Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

APPENDICE I

LA CÉRÉMONIE FUNÈBRE

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La mort de George Müller frappait l'Eglise tout entière : la multitude de ceux que sa foi avait fortifiés, encouragés, le grand nombre de ceux que son amour chrétien avait recueillis, entourés, élevés, ou simplement secourus, pleurèrent son départ comme ou pleure celui d'un parent aimé et vénéré.

Ce fut le 14 mars 1898 que la dépouille mortelle fut conduite au champ du repos. Ce jour-là, hommes et femmes de toutes les situations sociales et de toutes les croyances laissèrent le travail accoutumé ou les distractions habituelles, et se rendirent par dizaines de milliers sur le long parcours qui va des hauteurs d'Ashley Down à Bristol jusqu'à « Béthesda Chapel », et de là à « Arno N'ale Cemetery ». Le drapeau de la cathédrale et ceux des autres églises étaient en berne, les cloches sonnaient le glas, et dans toutes les principales artères de la ville, les magasins restèrent fermés et les stores baissés : Bristol était en deuil ! De bonne heure, un service fut célébré dans la Maison même où s'était produit le décès. Le cercueil avait été placé dans la grande salle à manger devant le pupitre: un cercueil tout simple en bois d'ormeau et sans fleurs, pour se conformer aux désirs du défunt. Sur le couvercle était fixée une plaque de cuivre avec cette inscription gravée :

George Müller
s'est endormi le 10 mars 1898,
dans sa 93e année. »

M. Wright prononça quelques paroles d'exhortation rappelant que tous doivent passer par la mort jusqu'au moment où Christ reviendra, mais que « ceux qui meurent dans le Seigneur sont heureux dès maintenant ». Un grand nombre d'orphelins sanglotaient ; ils perdaient en M. Müller un père, et beaucoup de ces enfants n'en avaient jamais connu d'autre. Le service terminé, le cortège se forma. Le cercueil fut porté à bras à travers la propriété jusqu'aux grandes portes d'entrée où stationnaient le char funèbre et quelque cinquante voitures pour les parents, les amis et les collaborateurs. Il y avait une lieue entre Ashley Down et Béthesda et un long parcours entre la chapelle et le cimetière. Orphelines et orphelins suivaient le cercueil et parmi ceux-ci se trouvaient quelques hommes d'âge qui avaient été recueillis tout petits par le fondateur de l'Orphelinat (1). Ensuite venaient les parents, les amis, les anciens et les diacres des églises plus particulièrement en rapport avec le défunt, les médecins des Orphelinats et tout l'état-major des collaborateurs... Une cinquantaine d'autres voitures suivaient ensuite avec les délégations des divers corps ecclésiastiques, etc.


LES FUNÉRAILLES (Vue prise au pont St-Augustin)

Arrivés à Park Street, les enfants quittèrent le cortège et retournèrent à l'Orphelinat. Parents et amis entrèrent à Béthesda Chapel où des places leur avaient été heureusement réservées. Si l'église avait eu plusieurs fois les dimensions qu'elle avait, elle eût encore été trop petite ; chaque pied carré était occupé. Presque toute la congrégation avait pris le deuil. Le cercueil fut placé devant la chaire : M. Bergin indiqua le dernier cantique qu'avait fait chanter M. Müller la veille de sa mort, puis la prière fuit faite par M. Me Lean, et M. Wright prononça le sermon en prenant son texte dans l'épître aux Hébreux, chapitre XIII : versets sept et huit. En voici un extrait, où est souligné l'amour de G. Müller pour la Bible :

« Il se nourrissait du Pain de vie, c'est pour cela qu'il fut fort. Il chérissait la Parole de Dieu qui était son souverain bien ; et était uni de façon vivante au Christ, lequel occupe le centre des Écritures. C'est ici le secret de la puissance de son témoignage pour Dieu. L'unique base de sa confiance devant Dieu, c'était le sang répandu du Seigneur Jésus. C'est sur ce fondement qu'il édifia son oeuvre. Il allait au Père en comptant sur les mérites infinis du « Souverain Sacrificateur », bien convaincu qu'il ne pourrait jamais épuiser les trésors d'amour qui sont dans le coeur du Père pour quiconque s'appuie uniquement sur les mérites du Sauveur... « Ne laissez jamais pénétrer en vous l'ombre d'un doute sur l'amour du Père ou la puissance de son bras, disait-il souvent. Ne désespérez jamais ! Plus de foi, plus de prière, plus de patience, obtiendront la bénédiction... » Pour lui la chose essentielle c'était de faire quelque chose qui plût au Seigneur, qui reçût son approbation an jour qu'il faudrait rendre compte. Enfin je rappellerai que la philanthropie n'a pas été le mobile de sa vie, et ici je citerai ses propres paroles publiées dans le dernier Rapport : « .... Mon grand désir en commençant à m'occuper de pauvres enfants destitués de tout secours, ce fut de montrer qu'au XIXe siècle, comme dans les siècles écoulés, Dieu est toujours le Dieu vivant... qu'il entend les prières de ses enfants et répond à ceux qui mettent en lui leur confiance... Or Dieu m'a exaucé bien au delà de tout ce que je pensais... Partout où je suis allé durant les vingt et une années de mes travaux missionnaires, j'ai appris directement ou indirectement que Dieu s'était servi de l'Oeuvre de l'Orphelinat pour démontrer à bien des incrédules la réalité des choses divines et les convertir, mais surtout pour fortifier la foi des chrétiens et développer leur vie de prière... »

