UN SOIR QUI EST UNE AURORE.
-
MINISTÈRE
DE PRÉDICATION. - VOYAGES
MISSIONNAIRES EN EUROPE, EN
AMÉRIQUE, EN AFRIQUE ET EN ASIE. - LE Dr
PIERSON. - LES AMIS DES ORPHELINATS VOUDRAIENT
GARDER G. MÜLLER A BRISTOL. - NOUVEAU
DÉPART POUR PROUVER QUE DIEU PEUT SE PASSER
DE SA PRÉSENCE POUR DONNER LE
NÉCESSAIRE AUX ORPHELINS. - ÉPREUVES
DIVERSES ET DÉSAGRÉMENTS DES VOYAGES
MISSIONNAIRES. - VISITE D'UN JOURNALISTE À
G. MÜLLER.
« AU SOIR
DE MA VIE ! », disait G.
Müller qui venait de jeter un regard, Sur la
gérance des années
écoulées, de récapituler les
sommes qu'il avait plu au Seigneur de lui donner et
l'usage qu'il en avait fait. Il était loin
de se douter alors que Dieu allait lui demander
encore plus de vingt ans de service actif en dehors
de Bristol ; un service missionnaire par plus
d'un côté, et celui qu'il avait
ambitionné autrefois. Cinq fois pendant les
huit années qui suivirent sa conversion, G.
Müller avait essayé de partir en
mission ; à cinq reprises, Dieu avait
permis que la route fût barrée.
Maintenant, l'instrument était prêt,
Dieu l'avait enrichi de toutes les
expériences faites à son service, et
il allait l'envoyer.
Voici comment G.
Müller fut
conduit à cette nouvelle sphère
d'activité : Mme Müller tomba
maladie ; si malade qu'on craignit pour sa
vie. Quand elle fut mieux et comme un changement
d'air s'imposait, tous deux partirent pour
l'île de Wight où G. Müller
prêcha pour un cher frère en Christ.
Celui-ci, bien qu'ayant une grande
expérience de la
prédication, fut très frappé
en entendant son ami ; et il lui dit que le
jour qu'il avait entendu son premier sermon
était le plus heureux de sa vie. Cette
remarque pénétra tout
particulièrement dans la pensée de M.
Müller, bien qu'il eût
déjà entendu des appréciations
de ce genre, et il entrevit la possibilité
d'un ministère de la prédication
s'étendant au delà des limites de
Bristol. Tout aussitôt, il se mit à
rechercher les directions du Seigneur à ce
sujet. Il pria longuement, comme il faisait pour
toutes choses, redoutant de prendre aucune
décision qui ne fût pas selon Dieu. Et
durant cette période d'attente, il lui
apparut que c'était bien le Seigneur qui
l'appelait à ce nouvel apostolat.
L'oeuvre d'Ashley Down
était alors universellement connue, et
vraiment, il avait un message pour l'Eglise
universelle : son long ministère, le
volumineux courrier qu'il recevait, les confessions
qu'il y trouvait parfois, les nombreux visiteurs
qu'attiraient les orphelinats et leur fondateur
[surtout celui-ci], tout cela et sa propre
expérience des années qui avaient
précédé et suivi sa conversion
lui faisaient comprendre :
1° les points faibles
de la
prédication en général,
2° l'insuffisance du
christianisme pratiqué par la plupart des
chrétiens, leur manque d'obéissance
sur bien des points de l'enseignement du Christ,
leur anémie spirituelle.
Et sous le regard de
Dieu, il
décida :
1° Qu'il prêcherait
l'Évangile dans sa simplicité, et
montrerait que le salut n'est pas basé sur
nos sentiments ou notre foi, mais sur l'oeuvre
accomplie par Christ.
2° Qu'il essaierait
d'amener les chrétiens à prendre
conscience de ce que le salut leur
confère. [Tant de croyants et même
tant de pasteurs ignorent la paix et la joie que
donne le Seigneur ; ils ne peuvent donc les
communiquer aux autres.]
3° Qu'il s'emploierait
à conduire ses auditeurs à la
Bible pour y découvrir les
trésors qu'elle renferme, pour les incliner
à apprécier tantes choses
d'après ce critère divin, pour leur
conseiller la méditation quotidienne des
Écritures et de traduire en
obéissance immédiate l'enseignement
donné.
4° Il plaiderait la
cause de l'amour fraternel parmi les croyants,
encourageant tous ceux qui aiment le même
Maître et se confient dans le même
Sauveur, à s'élever au-dessus des
barrières, lesquelles barrières,
empêchent la communion
fraternelle.
5° Il travaillerait
à fortifier et à développer
la foi des chrétiens, en les
encourageant à une confiance plus simple,
plus enfantine, plus vraie, plus
inébranlable en Dieu, lequel répond
invariablement à la prière faite avec
foi, lorsque celle-ci, s'appuie sur les promesses
formelles, précises, énoncées
dans sa Parole.
6° Il montrerait que le
chrétien doit se séparer du
monde, mourir au monde ; mais il mettrait
aussi en garde contre les exagérations du
fanatisme religieux.
7° Enfin il dirigerait
les
regards de ses auditeurs vers l'espérance
bénie du retour du Seigneur
Jésus. Il leur rappellerait en
même temps le véritable
caractère de la dispensation actuelle,
pendant laquelle Dieu rassemble du milieu des
nations l'Eglise militante qui est l'épouse
mystique de Christ. Ainsi, il rappellerait aux
chrétiens quelle est la position de l'Eglise
par rapport au monde.
Il nous est
malheureusement
impossible de nous étendre sur cette
période de l'activité de G.
Müller. Nous résumerons donc rapidement
ses voyages missionnaires, ce qu'il nomme ses
« PREACHING TOURS ».
C'est le 26 mars 1875
qu'il
quitte Bristol : accompagné de Mme
Miller, pour dire à l'Eglise et au monde les
bienheureuses expériences qu'il a faites de
la grâce et de la fidélité de
Dieu. En deux mois. il parle soixante-dix fois en
public, à Brighton, Sunderland, Londres (au
Tabernacle de Spurgeon et ailleurs) à
New-Castle on Tyne. Les auditoires
dépassaient souvent un millier de
personnes ; à trois reprises, il parla
devant trois mille personnes environ. À la
fin de cette même année, G.
