Mme MÜLLER. -
VIE
CONSACRÉE. -
EMPLOI
DU
TEMPS. - MALADIE. -
À
CLEVEDON. - ACCIDENT. -
À
TEIGNMOUTH. -
GUÉRISON
ET ACTIONS DE GRÂCE. - LA
PASSION DU TRAVAIL. -
QUELQUES
JOURS DE SOUFFRANCE. -
DÉPART
LE 6 FÉVRIER 1870. -
UN HOMME INHUMAIN. -
« FUNERAL SERMON ».
- Ô DIEU TU ES BON ET BIENFAISANT.
Mme
Müller
s'était donnée sans réserve
à l'oeuvre de son mari. Bien qu'elle ne
fût pas de santé délicate, elle
avait été très malade au
moment de la naissance de ses enfants. Sa vie avait
même été en danger ; mais
Dieu l'avait rétablie. En 1859, elle
s'aperçut que le bras gauche, qui avait
été blessé dans une chute
faite autrefois, devenait très faible,
faiblesse qui ne fit que s'aggraver. Vers la fin
d'octobre, ce bras devint extrêmement
douloureux et enfla. L'enflure ne fit qu'empirer,
gagna tout le membre, « et la main prit
de telles proportions qu'il fallut couper
l'alliance que je lui avais passée au doigt
le 7 octobre 1830 », écrit M.
Müller.
Les choses
s'aggravèrent,
et bientôt ma chère femme dût
rester à Bristol. La chambre d'Ashley Down
où j'avais pris l'habitude de la rencontrer
après le déjeuner, et parfois entre
temps, allait rester vide pendant de longs
mois.
VIE
CONSACRÉE. - J'ai déjà dit
que ma chère femme était
foncièrement chrétienne.
C'était là sa qualité par excellence ;
son unique
objet ici-bas, c'était de vivre pour Dieu.
Elle avait un esprit doux et paisible... Jamais
elle ne mettait d'obstacles sur le chemin que Dieu
ouvrait devant moi. Toujours elle s'employait
à fortifier mes mains, même dans les
plus grandes difficultés et lorsque le
service auquel elle apportait son concours
demandait d'elle, les plus grands sacrifices. De
septembre 1838, jusqu'à la fin de 1846,
notre confiance fut constamment mise à
l'épreuve. Constamment, des centaines de
fois, nous dûmes donner pour les orphelins
jusqu'aux derniers centimes que nous avions, pour
qu'ils eussent le nécessaire. Jamais elle ne
me fit le moindre reproche ; mais elle priait
Dieu avec moi pour qu'il voulût bien envoyer
le secours, et le secours arrivait. Alors,
ensemble, nous nous réjouissions ;
à moins qu'ensemble nous ne nous missions
à pleurer de joie.
EMPLOI
DU
TEMPS. - J'ai déjà
parlé de l'excellente éducation
qu'elle avait reçue, j'ai dit qu'elle
était musicienne, qu'elle pouvait peindre et
broder ; cependant ses occupations avaient
généralement un but plus pratique.
C'était par exemple la préparation
des centaines de petits lits blancs de nos
orphelins, de nos enfants
déshérités qui n'avaient
jamais vu d'aussi confortables couchettes et
surtout qui n'en avaient jamais eues.
C'était la confection des chaudes
couvertures et de beaucoup d'autres choses
nécessaires. Elle servait le Seigneur
Jésus en servant les enfants pauvres
destitués de tout. Ma chère femme
avait le don de savoir soulager, de trouver la
chose qu'il fallait dire pour aider quiconque
était dans la peine, pour alléger le
fardeau des autres...
Lorsqu'elle tomba
malade, et
dès le début de cette douloureuse épreuve, je
me dis que Dieu m'avait donné, en ma
chère femme, la plus précieuse des
compagnes ; et qu'il ne siérait pas de
se laisser accabler parce qu'il lui plaisait
maintenant de l'affliger, alors que durant trente
ans à peu près, elle avait joui d'une
santé relative... Il convenait que
j'acceptasse sa volonté comme bonne,
agréable et parfaite. Ma chère femme
fut presque neuf mois malade. De temps à
autre, elle venait en voiture jusqu'aux Orphelinats
pour donner quelques conseils, quelques directions.
