La mort de George Müller frappait l'Eglise
tout entière : la multitude de ceux que
sa foi avait fortifiés, encouragés,
le grand nombre de ceux que son amour
chrétien avait recueillis, entourés,
élevés, ou simplement secourus,
pleurèrent son départ comme ou pleure
celui d'un parent aimé et
vénéré.
Ce fut le 14 mars 1898
que la
dépouille mortelle fut conduite au champ du
repos. Ce jour-là, hommes et femmes de
toutes les situations sociales et de toutes les
croyances laissèrent le travail
accoutumé ou les distractions habituelles,
et se rendirent par dizaines de milliers sur le
long parcours qui va des hauteurs d'Ashley Down
à Bristol jusqu'à
« Béthesda Chapel », et
de là à « Arno N'ale
Cemetery ». Le drapeau de la
cathédrale et ceux des autres églises
étaient en berne, les cloches sonnaient le
glas, et dans toutes les principales artères
de la ville, les magasins restèrent
fermés et les stores baissés :
Bristol était en deuil ! De bonne
heure, un service fut célébré
dans la Maison même où s'était
produit le décès. Le cercueil avait
été placé dans la grande salle
à manger devant le pupitre: un cercueil tout
simple en bois d'ormeau et sans fleurs, pour se
conformer aux désirs du défunt. Sur le couvercle
était
fixée une plaque de cuivre avec cette
inscription gravée :
M. Wright prononça quelques paroles d'exhortation rappelant que tous doivent passer par la mort jusqu'au moment où Christ reviendra, mais que « ceux qui meurent dans le Seigneur sont heureux dès maintenant ». Un grand nombre d'orphelins sanglotaient ; ils perdaient en M. Müller un père, et beaucoup de ces enfants n'en avaient jamais connu d'autre. Le service terminé, le cortège se forma. Le cercueil fut porté à bras à travers la propriété jusqu'aux grandes portes d'entrée où stationnaient le char funèbre et quelque cinquante voitures pour les parents, les amis et les collaborateurs. Il y avait une lieue entre Ashley Down et Béthesda et un long parcours entre la chapelle et le cimetière. Orphelines et orphelins suivaient le cercueil et parmi ceux-ci se trouvaient quelques hommes d'âge qui avaient été recueillis tout petits par le fondateur de l'Orphelinat (1). Ensuite venaient les parents, les amis, les anciens et les diacres des églises plus particulièrement en rapport avec le défunt, les médecins des Orphelinats et tout l'état-major des collaborateurs... Une cinquantaine d'autres voitures suivaient ensuite avec les délégations des divers corps ecclésiastiques, etc.
Arrivés à Park Street, les enfants
quittèrent le cortège et
retournèrent à l'Orphelinat. Parents
et amis entrèrent
à Béthesda Chapel où des
places leur avaient été heureusement
réservées. Si l'église avait
eu plusieurs fois les dimensions qu'elle avait,
elle eût encore été trop
petite ; chaque pied carré était
occupé. Presque toute la congrégation
avait pris le deuil. Le cercueil fut placé
devant la chaire : M. Bergin indiqua le
dernier cantique qu'avait fait chanter M.
Müller la veille de sa mort, puis la
prière fuit faite par M. Me Lean, et M.
