Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XVI

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UN SOIR QUI EST UNE AURORE. -
MINISTÈRE DE PRÉDICATION. - VOYAGES MISSIONNAIRES EN EUROPE, EN AMÉRIQUE, EN AFRIQUE ET EN ASIE. - LE Dr PIERSON. - LES AMIS DES ORPHELINATS VOUDRAIENT GARDER G. MÜLLER A BRISTOL. - NOUVEAU DÉPART POUR PROUVER QUE DIEU PEUT SE PASSER DE SA PRÉSENCE POUR DONNER LE NÉCESSAIRE AUX ORPHELINS. - ÉPREUVES DIVERSES ET DÉSAGRÉMENTS DES VOYAGES MISSIONNAIRES. - VISITE D'UN JOURNALISTE À G. MÜLLER.


 

« AU SOIR DE MA VIE ! », disait G. Müller qui venait de jeter un regard, Sur la gérance des années écoulées, de récapituler les sommes qu'il avait plu au Seigneur de lui donner et l'usage qu'il en avait fait. Il était loin de se douter alors que Dieu allait lui demander encore plus de vingt ans de service actif en dehors de Bristol ; un service missionnaire par plus d'un côté, et celui qu'il avait ambitionné autrefois. Cinq fois pendant les huit années qui suivirent sa conversion, G. Müller avait essayé de partir en mission ; à cinq reprises, Dieu avait permis que la route fût barrée. Maintenant, l'instrument était prêt, Dieu l'avait enrichi de toutes les expériences faites à son service, et il allait l'envoyer.

Voici comment G. Müller fut conduit à cette nouvelle sphère d'activité : Mme Müller tomba maladie ; si malade qu'on craignit pour sa vie. Quand elle fut mieux et comme un changement d'air s'imposait, tous deux partirent pour l'île de Wight où G. Müller prêcha pour un cher frère en Christ. Celui-ci, bien qu'ayant une grande expérience de la prédication, fut très frappé en entendant son ami ; et il lui dit que le jour qu'il avait entendu son premier sermon était le plus heureux de sa vie. Cette remarque pénétra tout particulièrement dans la pensée de M. Müller, bien qu'il eût déjà entendu des appréciations de ce genre, et il entrevit la possibilité d'un ministère de la prédication s'étendant au delà des limites de Bristol. Tout aussitôt, il se mit à rechercher les directions du Seigneur à ce sujet. Il pria longuement, comme il faisait pour toutes choses, redoutant de prendre aucune décision qui ne fût pas selon Dieu. Et durant cette période d'attente, il lui apparut que c'était bien le Seigneur qui l'appelait à ce nouvel apostolat.

L'oeuvre d'Ashley Down était alors universellement connue, et vraiment, il avait un message pour l'Eglise universelle : son long ministère, le volumineux courrier qu'il recevait, les confessions qu'il y trouvait parfois, les nombreux visiteurs qu'attiraient les orphelinats et leur fondateur [surtout celui-ci], tout cela et sa propre expérience des années qui avaient précédé et suivi sa conversion lui faisaient comprendre :

1° les points faibles de la prédication en général,

2° l'insuffisance du christianisme pratiqué par la plupart des chrétiens, leur manque d'obéissance sur bien des points de l'enseignement du Christ, leur anémie spirituelle.

Et sous le regard de Dieu, il décida :
1° Qu'il prêcherait l'Évangile dans sa simplicité, et montrerait que le salut n'est pas basé sur nos sentiments ou notre foi, mais sur l'oeuvre accomplie par Christ.

2° Qu'il essaierait d'amener les chrétiens à prendre conscience de ce que le salut leur confère. [Tant de croyants et même tant de pasteurs ignorent la paix et la joie que donne le Seigneur ; ils ne peuvent donc les communiquer aux autres.]

3° Qu'il s'emploierait à conduire ses auditeurs à la Bible pour y découvrir les trésors qu'elle renferme, pour les incliner à apprécier tantes choses d'après ce critère divin, pour leur conseiller la méditation quotidienne des Écritures et de traduire en obéissance immédiate l'enseignement donné.

4° Il plaiderait la cause de l'amour fraternel parmi les croyants, encourageant tous ceux qui aiment le même Maître et se confient dans le même Sauveur, à s'élever au-dessus des barrières, lesquelles barrières, empêchent la communion fraternelle.

5° Il travaillerait à fortifier et à développer la foi des chrétiens, en les encourageant à une confiance plus simple, plus enfantine, plus vraie, plus inébranlable en Dieu, lequel répond invariablement à la prière faite avec foi, lorsque celle-ci, s'appuie sur les promesses formelles, précises, énoncées dans sa Parole.

6° Il montrerait que le chrétien doit se séparer du monde, mourir au monde ; mais il mettrait aussi en garde contre les exagérations du fanatisme religieux.

7° Enfin il dirigerait les regards de ses auditeurs vers l'espérance bénie du retour du Seigneur Jésus. Il leur rappellerait en même temps le véritable caractère de la dispensation actuelle, pendant laquelle Dieu rassemble du milieu des nations l'Eglise militante qui est l'épouse mystique de Christ. Ainsi, il rappellerait aux chrétiens quelle est la position de l'Eglise par rapport au monde.

Il nous est malheureusement impossible de nous étendre sur cette période de l'activité de G. Müller. Nous résumerons donc rapidement ses voyages missionnaires, ce qu'il nomme ses « PREACHING TOURS ».

C'est le 26 mars 1875 qu'il quitte Bristol : accompagné de Mme Miller, pour dire à l'Eglise et au monde les bienheureuses expériences qu'il a faites de la grâce et de la fidélité de Dieu. En deux mois. il parle soixante-dix fois en public, à Brighton, Sunderland, Londres (au Tabernacle de Spurgeon et ailleurs) à New-Castle on Tyne. Les auditoires dépassaient souvent un millier de personnes ; à trois reprises, il parla devant trois mille personnes environ. À la fin de cette même année, G. Müller avait soixante-dix ans.