Je ressentais très douloureusement son
absence, et cependant comme je discernais la main
de Dieu dans cette affliction, mon âme
restait en paix. Nous priions encore ensemble
chaque jour, et nous demandions aussi à Dieu
qu'il voulût bien rendre l'usage du bras
malade si telle était sa sainte
volonté...
À CLEVEDON. -
Enfin, en
avril 1860, notre excellent docteur pensa qu'elle
était assez bien pour qu'on pût
essayer d'un déplacement jusqu'à
Clevedon où elle devait prendre des bains de
mer chauds. Je la conduisis donc jusque-là
et notre fille resta près d'elle. Les bains
de mer firent effectivement du bien et le mieux
semblait évident, lorsqu'un jour en rentrant
du bain, elle glissa malheureusement en remontant
sur le trottoir, près de la maison où
elle demeurait ; la tête porta sur le
mur et le poids du corps sur le bras malade qui
était maintenu en écharpe. À
cause de ce bras malade, elle n'avait pu amortir la
chute. Comme elle restait immobile,
inanimée, notre chère fille courut
chercher du secours à la maison. Lorsqu'elle
arriva avec, de l'aide pour faire transporter sa
mère, celle-ci avait repris ses
sens.
Tout semblait sombre
maintenant
et l'état empira.
Tous les soirs, une
fois la
journée de travail achevée aux
Orphelinats, j'allais à Clevedon pour
veiller ma chère femme pendant la nuit. Elle
souffrait beaucoup. Puis graduellement, la
souffrance s'atténua et elle se retrouva
à peu près au même point que
trois mois auparavant, lors de son arrivée
à Clevedon.
À TEIGNMOUTH. -
Je la
ramenai à la maison, à Bristol, pour
six semaines ; puis nous
décidâmes d'aller passer ensemble un
mois à Teignmouth. C'était un
changement d'air, et il y avait aussi cet avantage
qu'elle pourrait continuer là-bas les bains
de mer chauds. Nous y allâmes donc tous
trois...
GUÉRISON ET ACTIONS DE
GRÂCE.
-
Lorsque nous revînmes, ma chère femme
allait tellement mieux qu'elle pouvait à
nouveau se servir de la main et du bras malades, de
sorte qu'elle put reprendre ses occupations
habituelles aux Orphelinats. Sa chère main
avait presque les dimensions normales, et il fut
possible de remettre à son doigt l'alliance
brisée que j'avais fait réparer par
un bijoutier. Que Dieu est bon d'avoir
accordé la guérison. Qu'il est bon de
n'avoir pas permis qu'elle fût tuée
dans la chute qu'elle fit à Clevedon !
Je veux rendre grâce à
l'Éternel pour tous ses bienfaits, et
j'ajoute : « Qu'il est bon d'avoir
permis cette maladie ! »
Effectivement, cette épreuve fut une marque
de son amour. Je m'explique : ma chère
femme s'était beaucoup trop fatiguée
pendant les années 1856, 1857, 1858, 1859 ;
le travail qui retomba sur elle pour l'ouverture de
la seconde Maison et en prévision de
l'ouverture de, la troisième, fut tel que sa
santé fut atteinte. Elle se dépensa
beaucoup trop et au delà de ses forces, bien que
je la suppliasse
constamment
de ne pas le faire, Mais elle avait la passion du
travail ! Elle ne pouvait supporter de rester
un instant sans rien faire. C'est parce que son
état de santé était si
précaire que le rhumatisme eut
aussitôt autant de prise sur elle. Mais voyez
la bonté de Dieu ! Il se servit
justement de cette maladie pour l'obliger au repos.
Le docteur ordonna aussi une diète
fortifiante, et qu'autrefois elle avait toujours
refusée. L'épreuve fut donc le moyen
dont le Seigneur se servit pour prolonger sa vie de
quelques années et conserver aux orphelins
leur grande amie..., à notre chère
fille, sa mère, et à son pauvre mari,
la plus précieuse des compagnes.
En octobre 1860, sa
santé
était meilleure qu'elle ne l'avait
été depuis de longues années.
Qu'il est donc vrai ici ce passage des
Écritures : « Nous savons que
toutes choses concourent ensemble au bien de ceux
qui aiment Dieu. »
(Romains
VIII : 28).
Le mieux se maintint
pendant
quelques années. Mais en 1867 il
devînt évident pour ceux qui
l'approchaient que Mme Müller s'affaiblissait.
