir qu'à toi ; montre-moi dans ta Parole ce que tu me commandes de faire. » Puis elle tira ce passage :
"Un édit est fait de ma part que, dans toute l'étendue de mon royaume, on ait crainte et frayeur pour le Dieu de Daniel, car c'est le Dieu vivant, et qui demeure à toujours, et son royaume ne sera point dissipé et sa domination sera jusqu'à la fin.
Il sauve et délivre, et il fait des prodiges et des merveilles dans les cieux et sur la terre, tellement qu'il a délivré Daniel de la puissance des lions. " (Dan. VI, 26, 27.)
Elle attendit avec courage le jour du jugement.
« Si Dieu est pour nous, disait-elle, qui sera contre nous ? » M. Spoendlin, avocat à Zurich, s'était offert avec empressement pour plaider sa cause.

Elle écrivait à ses amis : « Demandons à Dieu la foi d'Abraham et une résignation entière. Quand même le glaive est levé et qu'il n'y a plus de force pour lui échapper, il est possible que la voix du Seigneur le détourne encore. Les jours douloureux sont les plus bénis, quand on accepte l'amertume dans une obéissance enfantine. Il ne faut pas dire : « Donne-moi ce bien, laisse-le-moi, mais plutôt, : Ne me le laisse pas, quoi qu'il en coûte, s'il est contraire au salut et à la vie de mon âme. Mon Dieu, je puis parfaitement me soumettre à quitter ceux avec lesquels j'avais l'habitude d'intercéder auprès de toi pour les âmes : ils savent le chemin, ils ont le grand privilège de te connaître. Ce qui m'importe, ma prière, c'est que tu ouvres les yeux aux juges ; quant aux malades, le chagrin de les voir tous partir, tu le sais, je l'ai surmonté. »

Dieu prit soin de montrer que cette oeuvre, était la sienne. L'argent nécessaire manquait souvent, mais il venait toujours au moment du besoin. Un adversaire même avait offert d'en prêter. Il arriva une fois de Hollande 3000 francs, sur lesquels on ne comptait plus. Un jour, on allait emprunter, quand un ami envoya 250 francs pour les frais de justice.
Cela était nécessaire, car le procès dura sept mois. Les journaux en parlèrent et, en faisant connaître Maennedorf, y attirèrent de nouveaux visiteurs. Sachant que Dorothée n'avait pas le courage de renvoyer, on arrivait sans s'annoncer.

Enfin le tribunal rendit son verdict :
« Considérant l'extrême difficulté qu'éprouvent à présent les pauvres et les gens peu fortunés pour placer les aliénés à leur charge dans des hospices ou chez des médecins patentés, et qu'à ce point de vue l'établissement de la demoiselle Trudel a certainement son côté avantageux, les malades pauvres y étant reçus soit à des prix excessivement bas, soit même gratuitement, et y trouvant nourriture, soins et accueil bienveillants ; considérant, d'autre part, qu'il est extrêmement douteux que le législateur ait entendu frapper d'une pénalité des faits comme ceux dont il s'agit ; le tribunal à l'unanimité prononce : la demoiselle Trudel n'est pas coupable d'une contravention de police, et, en conséquence, décide à l'unanimité :

1° Que la demoiselle Trudel est acquittée
2° Que les émoluments de première et seconde instances seront restitués par l'État. »

Dorothée écrivait à ce propos à ses amis :
« Mes enfants bien-aimés,
La voilà donc passée cette journée, objet de tant de supplications. Oui, nous avons tous de quoi nous écrier : "Mon âme, loue l'Éternel !" car il a exaucé les requêtes des enfants et de la mère ; il a incliné les coeurs à la vérité comme des ruisseaux d'eau, et quoi qu'il y eût un médecin au nombre des juges, à l'unanimité, ils ont reconnu mon innocence.
Pendant la nuit, que nous passâmes tout entière en prières, j'eus aussi la joie extrême d'entendre dire, aux enfants (1) qu'ils faisaient au Seigneur l'entier sacrifice de leur mère, de ce foyer domestique et de leurs frères et soeurs, ne demandant qu'une chose, c'est que les ennemis de notre oeuvre parvinssent au même bonheur que nous. Alors, j'ai senti au fond du coeur que, sans un entier renoncement à soi, il n'y a pas de victoire. À deux heures nous tirâmes des passages. Nous étions tous ensemble pleins de joie. Sur le matin, j'avais quelque peine à contenir cette allégresse intérieure. Je me retirai seule, à quatre heures, et je lus les chapitres des passages ; auparavant, j'avais encore lutté, priant pour les ennemis, pour que cette affaire fût en bénédiction à tous mes enfants, et que, quoi qu'il arrivât, ceux qui n'étaient pas encore assez avancés n'en reçussent pas de scandale. En me relevant, j'étais sûre que cette cause servirait à glorifier Dieu, quoique nous ne pussions voir encore de quelle manière.