LE SECOND « VOYAGE DE PRÉDICATIONS »
commença la même année, le 14 août 1875, et s'étendit jusqu'au 5 juillet 1876. « Ce qui me guida cette fois, écrit G. Müller, ce fut le désir de prolonger l'oeuvre commencée par les chers frères Moody et Sankey, lesquels ne pouvaient rester longtemps en chaque endroit ; je voulais aider les nouveaux convertis à croître dans la grâce et dans la connaissance. J'ai donc essayé de suppléer dans ma faible mesure à ce que ne pouvaient faire les évangélistes eux-mêmes. À leur suite, j'ai visité l'Angleterre, l'Écosse et l'Irlande ».

De grandes assemblées vinrent l'entendre à Londres, à Glasgow, à Dublin, Leamington, Warwick, Kenilworth, Coventry, Rugby, Liverpool. La première fois qu'il prêcha dans cette dernière ville, au Victoria Hall, il se trouvait dans l'auditoire un capitaine de la marine marchande, un ancien orphelin recueilli par M. Müller, lequel se convertit. Puis G. Müller se rendit à Kendal, Carlisle, Edimbourg, Arbroath, Ballater, Crathie, Braemar, Inverness, Wick, Canisbury, Reading-en-Berckshire, et rentra à Bristol.

Le troisième voyage dura presque un an : commencé le 16 août 1876, ils se termina le 25 juin 1877. Il nous intéresse plus particulièrement parce que cette fois G. Müller dirigeait ses pas vers l'Europe et qu'il visita la France, la Suisse, l'Allemagne, la Hollande.

« Après quelques semaines de travail à Ashley Down et l'expédition des affaires des diverses branches de l'Institut biblique, écrit Mme Müller, après avoir prêché régulièrement dans les trois chapelles de Bristol dont il est l'un des pasteurs, M. Müller entreprit son troisième voyage, se sentant appelé par le Seigneur à travailler au service de l'Évangile en Suisse et en Allemagne. »

Il resta une dizaine de jours à Paris où il prêcha cinq fois en anglais à la chapelle de la rue Royale (1). M. et Mme Müller visitèrent Versailles et Charenton et en profitèrent pour distribuer des évangiles. Le 28, départ pour Dijon où ils passent la nuit ; le lendemain en route pour Neuchâtel et Berne où ils arrivent le 31. Le 1er septembre, G. Müller parla en allemand à l'Eglise Libre. Il y avait trente et un ans qu'il n'avait pas prêché en cette langue. L'assistance est telle qu'il faut tenir le second service à l'église française dont le local est plus vaste. Le 3 septembre, il s'adresse à un auditoire de quinze cents personnes à peu près, au Festhütte. Il visite l'orphelinat du Dr Blosch et prêche tous les soirs jusqu'au dimanche 10 septembre. À trois heures, il prêche encore au Festhütte devant un auditoire de dix-neuf cents personnes environ, et le soir à l'église française, il prononça un sermon d'adieu devant un auditoire estimé à deux mille personnes. Après quelques jours de détente à Lucerne et aux environs, il continua sa tournée de prédications à Zurich et environs, à St-Gall, à Constance, Schaffhouse, Winterthur, Bâle, puis l'Allemagne et la Hollande... Nous trouvons dans le journal de M. Müller après le troisième voyage ce court résumé :

« J'ai prêché trois cent deux fois en soixante-huit endroits différents... Partout, j'avais été invité ; car mes travaux et mes écrits sont connus sur le Continent aussi bien qu'en Angleterre. Partout, la bénédiction de Dieu a accompagné mes pas de façon manifeste, ce qui m'encourage à persévérer dans ce ministère de la Parole, et à employer le soir de ma vie à aller de lieu en lieu, de pays en pays, aussi longtemps que le Seigneur m'en donnera les forces, et ouvrira le chemin devant moi.

Pendant notre absence, tout a marché à Bristol comme si nous y étions restés. Lorsque mon avis est nécessaire, je le transmets par lettre, et chaque semaine M. Wright m'écrit une ou deux fois.

Je tiens à faire remarquer que mon service de prédication itinérant ne dépend pas de l'Oeuvre de Bristol. Je n'ai pas entrepris ces voyages pour collecter, non plus que pour faire connaître l'Oeuvre, mais uniquement pour communiquer aux chrétiens et surtout aux jeunes, mon expérience et ma connaissance des choses divines, et pour annoncer l'Évangile aux inconvertis. Je ne fais même pas allusion à notre Institut, à moins qu'on ne le demande.

Quatrième voyage : Le Canada et les États-Unis (18 août 1877 - 8 juillet 1878). - « A notre retour d'Europe, nous avons passé. quelques semaines aux Orphelinats, écrit Mme Müller. Tout y allait bien. Après avoir longuement prié, M. Müller décida de répondre cette fois à l'invitation collective qu'il avait reçue d'Amérique ; c'est ainsi que le 18 août nous gagnâmes Liverpool pour nous embarquer pour le Canada ; car on nous avait fortement recommandé la traversée la plus courte : Liverpool-Québec.

Le dimanche matin 19, M. Müller prêcha au Albion Hall, le Soir à Toxteth Tabernacle ; et trois fois encore en d'autres endroits durant notre court séjour à Liverpool. Le jeudi après-midi, le 23, nous montâmes à bord du Sardinian (Allan Line) et quittâmes le port à sept heures le même soir. Le lendemain matin, nous fîmes escale à Moville (côte Nord de l'Irlande) pour y prendre le courrier, et nous continuâmes notre route vers l'Atlantique. La cabine de pont que nous occupions était assez confortable, et bien, que la mer fût démontée, le voyage fut assez bon. Près de Terre-Neuve, nous avons été pris par le brouillard et par le froid ; la marche du navire en a été ralentie. Cependant, le 30 au soir, nous entendîmes les passagers de troisième crier : Terre ! Terre ! Effectivement, lorsque le brouillard se leva, nous vîmes nettement Belle Island sur la droite. Ce même soir, M. Müller fit un service pour les matelots et les passagers de l'entrepont sur le gaillard, d'avant, puis un second pour les autres passagers.

Le 31, nous entrions dans le golfe du St-Laurent où la mer était démontée... Le soir, M. Müller parla à nouveau dans l'un des salons. Toute la journée du 1er septembre, nous avons remonté le St-Laurent... Comme nous approchions de Québec, le capitaine fit tirer quelques coups de canon pour signaler l'arrivée de son navire.