Son mari la supplia de prendre plus de repos, plus
de nourriture, mais il ne pouvait prévaloir
sur cette volonté arrêtée
d'aller jusqu'au bout, sans se soucier de rien pour
elle-même. Il s'inquiète de ses
longues insomnies : « Je deviens
vieille, explique-t-elle, et les vieilles gens
n'ont plus besoin d'autant de sommeil ».
S'il insiste et dit sa crainte d'une nouvelle
maladie comme en 1859, elle lui
répond : « Mon
bien-aimé, le Seigneur me permettra encore
de voir l'aménagement et l'inauguration des
Maisons IV et V ; et ensuite pourra me prendre
à lui ».
MALADE.
- Elle voulait
travailler jusqu'à la fin. Or il y avait
tant à faire et dans tant de domaines aux
Maisons d'Ashley Down ! Elle y travaillait du
matin au soir ; elle y travailla
jusqu'à la fin.
QUELQUES
JOURS DE SOUFFRANCE. - Au commencement de 1870,
elle prit froid. Elle qui soignait les autres avec
tant de sollicitude refusait
généralement qu'on s'occupât
d'elle. M. Müller obtint, cependant qu'elle
vît un docteur. Celui-ci insista pour qu'elle
prît une voiture chaque jour pour se rendre
aux Orphelinats et rentrer à Bristol et
recommanda une alimentation plus fortifiante,
quelques remèdes et la sieste. Ce
régime lui fit le plus grand bien.
Ne sortant plus qu'en
voiture
fermée pour aller à Ashley Down et en
revenir, elle évitait l'air de la nuit et la
mauvaise toux qui l'épuisait cessa
complètement. Les dimanches 23 et 30
janvier, elle assista aux services du matin Le soir
du 30, elle ressentit une vive douleur dans le dos
et le bras droit, laquelle ne fit qu'empirer
jusqu'au lundi, de sorte que M. Müller fit
chercher le docteur ; celui-ci n'était
pas à la maison, et Mme Müller voulut
se rendre en voiture aux Orphelinats comme elle en
avait l'habitude. Sa fille l'y accompagna pour
travailler sous sa direction, car elle craignait de
ne pouvoir faire beaucoup elle-même. La
journée fut assez bonne, mais la souffrance
augmentant vers le soir, elle rentra à
Bristol avec sa soeur et sa fille. M. Müller
était resté pour assister à la
réunion de prière. Quand il arriva
à Bristol, le docteur avait passé
chez lui et prescrit le repos absolu à la
malade : Mme Müller était
couchée, on avait allumé un bon feu
dans sa chambre sur l'ordre dû
médecin. Celui-ci avait diagnostiqué
une fièvre rhumatismale. La nuit fut
mauvaise, les souffrances augmentaient, les membres
se prenaient l'un après l'autre, et ils
étaient si douloureux qu'elle ne pouvait ni
les bouger ni souffrir qu'on les touchât,
à l'exception du bras et de la main si
malades, dix ans auparavant.
« Le mardi,
1er
février, je restai à la maison,
à côté de ma chère
femme, écrit G. Müller. Dans sa
chambre, il y avait des textes entre autres ceux du
« Silent Comforter » ...
« Mes temps sont dans ta main »
(Psaume XXXI : 15). De tout coeur, je pus
répondre à l'affirmation du
message : « Oui, mon Père,
les temps de tes enfants sont en ta main. Et
certainement ce que tu
décideras, sera pour le mieux, pour le plus
grand bien de ma chère femme et pour le
mien, que ce soit la vie ou la mort. S'il est
possible, guéris-là à nouveau.
Tu peux le faire, bien qu'elle soit si
malade ; mais quoi que tu décides,
ô Père, soutiens-moi, afin que je
trouve toujours ta volonté bonne et
parfaite... » Pendant toute cette
semaine, alors que ma chère femme
était si gravement malade, j'eus constamment
en pensée le verset d'un de nos
cantiques ; qui célèbre la
tendresse infinie et l'Amour insondable du
Père céleste :
- « Best of blessings He will provide us,
- Nought but good shall e'er belide us,
- Safe to glory He will guide lis,
- Oh how He loves ! »
Et mon coeur répondait :
« Oui, il nous aime parfaitement, et ne
veut que notre plus grand
bien ».