Müller avait soixante-dix ans.
LE SECOND
« VOYAGE DE
PRÉDICATIONS » commença
la même année, le 14 août 1875,
et s'étendit jusqu'au 5 juillet 1876.
« Ce qui me guida cette fois,
écrit G. Müller, ce fut le désir
de prolonger l'oeuvre commencée par les
chers frères Moody et Sankey, lesquels ne
pouvaient rester longtemps en chaque endroit ;
je voulais aider les nouveaux convertis à
croître dans la grâce et dans la
connaissance. J'ai donc essayé de
suppléer dans ma faible mesure à ce que ne
pouvaient faire les
évangélistes eux-mêmes.
À leur suite, j'ai visité
l'Angleterre, l'Écosse et
l'Irlande ».
De
grandes
assemblées vinrent l'entendre à
Londres, à Glasgow, à Dublin,
Leamington, Warwick, Kenilworth, Coventry, Rugby,
Liverpool. La première fois qu'il
prêcha dans cette dernière ville, au
Victoria Hall, il se trouvait dans l'auditoire un
capitaine de la marine marchande, un ancien
orphelin recueilli par M. Müller, lequel se
convertit. Puis G. Müller se rendit à
Kendal, Carlisle, Edimbourg, Arbroath, Ballater,
Crathie, Braemar, Inverness, Wick, Canisbury,
Reading-en-Berckshire, et rentra à
Bristol.
Le
troisième
voyage dura presque un an :
commencé le 16 août 1876, ils se
termina le 25 juin 1877. Il nous intéresse
plus particulièrement parce que cette fois
G. Müller dirigeait ses pas vers l'Europe et
qu'il visita la France, la Suisse, l'Allemagne, la
Hollande.
« Après
quelques
semaines
de travail à Ashley Down et
l'expédition des affaires des diverses
branches de l'Institut biblique, écrit Mme
Müller, après avoir prêché
régulièrement dans les trois
chapelles de Bristol dont il est l'un des pasteurs,
M. Müller entreprit son troisième
voyage, se sentant appelé par le Seigneur
à travailler au service de l'Évangile
en Suisse et en Allemagne. »
Il
resta
une dizaine de jours à Paris où
il prêcha cinq fois en anglais à la
chapelle de la rue Royale (1).
M.
et
Mme Müller visitèrent Versailles et
Charenton et en profitèrent pour distribuer
des évangiles. Le 28, départ pour
Dijon où ils passent la nuit ; le
lendemain en route pour Neuchâtel et Berne
où ils arrivent le 31. Le 1er septembre, G.
Müller parla en allemand à l'Eglise
Libre. Il y avait trente et un ans qu'il n'avait
pas prêché en cette langue.
L'assistance est telle qu'il faut tenir le second
service à l'église française
dont le local est plus vaste. Le 3 septembre, il
s'adresse à un auditoire de quinze cents
personnes à peu près, au
Festhütte. Il visite l'orphelinat du Dr Blosch
et
prêche tous les soirs jusqu'au dimanche 10
septembre. À trois heures, il prêche
encore au Festhütte devant un auditoire de
dix-neuf cents personnes environ, et le soir
à l'église française, il
prononça un sermon d'adieu devant un
auditoire estimé à deux mille
personnes. Après quelques jours de
détente à Lucerne et aux environs, il
continua sa tournée de prédications
à Zurich et environs, à St-Gall,
à Constance, Schaffhouse, Winterthur,
Bâle, puis l'Allemagne et la Hollande... Nous
trouvons dans le journal de M. Müller
après le troisième voyage ce court
résumé :
« J'ai
prêché trois cent deux fois en
soixante-huit endroits différents...
Partout, j'avais été
invité ; car mes travaux et mes
écrits sont connus sur le Continent aussi
bien qu'en Angleterre. Partout, la
bénédiction de Dieu a
accompagné mes pas de façon
manifeste, ce qui m'encourage à
persévérer dans ce ministère
de la Parole, et à employer le soir de ma
vie à aller de lieu en lieu, de pays en
pays, aussi longtemps que le Seigneur m'en donnera
les forces, et ouvrira le chemin devant
moi.
Pendant notre absence,
tout a
marché à Bristol comme si nous y
étions restés. Lorsque mon avis est
nécessaire, je le transmets par lettre, et
chaque semaine M. Wright m'écrit une ou deux
fois.
Je tiens à faire
remarquer que mon service de prédication
itinérant ne dépend pas de l'Oeuvre
de Bristol. Je n'ai pas entrepris ces voyages pour
collecter, non plus que pour faire connaître
l'Oeuvre, mais uniquement pour communiquer aux
chrétiens et surtout aux jeunes, mon
expérience et ma connaissance des choses
divines, et pour annoncer l'Évangile aux
inconvertis. Je ne fais même pas allusion
à notre Institut, à moins qu'on ne le
demande.
Quatrième
voyage : Le
Canada et les États-Unis (18 août 1877
- 8 juillet 1878). -
« A notre retour d'Europe,
nous avons passé. quelques semaines aux
Orphelinats, écrit Mme Müller. Tout y
allait bien. Après avoir longuement
prié, M. Müller décida de
répondre cette fois à l'invitation
collective qu'il avait reçue
d'Amérique ; c'est ainsi que le 18
août nous gagnâmes Liverpool pour nous
embarquer pour le Canada ; car on nous avait
fortement recommandé la traversée la
plus courte : Liverpool-Québec.
Le
dimanche
matin 19, M. Müller prêcha au
Albion Hall, le Soir à Toxteth
Tabernacle ; et trois fois encore en d'autres
endroits durant notre court séjour à
Liverpool. Le jeudi après-midi, le 23, nous
montâmes à bord du Sardinian
(Allan
Line) et
quittâmes le port à sept heures le
même soir. Le lendemain matin, nous
fîmes escale à Moville (côte
Nord de l'Irlande) pour y prendre le courrier, et
nous continuâmes notre route vers
l'Atlantique. La cabine de pont que nous occupions
était assez confortable, et bien, que la mer
fût démontée, le voyage fut
assez bon. Près de Terre-Neuve, nous avons
été pris par le brouillard et par le
froid ; la marche du navire en a
été ralentie. Cependant, le 30 au
soir, nous entendîmes les passagers de
troisième crier : Terre !