Sur le soir, nous accostions à Point-Louis, au sud de Québec. Une voiture nous conduisit à l'Hôtel St-Louis situé au haut d'une colline à pente rapide. Un volumineux courrier nous y attendait : lettres de bienvenue sur la terre américaine, et de multiples invitations à prêcher.

Le dimanche soir 2 septembre, M. Müller prêcha pour la première fois en terre canadienne à l'église baptiste, puis à deux reprises dans un Hall de la ville. On aurait voulu le garder au Canada. Mais comme la lettre qui l'avait décidé à se mettre en route provenait des pasteurs des États-Unis, il nous sembla que nous devions nous rendre d'abord en ce pays, et plus particulièrement à Brooklyn où habitait M. Thwing... »

Nous avons tenu à citer ces lignes du livre de Mme Müller ; elles montrent mieux que des commentaires l'activité inlassable de ce vieillard qui, de santé délicate, saisissait cependant sans jamais se lasser toutes les occasions d'annoncer Christ, en temps et hors de temps.

Revenons au journal de G. Müller:

... En fondant l'Institut et plus particulièrement l'Oeuvre pour Orphelins, j'espérais surtout que, par ce moyen, Dieu daignerait montrer à l'Eglise l'importance et la valeur de la prière, de sorte que la foi des chrétiens en serait fortifiée, et que le monde verrait la réalité des choses d'ordre divin et spirituel. Les résultats ont dépassé et de beaucoup toutes mes espérances ; que Dieu en soit loué ! Par correspondance, par des entrevues personnelles, j'avais déjà appris que pour des milliers de personnes l'Oeuvre de Bristol avait été et était toujours en bénédiction. Et cependant tout cela n'est rien à côté de ce que j'ai vu et appris au cours de mes tournées missionnaires dans les Îles Britanniques, en Suisse, en Allemagne, en Hollande, au Canada et aux États-Unis. Dans tous les endroits où j'ai prêché, généralement des villes importantes, j'ai rencontré un grand nombre de personnes qui se sont converties, ou dont la foi a été fortifiée, ou qui ont remis plus complètement toutes leurs affaires entre les mains du Seigneur par la prière et la foi, après avoir lu l'un des Rapports de l'Oeuvre ou le « Récit des dispensations de Dieu avec G. Müller ». De sorte que partout, j'étais reçu comme un ami qu'on connaissait et qu'on aimait depuis vingt ans ou trente, ou plus, en quelque endroit que je portasse mes pas. En grand nombre, des chrétiens voulaient me voir ou me parler, ou écouter mes prédications ; des centaines de milliers vinrent ainsi me trouver dans tous les pays où je me trouvais, pour se fortifier de manière ou d'autre.

Durant l'année écoulée, j'ai travaillé en Amérique pour répondre à de multiples invitations, lesquelles se faisaient de plus en plus pressantes. C'est après avoir examiné là question devant Dieu que je me suis décidé à ce voyage. J'ai prêché à Québec et dans toutes les villes principales des États-Unis... À plusieurs reprises, et sur demande spéciale, je me suis adressé à un auditoire exclusivement composé de pasteurs. Ils étaient généralement de cent à deux cents, mais aussi trois cents, et une fois cinq cents. Je parlais généralement une heure et plus ; puis ils me posaient des questions sur les points qui les intéressaient davantage. Je compte ces réunions spéciales, parmi les plus importantes de cette tournée.

J'ai aussi eu l'occasion de parler dans les universités, les collèges, les séminaires, et devant des assemblées de cinq cents à deux mille cinq cents ouvriers chrétiens. J'ai prêché deux cent quatre-vingt-dix-neuf fois en anglais, et aussi en allemand parmi ceux de ma nation, devant des congrégations de blancs et de noirs et dans les églises de toutes les dénominations ; car j'aime tous ceux qui aiment le Seigneur Jésus-Christ, et j'essaie toujours davantage d'unir les enfants de Dieu. J'ai prêché parmi les Épiscopaux, les Presbytériens, les Congrégationalistes, les Méthodistes épiscopaux, les Luthériens et les Baptistes. Partout les portes s'ouvraient, et j'y entrais avec joie, puisqu'on ne demandait rien que je ne pusse faire en toute bonne conscience.
Tout a bien marché à Bristol pendant mon absence.

Certains journaux ont publié que j'avais reçu de très fortes sommes en Amérique pour l'Oeuvre de Bristol ; ce qui est faux. Tout ce qui m'a été donné dans ce but, soit un peu moins de quinze cents francs n'est pas suffisant pour couvrir la moitié des dépenses d'un seul jour. »

Lorsque Dieu avait repris à M. Müller sa compagne, il avait été soutenu par sa foi, par l'assurance parfaite que « toutes choses concouraient ensemble au bien de ceux qui aiment le Seigneur ». Mais, pour lui, l'épreuve restait mystérieuse...

« Huit ans après, dit-il, la lumière se fit. Tout à coup, mes yeux s'ouvrirent. Et je compris qu'elle n'aurait jamais pu supporter les grandes fatigues de ces longs voyages, car elle avait soixante-treize ans lorsque Dieu la reprit. »

Et F.-G. Warne ajoute : « D'autre part, il ne pouvait être question pour M. Müller de voyager seul à cause de son grand âge ; et Dieu voulant lui demander ce service missionnaire des dernières années, lui donna avec la seconde, Mme Müller l'aide qui lui était indispensable. »

CINQUIÈME VOYAGE EN SUISSE, EN FRANCE, EN ESPAGNE ET EN ITALIE (5 septembre 1878 au 18 juin 1879). - Durant cette tournée de prédication, j'ai parlé en anglais et en allemand, mais aussi en français après m'être remis quelque temps à l'étude de cette langue. En Espagne et en Italie, je me suis servi de l'une ou l'autre de ces trois langues qu'on traduisait en Espagne ou en italien si la chose était nécessaire. Il a plu à Dieu de faire reposer sur ce voyage de prédication de très grandes bénédictions. Après avoir prêché trois fois à Paris, je gagnai Berne en passant par Neuchâtel. Nous reçûmes en Suisse le plus chaleureux des accueils (2). À Yverdon, j'ai vu la veuve d'un cher frère que Dieu a rappelé à lui depuis bien des années. J'avais fait sa connaissance dès les débuts de mon ministère à Teignmouth en 1830 ; et c'est seulement en 1878, quarante-huit ans après, que sa veuve m'apprit que j'avais été l'instrument de sa conversion...