Et maintenant, ne m'a-t-il pas miséricordieusement exaucée ? Ainsi donc, mes bien-aimés, me voici déclarée non coupable à l'unanimité ; on prononce que la loi médicale dans notre maison n'est pas enfreinte par le fait qu'on y prend soin des âmes. C'est magnifique, mes chers enfants ; mais pour moi et pour vous tous, c'est une nouvelle tâche, un nouveau stimulant. Il ne faut pas que les âmes puissent nous accuser si elles n'obtiennent pas d'affranchissement par la force de Christ. Nous avons prié le Seigneur de fléchir le coeur des juges ; il nous faut prier maintenant d'être en bénédiction à nos juges, à nos adversaires, à tout le monde, et que nos maisons deviennent un asile de paix pour beaucoup.

L'amour de Christ m'a plus humiliée que si nous avions tout perdu. Je me sens complètement indigne d'un tel amour. Le Seigneur bénisse toutes les âmes !
Recevez les salutations cordiales d'une mère qui vous aime tous tendrement.

DOROTHÉE TRUDEL. »

Plus tard elle écrivait encore :
« Il est bon de jeter un coup d'oeil en arrière sur cette période, afin que nous en retirions tous quelque instruction sur la manière de se comporter en pareille circonstance. Certainement nous devons des actions de grâce au Sauveur pour toutes les trames qu'on ourdit contre nous... Je ne saurais vous dire combien le Seigneur nous bénit et nous fortifia, mes enfants et moi, pendant la dernière nuit ; j'aurais voulu crier tout haut « Amour des ennemis, quel bonheur n'es-tu pas » Ne croyez pas que j'aie même pensé aux risées qu'on ferait si nous perdions. Je pouvais hardiment dire à mon Sauveur : « Je t'abandonne entièrement mes enfants et le soin de leur avenir. »

Dorothée continua donc son oeuvre de charité, et de partout lui venaient des visiteurs, et l'on pouvait lui appliquer cette parole biblique : "La vierge solitaire, a plus d'enfants que celle qui a un mari. " Aussi ne s'épargnait-elle pas, et, dans son zèle, elle accomplissait, sans s'en apercevoir, la parole de saint Paul : "Je traite durement mon corps et je le tiens en servitude. " Dure pour elle-même, elle était pleine de ménagements pour ses compagnons de travail. Mais tant de fatigues avaient épuisé sa constitution, et l'âme ardente allait enfin goûter le repos.

Durant la dernière année de sa vie, 1862, les nombreuses visites la forçaient à veiller très tard auprès de ses malades. À cela se joignit la construction d'un nouveau bâtiment. La grandeur de sa tâche l'avait déjà épuisée au point qu'au milieu de ses discours elle était obligée de faire silence pour demander à Dieu la force de continuer.

La saison devenait étouffante, c'était au mois d'août ; on se sentait sous un poids indéfinissable. Enfin l'orage éclata. Une fièvre nerveuse fort maligne sévit dans le village et atteignit aussi la maison de Dorothée. Celle-ci se multipliait, allant d'un malade à l'autre. Ses forces cependant diminuaient à vue d'oeil, mais son amour allait grandissant. Sa constante exhortation était : « Soyez fidèles, attachez-vous à Dieu seul ! Ne vous attachez à aucune créature, ne vous attachez point à moi. Pensez à Jésus et non à ses chétifs instruments, qu'il peut vous retirer d'un instant à l'autre. »

Le samedi 16 août 1862, elle parla encore avec beaucoup de sérieux et de vie à la réunion. Après ces dernières exhortations, elle alla visiter tous les malades, mais dut renoncer aux aliénés. Elle en exprima son regret : les forces lui avaient manqué. Après un court repos, elle voulut encore écrire, mais cela fut impossible. Elle se coucha. La terrible maladie était déclarée. Une fièvre ardente la dévorait.

Jusqu'au 30 août, elle fut comme privée de ses sens, mais elle disait quelques mots de temps en temps.
Jour et nuit, on recourait à la prière dans la maison ; les services en commun avaient à peu près cessé, mais on priait d'autant plus. Le jeudi 11 septembre, sentant sa fin approcher, elle posa les mains, sans parler, sur ses amis les plus proches, qui venaient prendre congé d'elle. Elle voulut voir aussi les grandes filles de son école du dimanche, et leur adressa des paroles d'adieu qu'elles ne purent oublier. Le vendredi, elle se sentit comme abandonnée de Dieu et des hommes.