Terre ! Effectivement, lorsque le brouillard
se leva, nous vîmes nettement Belle Island
sur la droite. Ce même soir, M. Müller
fit un service pour les matelots et les passagers
de l'entrepont sur le gaillard, d'avant, puis un
second pour les autres passagers.
Le
31,
nous entrions dans le golfe du St-Laurent
où la mer était
démontée... Le soir, M. Müller
parla à nouveau dans l'un des salons. Toute
la journée du 1er septembre, nous avons
remonté le St-Laurent... Comme nous
approchions de Québec, le capitaine fit
tirer quelques coups de canon pour signaler
l'arrivée de son navire.
Sur
le
soir, nous accostions à Point-Louis, au
sud de Québec. Une voiture nous conduisit
à l'Hôtel St-Louis situé au
haut d'une colline à pente rapide. Un
volumineux courrier nous y attendait : lettres
de bienvenue sur la terre américaine, et de
multiples invitations à
prêcher.
Le
dimanche
soir 2 septembre, M. Müller
prêcha pour la première fois en terre
canadienne à l'église baptiste, puis à deux
reprises dans un
Hall de la ville. On aurait voulu le garder au
Canada. Mais comme la lettre qui l'avait
décidé à se mettre en route
provenait des pasteurs des États-Unis, il
nous sembla que nous devions nous rendre d'abord en
ce pays, et plus particulièrement à
Brooklyn où habitait M.
Thwing... »
Nous
avons
tenu à citer ces
lignes du livre de Mme Müller ; elles
montrent mieux que des commentaires
l'activité inlassable de ce vieillard qui,
de santé délicate, saisissait
cependant sans jamais se lasser toutes les
occasions d'annoncer Christ, en temps et hors de
temps.
Revenons
au
journal de G.
Müller:
... En fondant
l'Institut et
plus particulièrement l'Oeuvre pour
Orphelins, j'espérais surtout que, par ce
moyen, Dieu daignerait montrer à l'Eglise
l'importance et la valeur de la prière, de
sorte que la foi des chrétiens en serait
fortifiée, et que le monde verrait la
réalité des choses d'ordre divin et
spirituel. Les résultats ont
dépassé et de beaucoup toutes mes
espérances ; que Dieu en soit
loué ! Par correspondance, par des
entrevues personnelles, j'avais déjà
appris que pour des milliers de personnes l'Oeuvre
de Bristol avait été et était
toujours en bénédiction. Et cependant
tout cela n'est rien à côté de
ce que j'ai vu et appris au cours de mes
tournées missionnaires dans les Îles
Britanniques, en Suisse, en Allemagne, en Hollande,
au Canada et aux États-Unis. Dans tous les
endroits où j'ai prêché,
généralement des villes importantes,
j'ai rencontré un grand nombre de personnes
qui se sont converties, ou dont la foi a
été fortifiée, ou qui ont
remis plus complètement toutes leurs
affaires entre les mains du Seigneur par la
prière et la foi, après avoir lu l'un
des Rapports de l'Oeuvre ou le
« Récit des dispensations de Dieu
avec G. Müller ». De sorte que
partout, j'étais reçu comme un ami qu'on
connaissait et
qu'on aimait depuis vingt ans ou trente, ou plus,
en quelque endroit que je portasse mes pas. En
grand nombre, des chrétiens voulaient me
voir ou me parler, ou écouter mes
prédications ; des centaines de
milliers vinrent ainsi me trouver dans tous les
pays où je me trouvais, pour se fortifier de
manière ou d'autre.
Durant l'année
écoulée, j'ai travaillé en
Amérique pour répondre à de
multiples invitations, lesquelles se faisaient de
plus en plus pressantes. C'est après avoir
examiné là question devant Dieu que
je me suis décidé à ce voyage.
J'ai prêché à Québec et
dans toutes les villes principales des
États-Unis... À plusieurs reprises,
et sur demande spéciale, je me suis
adressé à un auditoire exclusivement
composé de pasteurs. Ils étaient
généralement de cent à deux
cents, mais aussi trois cents, et une fois cinq
cents. Je parlais généralement une
heure et plus ; puis ils me posaient des
questions sur les points qui les
intéressaient davantage. Je compte ces
réunions spéciales, parmi les plus
importantes de cette tournée.
J'ai aussi eu
l'occasion de
parler dans les universités, les
collèges, les séminaires, et devant
des assemblées de cinq cents à deux
mille cinq cents ouvriers chrétiens. J'ai
prêché deux cent quatre-vingt-dix-neuf
fois en anglais, et aussi en allemand parmi ceux de
ma nation, devant des congrégations de
blancs et de noirs et dans les églises de
toutes les dénominations ; car j'aime
tous ceux qui aiment le Seigneur
Jésus-Christ, et j'essaie toujours davantage
d'unir les enfants de Dieu. J'ai
prêché parmi les Épiscopaux,
les Presbytériens, les
Congrégationalistes, les Méthodistes
épiscopaux, les Luthériens et les
Baptistes. Partout les portes s'ouvraient, et j'y
entrais avec joie, puisqu'on ne
demandait rien que je ne pusse faire en toute bonne
conscience.
Tout a bien marché
à Bristol pendant mon absence.
Certains journaux ont
publié que j'avais reçu de
très fortes sommes en Amérique pour
l'Oeuvre de Bristol ; ce qui est faux. Tout ce
qui m'a été donné dans ce but,
soit un peu moins de quinze cents francs n'est pas
suffisant pour couvrir la moitié des
dépenses d'un seul
jour. »
Lorsque
Dieu
avait repris à M.
Müller sa compagne, il avait été
soutenu par sa foi, par l'assurance parfaite que
« toutes choses concouraient ensemble au
bien de ceux qui aiment le Seigneur ».
Mais, pour lui, l'épreuve restait
mystérieuse...
« Huit ans
après, dit-il, la lumière se fit.