D'Yverdon, je gagnai Genève où je prêchai douze fois ; puis Lyon, Marseille, Nîmes, Montpellier et l'Espagne. »

Par Mme Müller, nous avons beaucoup plus de détails nous savons que G. Müller fit une série de prédications à Neuchâtel où il resta du 30 septembre au 11 octobre, puis à Lausanne où il demeura jusqu'au 25 octobre. Le service d'adieu eut lieu au temple allemand. À cette occasion, le pasteur Wagner le remercia au nom de l'Alliance évangélique. Avant de quitter Lausanne le 23, M. et Mme Müller firent un pèlerinage au cimetière de la Sallaz jusqu'à la tombe de MANUEL MATAMOROS, ce chrétien espagnol bien connu qui fut si longtemps emprisonné en son propre pays à cause de sa foi en Christ. Peu après sa libération, il mourait à Lausanne des suites des mauvais traitements subis en prison. Il n'avait que trente-deux ans. Sur la pierre tombale, on lit distinctement :


MANUEL MATAMOROS
DE
MALAGA

8 octobre 1834. 31 julio 1866.


Puis ces textes en langue espagnole : Romains VIII : 18, et V : 2, Philippiens Il : 30. « L'endroit du cimetière où se trouve cette tombe est très beau, ajoute Mme Müller ; bien que l'automne soit avancé, il est encore couvert de roses et d'autres fleurs en plein épanouissement... » A Genève, l'Alliance évangélique avait organisé toute une série de Prédications dans de nombreux lieux de culte ; M. et Mme Müller y séjournent du 9 novembre au 21. Ils vont voir les maisons de Calvin... Le 20, service d'adieu à l'Oratoire de l'Eglise libre.

À Lyon, G. Müller prêcha en anglais à la Chapelle Évangélique de la rue Lanterne, le vendredi 22 novembre, il fut traduit par M. Monod. « Beaucoup vinrent l'entendre ; la présence et la puissance du Saint-Esprit se firent particulièrement sentir, écrit Mme Müller, ce fut une excellente réunion. » Puis elle mentionne que les protestants lyonnais eurent tes plus grandes difficultés à obtenir un lieu de culte à cause des « the furious opposition of the Romish priests ». En 1851, Lyon n'avait pas de temple. Grâce à l'influence de l'ambassadeur anglais, les protestants allemands obtinrent un lieu de réunion, mais à condition que la prédication se fasse uniquement en allemand. Après plusieurs autres services, à la Chapelle évangélique et à l'Église allemande, les voyageurs se dirigèrent sur Marseille où le 27 G. Müller prêcha au Temple évangélique devant une nombreuse assistance, et en plusieurs autres endroits, en français et en allemand. À Nîmes il prêcha à l'église méthodiste et à l'église libre, et alla jusqu'aux carrières de Lecques où l'Eglise nîmoise persécutée se réunissait pour adorer au temps de Louis XIV. À Montpellier, il prêcha trois fois à l'Eglise réformée indépendante, assista à une réunion de prière où il prit la parole... « Devant l'hôtel où nous logions, écrit Mme Müller s'étend un terrain qu'on a récemment transformé en jardin public. C'est sur cet emplacement qu'en 1721 des pasteurs furent pendus à cause de leur foi ; c'est ici que d'autres serviteurs du Christ subirent le supplice de la roue. La personne qui nous donne ces détails, un descendant, de huguenot, ajoute : « Nous avons été persécutés plus qu'aucune autre race sous les cieux... » Le 12 décembre, à 7 h. du matin, nous quittions Montpellier à destination de l'Espagne... »

« Je désirais beaucoup voir de mes propres yeux les écoles qui sont entièrement soutenues depuis de nombreuses années par notre Institut de Bristol, écrit M Müller et je voulais prendre contact avec l'oeuvre missionnaire à laquelle nous avons envoyé tant de milliers de livres sterling durant les dix ans écoulés. Nous avons fait un séjour de quinze jours à Barcelone, j'y ai parlé vingt-trois fois. C'est dans cette ville que nous avons eu la joie de rencontrer bien des frères qui sont au service de l'Évangile en terre d'Espagne. J'ai visité nos dix écoles de semaine dont M. Payne est le directeur. Elles sont fréquentées par sept cent cinquante-six élèves, presque tous catholiques. Les parents les laissent chez nous malgré les menaces des prêtres, parce qu'ils apprécient beaucoup l'enseignement qui y est donné ».

« Le dimanche matin 15 décembre, nous avons assisté à un service célébré dans une salle d'école à Calle San Gabriel, Gracia : d'abord un frère aveugle pria, puis un autre frère lut plusieurs portions des Écritures, et M. Müller parla, pendant près d'une demi-heure, traduit en espagnol par M. Payne. Ensuite, célébration de la sainte Cène, chant d'un cantique, et prière finale. Nous donnâmes alors de nombreuses poignées de mains à nos frères et soeurs espagnols ; et l'aveugle qui avait commencé le service levant un doigt vers le ciel nous dit en espagnol : « Là-haut nous parlerons tous le même langage. »

Le 19, nous accompagnâmes M. Payne à Barcelonetta pour y visiter les écoles. C'est un quartier pauvre de la ville. M. Müller s'adressa aux écoliers de l'une des classes, et voici ce qu'il leur dit :

« Mes chers enfants, je vous aime tous beaucoup, et je prie pour vous tous les jours. Je désire ardemment vous rencontrer tous au ciel un jour. Mais pour que vous puissiez y aller, en tant que pécheurs misérables et coupables et perdus, vous, devez placer toute votre confiance en Jésus-Christ qui a pris sur lui notre châtiment. Car c'est uniquement son sang qui peut nous purifier du péché. » Puis il leur parla des orphelins d'Ashley Down... » [Mme Müller.]