Le mercredi, comme ma
chère femme souffrait beaucoup moins, je pus
lui lire un verset du psaume LXXXIV,
avant de partir aux
Orphelinats :
« l'Éternel-Dieu est un soleil et
un bouclier, l'Éternel donne la grâce
et la gloire, Il ne refuse aucun bien à ceux
qui marchent dans
l'intégrité ».
(verset
douzième).
Après avoir lu ce
passage, je lui dis : « Ma
bien-aimée, Dieu nous a donné sa
Grâce à l'un et à l'autre, nous
recevrons donc aussi la gloire ; et puisque
avec son secours nous marchons dans
l'intégrité, il ne nous refusera
aucun bien ». Ce verset fut pour elle un
réconfort et elle en reparla à notre
fille dans le courant de la
journée...
Le jeudi, je vis que
le docteur
considérait l'état comme très
grave.
Le vendredi, il
m'avertit qu'il
désirait une consultation
et voulût appeler un confrère,
l'état de ma femme étant des plus
sérieux. Je lui répondis que
j'étais satisfait de son traitement ;
toutefois s'il désirait cette consultation,
je le laissais libre de l'avoir.
Je demeurai près de ma
chère malade, toute la matinée et
jusqu'à l'heure du déjeuner. À
ce moment comme il me fallait la quitter quelques
heures, je lui dis : « ma
bien-aimée je regrette d'avoir à te
quitter, mais je reviendrai aussitôt. que
possible ». Elle répondit :
« Tu me laisses avec
Jésus ».
Quand je revins, je la
retrouvai
à peu près dans le même
état qu'elle était au moment de mon
départ. Mais la nuit qui suivit fut
très mauvaise ; elle souffrit beaucoup,
bien plus qu'elle n'avait encore souffert
jusque-là. Presque toute la nuit je fus sur
pied, essayant de façon ou d'autre
d'alléger sa souffrance, et de l'aider,
puisqu'elle ne pouvait plus bouger un seuil membre.
Enfin vers deux heures du matin, les douleurs
semblèrent céder, jusque vers quatre
heures. Mais ce qu'elle avait enduré cette
nuit-là devait amener rapidement la fin de
son pèlerinage terrestre.
À dix heures du matin,
il
n'y avait plus aucun espoir de guérison, et
je sentis qu'il était de mon devoir
d'avertir ma bien-aimée que le Seigneur
allait venir la chercher. Elle me
répondit : « Il viendra
bientôt. » Voulait-elle dire que le
Seigneur viendrait bientôt, et que nous
serions réunis ? Je l'ai
supposé.
AVEC JÉSUS. - À
une heure et demie, quand j'essayai de lui faire
prendre un peu de médecine, puis une
cuillerée de vin mélangé
d'eau, je remarquai qu'elle avait quelque peine
à avaler. Quelques minutes après,
elle n'articulait plus que difficilement. Elle essaya
de me dire quelque
chose
que je ne pus comprendre. Je m'assis alors devant
elle de façon qu'elle pût me voir
observant sa chère figure, et à peine
un quart d'heure après, je remarquai un
changement dans ses chers yeux toujours si
brillants. J'appelai aussitôt Lydia et sa
tante, Miss Groves, les avertissant de la fin
prochaine. Elles vinrent dans la chambre ; peu
après, Mrs Mannering entrait aussi (une
autre soeur de ma chère femme). Tous quatre
en silence, nous entourions ma bien-aimée...
Vers quatre heures vingt, elle s'endormit en
Jésus, au jour du Seigneur,
l'après-midi du 6 février 1870
(à l'âge de soixante-treize ans).
Alors je tombai à genoux et bénis
Dieu qui l'avait délivrée, le
suppliant aussi de nous aider et de nous
soutenir.
UN HOMME INHUMAIN. -
Le
lendemain, G. Müller assista à la
réunion de prière du lundi soir
à Salem (le nom d'une chapelle). Se levant,
et avec une expression radieuse que les assistants
n'oublièrent pas, il demanda aux
frères de se joindre à lui pour
bénir Dieu qui, dans sa miséricorde
infinie, avait mis un terme aux souffrances de sa
chère compagne pour l'introduire dans la
céleste Patrie. « Maintenant,
ajouta-t-il, auprès dit Maître qu'elle
a tant aimé ici-bas, elle trouve, je le
sais, un bonheur qui surpasse tous ceux qu'elle
pourrait connaître sur cette terre.