Tout à coup, mes yeux s'ouvrirent. Et je
compris qu'elle n'aurait jamais pu supporter les
grandes fatigues de ces longs voyages, car elle
avait soixante-treize ans lorsque Dieu la
reprit. »
Et F.-G. Warne
ajoute :
« D'autre part, il ne pouvait être
question pour M. Müller de voyager seul
à cause de son grand âge ; et
Dieu voulant lui demander ce service missionnaire
des dernières années, lui donna avec
la seconde, Mme Müller l'aide qui lui
était indispensable. »
CINQUIÈME VOYAGE EN
SUISSE, EN FRANCE, EN ESPAGNE ET EN ITALIE (5
septembre 1878 au 18 juin 1879). - Durant cette
tournée de prédication, j'ai
parlé en anglais et en allemand, mais aussi
en français après m'être remis
quelque temps à l'étude de cette
langue. En Espagne et en Italie, je me suis servi
de l'une ou l'autre de ces trois langues qu'on
traduisait en Espagne ou en italien si la chose
était nécessaire. Il a plu à
Dieu de faire reposer sur ce voyage de
prédication de
très grandes bénédictions.
Après avoir prêché trois fois
à Paris, je gagnai Berne en passant par
Neuchâtel. Nous reçûmes en
Suisse le plus chaleureux des accueils
(2).
À
Yverdon, j'ai vu la veuve d'un cher frère
que Dieu a rappelé à lui depuis bien
des années. J'avais fait sa connaissance
dès les débuts de mon
ministère à Teignmouth en 1830 ;
et c'est seulement en 1878, quarante-huit ans
après, que sa veuve m'apprit que j'avais
été l'instrument de sa
conversion...
D'Yverdon, je gagnai
Genève où je prêchai douze
fois ; puis Lyon, Marseille, Nîmes,
Montpellier et l'Espagne. »
Par Mme Müller, nous
avons
beaucoup plus de détails nous savons que G.
Müller fit une série de
prédications à Neuchâtel où il
resta du 30 septembre au 11 octobre, puis à
Lausanne où il demeura jusqu'au 25 octobre.
Le service d'adieu eut lieu au temple allemand.
À cette occasion, le pasteur Wagner le
remercia au nom de l'Alliance
évangélique. Avant de quitter
Lausanne le 23, M. et Mme Müller firent un
pèlerinage au cimetière de la Sallaz
jusqu'à la tombe de MANUEL MATAMOROS, ce
chrétien espagnol bien connu qui fut si
longtemps emprisonné en son propre pays
à cause de sa foi en Christ. Peu
après sa libération, il mourait
à Lausanne des suites des mauvais
traitements subis en prison. Il n'avait que
trente-deux ans. Sur la pierre tombale, on lit
distinctement :
8 octobre 1834. 31 julio 1866.
Puis ces textes en langue espagnole : Romains
VIII : 18, et V :
2, Philippiens
Il : 30.
« L'endroit du cimetière où
se trouve cette tombe est très beau, ajoute
Mme Müller ; bien que l'automne soit
avancé, il est encore couvert de roses et
d'autres fleurs en plein
épanouissement... » A
Genève, l'Alliance évangélique
avait organisé toute une série de
Prédications dans de nombreux lieux de
culte ; M. et Mme Müller y
séjournent du 9 novembre au 21. Ils vont
voir les maisons de Calvin... Le 20, service
d'adieu à l'Oratoire de l'Eglise
libre.
À Lyon, G. Müller
prêcha en anglais à la Chapelle
Évangélique de la rue Lanterne, le
vendredi 22 novembre, il fut traduit par M. Monod.
« Beaucoup vinrent l'entendre ; la
présence et la puissance du Saint-Esprit se
firent particulièrement sentir, écrit
Mme Müller, ce fut une excellente
réunion. » Puis elle mentionne que
les protestants lyonnais eurent tes plus grandes
difficultés à obtenir un lieu de
culte à cause des « the furious
opposition of the Romish priests ».
En 1851, Lyon n'avait pas de temple. Grâce
à l'influence de l'ambassadeur anglais, les
protestants allemands obtinrent un lieu de
réunion, mais à condition que la
prédication se fasse uniquement en allemand.
Après plusieurs autres services, à la
Chapelle évangélique et
à l'Église allemande, les voyageurs
se dirigèrent sur Marseille où le 27
G. Müller prêcha au Temple
évangélique devant une nombreuse
assistance, et en plusieurs autres endroits, en
français et en allemand. À
Nîmes il prêcha à
l'église méthodiste et à
l'église libre, et alla jusqu'aux
carrières de Lecques où l'Eglise
nîmoise persécutée se
réunissait pour adorer au temps de Louis
XIV. À Montpellier, il prêcha trois
fois à l'Eglise réformée
indépendante, assista à une
réunion de prière où il prit
la parole... « Devant l'hôtel
où nous logions, écrit Mme
Müller s'étend un terrain qu'on a
récemment transformé en jardin
public. C'est sur cet emplacement qu'en 1721 des
pasteurs furent pendus à cause de leur
foi ; c'est ici que d'autres serviteurs du
Christ subirent le supplice de la roue. La personne
qui nous donne ces détails, un descendant,
de huguenot, ajoute : « Nous avons
été persécutés plus
qu'aucune autre race sous les cieux... »
Le 12 décembre, à 7 h. du matin, nous
quittions Montpellier à destination de
l'Espagne... »
« Je désirais
beaucoup voir de mes propres yeux les écoles
qui sont entièrement soutenues depuis de
nombreuses années par notre Institut de
Bristol, écrit M Müller et je voulais
prendre contact avec l'oeuvre missionnaire à
laquelle nous avons envoyé tant de milliers
de livres sterling durant les dix ans
écoulés. Nous avons fait un
séjour de quinze jours à Barcelone,
j'y ai parlé vingt-trois fois. C'est dans
cette ville que nous avons eu la joie de rencontrer
bien des frères qui sont au service de
l'Évangile en terre d'Espagne. J'ai
visité nos dix écoles de semaine dont
M. Payne est le directeur. Elles sont
fréquentées par sept cent
cinquante-six élèves, presque tous
catholiques. Les parents les laissent chez nous
malgré les menaces des prêtres, parce
qu'ils apprécient beaucoup l'enseignement
qui y est donné ».