Revenons au, journal de G. Müller
« De Barcelone, écrit-il, nous sommes allés à Saragosse (3) puis à Madrid, où j'ai parlé quinze fois... Je ne pouvais que me réjouir en constatant que tant d'enfants à Barcelone et à Madrid se trouvaient par nos écoles en contact avec l'Évangile, et en pensant que par eux, les parents aussi connaissaient plus ou moins la Parole de Dieu, puisque les enfants apprennent à la maison des passages de la Bible, et chantent dans leur langue nos beaux cantiques. »

Au retour, M. Müller prêcha à Bayonne, à Biarritz, Pau, Bordeaux, la Force, puis à Cannes, à Nice, à Menton. À la Force, il tint une réunion à « la Famille » et le lendemain prêcha au Temple devant un nombreux auditoire - plus de quatre cents personnes, écrit Mme Müller. « M. Bost dit à mon mari qu'il était admirable, et ne voulut pas entendre parler d'un interprète ; de sorte que M. Müller parla en français pendant une heure et quart. »

À Menton, comme la salle de l'église libre était bondée, on dut laisser fenêtres et portes ouvertes. Bien des personnes écoutèrent dehors, assis sur des chaises au balcon ; parmi ces dernières se trouvait M. Spurgeon, que nous avons eu le plaisir de voir de temps à autre. Nous avons aussi fait quelques promenades en voiture avec lui. Un après-midi que nous étions sur la route de Turin qui passe à Castiglione, alors que lentement notre équipage montait la colline par un chemin en lacets, M. Spurgeon admirant le magnifique panorama s'étendant sous nos yeux dit : « Quand je me trouve au milieu de semblables merveilles, j'ai l'impression que de la tête aux pieds tout mon être transporté va éclater en un cantique d'adoration et de louanges... »

« De Menton, nous avons gagné l'Italie. J'ai prêché à Bordighera, à San Rémo, à Gênes, à Pise, à Florence, à Rome; dans cette dernière ville, vingt fois, en plusieurs langues, dont l'italien. Où que les regards se portent ici, vous voyez les signes de l'idolâtrie, non plus l'idolâtrie de la Rome païenne, mais celle de la ville des papes (4). Je considère, donc comme un grand honneur d'avoir pu rendre témoignage au Christ, également dans cette ville. À Naples aussi j'ai prêché vingt fois dans les principaux lieux de culte. Là comme partout ailleurs j'ai eu la joie d'entrer en relations avec bien des chrétiens, et de prêcher dans toutes les églises des diverses dénominations : c'est-à-dire dans celles qui reconnaissent Christ comme Chef, et sont fidèles aux vérités fondamentales de notre très sainte foi... J'ai encore prêché à Bologne, à Venise, à Brescia, à Côme, Mitan, Turin, enfin dans les vallées vaudoises du Piémont. De là, nous avons regagné Paris et Bristol. »

LE SIXIÈME ET LE SEPTIÈME VOYAGES eurent pour but l'Amérique et le Canada. Partis en août 1879, M. et Mme Müller s'apercevaient au retour du premier voyage qu'il restait cent cinquante-quatre invitations écrites, auxquelles ils n'avaient pu répondre. Aussi, après deux mois de séjour à Bristol, ils traversèrent à nouveau l'Atlantique pour ne revenir qu'en mai 1881 en Angleterre. G. Müller note qu'en Amérique il a recherché toutes les occasions de prêcher en allemand devant ses compatriotes et les Suisses allemands, qui sont nombreux en ces pays... Ont New-York seulement : trente mille.

Il remarque à l'occasion, de la cinquième traversée de l'Atlantique, en septembre, 1880, « qu'il n'a pas souffert du mal de mer ni de la moindre indisposition et il en donne gloire à Dieu ».

« Lorsque pour la première fois, la question du voyage en Amérique s'était sérieusement posée pour moi, dit-il, j'avais placé devant Dieu l'appel reçu et je lui avais dit que j'étais prêt à partir, malgré mon antipathie naturelle pour ce voyage : vingt-cinq fois déjà j'avais été sur mer pour son service, et j'avais été fort malade. Cependant j'étais prêt, s'il le voulait, à souffrir du mal de mer ou de tout autre indisposition, et même à risquer ma vie pour cette traversée. Et quels furent les résultats ? - Non seulement j'ai fait ces six longs voyages sur mer, sans souffrir le moins du monde, mais j'ai pu soigner ma chère femme, toujours très malade durant les premiers jours de la traversée ; j'ai annoncé à bord la Parole de Dieu et servi le Seigneur de plusieurs autres manières. Si je note ce qui précède, c'est pour que mes frères bien-aimés ne permettent pas à la crainte de la souffrance ou de l'épreuve de les détourner d'un service que Dieu demande. Durant cette dernière traversée, j'ai pu prêcher à bord huit fois. »

C'est pendant ces voyages de prédication en Amérique que le Dr Pierson, l'auteur du livre « G. Müller de Bristol », rencontra M. Müller et qu'il l'invita à venir prêcher à Détroit, la ville qu'il habitait. Tous deux se virent souvent et eurent l'occasion de nombreuses conversations. Le Dr Pierson soumit à M. Müller bien des questions dont les solutions ne le satisfaisaient point, ou encore il lui dit les conclusions auxquelles il était arrivé sur certains points controversés. Ainsi il s'élevait contre ce qu'on nomme le Retour prémillénaire (5) du Seigneur Jésus. M. Müller lui répondit à ce sujet :

« Mon bien cher Frère, j'ai déjà entendu tous les arguments et toutes les objections contre le retour prémillénaire ; ils n'ont qu'un seul défaut, mais capital : pas un seul n'est basé sur la Parole de Dieu. Dans les choses divines vous n'arriverez jamais à comprendre la vérité, si vous ne mettez pas de côté vos préjugés, et ne cherchez pas, avec la simplicité d'un enfant, quel est le témoignage des Écritures. »
Et avec patience, avec sagesse, il démêla l'écheveau embrouillé de mes difficultés. (A.-T. Pierson).