Le dimanche suivant, de bonne heure, elle se mit à prier, au grand étonnement des assistants, car la nuit précédente elle n'avait pas dit un mot, se bornant à quelques signes de tête. Elle pria pour ses malades et particulièrement pour une âme égarée, sur laquelle elle ne donnait du reste aucun détail.

La grande lutte avait cessé ; elle s'avançait victorieuse par le sang de Christ ; les chants d'actions de grâce et de triomphe s'échappaient comme les eaux d'un fleuve qui a rompu ses digues. « Laissez-moi donc adorer et bénir, disait-elle ; puisque personne ne rend grâce, c'est à moi de le faire. » Dès qu'elle entendait prier à haute voix, elle écoutait en silence, puis elle reprenait à son tour en s'écriant : « Christ a vaincu ; gloire ! gloire ! gloire ! Rendez grâce de ce que le Seigneur est victorieux. O Sauveur ! fais de mes enfants des vainqueurs, détache-les de tout ce qui n'est pas toi, détache-les tout à fait. »

Ce qui caractérisa la dernière semaine, c'est le silence. Quelques mots seulement tombèrent dans un coeur : « Transportez les montagnes, » dit-elle à l'un de ses enfants. « Deviens un imitateur, » dit-elle aussi pour elle qu'une importance secondaire. Elle était persuadée que les maux du corps sont une dispensation de l'amour divin envers celui qui en souffre, dispensation dont le but est de l'amener à se mieux connaître lui-même et à chercher la guérison de son âme dans la prière et la repentance. Elle pensait donc que, la cause cessant, l'effet cessait aussi, et que la sanctification de l'âme rendait la santé au corps. Elle ne promettait cependant la guérison à personne et se bornait à dire : « Si vous croyez, Dieu, avec le degré de santé qui vous sera bon, vous donnera les moyens de le glorifier. »

Si sa médecine biblique avait un caractère exclusif, aisément explicable par les circonstances de sa vie, sa manière de comprendre le christianisme lui-même était d'une singulière grandeur. Elle insistait particulièrement sur la sainteté, dont les marques distinctives étaient l'abandon de toute justice propre un complet anéantissement de l'âme devant Dieu, dans le sentiment de sa profonde misère et de l'absolue gratuité du salut ; puis le mépris de sa propre vie pour le service de Dieu, mais surtout l'amour des pécheurs et le dévouement à leur salut, à l'imitation de Celui qui nous a aimés.

Sa simplicité était remarquable. « Ce que je fais, disait-elle, vous pouvez tous le faire, chacun à la place où Dieu l'a mis, Si le Seigneur a daigné me recevoir, moi, chétive créature, pleine d'orgueil et de ruse, s'il a détruit ma méchante volonté pour mettre la sienne à sa place, comment ne le ferait-il pas pour vous ? »

On ne saurait exprimer l'impression qu'elle produisait en priant. Unissant la raison, le sang-froid, le sérieux réel au plus entier abandon, à la plus brûlante énergie, elle rendait sensible la réalité des choses divines. Impossible de parler comme elle le faisait, sinon à quelqu'un qui vous entend, qui vous répond, et dont vous entendez les réponses.

Le nom de Dorothée signifie don de Dieu. Elle a fait honneur à ce nom en se donnant elle-même. Elle a prouvé aux indifférents, aux incrédules que le christianisme n'est pas une simple forme, mais une réalité.

Dans son humble foi, Dorothée ne se croyait point un être exceptionnel ; persuadée que chacun pourrait faire ce qu'elle avait fait, elle légua ses maisons à M. Samuel Zeller, qu'elle appelait son fils en Christ. Celui-ci, aussi bien que ses autres amis, ne pouvait se dissimuler qu'elle ne serait point remplacée. Mais Dieu lui a fait selon qu'elle a cru. Elle a laissé son manteau à Élisée ; la puissance de l'Esprit-Saint ne s'est pas retirée des maisons de Maennedorf : elles sont encore un asile où beaucoup d'infortunés retrouvent, avec la paix de l'âme, le soulagement de leur corps.

L'oeuvre de Dorothée Trudel à Maennedorf a été continuée pendant cinquante-deux ans par M. Samuel Zeller et se poursuit maintenant par son neveu, M. Alfred Zeller. Elle est toujours en bénédiction.

La vie de Samuel Zeller, par F. Burnand, forme le N° 613 de notre collection.

Publié par la Société des Traites religieuse de Lausanne.
Septième édition, 1921.
AGENCE : Rue de l'Ale 18
Lausanne. - Imprimeries Réunies. S. A.


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1 Dorothée avait l'habitude de nommer ses enfants ceux qui, après avoir été guéris on convertis, étaient devenus ses compagnons d'oeuvre.

 

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