« Le dimanche
matin 15
décembre, nous avons assisté à
un service célébré dans une
salle d'école à Calle San Gabriel,
Gracia : d'abord un frère aveugle pria,
puis un autre frère lut plusieurs portions
des Écritures, et M. Müller parla,
pendant près d'une demi-heure, traduit en
espagnol par M. Payne. Ensuite,
célébration de la sainte Cène,
chant d'un cantique, et prière finale. Nous
donnâmes alors de nombreuses poignées
de mains à nos frères et soeurs
espagnols ; et l'aveugle qui avait
commencé le service levant un doigt vers le
ciel nous dit en espagnol :
« Là-haut nous parlerons
tous le même langage. »
Le 19, nous
accompagnâmes
M. Payne à Barcelonetta pour y visiter les
écoles. C'est un quartier pauvre de la
ville. M. Müller s'adressa aux écoliers
de l'une des classes, et voici ce qu'il leur
dit :
« Mes chers
enfants,
je vous aime tous beaucoup, et je prie pour vous
tous les jours. Je désire ardemment vous
rencontrer tous au ciel un jour. Mais pour que vous
puissiez y aller, en tant que pécheurs
misérables et coupables et perdus, vous,
devez placer toute votre confiance en
Jésus-Christ qui a pris sur lui notre
châtiment. Car c'est uniquement son sang qui
peut nous purifier du
péché. » Puis il leur parla
des orphelins d'Ashley Down... » [Mme
Müller.]
Revenons au, journal
de G.
Müller
« De
Barcelone,
écrit-il, nous sommes allés à
Saragosse (3) puis à Madrid, où
j'ai parlé quinze fois... Je ne pouvais que
me réjouir en constatant que tant d'enfants
à Barcelone et à Madrid se trouvaient
par nos écoles en contact
avec l'Évangile, et en pensant que par eux,
les parents aussi connaissaient plus ou moins la
Parole de Dieu, puisque les enfants apprennent
à la maison des passages de la Bible, et
chantent dans leur langue nos beaux
cantiques. »
Au
retour,
M. Müller prêcha à
Bayonne, à Biarritz, Pau, Bordeaux, la
Force, puis à Cannes, à Nice,
à Menton. À la Force, il tint une
réunion à « la
Famille » et
le lendemain
prêcha au Temple devant un nombreux auditoire
- plus de quatre cents personnes, écrit Mme
Müller. « M. Bost dit à mon
mari qu'il était admirable, et ne voulut pas
entendre parler d'un interprète ; de
sorte que M. Müller parla en français
pendant une heure et
quart. »
À
Menton,
comme la salle de
l'église libre était bondée,
on dut laisser fenêtres et portes ouvertes.
Bien des personnes écoutèrent dehors,
assis sur des chaises au balcon ; parmi ces
dernières se trouvait M. Spurgeon, que nous
avons eu le plaisir de voir de temps à
autre. Nous avons aussi fait quelques promenades en
voiture avec lui. Un après-midi que nous
étions sur la route de Turin qui passe
à Castiglione, alors que lentement notre
équipage montait la colline par un chemin en
lacets, M. Spurgeon admirant le magnifique panorama
s'étendant sous nos yeux dit :
« Quand je me trouve au milieu de
semblables merveilles, j'ai l'impression que de la
tête aux pieds tout mon être
transporté va éclater en un cantique
d'adoration et de
louanges... »
« De Menton,
nous
avons gagné l'Italie. J'ai
prêché à Bordighera, à
San Rémo, à Gênes, à
Pise, à Florence, à Rome; dans cette
dernière ville, vingt fois, en plusieurs
langues, dont l'italien. Où que les regards
se portent ici, vous voyez les signes de
l'idolâtrie, non plus l'idolâtrie de la
Rome païenne, mais celle de la ville des papes
(4). Je
considère, donc comme un grand honneur d'avoir pu
rendre
témoignage au Christ, également dans
cette ville. À Naples aussi j'ai
prêché vingt fois dans les principaux
lieux de culte. Là comme partout ailleurs
j'ai eu la joie d'entrer en relations avec bien des
chrétiens, et de prêcher dans toutes
les églises des diverses
dénominations : c'est-à-dire
dans celles qui reconnaissent Christ comme Chef, et
sont fidèles aux vérités
fondamentales de notre très sainte foi...
J'ai encore prêché à Bologne,
à Venise, à Brescia, à
Côme, Mitan, Turin, enfin dans les
vallées vaudoises du Piémont. De
là, nous avons regagné Paris et
Bristol. »
LE
SIXIÈME
ET LE SEPTIÈME VOYAGES eurent
pour but l'Amérique et le Canada. Partis en
août 1879, M. et Mme Müller
s'apercevaient au retour du premier voyage qu'il
restait cent cinquante-quatre invitations
écrites, auxquelles ils n'avaient pu
répondre. Aussi, après deux mois de
séjour à Bristol, ils
traversèrent à nouveau l'Atlantique
pour ne revenir qu'en mai 1881 en Angleterre. G.
Müller note qu'en Amérique il a
recherché toutes les occasions de
prêcher en allemand devant ses compatriotes
et les Suisses allemands, qui sont nombreux en ces
pays... Ont New-York seulement : trente
mille.
Il
remarque
à l'occasion, de la
cinquième traversée de l'Atlantique,
en septembre, 1880, « qu'il n'a pas
souffert du mal de mer ni de la moindre
indisposition et il en donne gloire à
Dieu ».
« Lorsque
pour la
première fois, la question du voyage en
Amérique s'était sérieusement
posée pour moi, dit-il, j'avais placé
devant Dieu l'appel reçu et je lui avais dit
que j'étais prêt à partir,
malgré mon antipathie
naturelle pour ce voyage : vingt-cinq fois
déjà j'avais été sur
mer pour son service, et j'avais été
fort malade. Cependant j'étais prêt,
s'il le voulait, à souffrir du mal de mer ou
de tout autre indisposition, et même à
risquer ma vie pour cette traversée. Et
quels furent les résultats ? - Non
seulement j'ai fait ces six longs voyages sur mer,
sans souffrir le moins du monde, mais j'ai pu
soigner ma chère femme, toujours très
malade durant les premiers jours de la
traversée ; j'ai annoncé
à bord la Parole de Dieu et servi le
Seigneur de plusieurs autres manières. Si je
note ce qui précède, c'est pour que
mes frères bien-aimés ne permettent
pas à la crainte de la souffrance ou de
l'épreuve de les détourner d'un
service que Dieu demande. Durant cette
dernière traversée, j'ai pu
prêcher à bord huit
fois. »
C'est
pendant
ces voyages de
prédication en Amérique que le Dr
Pierson, l'auteur du livre
« G.