Au moment des adieux, comme le Docteur Pierson lui exposait sa façon de voir sur le culte moderne qui a perdu la simplicité des temps apostoliques, sur la coutume néfaste de la location des places, et celle non moins funeste du traitement des pasteurs ; sur le devoir de ne nommer aux charges de l'Eglise que des hommes remplis du Saint-Esprit, et l'obligation pour les chrétiens de penser aux masses, devoir qu'ils négligent souvent honteusement, M. Müller répondit :

« Mon bien-aimé frère, le Seigneur vous a donné beaucoup de lumière sur tous ces sujets, et il vous en demandera compte. Si vous lui obéissez et si vous marchez dans la lumière, il vous donnera plus de lumière; sinon ce que vous possédez déjà vous sera ôté. »

Ces quelques mots prononcés, il y a plus de vingt ans, ont eu une influence quotidienne sur ma vie, dit le Dr Pierson ; et ceci prouve la puissance des lèvres que le Seigneur a touchées, du langage qu'il a sanctifié. Plus tard, lorsque, au milieu de subtiles tentations, j'ai été sollicité de suivre les traditions des hommes plutôt que la Parole de Dieu, les paroles du vénéré M. Müller sont revenues à ma pensée avec une force toujours nouvelle... Nous risquons de perdre nos privilèges en n'en faisant pas usage, et d'émousser nos convictions en n'y conformant pas nos vies : « Emploie ou perds ». Telle est la règle divine : « On donnera à celui qui a.... mais à celui qui n'a pas, on ôtera même ce qu'il semble avoir » (Luc XIX : 26).

L'hiver 1880-1881 fut extrêmement froid à New-York.
Il y avait une trentaine d'années qu'on n'avait pas eu d'hiver aussi rigoureux. Les courses de douze à quinze Kilomètres que M. Müller faisait chaque soir à Brooklyn ou ailleurs étaient extrêmement fatigantes... « Poussé par l'amour de Christ, il n'en persévéra pas moins dans une activité que, généralement, on trouve épuisante à son âge. Il sentit le froid, mais Dieu ne permit pas qu'il en souffrit. »

LE HUITIÈME VOYAGE, commencé le 23 août 1881, dura jusqu'au 30 mai, 1882. M. Müller visita l'Allemagne, l'Égypte, la Palestine, la Syrie, l'Asie-Mineure, la Turquie et la Grèce. Lorsque ni l'anglais, ni le français, ni l'allemand n'étaient compris, il se servait d'un interprète d'arabe ou de turc. Il s'adressa aux pèlerins russes qui vont en Terre sainte, aux étudiants, aux Juifs, il prêcha dans les Églises missionnaires, dans les prisons, il annonça Christ en temps et hors de temps.

L'année 1882 fut une année difficile pour l'Institut de Bristol. Des amis de l'Oeuvre insistèrent auprès de M. Müller pour qu'il restât à Ashley Down ; c'étaient ses absences, pensaient-ils, qui étaient cause de la baisse des dons. M. Müller écoutait les conseils, mais se réservait de chercher auprès de Dieu la direction suprême. Il avait constaté qu'avec M. Wright et ses nombreux collaborateurs, toutes les branches de l'Oeuvre n'avaient cessé de se développer harmonieusement et de porter des fruits. D'autre part Dieu mettait de façon manifeste sa bénédiction sur ses travaux missionnaires à travers le monde. Enfin, Müller avait la conviction toujours plus grande qu'il accomplissait bien l'Oeuvre que le Seigneur demandait des dernières années de sa vie. D'ailleurs, même absent, il restait en contact avec l'Institut de Bristol ; et ses prières, de quelque endroit qu'elles montassent vers Dieu, avaient évidemment une valeur identique à celle des prières qu'il aurait pu formuler à Bristol. Mais pour lui la considération suprême fut celle-ci : Accorder que sa présence à Bristol était nécessaire à la bonne marche de l'Oeuvre, c'était se mettre en opposition directe avec les principes qui avaient déterminé la fondation de celle-ci. La véritable confiance en Dieu ne se laisse pas ébranler par les circonstances ou les apparences. C'est pourquoi, malgré le conseil affectueux des amis de l'Institut qui étaient aussi des donateurs, G. Müller crut devoir se remettre en route pour faire la preuve, si besoin était, que la présence d'aucun homme n'était nécessaire à Dieu pour faire son oeuvre. Il continua donc son activité missionnaire et fit encore neuf voyages pendant les dix années qui suivirent ; c'est-à-dire jusqu'en 1892.

LES DERNIERS VOYAGES MISSIONNAIRES. - En 1882 il visita l'Europe centrale : l'Allemagne (6), l'Autriche, la Hongrie, la Bohême, la Pologne, la Russie. En 1883, il se tourna vers les Indes et il écrivit à ce propos :

« Peu après ma conversion, en novembre 1825, j'avais essayé de partir comme missionnaire pour l'Inde.... et dans les huit années qui suivirent je m'étais encore offert à quatre reprises de façon très solennelle et avec prière, mais inutilement. Plus je priais, plus il devenait manifeste que Dieu voulait que je restasse en Angleterre, et que c'était là que je devais travailler pour lui. À soixante-dix-neuf ans, quelque cinquante ans après ma dernière offre de départ, je parlai à nouveau de l'Inde au Seigneur, et cette fois, il exauça ma requête. »

À bord du navire où il a pris passage, dans les ports où l'on fait escale, puis dans les villes visitées, partout, G. Müller évangélisa, prêcha, fortifia les frères. Il fut très particulièrement ému de compassion à la vue des multitudes encore sans Christ, surtout à Bénarès, la ville sainte des Hindous, avec ses deux cent mille habitants, ses quinze cent cinquante temples, ses mosquées, ses puits sacrés et ses bains sur la rive gauche du Gange, ses centaines d'écoles, ses vingt-cinq mille pandits (savants) qui y enseignent, et ses millions (de pèlerins. C'était le contact avec le paganisme ; et le grand amour qu'il avait déjà pour les missions et les missionnaires s'en accrut encore... Les années 1884 et 1885 furent consacrées au Pays de Galles, à l'Écosse et à l'Angleterre. En novembre 1885, M. Müller avait quatre-vingts ans ; il repartit pour l'Australie, la Chine, le Japon, la Malaisie. Il désirait rencontrer les missionnaires aidés par l'Institut Biblique pour les encourager, les fortifier. Partout sur son passage il annonçait l'Évangile. En 1887 il se dirige vers l'Australie du Sud, et visite ensuite la Tasmanie, la Nouvelle-Zélande, Ceylan et les Indes. À Calcutta il tomba malade à cause de l'extrême chaleur.