L'une des caractéristiques de son ministère, ajouta M. Wright, ce fut la simplicité. Dieu pouvait honorer son serviteur ; jamais il ne visa à l'effet, jamais il ne s'attribua l'oeuvre que Dieu accomplissait par son moyen. Un jour, M. Spurgeon, après avoir entendu un de ses sermons, dit : « Je n'y ai rien entendu de spécial ; la diction et la forme du discours sont à peu de chose près ce que nous trouvons chez la moyenne des moniteurs de nos Écoles du dimanche, mais derrière les paroles il y avait l'homme. » Voilà le secret. Je n'ai jamais rencontré d'homme ayant si peu le sentiment de soi et s'oubliant si totalement... »

Après que M. Wright eût terminé, ce fut M. Benjamin Perry, un intime ami du défunt, qui prit la parole. Nous citerons quelques extraits de son discours, lesquels jettent un peu de lumière sur l'impression que Müller donnait à ceux qui l'entouraient. Lui-même disait toujours en parlant de lui-même qu'il était « vil et misérable » :

« Nous sommes réunis, mes chers amis, pour apporter un dernier tribut d'amour à celui qui n'a jamais recherché les honneurs d'ici-bas et qui a été cependant, à mon avis, le plus grand homme de Bristol en cette génération. Sa vie a rayonné sur le monde entier... Quant à nous, paroissien et ami, nous ressentons un vide, une perte, que rien ne pourra combler ;... la terre s'est appauvrie, mais le ciel s'est enrichi, ... le ciel où il a été accueilli avec les paroles de bienvenue : « Cela va bien, bon et fidèle serviteur, entre dans la joie de ton Seigneur. »

« Cette église a le privilège de l'avoir eu comme pasteur pendant soixante ans, ministère essentiellement pratique. Il expliquait la Parole de Dieu plus qu'il ne la prêchait. Le trait principal de son ministère, ce fut de savoir dire en un langage très simple que tous pouvaient comprendre ce qui avait manifestement nourri son âme. La réputation d'une vie sainte et vécue selon Dieu attirait les multitudes qui venaient l'entendre... non pas l'éloquence.

« Pour ses quatre-vingt-dix ans, comme nous l'avions aussi fait pour ses quatre-vingts ans, nous avions voulu avoir un service en cette chapelle de Béthesda et nous lui avions offert un présent, en témoignage d'affection et de reconnaissance. En cette occasion, il fit allusion à son état de santé précaire d'autrefois. Mais le service du Roi des Rois l'avait vivifié, de sorte qu'à quatre-vingt-dix ans il était « fort et en excellente santé physique et intellectuelle ». C'est là un fait remarquable. Il y a dimanche huit jours, son dernier dimanche ici-bas, nous nous vîmes dans l'après-midi, et il me parla de la visite qu'il avait faite peu auparavant à deux bien chers frères et amis de huit et dix ans plus jeunes que lui, tous deux malades depuis plusieurs années, « Quand je les quittai, me dit-il avec son brillant sourire, je me sentis tout jeune par comparaison. » Mais aussitôt, il en fit remonter la gloire à Dieu, ajoutant : « Oh ! que le Seigneur est bon envers moi ! Me voici dans ma quatre-vingt-treizième année sans rhumatisme ni douleur d'aucune sorte, et je puis expédier les affaires courantes aux Orphelinats comme il y a soixante-dix ans ! »

« Il eut à traverser de très douloureuses épreuves... J'ai eu le privilège de son amitié et de son affection pendant de longues années, et si je devais peindre en quelques mots mon bien-aimé frère, je dirais ceci : Sauvé d'une vie de péché par l'Amour incommensurable du Père, il aima Dieu en retour d'un amour immense, absolu, par-dessus toutes les choses d'ici-bas et toutes les créatures, trouvant sa joie la plus haute à lui plaire et à le servir, ce qu'il considérait aussi comme un très grand privilège...