Voulez-vous demander au Seigneur qu'il m'aide
à me réjouir de sa joie... que mon
coeur se laisse plus absorber par sa
félicité que par l'incalculable perte
que je subis. » [Ces paroles furent
rapportées par l'une des personnes
présentes à cette
réunion ; elles s'étaient
gravées en elle de façon
ineffaçable.]
Accompagnée par des
milliers d'amis, la dépouille mortelle de
Mme Müller fut portée au champ du
repos. Douze cents orphelins suivirent le convoi,
et tout le personnel dont la présence aux
Orphelinats n'était pas absolument
nécessaire.
Extraordinairement
soutenu par
le Seigneur, George Müller
fit le service funèbre. Dans son journal, il
écrivit : « C'est moi,
moi-même, qui, extraordinairement soutenu par
Dieu, ai fait le service à la chapelle et au
cimetière. » Autour de lui bien
des gens trouvent étrange cet homme qui,
dans le deuil, a des accents pour
bénir ; ils ne comprennent pas cette
foi qui saisit les réalités
invisibles et se réjouit du bonheur de la
compagne que Dieu a rappelée. Frappé
de cette sérénité surnaturelle
pendant la cérémonie funèbre,
son médecin dit à un ami :
« Je n'ai encore jamais vu d'homme aussi
peu humain que lui. » Jugement
exact ; mais pas dans le sens que pensait le
docteur. Jugement exact parce que G. Müller se
mouvait dans ce domaine inaccessible à
l'homme naturel où le racheté marche
avec les forces d'en-haut, les forces divines, et
où il dépasse l'humaine mesure. Mais
cet homme jugé inhumain, parce qu'il est
surhumain, est cependant brisé : chez
lui la vigueur spirituelle dépasse celle de
l'organisme physique, et il tombe malade. Chaque
fois qu'il a traversé une grande douleur,
nous voyons la rupture d'équilibre se
produire (1).
Ceci répond suffisamment à ceux qui
critiquent son insensibilité apparente, la
sérénité de son attitude, la
grandeur des paroles qui naissent de sa
foi.
Aussitôt rétabli,
G. Müller dans un service public. fit revivre
le souvenir de sa femme, et prononça ce
qu'il nomme dans son journal : le Funeral
sermon (2). C'est
de ce morceau, publié in extenso dans
l'autobiographie, que nous extrayons ici et
là quelques passages, qui nous font
pénétrer en une certaine mesure dans
l'intimité de M. et Mme Müller. Le
texte du sermon était emprunté au psaume
CXIX au verset
soixante-dix-huitième (68) :
Tu es bon et
bienfaisant.
Après avoir
évoqué le temps des
fiançailles, du mariage, rappelé les
qualités de Mme Müller à sa
consécration totale à Dieu, George
Müller continua en disant :
« En me
donnant une
telle femme, Dieu me donnait les
éléments du bonheur conjugal.
Avons-nous été heureux ?
Certes !
Nous avons eu le bonheur ; un bonheur qui
allait croissant avec les années. Il ne
m'est jamais arrivé de rencontrer à
l'improviste ma chère femme, à
Bristol ou aux Orphelinats ou ailleurs, sans en
ressentir aussitôt une grande joie. Parfois,
avant l'heure du déjeuner ou celle du
thé, nous nous rencontrions dans notre petit
appartement d'Ashley Down où nous faisions
un peu de toilette avant le repas. Cela aussi nous
donnait du bonheur. J'étais
extrêmement heureux de la voir
apparaître, et c'était
réciproque. Ce n'est pas une fois ni cent
fois, mais des milliers de fois que je lui ai
dit : « Ma bien-aimée, je ne
t'ai jamais rencontrée depuis que tu es ma
femme sans en éprouver la plus grande
joie. » Et ce ne fut pas là notre
façon d'être durant la première
année de mariage seulement, ou pendant les
dix ans ou les vingt ans ou les trente ans qui
suivirent, mais tout le temps et jusqu'à la
fin.