Müller de
Bristol »,
rencontra M. Müller
et qu'il l'invita à venir prêcher
à Détroit, la ville qu'il habitait.
Tous deux se virent souvent et eurent l'occasion de
nombreuses conversations. Le Dr Pierson soumit
à M. Müller bien des questions dont les
solutions ne le satisfaisaient point, ou encore il
lui dit les conclusions auxquelles il était
arrivé sur certains points
controversés. Ainsi il s'élevait
contre ce qu'on nomme le Retour
prémillénaire (5)
du
Seigneur Jésus. M. Müller lui
répondit à ce
sujet :
« Mon bien
cher
Frère, j'ai déjà entendu tous
les arguments et toutes les objections contre le
retour prémillénaire ; ils n'ont
qu'un seul défaut, mais capital : pas un seul n'est basé sur
la Parole de
Dieu. Dans les choses divines vous n'arriverez
jamais à comprendre la
vérité, si vous ne mettez pas de
côté vos préjugés, et ne
cherchez pas, avec la simplicité d'un
enfant, quel est le témoignage des
Écritures. »
Et avec patience, avec
sagesse,
il démêla l'écheveau
embrouillé de mes difficultés. (A.-T.
Pierson).
Au
moment
des adieux, comme le Docteur Pierson lui
exposait sa façon de voir sur le culte
moderne qui a perdu la simplicité des temps
apostoliques, sur la coutume néfaste de la
location des places, et celle non moins funeste du
traitement des pasteurs ; sur le devoir de ne
nommer aux charges de l'Eglise que des hommes
remplis du Saint-Esprit, et l'obligation pour les
chrétiens de penser aux masses, devoir
qu'ils négligent souvent honteusement, M.
Müller
répondit :
« Mon
bien-aimé
frère, le Seigneur vous a donné
beaucoup de lumière sur tous ces sujets, et
il vous en demandera compte. Si vous lui
obéissez et si vous marchez dans la
lumière, il vous donnera plus de
lumière; sinon ce que vous possédez
déjà vous sera
ôté. »
Ces
quelques
mots prononcés, il y a plus de
vingt ans, ont eu une influence quotidienne sur ma
vie, dit le Dr Pierson ; et ceci prouve la
puissance des lèvres que le Seigneur a
touchées, du langage qu'il a
sanctifié. Plus tard, lorsque, au milieu de
subtiles tentations, j'ai été
sollicité de suivre les traditions des
hommes plutôt que la Parole de Dieu, les
paroles du vénéré M.
Müller sont revenues à ma pensée
avec une force toujours nouvelle... Nous risquons
de perdre nos privilèges en n'en faisant pas
usage, et d'émousser nos convictions en n'y
conformant pas nos vies :
« Emploie
ou perds ».
Telle est la
règle divine : « On donnera
à celui qui a.... mais à celui qui
n'a pas, on ôtera même ce qu'il semble
avoir » (Luc
XIX :
26).
L'hiver 1880-1881 fut
extrêmement froid à New-York.
Il y avait une
trentaine
d'années qu'on n'avait pas eu d'hiver aussi
rigoureux. Les courses de douze à quinze
Kilomètres que M. Müller faisait chaque
soir à Brooklyn ou ailleurs étaient
extrêmement fatigantes...
« Poussé par l'amour de Christ, il
n'en persévéra pas moins dans une
activité que, généralement, on
trouve épuisante à son âge. Il sentit le froid, mais Dieu ne
permit pas
qu'il en souffrit. »
LE
HUITIÈME
VOYAGE, commencé le 23
août 1881, dura jusqu'au 30 mai, 1882. M.
Müller visita l'Allemagne, l'Égypte, la
Palestine, la Syrie, l'Asie-Mineure, la Turquie et
la Grèce. Lorsque ni l'anglais, ni le
français, ni l'allemand n'étaient
compris, il se servait d'un interprète
d'arabe ou de turc. Il s'adressa aux
pèlerins russes qui vont en Terre sainte,
aux étudiants, aux Juifs, il prêcha
dans les Églises missionnaires, dans les
prisons, il annonça Christ en temps et hors
de temps.
L'année
1882
fut une
année difficile pour l'Institut de Bristol.
Des amis de l'Oeuvre insistèrent
auprès de M. Müller pour qu'il
restât à Ashley Down ;
c'étaient ses absences, pensaient-ils, qui
étaient cause de la baisse des dons. M.
Müller écoutait les conseils, mais se
réservait de chercher auprès de Dieu
la direction suprême. Il avait
constaté qu'avec M. Wright et ses nombreux
collaborateurs, toutes les branches de l'Oeuvre
n'avaient cessé de se développer
harmonieusement et de porter des fruits. D'autre
part Dieu mettait de façon manifeste sa
bénédiction sur ses travaux
missionnaires à travers le monde. Enfin,
Müller avait la conviction toujours plus
grande qu'il accomplissait bien l'Oeuvre que le
Seigneur demandait des dernières
années de sa vie. D'ailleurs, même
absent, il restait en contact avec l'Institut de
Bristol ; et ses prières, de quelque
endroit qu'elles montassent vers Dieu, avaient
évidemment une valeur identique à
celle des prières qu'il aurait pu formuler
à Bristol. Mais pour lui la
considération suprême fut
celle-ci : Accorder que sa présence
à Bristol était nécessaire
à la bonne marche de l'Oeuvre,
c'était se mettre en opposition directe avec
les principes qui avaient déterminé
la fondation de celle-ci. La véritable
confiance en Dieu ne se laisse pas ébranler
par les circonstances ou les
apparences. C'est pourquoi, malgré le
conseil affectueux des amis de l'Institut qui
étaient aussi des donateurs, G. Müller
crut devoir se remettre en route pour faire la
preuve, si besoin était, que la
présence d'aucun homme n'était
nécessaire à Dieu pour faire son
oeuvre. Il continua donc son activité
missionnaire et fit encore neuf voyages pendant les
dix années qui suivirent ;
c'est-à-dire jusqu'en
1892.