Et comment ne rien dire de son humilité. Il n'était jamais rien ; et Christ : tout. Il y a peu de temps un ami lui disait : « Quand Dieu vous appellera, cher M. Müller, vous serez comme un navire qui entre au port toutes voiles déployées ». Ce à quoi il répondit : oh non ! je ne serai jamais que le pauvre George Müller qui a besoin de répéter chaque jour la prière : « Garde mes pieds de glisser (2) »... Quelques-uns en pensant à lui disent peut-être : Un géant est tombé ! Non chers amis, il n'est pas tombé ; mais Dieu l'a appelé à prendre possession de l'héritage qui lui était réservé.

« Pour la première fois, mercredi dernier, il dit avoir senti la faiblesse et la fatigue.... et la même nuit, l'escorte céleste venait le chercher pour le conduire triomphalement devant le Seigneur.... qu'il servait depuis plus de soixante-dix ans... »

Après le service à la Chapelle de nombreux équipages, quatre-vingts à peu près, se joignirent au cortège, entre autres, la voiture de gala du maire de Bristol... Il fallut une heure pour arriver au cimetière où s'étaient rassemblées plusieurs milliers de personnes. Le service commença par le cantique : « I rest in Christ », que chantèrent quelque sept mille voix ; les flots d'harmonie se répercutaient sur les pentes de la colline. Ce fut un instant solennel et sublime. Après la prière, M. Fred-G. Bergin (3) prononça quelques paroles en prenant pour texte 1 Cor. XV : 10, et dont voici un court extrait : « M. Müller vivait de façon constante en communion avec Dieu par la prière... Celle-ci était selon l'expression du poète : sa respiration. Sur ce point-là, nous croyons qu'il n'y a pas de vie d'homme qui soit jamais parvenue au niveau que la sienne a atteint... »

M. Bergin termina par un appel aux inconvertis, puis indiqua comme dernier cantique celui-là même que George Müller avait indiqué à la fin de la réunion de prière du mercredi précédent :

« Pour toi nos chants, ô pasteur de nos âmes
Toi qui pour nous consentis à mourir... »

La prière termina la cérémonie, puis le cercueil fut descendu dans la tombe. Presque tous les assistants défilèrent alors, recueillis, devant la fosse ouverte, en dernier hommage à celui que Dieu venait d'appeler à lui.

De nombreux orphelins demandèrent à offrir la pierre funéraire comme ils l'avaient fait pour la première Mme Müller, les dons affluèrent aussitôt ; mais M. Wright fit savoir que le défunt avait souvent exprimé le désir qu'on ne fît pas de dépense inutile et qu'on se contentât d'une simple pierre. Dans le grand public, on parlait de faire élever une statue ; la presse s'en occupait et on consulta M. Wright. Celui-ci dans une lettre motivée répondit qu'il ne pouvait entrer dans ce projet qui n'aurait certainement pas en l'approbation de M. Müller.

Une pierre fut donc dressée sur la tombe avec les indications habituelles de noms et de dates, puis suivent ces lignes :


IL CRUT EN DIEU
À QUI RIEN N'EST IMPOSSIBLE
ET EN SON FILS BIEN-AIMÉ, NOTRE SEIGNEUR
QUI A DIT : « JE VAIS À MON PÈRE
ET TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ EN MON NOM
JE LE FERAI, AFIN QUE LE PÈRE
SOIT GLORIFIÉ DANS LE FILS
ET EN SA PAROLE INSPIRÉE QUI DÉCLARE
« QUE TOUTES CHOSES SONT POSSIBLES À CELUI QUI CROIT »
ET DIEU ACCOMPLIT SES PROMESSES
DANS LA VIE DE SON SERVITEUR, EN LUI DONNANT
LES MOYENS D'ÉLEVER ENVIRON DIX MILLE ORPHELINS.
CETTE PIERRE A ÉTÉ ÉRIGÉE
AVEC LE PRODUIT DES DONS SPONTANÉS
D'UN GRAND NOMBRE DE CES ORPHELINS.


(1) On peut en voir quelques-uns sur la gravure ci-dessous ils ferment le cortège des orphelins. 

(2) Ou : « Soutiens-moi afin que mes pieds ne glissent point. » (Ps. XVII : 5). Des vies passées au service de Dieu puis se détournant du droit chemin dans la vieillesse, comme celles des rois Salomon et Asa, étaient pour lui un solennel avertissement qui l'incitait à demander à Dieu de le garder de toute chute en sa vieillesse. 

(3) L'auteur de l'Autobiographie du Centenaire où nous avons largement puisé pour écrire ces pages ; le père de M. Wm. M. Bergin, qui a bien voulu écrire quelques lignes de préface pour cette édition française de la vie de G. Müller. 
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