Chaque jour, pour
autant que
cela était possible, je passais avec elle
dans sa chambre, aux Orphelinats, vingt à
trente minutes, m'asseyant sur la chaise longue
qu'un cher frère chrétien lui avait
offerte, lors de la première crise
rhumatismale. Je savais qu'il était bon que
son cerveau et ses mains si actives eussent du
repos et je savais qu'ils n'en prendraient pas si
je n'étais assis à ses
côtés. D'ailleurs il m'était
bon également d'avoir quelques instants de
repos à cause de la faiblesse d'estomac
persistante dont je souffre. Nous restions assis
côte à côte, la main dans la
main, ne parlant qu'à peine, heureux l'un
par l'autre et heureux dans le Seigneur. Notre
bonheur d'être à Dieu et l'un à
l'autre était indescriptible... Il m'est
souvent arrivé de dire à ma
bien-aimée : « Crois-tu, ma
chérie, qu'il puisse y avoir à
Bristol ou ailleurs de par le monde, une union plus
heureuse que la nôtre ? »
Pourquoi rappeler tout
cela ? Pour souligner la grande
bénédiction qu'il y a pour un mari
à posséder une femme pieuse et faite
pour lui.
J'ai dit que le
christianisme de
ma chère femme [une chrétienne
vivante et de toutes façons la compagne
qu'il me fallait] était à la base de
notre bonheur. Je n'en suis pas moins convaincu que
cela seul n'aurait pas suffi à la
persistance de ce bonheur pendant quarante ans. Je
dois donc ajouter ceci :
1° Tous deux nous
poursuivions le même but ici-bas : vivre
pour Christ. Toute autre chose n'avait pour nous
qu'une valeur très inférieure. Bien
que nous fussions faibles et que sur bien des
points, nous ne fussions pas ce que nous aurions
dû être, cependant nous ne nous sommes
jamais détournés du but que nous nous
étions proposé. Cet idéal
unique que nous poursuivions ensemble a concouru,
dans une forte proportion, à augmenter notre
bonheur mutuel. Si cette unité de but manque
dans la vie de deux époux chrétiens,
qu'ils ne soient pas surpris de ne pas
connaître le bonheur.
2° Nous avions l'un et
l'autre beaucoup à faire, et nous
travaillions tous les deux. Et cette abondance de
travail aussi fut l'un des facteurs de notre
bonheur. Jamais au matin nous n'avions à
nous demander : « Que va-t-on faire
aujourd'hui ? » Plus de travail nous
attendait déjà l'un et l'autre, avec
chaque nouvelle journée, que nous n'en
pouvions faire ; et ceci donnait une grande
douceur aux instants que nous avions à
passer ensemble. Bien des gens et même des
chrétiens authentiques commettent la faute
de soupirer après une situation dans
laquelle ils ne seront plus astreints au travail
quotidien et seront libres de leur temps. Ils ne
savent
pas
qu'ils désirent un grand mal, au lieu d'un
grand bien. Dégagés d'occupations
régulières, ils se trouveraient
très particulièrement exposés
à la tentation.
3° Si nombreuses que
fussent nos occupations, nous n'avons jamais permis
qu'elles nous absorbassent au point de nous faire
négliger le soin de nos âmes. Avant de
nous mettre au travail, nous avions pris l'habitude
de prier et de lire la Bible, chacun
séparément. Si les enfants de Dieu
négligent d'avoir chaque matin des instants
de communion avec le Seigneur, des moments durant
lesquels ils nourrissent leur âme, s'ils se
laissent absorber par leur service, même le
service de Dieu, ils ne peuvent conserver longtemps
la joie de Christ, et le bonheur au foyer s'en
ressent aussitôt.
4° Plus encore, ma
chère femme et moi nous priions ensemble, et
cela surtout est un facteur essentiel de bonheur
conjugal. Depuis de longues années, vingt
ans ou trente ou davantage, en plus de nos moments
de recueillement individuel, en plus du culte de
famille, nous priions ensemble chaque matin. Alors
tous deux nous disions à Dieu notre
reconnaissance pour les marques les plus
signalées de sa bonté, nous lui
exposions les choses les plus importantes de la
journée qui commençait. Si nous
traversions quelque grande épreuve ou si
nous avions plus particulièrement besoin de
quelque chose, nous priions à nouveau
après le repas d'une heure (si nous passions
par un temps, de très grandes
difficultés, nous priions encore une ou deux
fois au cours de l'après-midi, mais
c'était exceptionnel). Enfin le soir il
était convenu que la dernière heure
que nous passions aux Orphelinats était
consacrée à la prière, bien
que nous eussions toujours beaucoup à faire
alors, plus qu'à aucune autre période
de notre vie. C'était alors ma
bien-aimée qui venait chez moi :
prière, supplication, intercession, actions
de grâce duraient généralement
de quarante à cinquante minutes, et parfois
une heure.