« Je restai à Calcutta quinze semaines jusqu'à ce que le thermomètre marquât 110° à l'ombre [degrés Fahrenheit]. La chaleur devint alors torride et nous ne pûmes la supporter davantage. Nous dûmes donc gagner Darjeeling sur les pentes de l'Himalaya.
[Durant la première partie du trajet en chemin de fer, M. Müller fut accablé par la chaleur de façon si excessive, et devint si malade, que Mme Müller pensa qu'il allait mourir].

D'autre part, durant certains de nos voyages, écrit G. Müller, nous avons aussi été exposés à des températures très rigoureuses : cinquante à cinquante-six degrés au-dessous de zéro, Il faut avoir passé par là pour comprendre quelles répercussions ces températures extrêmes peuvent avoir sur l'organisme, et quels malaises elles infligent. Sur mer, nous avons eu à essuyer bien des tempêtes, et même un typhon. En chemin de fer nous avons voyagé jusqu'à sept jours de suite (jour et nuit) sans interruption. Bien que de façon générale, nous ayons toujours eu le confort nécessaire dans nos voyages, cependant il est arrivé que nous dussions nous accommoder de moyens de locomotion très inférieurs et très fatigants. À deux reprises, et bien que nous occupassions les meilleures cabines d'un navire de première classe, nous avons eu beaucoup à souffrir d'insectes [G. Müller dit : « insectes » sans spécifier leur nature]. Aux États-Unis, dans la Nouvelle Galles du Sud, à Ceylan, aux Indes, nous avons été fort incommodés par les piqûres de moustiques ; enfin sur deux des navires de première classe où nous avons voyagé, les rats pullulaient, à ce point qu'ils couraient la nuit sur les passagers. Cependant jusqu'ici, le Seigneur nous a aidés, et nous croyons qu'il nous aidera jusqu'à la fin.

Lorsque la mousson commença de souffler et que la chaleur torride diminua, de sorte qu'il devenait possible de voyager sans danger, humainement parlant, nous quittâmes Darjeeling pour Simla, via Calcutta. C'est un long voyage de plus de deux mille kilomètres... En route, nous rencontrâmes bien des difficultés et fûmes éprouvés de bien des manières, mais le Seigneur ne nous abandonna pas ; au contraire, en bien des circonstances, nous fûmes comme portés par lui. »

Les voyageurs s'arrêtèrent encore dans plusieurs autres villes : Dehli, Agra, Cawnpore, Allahabad, Jubbulpore. G. Müller prêche devant les Européens, les Eurasiens, les Américains, les indiens ; pour ceux-ci il se fait traduire...

C'est à Jubbulpore qu'un télégramme de M. Wright annonça à M. Müller la triste nouvelle de la mort de sa fille. Immédiatement, il s'occupa de retourner en Angleterre par le premier paquebot. Qui allait remplacer maintenant sa chère fille ? Depuis trente ans, elle se dépensait, aux Orphelinats sans compter, et de façon bénévole, comme l'avait fait sa mère. Dieu l'avait reprise à lui le 10 janvier 1890, à l'âge de cinquante-huit ans ! M. Müller écrivit à propos de cette épreuve :

« J'aimais tendrement ma chère Fille, et le coup fut très dur. Mais pour elle, c'est le terme des épreuves et des tristesses de cette vie, et il est évident qu'il lui est de beaucoup meilleur d'être avec le Seigneur. Quant à moi, comme j'ai l'intime conviction que toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu, mon coeur demeure dans une paix parfaite. Je voudrais que tous ceux de mes chers frères qui passent par l'épreuve et n'ont pas encore saisi la vérité renfermée dans ce passage de l'épître aux Romains (VIII : 28) se l'approprient enfin, de telle sorte que leur coeur reste en paix, à l'heure de l'épreuve. »

L'expression de la foi de G. Müller au sein de la douleur atteint une telle hauteur qu'elle a été souvent incomprise peut-être même critiquée. Son amour est à ce point dégagé d'égoïsme qu'il peut se réjouir du bonheur de ceux qui le précèdent dans la Maison du Père, et par là il est apparenté à l'Amour divin. Or, dans les pleurs versés sur les cercueils, que d'égoïsme souvent ! Que de fois l'âme endeuillée gémit sur soi-même et sur la perte qu'elle vient de faire ! Ainsi fait le monde ; aussi, quiconque saisit par la foi les éternelles consolations, quiconque aime assez pour être heureux du bonheur de ceux « qui se reposent de leurs travaux » auprès du Seigneur, est facilement taxé d'in sensibilité, de froideur.

G. Müller, dans son humble dépendance du Père céleste, et sa foi inébranlable en l'Amour éternel, détourna les veux de soi-même, de ce que les hommes nomment « une perte cruelle ». Il ne chercha pas dans le cercueil sa dernière enfant, son unique enfant. Il la chercha auprès du Seigneur ; il songea à son bonheur et en fut consolé. Cette attitude de la foi dépasse infiniment les mesures ordinaires, et seuls la comprennent ceux qui marchent avec Dieu.

En mars 1890, les voyageurs rentraient à Bristol, et, dit M. Muller, « je n'ai que des actions de grâce à rendre à Dieu, de ce que l'oeuvre n'a cessé de prospérer sous la sage direction de M. Wright. »

Le seizième voyage mena en Allemagne et en Suisse l'infatigable missionnaire qui avait maintenant quatre-vingt-cinq ans. Partis de Bristol le 8 août, ils y rentraient tous deux le 5 juin 1891 pour entreprendre presque aussitôt le dix-septième et dernier voyage en Allemagne, en Hollande, en Autriche et en Italie, qui prit fin en 1892.

Bien des chrétiens compétents estiment que les voyages missionnaires de G. Müller furent l'oeuvre la plus importante de sa vie. Ceux-ci s'étendirent sur dix-sept années durant lesquelles il parcourut quarante-deux pays, et parla à des auditoires dépassant bien souvent un millier de personnes. Ces voyages entraînèrent de grosses dépenses. Les sommes nécessaires furent trouvées en réponse à la prière comme pour toutes les autres branches de l'Institut.