Wright prononça le sermon en prenant son
texte dans l'épître
aux
Hébreux, chapitre XIII : versets sept
et huit. En voici un extrait, où est
souligné l'amour de G. Müller pour la
Bible :
« Il se
nourrissait du
Pain de vie, c'est pour cela qu'il fut fort. Il
chérissait la Parole de Dieu qui
était son souverain bien ; et
était uni de façon vivante au Christ,
lequel occupe le centre des Écritures. C'est
ici le secret de la puissance de son
témoignage pour Dieu. L'unique base de sa
confiance devant Dieu, c'était le sang
répandu du Seigneur Jésus. C'est sur
ce fondement qu'il édifia son oeuvre. Il
allait au Père en comptant sur les
mérites infinis du « Souverain
Sacrificateur », bien convaincu qu'il ne
pourrait jamais épuiser les trésors
d'amour qui sont dans le coeur du Père pour
quiconque s'appuie uniquement sur les
mérites du Sauveur... « Ne laissez
jamais pénétrer en vous l'ombre d'un
doute sur l'amour du Père ou la puissance de
son bras, disait-il souvent. Ne
désespérez jamais ! Plus de foi,
plus de prière, plus de patience,
obtiendront la
bénédiction... » Pour lui
la chose essentielle c'était de faire
quelque chose qui plût au Seigneur, qui
reçût son approbation an jour qu'il
faudrait rendre compte. Enfin je rappellerai que la
philanthropie n'a pas été le mobile
de sa vie, et ici je citerai ses
propres paroles publiées dans le dernier
Rapport : « .... Mon grand
désir en commençant à
m'occuper de pauvres enfants destitués de
tout secours, ce fut de montrer qu'au XIXe
siècle, comme dans les siècles
écoulés, Dieu est toujours le Dieu
vivant... qu'il entend les prières de ses
enfants et répond à ceux qui mettent
en lui leur confiance... Or Dieu m'a
exaucé bien au delà de tout ce que je
pensais... Partout où je suis allé
durant les vingt et une années de mes
travaux missionnaires, j'ai appris directement ou
indirectement que Dieu s'était servi de
l'Oeuvre de l'Orphelinat pour démontrer
à bien des incrédules la
réalité des choses divines et les
convertir, mais surtout pour fortifier la foi des
chrétiens et développer leur vie de
prière... »
L'une des
caractéristiques de son ministère,
ajouta M. Wright, ce fut la simplicité. Dieu
pouvait honorer son serviteur ; jamais il ne
visa à l'effet, jamais il ne s'attribua
l'oeuvre que Dieu accomplissait par son moyen. Un
jour, M. Spurgeon, après avoir entendu un de
ses sermons, dit : « Je n'y ai rien
entendu de spécial ; la diction et la
forme du discours sont à peu de chose
près ce que nous trouvons chez la moyenne
des moniteurs de nos Écoles du dimanche,
mais derrière les paroles il y avait
l'homme. » Voilà le secret. Je
n'ai jamais rencontré d'homme ayant si peu
le sentiment de soi et s'oubliant si
totalement... »
Après que M. Wright
eût terminé, ce fut M. Benjamin Perry,
un intime ami du défunt, qui prit la parole.
Nous citerons quelques extraits de son discours,
lesquels jettent un peu de lumière sur
l'impression que Müller donnait à ceux
qui l'entouraient. Lui-même disait toujours
en parlant de lui-même qu'il était
« vil et
misérable » :
« Nous sommes
réunis, mes chers amis, pour apporter un
dernier tribut d'amour à celui qui n'a
jamais recherché les honneurs d'ici-bas et
qui a été cependant, à mon
avis, le plus grand homme de Bristol en cette
génération. Sa vie a rayonné
sur le monde entier... Quant à nous,
paroissien et ami, nous ressentons un vide, une
perte, que rien ne pourra combler ;... la
terre s'est appauvrie, mais le ciel s'est enrichi,
... le ciel où il a été
accueilli avec les paroles de bienvenue :
« Cela va bien, bon et fidèle
serviteur, entre dans la joie de ton
Seigneur. »
« Cette
église
a le privilège de l'avoir eu comme pasteur
pendant soixante ans, ministère
essentiellement pratique. Il expliquait la Parole
de Dieu plus qu'il ne la prêchait. Le trait
principal de son ministère, ce fut de savoir
dire en un langage très simple que tous
pouvaient comprendre ce qui avait manifestement
nourri son âme. La réputation d'une
vie sainte et vécue selon Dieu attirait les
multitudes qui venaient l'entendre... non pas
l'éloquence.