Nous exposions à Dieu une cinquantaine
d'affaires différentes : nous lui
disions nos difficultés, ou nous priions en
particulier pour quelqu'un ou au sujet de quelque
circonstance. Généralement nous
continuions de prier chaque jour pour les
mêmes choses jusqu'à
l'exaucement ; alors la louange prenait la
place de la requête... Jamais nous ne nous
sommes réunis pour la prière sans
avoir quelque nouvelle raison d'action de
grâces en même temps que quelque
nouveau fardeau à déposer aux pieds
du Seigneur. Je recommande très
particulièrement aux parents
chrétiens de s'unir ainsi pour la
prière. En ce qui nous concerne, je crois
que c'est là surtout qu'il faut chercher le
secret de notre bonheur conjugal et notre amour
mutuel qui ne firent qu'augmenter avec les
années. Et, cependant, nous nous aimions
tendrement dès le début de notre
union.
I. Le Seigneur a
été bon et bienfaisant en me donnant
une telle compagne.
Il. Il a été bon
et bienfaisant en me la laissant [Ici, M.
Müller relate les maladies, les accidents qui
mirent à plusieurs reprises la vie, de Mme
Müller en danger ; nous les avons
mentionnés
précédemment].
III. Le Seigneur a
été bon et bienfaisant en ôtant
le désir de mes yeux.
Tous les chrétiens qui
m'ont entendu sont probablement prêts
à dire avec moi que le Seigneur a
été bon en me la
donnant, et bon en me la laissant. Qu'ils fassent
encore un pas avec moi et disent que Dieu a
été bon en la reprenant à lui.
Tandis que je dis ceci, je sens le vide de mon
coeur. Chaque jour elle me manque davantage. Chaque
jour je découvre davantage tout ce que les
orphelins ont perdu en la perdant. Et cependant,
sans effort, mon âme se réjouit de son
bonheur. Sa joie me donne de la joie. Ma
chère fille et moi nous ne voudrions pas la
rappeler, même s'il était en notre
pouvoir de le faire. C'est Dieu qui l'a
prise. » [Ici suivent les détails
déjà donnés sur l'état
de santé de Mme Müller durant les
dernières années].
« Il y a deux
ans
déjà, ma fille avait vu quelques
lignes écrites par sa chère
mère dans l'un de ses carnets de poche, qui
restait à Ashley Down, et que je ne
connaissais pas. Elle m'a montré le
précieux trésor, et je l'ai, en ce
moment, sous les yeux. Voici les paroles qu'elle y
a tracées :
« S'il
plaisait au
Seigneur de reprendre M. M. (Mary Müller) par
une mort subite, qu'aucun des chers survivants ne
s'imagine qu'il y a là un jugement de Dieu,
pour elle ou pour eux. Quand elle jouit du
sentiment de la présence du Seigneur, elle a
si souvent pensé qu'il lui serait
très doux de partir sur l'heure pour
être avec Jésus ! Seul le
sentiment du coup qu'en recevraient ses
bien-aimés l'a empêchée de
désirer que l'esprit libéré
prît son vol pour la céleste Patrie.
0, mon bien-aimé Sauveur ! [Precious
Jesus !] Que ta volonté soit faite, en
ceci comme en toute autre chose, et non la
mienne ! » Ayant sous les yeux ces
lignes tracées de sa main, sachant d'autre
part le profond attachement de ma bien-aimée
pour Celui qui a porté nos
péchés en son corps sur la croix,
comment pourrais-je faire
autrement que de me réjouir de la joie de
celle qui est maintenant et pour toujours avec le
Seigneur ? Comme mari, ... comme directeur des
Orphelinats, je sens tous les jours davantage ma
perte ; mais comme enfant de Dieu, comme
serviteur de Jésus, je veux ce que veut le
Seigneur, et j'essaie de le glorifier par une
soumission entière à sa sainte
volonté... »
George Müller termina
cette
oraison funèbre par quelques mots d'appel
aux inconvertis (3).
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