LES
DERNIERS
VOYAGES MISSIONNAIRES. - En 1882 il visita
l'Europe centrale : l'Allemagne (6),
l'Autriche, la Hongrie, la Bohême, la
Pologne, la Russie. En 1883, il se tourna vers les
Indes et il écrivit à ce
propos :
« Peu après
ma
conversion, en novembre 1825, j'avais essayé
de partir comme missionnaire pour l'Inde.... et
dans les huit années qui suivirent je
m'étais encore offert à quatre
reprises de façon très solennelle et
avec prière, mais inutilement. Plus je
priais, plus il devenait manifeste que Dieu voulait
que je restasse en Angleterre, et que
c'était là que je devais travailler
pour lui. À soixante-dix-neuf ans, quelque
cinquante ans après ma dernière offre
de départ, je parlai à nouveau de
l'Inde au Seigneur, et cette fois, il exauça
ma requête. »
À
bord du
navire où il a
pris passage, dans les ports où l'on fait
escale, puis dans les villes visitées,
partout, G. Müller évangélisa,
prêcha, fortifia les frères. Il fut
très particulièrement ému de
compassion à la vue des multitudes encore
sans Christ, surtout à
Bénarès, la ville sainte des Hindous,
avec ses deux cent mille habitants, ses quinze cent
cinquante temples, ses mosquées, ses puits
sacrés et ses bains sur la rive gauche du
Gange, ses centaines
d'écoles, ses vingt-cinq mille pandits
(savants) qui y enseignent, et ses millions (de
pèlerins. C'était le contact avec le
paganisme ; et le grand amour qu'il avait
déjà pour les missions et les
missionnaires s'en accrut encore... Les
années 1884 et 1885 furent consacrées
au Pays de Galles, à l'Écosse et
à l'Angleterre. En novembre 1885, M.
Müller avait quatre-vingts ans ; il
repartit pour l'Australie, la Chine, le Japon, la
Malaisie. Il désirait rencontrer les
missionnaires aidés par l'Institut Biblique
pour les encourager, les fortifier. Partout sur son
passage il annonçait l'Évangile. En
1887 il se dirige vers l'Australie du Sud, et
visite ensuite la Tasmanie, la
Nouvelle-Zélande, Ceylan et les Indes.
À Calcutta il tomba malade à cause de
l'extrême chaleur.
« Je restai à
Calcutta quinze semaines jusqu'à ce que le
thermomètre marquât 110° à
l'ombre [degrés Fahrenheit]. La chaleur
devint alors torride et nous ne pûmes la
supporter davantage. Nous dûmes donc gagner
Darjeeling sur les pentes de l'Himalaya.
[Durant la première
partie du trajet en chemin de fer, M. Müller
fut accablé par la chaleur de façon
si excessive, et devint si malade, que Mme
Müller pensa qu'il allait mourir].
D'autre part, durant
certains de
nos voyages, écrit G. Müller, nous
avons aussi été exposés
à des températures très
rigoureuses : cinquante à cinquante-six
degrés au-dessous de zéro, Il faut
avoir passé par là pour comprendre
quelles répercussions ces
températures extrêmes peuvent avoir
sur l'organisme, et quels malaises elles infligent.
Sur mer, nous avons eu à essuyer bien des
tempêtes, et même un typhon. En chemin
de fer nous avons voyagé jusqu'à sept
jours de suite (jour et nuit) sans interruption.
Bien que de façon générale,
nous ayons toujours eu le confort nécessaire dans
nos
voyages, cependant il est arrivé que nous
dussions nous accommoder de moyens de locomotion
très inférieurs et très
fatigants. À deux reprises, et bien que nous
occupassions les meilleures cabines d'un navire de
première classe, nous avons eu beaucoup
à souffrir d'insectes [G. Müller
dit : « insectes »
sans spécifier leur nature]. Aux
États-Unis, dans la Nouvelle Galles du Sud,
à Ceylan, aux Indes, nous avons
été fort incommodés par les
piqûres de moustiques ; enfin sur deux
des navires de première classe où
nous avons voyagé, les rats pullulaient,
à ce point qu'ils couraient la nuit sur les
passagers. Cependant jusqu'ici, le Seigneur nous a
aidés, et nous croyons qu'il nous aidera
jusqu'à la fin.
Lorsque la mousson
commença de souffler et que la chaleur
torride diminua, de sorte qu'il devenait possible
de voyager sans danger, humainement parlant, nous
quittâmes Darjeeling pour Simla, via
Calcutta. C'est un long voyage de plus de deux
mille kilomètres... En route, nous
rencontrâmes bien des difficultés et
fûmes éprouvés de bien des
manières, mais le Seigneur ne nous abandonna
pas ; au contraire, en bien des circonstances,
nous fûmes comme portés par
lui. »
Les
voyageurs
s'arrêtèrent encore dans
plusieurs autres villes : Dehli, Agra,
Cawnpore, Allahabad, Jubbulpore. G. Müller
prêche devant les Européens, les
Eurasiens, les Américains, les
indiens ; pour ceux-ci il se fait
traduire...
C'est
à
Jubbulpore qu'un
télégramme de M. Wright
annonça à M. Müller la triste
nouvelle de la mort de sa fille.
Immédiatement, il s'occupa de retourner en
Angleterre par le premier paquebot. Qui allait
remplacer maintenant sa chère fille ?
Depuis trente ans, elle se dépensait, aux
Orphelinats sans compter, et de façon
bénévole, comme l'avait fait sa
mère. Dieu l'avait reprise à lui le 10 janvier
1890, à
l'âge de cinquante-huit ans ! M.