Désormais M. et Mme Müller restèrent à Ashley Down où ils s'installèrent dans l'une des Maisons. Toute sa vie, G. Müller avait été un infatigable travailleur, il continua de l'être. Se levant de très bonne heure en hiver aussi bien qu'en été, il avait généralement parcourt ; son courrier avant huit heures. [Probablement celui qui était arrivé la veille ?] Il recevait alors ses collaborateurs et leur distribuait la besogne.

En 1892, un représentant du « Commonwealth Christian » alla voir G. Müller à Ashley Down, et il écrivit ce qui suit à l'occasion de sa visite :

« M. Müller vit dans l'un des orphelinats. J'avais sollicité une entrevue et il m'a reçu sur rendez-vous. Au jour dit, j'ai été conduit au haut d'un escalier de pierres puis dans un grand corridor sur lequel s'ouvrent des portes à intervalles réguliers. On a poussé l'une d'elles, je suis entré et me suis trouvé devant M. Müller. La pièce où l'on venait de m'introduire était très simplement meublée... Aux murs quelques textes ; sur la table, une Bible ouverte : qu'on vient de lire sans doute. Je m'attendais à voir un affaibli, d'aspect vénérable, et ployant sous le poids des ans. À ma grande surprise, M. Müller me donna une impression tout autre : celle d'une vigueur physique très grande. Il se tient parfaitement droit, et pour autant que j'aie pu en juger lorsqu'il m'accompagna au départ, dans le corridor, son pas est allongé et rapide. La figure est austère ; les traits accentués révèlent qu'il doit être par plus d'un côté un homme de fer. Cependant il sait sourire, et quand cela lui arrive vous voyez l'homme sous un tout autre aspect. Il donne une profonde impression de dignité. Ses manières sont celles d'un prince : il est courtois et aimable. Sa parole est nette, facile, mais on y discerne l'accent allemand.

Voici un homme de quatre-vingt-sept ans qui dirige l'oeuvre la plus remarquable du monde. L'étendue de son activité peut se mesurer à ce seul détail qu'il a sept secrétaires pour la correspondance uniquement.

... Il arrive qu'on entende cette question : Dieu exauce-t-il la prière ? Que celui qui cherche sincèrement une réponse à ce sujet étudie l'histoire de l'Institut de Bristol... Les sceptiques, comme le professeur Huxley, veulent des preuves. En voici une, et elle n'est pas constituée par un fait seulement mais par des milliers de faits ; elle n'est pas éphémère mais s'étend sur plus d'un demi-siècle. Si les faits ont quelque valeur, quelque signification, il est impossible que la science ignore le monument élevé par la foi de G. Müller : l'existence des orphelinats d'Ashley Down. »

Nous avons dû passer rapidement sur l'activité des années missionnaires. Que de faits intéressants cependant ! Que d'oeuvres fondées après la lecture du « Récit », et dont G. Müller put visiter quelques-unes. Ainsi celle du Dr Cullis pour tuberculeux, près de Boston. « SANS VOTRE EXEMPLE, TOUT CECI N'EXISTERAIT PAS », lui dit le fondateur, au cours de la visite.


(1) Les détails qui suivent sont empruntés au livre rédigé par Mme Müller : Preaching Tours and Missionary Labours of George Müller. 

(2) Mme Müller consacre cinquante-deux pages de son livre à cette cinquième tournée ; elle donne le détail des localités visitées, le nombre de fois que M. Müller a parlé, et parfois aussi elle indique le sujet de la prédication. Ainsi pour le sermon d'adieu prêché à l'église française de Berne devant un immense auditoire, elle ajoute : A cette occasion, M. Müller prêcha avec beaucoup de puissance ! sur la seconde Venue du Seigneur. À la fin du service, avant la bénédiction, le colonel von Büren se leva pour remercier le prédicateur au nom des chrétiens de Berne.

Puis comme elle vient d'énumérer toute une série de prédications données ici et là à Berne et environs, elle continue ainsi : « Le lecteur de ces lignes pensera peut-être : « Comment M. Müller peut-il remplir un tel emploi du temps, avoir de constants entretiens avec des étrangers, et cependant se nourrir lui-même spirituellement ? Quand prend-il le temps de fortifier « l'homme intérieur ?... », car ceux qui annoncent Christ aux autres ont plus que quiconque besoin de la grâce et de la sagesse divines. » - Par la bonté de Dieu M. Müller s'est toujours adonné à la méditation de la Bible et à la prière. Qu'il voyage ou se repose, un jour ne se passe pas sans qu'il étudie avec prière la Parole de Dieu ; et il donne à cette méditation tout le temps possible. Il est l'homme d'un seul livre : la Bible. Il s'attend habituellement à Dieu, et Dieu lui renouvelle jour après jour la vigueur et la force spirituelles. Toutefois je saisis cette occasion pour le recommander instamment aux prières des enfants de Dieu. » (Preaching Tours, p. 88, 89). 

(3) A Saragosse, il prêcha à deux reprises à l'église de M. Gullich ; ce monsieur voulut bien traduire. C'est après avoir visité la cathédrale de Nuestra Senora del Pilar où elle a été le témoin de nombreux actes de superstition grossière que Mme Müller écrit ces lignes : « Pour connaître le catholicisme tel qu'il est en réalité, il faut l'avoir vu dans la catholique Espagne. Dans nos pays protestants il se dégage de ses plus grossières superstitions... Quelle est donc grande la responsabilité de ceux qui connaissent l'Évangile » 

(4) Nous avons vu la Scala Santa, écrit Mme Müller, un long escalier de vingt-huit marches de marbre ; onze pèlerins y montaient en se traînant à genoux [pour gagner des indulgences]. C'est là qu'un jour Luther montait aussi péniblement lorsqu'il entendit ces paroles dites comme par une voix du ciel : « Le juste vivra par la foi. » [Rom. I : 17.]

(5) Avant le Millénium.

(6) Il avait alors soixante-dix-huit ans. C'est pendant ce voyage qu'il parla à Kroppenstaedt, sa ville natale, où il donna deux conférences sur sa vie et ses travaux. De tous côtés on vint l'entendre, de sorte que le plus grand local de l'endroit fut absolument rempli. 
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