« Pour ses
quatre-vingt-dix ans, comme nous l'avions aussi
fait pour ses quatre-vingts ans, nous avions voulu
avoir un service en cette chapelle de
Béthesda et nous lui avions offert un
présent, en témoignage d'affection et
de reconnaissance. En cette occasion, il fit
allusion à son état de santé
précaire d'autrefois. Mais le service du Roi
des Rois l'avait vivifié, de sorte
qu'à quatre-vingt-dix ans il était
« fort et en excellente santé
physique et intellectuelle ». C'est
là un fait remarquable. Il y a dimanche huit
jours, son dernier dimanche ici-bas, nous nous
vîmes dans l'après-midi, et il me
parla de la visite qu'il avait faite peu auparavant
à deux bien chers frères et amis de
huit et dix ans plus jeunes que lui, tous deux malades
depuis plusieurs
années, « Quand je les quittai, me
dit-il avec son brillant sourire, je me sentis tout
jeune par comparaison. » Mais
aussitôt, il en fit remonter la gloire
à Dieu, ajoutant :
« Oh ! que le Seigneur est bon
envers moi ! Me voici dans ma
quatre-vingt-treizième année sans
rhumatisme ni douleur d'aucune sorte, et je puis
expédier les affaires courantes aux
Orphelinats comme il y a soixante-dix
ans ! »
« Il eut à
traverser de très douloureuses
épreuves... J'ai eu le privilège de
son amitié et de son affection pendant de
longues années, et si je devais peindre en
quelques mots mon bien-aimé frère, je
dirais ceci : Sauvé d'une vie de
péché par l'Amour incommensurable du
Père, il aima Dieu en retour d'un amour
immense, absolu, par-dessus toutes les choses
d'ici-bas et toutes les créatures, trouvant
sa joie la plus haute à lui plaire et
à le servir, ce qu'il considérait
aussi comme un très grand
privilège...
Et comment ne rien
dire de son
humilité. Il n'était jamais
rien ; et Christ : tout. Il y a peu de
temps un ami lui disait : « Quand
Dieu vous appellera, cher M. Müller, vous
serez comme un navire qui entre au port toutes
voiles déployées ». Ce
à quoi il répondit : oh
non ! je ne serai jamais que le pauvre George
Müller qui a besoin de répéter
chaque jour la prière :
« Garde mes pieds de glisser (2) »...
Quelques-uns en pensant à
lui disent peut-être : Un géant
est tombé ! Non chers amis, il n'est
pas tombé ; mais Dieu l'a appelé
à prendre possession de l'héritage
qui lui était réservé.
« Pour la
première fois, mercredi dernier, il dit
avoir senti la faiblesse et la fatigue.... et la
même nuit, l'escorte céleste venait le
chercher pour le conduire triomphalement devant le
Seigneur.... qu'il servait depuis plus de
soixante-dix ans... »
Après le service à
la Chapelle de nombreux équipages,
quatre-vingts à peu près, se
joignirent au cortège, entre autres, la
voiture de gala du maire de Bristol... Il fallut
une heure pour arriver au cimetière
où s'étaient rassemblées
plusieurs milliers de personnes. Le service
commença par le cantique :
« I rest in Christ », que
chantèrent quelque sept mille voix ;
les flots d'harmonie se répercutaient sur
les pentes de la colline. Ce fut un instant
solennel et sublime. Après la prière,
M. Fred-G. Bergin (3) prononça
quelques paroles
en prenant pour texte 1
Cor. XV : 10, et dont voici
un court extrait : « M. Müller
vivait de façon constante en communion avec
Dieu par la prière... Celle-ci était
selon l'expression du poète : sa
respiration. Sur ce point-là, nous croyons
qu'il n'y a pas de vie d'homme qui soit jamais
parvenue au niveau que la sienne a
atteint... »
M. Bergin termina par
un appel
aux inconvertis, puis indiqua comme dernier
cantique celui-là même que George
Müller avait indiqué à la fin de
la réunion de prière du mercredi
précédent :
« Pour
toi nos
chants, ô pasteur de nos
âmes
Toi qui pour
nous consentis
à mourir... »
La prière termina la
cérémonie, puis le cercueil fut
descendu dans la tombe. Presque tous les assistants défilèrent
alors,
recueillis, devant la fosse ouverte, en dernier
hommage à celui que Dieu venait d'appeler
à lui.
De nombreux orphelins
demandèrent à offrir la pierre
funéraire comme ils l'avaient fait pour la
première Mme Müller, les dons
affluèrent aussitôt ; mais M.
Wright fit savoir que le défunt avait
souvent exprimé le désir qu'on ne
fît pas de dépense inutile et qu'on se
contentât d'une simple pierre. Dans le grand
public, on parlait de faire élever une
statue ; la presse s'en occupait et on
consulta M. Wright. Celui-ci dans une lettre
motivée répondit qu'il ne pouvait
entrer dans ce projet qui n'aurait certainement pas
en l'approbation de M. Müller.
Une pierre fut donc
dressée sur la tombe avec les indications
habituelles de noms et de dates, puis suivent ces
lignes :
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