Müller écrivit à propos de cette
épreuve :
« J'aimais
tendrement
ma chère Fille, et le coup fut très
dur. Mais pour elle, c'est le terme des
épreuves et des tristesses de cette vie, et
il est évident qu'il lui est de beaucoup
meilleur d'être avec le Seigneur. Quant
à moi, comme j'ai l'intime conviction que
toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment
Dieu, mon coeur demeure dans une paix parfaite. Je
voudrais que tous ceux de mes chers frères
qui passent par l'épreuve et n'ont pas
encore saisi la vérité
renfermée dans ce passage de
l'épître aux Romains (VIII : 28)
se l'approprient enfin, de telle sorte que leur
coeur reste en paix, à l'heure de
l'épreuve. »
L'expression
de
la foi de G.
Müller au sein de la douleur atteint une telle
hauteur qu'elle a été souvent
incomprise peut-être même
critiquée. Son amour est à ce point
dégagé d'égoïsme qu'il
peut se réjouir du bonheur de ceux qui le
précèdent dans la Maison du
Père, et par là il est
apparenté à l'Amour divin. Or, dans
les pleurs versés sur les cercueils, que
d'égoïsme souvent ! Que de fois
l'âme endeuillée gémit sur
soi-même et sur la perte qu'elle vient de
faire ! Ainsi fait le monde ; aussi,
quiconque saisit par la foi les éternelles
consolations, quiconque aime assez pour être
heureux du bonheur de ceux « qui se
reposent de leurs travaux » auprès
du Seigneur, est facilement taxé d'in
sensibilité, de froideur.
G.
Müller,
dans son humble dépendance du
Père céleste, et sa foi
inébranlable en l'Amour éternel,
détourna les veux de soi-même, de ce
que les hommes nomment « une perte
cruelle ». Il ne chercha pas dans le
cercueil sa dernière enfant, son unique
enfant. Il la chercha auprès du
Seigneur ; il songea à son bonheur et
en fut consolé. Cette attitude de la foi
dépasse infiniment les mesures ordinaires,
et seuls la comprennent ceux qui marchent avec
Dieu.
En mars 1890, les
voyageurs
rentraient à Bristol, et, dit M. Muller,
« je n'ai que des actions de grâce
à rendre à Dieu, de ce que l'oeuvre
n'a cessé de prospérer sous la sage
direction de M. Wright. »
Le
seizième
voyage mena en Allemagne et en
Suisse l'infatigable missionnaire qui avait
maintenant quatre-vingt-cinq ans. Partis de Bristol
le 8 août, ils y rentraient tous deux le 5
juin 1891 pour entreprendre presque aussitôt
le dix-septième et dernier voyage en
Allemagne, en Hollande, en Autriche et en Italie,
qui prit fin en 1892.
Bien
des
chrétiens
compétents estiment que les voyages
missionnaires de G. Müller furent l'oeuvre la
plus importante de sa vie. Ceux-ci
s'étendirent sur dix-sept années
durant lesquelles il parcourut quarante-deux pays,
et parla à des auditoires dépassant
bien souvent un millier de personnes. Ces voyages
entraînèrent de grosses
dépenses. Les sommes nécessaires
furent trouvées en réponse à
la prière comme pour toutes les autres
branches de l'Institut.
Désormais
M.
et Mme Müller
restèrent à Ashley Down où ils
s'installèrent dans l'une des Maisons. Toute
sa vie, G. Müller avait été un
infatigable travailleur, il continua de
l'être. Se levant de très bonne heure
en hiver aussi bien qu'en été, il
avait généralement parcourt ;
son courrier avant huit heures. [Probablement celui
qui était arrivé la veille ?] Il
recevait alors ses collaborateurs et leur
distribuait la besogne.
En
1892,
un représentant du
« Commonwealth
Christian »
alla voir G.
Müller à Ashley Down, et il
écrivit ce qui suit à l'occasion de
sa visite :
« M. Müller
vit
dans l'un des orphelinats. J'avais sollicité
une entrevue et il m'a reçu sur rendez-vous.
Au jour dit, j'ai été conduit au haut
d'un escalier de pierres puis dans un grand
corridor sur lequel s'ouvrent des portes à
intervalles réguliers. On a poussé
l'une d'elles, je suis entré et me suis
trouvé devant M. Müller. La
pièce où l'on venait de m'introduire
était très simplement
meublée... Aux murs quelques textes ;
sur la table, une Bible ouverte : qu'on vient
de lire sans
doute.
Je m'attendais à voir un affaibli, d'aspect
vénérable, et ployant sous le poids
des ans. À ma grande surprise, M.
Müller me donna une impression tout
autre : celle d'une vigueur physique
très grande. Il se tient parfaitement droit,
et pour autant que j'aie pu en juger lorsqu'il
m'accompagna au départ, dans le corridor,
son pas est allongé et rapide. La figure est
austère ; les traits accentués
révèlent qu'il doit être par
plus d'un côté un homme de fer.
Cependant il sait sourire, et quand cela lui arrive
vous voyez l'homme sous un tout autre aspect. Il
donne une profonde impression de dignité.
Ses manières sont celles d'un prince :
il est courtois et aimable. Sa parole est nette,
facile, mais on y discerne l'accent
allemand.
Voici un homme de
quatre-vingt-sept ans qui dirige l'oeuvre la plus
remarquable du monde. L'étendue de son
activité peut se mesurer à ce seul
détail qu'il a sept secrétaires pour
la correspondance uniquement.
... Il arrive qu'on
entende
cette question : Dieu exauce-t-il la
prière ? Que celui qui cherche
sincèrement une réponse à ce
sujet étudie l'histoire de l'Institut de
Bristol... Les sceptiques, comme le professeur
Huxley, veulent des preuves. En voici une, et elle
n'est pas constituée par un fait seulement
mais par des milliers de faits ; elle n'est
pas éphémère mais
s'étend sur plus d'un demi-siècle. Si
les faits ont quelque valeur, quelque
signification, il est impossible que la science
ignore le monument élevé par la foi
de G. Müller : l'existence des
orphelinats d'Ashley Down. »
Nous avons dû passer
rapidement sur l'activité des années
missionnaires. Que de faits intéressants
cependant ! Que d'oeuvres fondées
après la lecture du
« Récit », et dont G.
Müller put visiter quelques-unes. Ainsi celle
du Dr Cullis pour tuberculeux, près de
Boston. « SANS VOTRE EXEMPLE, TOUT CECI
N'EXISTERAIT PAS », lui dit le fondateur,
au cours de la visite.
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